Newsletter mars 2014 Par Alain Bouijoux - [email protected] Le LCR* : une bombe au cœur du marché monétaire * LCR : Liquidity Coverage Ratio / Ratio de couverture de la liquidité Ma banque me propose d’ouvrir un livret « spécial » sur trois mois à 3,5% renouvelable en fonction conditions de marché. Sur la même période l’Euribor soit le taux de refinancement théorique des banques est de 0,33%... Pourquoi une telle prime pour disposer de mes dépôts alors que je suis un client acquis ? Plus rien ne sera comme avant La crise financière de 2008 a montré les faiblesses du système de contrôle du risque systémique existant qu’avait mis en place le comité de Bâle. Ce système était plus connu sous le nom de « Bâle 2 ». La réaction de cette vénérable institution ne s’est pas fait attendre et le comité localisé dans les locaux de la BRI (Banque des Règlements Internationaux) a annoncé fin 2010 des mesures à mettre en place pour « améliorer » le contrôle du risque systémique. Ces directives sont plus connues sous le nom de « Bâle 3 ». Pourquoi un tel ratio ? Parmi les différents ratios s’imposant aux différents établissements bancaires dans le monde, le LCR (Liquidity Coverage Ratio) fait aujourd’hui couler beaucoup d’encre. Ce ratio n’a, en soit, rien de nouveau car les banques françaises, entre autres, devaient depuis de nombreuses années respecter un ratio de liquidité aux termes de leur propre réglementation. Ce ratio a été élaboré par le régulateur en grande partie en raison du syndrome provoqué par la faillite de la banque Northern Rock en 2008. Le gouvernement Britannique avait été amené à nationaliser cet établissement en février 2008 suite aux difficultés de refinancement que subissait cette banque. Celle ci appliquait une recette ancestrale qui a fait ses preuves : emprunter sur les marchés monétaires à un taux faible pour mettre en place des prêts immobiliers auprès de ses clients à long terme en facturant, bien entendu, des taux plus élevés. Cette recette bien connue qui s’appelle aussi la « transformation » peut être efficace tant que l’établissement bancaire arrive à trouver suffisamment de liquidités sur le marché monétaire. L’incapacité à se refinancer peut amener une banque au dépôt de bilan. C’est exactement ce qu’il s’est passé avec Northern Rock, obligeant l’état britannique à voler au secours de cette banque systémique. Notons ici que nos amis britanniques ne sont pas les seuls à avoir fait les frais de ce type de remise en question car le Crédit Immobilier de France (tiens on parle encore de financement immobilier !) a fait faillite pour le même type de raison : la solidité de la banque est remise en question, il faut donc qu’elle paye plus cher pour trouver la liquidité (qui voit en plus son accessibilité diminuer), les taux de refinancement deviennent trop hauts pour assurer la rentabilité de l’établissement et le modèle s’écroule….. Bärchen – mars 2014 : toute reproduction est strictement interdite – www.barchen.fr Un instrument de couverture du risque de liquidité Du coup, afin d’éviter que ce type d’événement ne se reproduise, le régulateur souhaitait imposer une assurance tout risque (espérons que cette idée soit valide) et a donc demandé aux établissements bancaires de disposer d’actifs de très bonne qualité et suffisamment liquides que ceux-ci pourraient facilement vendre en cas de crise d’accès à la liquidité. Cette crise d’accès à la liquidité est représentée par une fuite hypothétique des dépôts de sa clientèle (particuliers ou entreprises) qui durerait un mois en cas de remise en question de sa solidité ou de sa réputation. Au-delà de ce que l’on appelle actifs liquides de haute qualité, les sorties nettes de capitaux font débat et des règles bien précises ont été listées par le comité de Bâle au sujet de la stabilité des dépôts bancaires. Le comité a, entre autre, précisé que la remise en question de la solvabilité d’une banque peut avoir un effet beaucoup plus important sur les fonds déposés par les entreprises (dépôts de gros) que sur les fonds laissés sur leurs comptes par les particuliers (dépôts de détail). Des précisions ont aussi été apportées sur des dépôts devant être considérés comme plus stables que d’autres (et donc moins susceptibles de fuir en cas de problème). Les banques françaises ne souhaitent pas attendre le 1er janvier 2019, date à laquelle ce ratio doit être au minimum de 100%, et sont toutes en avance histoire de se montrer à leur avantage en termes de gestion de la liquidité. L’impact direct : Non plus un mais des marchés monétaires Pour ce faire, les établissements bancaires sont, en autre, en offensive sur les comptes à terme dont la durée est de plus de 30 jours et offrent des conditions de rémunérations à leur clientèle à des années lumière au dessus de l’Euribor 1 mois (autour de 0,90% au moment où nous écrivons ces lignes pour un taux euribor de 0,23%). Situation paradoxale car la plupart des crédits octroyés par la banque à ses clients continuent à être exprimés en Euribor + marge L’avis des intervenants Bärchen Frédéric Bompaire Gérant chez Amundi et animateur du séminaire « la gestion monétaire en pratique » Emmanuel Schatz Gérant obligataire, ancien gérant monétaire et animateur du séminaire Bärchen : M. Schatz, le LCR affecte-t-il directement les encours des fonds monétaires ? E. Schatz : Effectivement ce ratio a des impacts sur les encours sous gestion dans les fonds monétaires mais plutôt dans le bon sens au niveau des placements réalisés par les établissements bancaires. Le coussin de liquidité exigé par ce ratio doit être placé et les banques recherchent ce type de placement en actifs monétaires. Le marché s’est certes fractionné mais les fonds monétaires s’en sortent plutôt bien. Bärchen : M. Bompaire, que pensez-vous des impacts du LCR sur votre activité de gestion quotidienne ? F. Bompaire : Les éléments que vous présentez mettent effectivement en avant une nette segmentation du marché monétaire. Les banques offrent des possibilités de placement différentes selon la typologie d’investisseur. Le marché a déjà intégré ces modifications mais selon moi le pire reste à venir. De manière générale il semble que les placements à moins de deux mois n’offriront aucune rentabilité et il faudra aller sur des périodes plus longues pour espérer un rendement intéressant. Barchen : L’impact de ce ratio se traduit-il simplement par une segmentation des prix ? F. Bompaire : Pas seulement. De l’autre côté du ratio, les fonds monétaires offrent également une possibilité d’engagements à court terme ne justifiant pas la constitution de liquidité. Les banques peuvent être également en position d’investisseurs et recherchent des placements à très court terme. L’idée actuelle est donc d’avoir des fonds très courts comme l’a souligné M. Schatz. Bärchen – mars 2014 : toute reproduction est strictement interdite – www.barchen.fr bancaire, marge qui risque donc de devenir négative ! Les grands perdant de cette lutte sont les gérants de fonds monétaires qui, n’offrant pas d’épargne bilancielle, ne sont pas aptes à améliorer la qualité de la liquidité exigée par le LCR et voient leurs clients sortir des fonds pour aller placer eux mêmes leurs liquidités dans les bilans bancaires. Du coup, le marché monétaire est en train de se fragmenter et il n’existe plus qu’une courbe des taux mais plusieurs. Les banques proposent des dépôts à des niveaux de rémunération différents selon la typologie du prêteur. Au-delà, la pression va s’accentuer sur le financement de l’économie, déjà mis à mal par le ratio de levier (nous y reviendrons ultérieurement). Les banques risquent de privilégier la constitution de liquidité dans leurs livres et minorer les efforts de commercialisation d’épargne financière, traditionnellement à l’origine de fortes rentrées de commissions. Un impact forcément négatif sur le financement de l’économie réelle En conclusion, ce ratio peut être contestable. S’il est évident qu’il vise à rassurer les marchés sur la solidité des établissements bancaires, il devrait déboucher à court terme sur un renchérissement du crédit bancaire et une diminution de la constitution d’épargne financière. Deux éléments qui ne sont pas de nature à faciliter la désintermédiation du financement de l’économie. Le comité de Bâle avait initialement prévu de mettre en place ce ratio à l’horizon janvier 2015. Début 2013, les experts ont repoussé cette échéance à 2019 en prenant en compte les multiples contraintes pesant sur les bilans bancaire à l’époque et leurs conséquences sur l’activité de ces dernières. Gageons que l’histoire n’est pas terminée et que les modalités de mise en place de ce ratio puissent continuer à évoluer. Alain BOUIJOUX Ingénieur pédagogique chez Bärchen, Alain BOUIJOUX est formateur en finance depuis plus de 10 ans. Il était précédemment vendeur dans les salles de marchés de BFI et apporte son expérience du terrain dans l’analyse des enjeux touchant les activités de marchés. Sa formation universitaire d’économiste lui permet également de prendre du recul sur la situation macroéconomique globale et de donner de nombreuses pistes de réflexion aux personnes participant à ses séminaires. [email protected] Voir également l’article de L’AGEFI sur le sujet : Bärchen – mars 2014 : toute reproduction est strictement interdite – www.barchen.fr L’impact en termes de compétences L’impact réglementaire sur le fonctionnement des marchés constitue donc aujourd’hui une évidence. Ces enjeux règlementaires mais aussi la compréhension et le calcul des coûts de financement ou d’utilisation du capital sont même devenus des prérequis à la mise en place d’opérations de marché. Le LCR et ses impacts ne représentent qu’un exemple parmi beaucoup d’autres. Il est peu probable que nous revenions à une situation classique avec une seule courbe, un seul taux d’actualisation, un seul taux d’intérêt sans risque, etc,… Le changement c’est maintenant et pour très longtemps ! Ses conséquences sont infinies et se répercutent dans les besoins de compétences. A titre d‘exemple la remise en question des calculs à inclure dans toutes les opérations de pricing sera continuelle, les nouvelles contraintes de financements et de placements pour les banques doivent être prise en compte dans la construction, la gestion et la vente des nouvelles solutions d’investissements, la conformité n’est plus un passage obligé mais un moteur d’innovation. L’ensemble de ces bouleversements impliquent pour tous les financiers une remise à niveau régulière de leur activité mais aussi un besoin d’anticiper les prochaines échéances réglementaires à venir et leur impact prévisible et potentiel sur le business demain. Les solutions formation Nos formations visent à offrir le niveau d’excellence nécessaire permettant à répondre à ces enjeux en améliorant leur maîtrise. Pour aller plus loin spécifiquement sur le marché monétaire, nous vous conseillons les formations suivantes : Le marché monétaire au quotidien (PRO25) Mesure et gestion du risque de liquidité (RIS55) Piloter la liquidité d’un établissement de crédit (RIS57) Gestion monétaire en pratique (AMG137) Enfin, pour gagner en hauteur et maîtrise Certificat DiFiQ avec Dauphine et ENSAE ParisTech Certificat conformité avec ESCP Europe Accompagnement CFA Accompagnement PRM Retrouvez toutes nos formations sur www.barchen.fr Contactez-nous au +33 (0)1 40 33 79 08 ou sur [email protected] Notre prochaine newsletter paraîtra en juin : Désintermédiation – Le train est parti Tous les deux mois, découvrez les sujets d’actualité qui font bouger les compétences avec notre expert en Asset Management et Marchés financiers. 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