Université de Nantes Institut d'Economie et de Management de Nantes (IEMN) Alexandre GAILLARD LES POLITIQUES MONETAIRES NON CONVENTIONNELLES, APPROCHES MONETARISTE ET NEO-WICKSELIENNE Mémoire d’étude économique Licence d’économie (L3) Présenté sous la direction de Monsieur Z. Moussa Année 2013 - 2014 Sommaire Introduction ........................................................................................................................................ 3 I. Les politiques monétaires non conventionnelles : hypothèses et canaux................................... 4 I. 1. La politique monétaire « normale » ou conventionnelle. ......................................................... 4 I. 2. Les fondements des politiques monétaires non conventionnelles ............................................ 5 I. 2. 1. Les politiques monétaires d’assouplissement ................................................................... 6 A. L’assouplissement quantitatif (Quantitative Easing [QE]) : des réserves bancaires à l’augmentation des crédits octroyés ......................................................................................... 6 B. L’assouplissement qualitatif ou des conditions de crédit (credit easing) .......................... 7 C. Canaux de transmission des politiques d’assouplissement ................................................ 8 I. 2. 2. L’ancrage des anticipations sur les taux d’intérêt futurs (forward guidance). ............... 10 II. Les différentes politiques monétaires non conventionnelles conduites par les BC ............... 11 II. 1. Les enseignements de « la décennie perdue » au Japon et l’émergence des nouveaux instruments monétaires non conventionnels .................................................................................. 11 A. Les premières applications réelles des politiques non conventionnelles ......................... 11 B. L’efficacité de ces politiques n’est pourtant pas certaine ................................................ 12 II. 2. La crise mondiale de 2008, l’innovation non conventionnelle à l’œuvre ............................. 13 A. La réponse rapide de la FED face à la crise et l’exemple de la credit easing ................. 14 B. L’action de la BCE, l’ambiguïté sur la quantitative easing............................................. 15 C. Comparaison internationale des politiques non conventionnelles ................................... 17 III. Conclusion .................................................................................................................................. 18 IV. Annexes ....................................................................................................................................... 19 V. Bibliographie ............................................................................................................................... 20 2 Les politiques monétaires non conventionnelles, approches monétariste et néowicksélienne. Mai, 2014 “I think one of the lessons of the Depression was that when orthodoxy fails, then you need to try new things. And he was very willing to try unorthodox approaches when the orthodox approach had shown that it was not adequate.” Ben Bernanke Introduction À partir de la fin des années 1980, la stabilité des prix est devenue l’un des principaux objectifs des banques centrales (BC). Pour s’en assurer, elles modulent leur taux d’intérêt directeur auquel les institutions financières se refinancent. Par ce biais, les BC sont capables d’influencer le coût du crédit et donc le volume de liquidité distribué dans l’économie. Toutefois, dans certains cas exceptionnels de crise, cette politique devient inefficace. L’exemple japonais du début des années 2000 et la récente crise de 2008 en montrent notamment les limites. Au Japon, la Bank of Japan (BOJ) a longtemps manqué de marges de manœuvre dans la conduite de sa politique monétaire car son taux d’intérêt directeur a rapidement été abaissé sans pour autant relancer l’activité économique de façon durable de 1994 à 1998. En outre, la dégradation du système financier provoquée par les subprimes en 2008, a conduit les principales BC à prendre des mesures inédites pour renouveler profondément leur arsenal de politique monétaire. En effet, les premières faillites de banques commerciales américaines, telles que Lehmann Brother en 2007, ont brusquement éveillé l’incertitude au sein des systèmes bancaires à l’origine d’une hausse des primes de risque exigées par les investisseurs. La conséquence directe a été une diminution drastique des octrois de crédit au sein des économies occidentales conduisant la Réserve Fédérale (FED), la Banque Centrale Européenne (BCE), la BOJ et la Bank of England (BOE) à diminuer mécaniquement leur taux directeur au seuil quasi nul en vertu de la règle de Taylor. Or, les pertes boursières liées aux actifs « pourris » et la dégradation de la solvabilité des agents économiques étaient si considérables que cette politique n’a pas permis de relancer l’activité ; cette situation étant en partie due à l’inefficacité du canal du taux d’intérêt provoquant la déconnexion de la structure des taux à moyen et long termes – auxquels les agents non financiers investissent – de la dynamique du taux directeur. Dans ces deux situations, les BC ont dû adopter de nouveaux instruments. La BOJ a notamment lancé de véritables innovations monétaires dites de « non conventionnelles » pour restaurer un moyen d’action aux autorités monétaires pour modifier le niveau des taux d’intérêt dans l’économie. Ainsi, de 1998 à 2006, la BOJ a installé la première politique d’assouplissement quantitatif et a communiqué ses intentions futures quant à la fixation de son taux directeur pour ancrer les anticipations sur les taux d’intérêt futurs à un niveau plus faible. Par ailleurs, suite à l’inefficacité de la politique monétaire traditionnelle pendant la crise de 2008 et sans doute inspirées par les politiques monétaires nipponnes au début des années 2000, la BCE, la FED, la BOE ont également instauré ces nouveaux outils. Si 3 leurs applications diffèrent entre les BC, elles ont toutes œuvrées une politique d’assouplissement et se sont engagées dans le maintien de leur taux directeur à un faible niveau. Pourtant, ces différentes politiques ne sont pas dépourvues de justifications théoriques et résultent en réalité de deux conceptions différentes entre deux écoles d’économistes. D’un côté, les Monétaristes considèrent que la hausse de la base monétaire suite à l’assouplissement quantitatif inhibera le risque de déflation par l’augmentation de la demande agrégée. La raison avancée de cette hypothèse résulte du fait que les agents peuvent substituer de la monnaie aux autres actifs. De l’autre côté, les économistes que l’on qualifiera de Néo-Wicksélien, placent la notion du contrôle des anticipations des agents économiques, par un engagement crédible des BC, au cœur de la politique monétaire pour réduire les taux longs. Dans cette idée, les politiques d’assouplissement peuvent simplement conforter l’engagement des BC à maintenir son taux directeur faible à plus long terme car le canal de réallocation du portefeuille d’actifs est jugé inexistant. L’enjeu de ce mémoire est donc de décrire les différentes conceptions des politiques monétaires appliquées aujourd’hui par les BC et de présenter leurs impacts supposés sur l’activité. Dans un premier temps, on exposera les hypothèses des différents courants pour justifier le recours aux politiques non conventionnelles, en décrivant les canaux par lesquels elles se transmettent à l’économie réelle. Ensuite, une étude des actions menées par les principales BC des pays développés apportera un éclairage sur les applications réelles de ces politiques et sur leur efficacité. I. Les politiques monétaires non conventionnelles : hypothèses et canaux I. 1. La politique monétaire « normale » ou conventionnelle. Avant de décrire l’ensemble des politiques non conventionnelles appliquées aujourd’hui par les BC, il convient d’étudier leur comportement en temps normal. Depuis la critique des monétaristes vis-àvis de l’arbitrage inflation – chômage et l’émergence de la doctrine Greenspan1, la stabilité des prix est au cœur des politiques menées par les BC. Elles suivent en ce sens une règle, dites de « Taylor », dont l’objectif est d’atteindre un niveau d’inflation cible en adéquation avec le niveau de l’activité potentielle. La formalisation générale de cette règle est la suivante : 𝑖𝑡 = 𝑟 ∗ + 𝜋 ∗ + 𝛼(𝜋𝑡 − 𝜋 ∗ ) + 𝛽(𝑌𝑡 − 𝑌 ∗ ) 𝑠𝑜𝑢𝑠 𝑐𝑜𝑛𝑡𝑟𝑎𝑖𝑛𝑡𝑒 ∶ 𝑖𝑡 = 𝑚𝑎𝑥{0, 𝑖𝑡∗ } Avec : 𝑟 ∗ le taux d’intérêt naturel, 𝜋 ∗ l’inflation cible, 𝜋 l’inflation observée et (𝑌𝑡 − 𝑌∗ ) l’output gap (croissance observée diminuée de la croissance potentielle). Le mécanisme sous-jacent est le suivant, lorsque l’inflation cible est égale à l’inflation observée et que la croissance est à son potentiel, le taux nominal (taux directeur) fixé par la BC équivaut au taux Alan Greenspan est l’un des principaux fondateurs de la ligne de conduite de la FED. Il a notamment installé l’idée que la FED devait abandonner les politiques monétaires visant à modifier directement et souvent arbitrairement le niveau de la base monétaire, qui causaient des effets structurels prolongés. Elle devait en ce sens orienter sa politique vers le ciblage de l’inflation sur une période donnée à travers la fixation de son taux d’intérêt directeur (Aglietta, 2008). 1 4 neutre2 nominal. En revanche, lorsque l’inflation ou la croissance est inférieure (respectivement supérieure) à sa valeur cible ou potentiel, le taux directeur fixé par la BC est diminué (respectivement augmenté) pour relancer (respectivement limité) l’activité jusqu’à ce que l’économie retrouve son niveau potentiel. Une fois celui-ci atteint, le taux d’intérêt réel redevient égale au taux réel neutre. De manière générale, les BC fixent leur principal taux directeur par des opérations d’Open Market. Elles prêtent à ce taux de la liquidité aux institutions financières sur le marché monétaire et fixent ainsi indirectement le coût du crédit général dans l’économie. Plus le taux directeur est faible et plus le coût de refinancement des banques est faible. Cette transmission se poursuit jusqu’au taux auxquels les banques octroient des crédits aux agents non financiers ; influençant le niveau de l’activité. Ces politiques monétaires de ciblage de l’inflation reposant sur l’observation des variables agrégées observées sont appliquées aujourd’hui par la FED, la BCE et la BOJ, même si les règles diffèrent légèrement de celle de Taylor. D’autres BC ont cependant une formulation plus sophistiquée qui repose sur des variables conjoncturelles anticipées à l’instar de la Bank of England (BOE). Cependant, en période de dépression et de déflation sévère, cette règle de fixation du taux nominal peut devenir inopérante. Si l’output gap devient fortement négatif et que l’inflation observée est inférieure à son niveau cible, le taux directeur fixé par la BC bute sur la contrainte d’un taux d’intérêt nominal qui ne peut pas être négatif, puisque cela signifierait un financement des dettes par les prêteurs. De surcroît, même lorsque ce taux de court terme est proche de zéro, l’économie peut tomber dans un marasme profond en cas de forte déflation. En effet, dans ce cas, le taux d’intérêt réel reste positif et s’élève à l’opposé de la déflation pouvant égaler, voire dépasser, le niveau du taux réel neutre. La demande globale baisse et la politique monétaire, devenu inefficace, doit renouveler son action pour diminuer davantage les taux longs et relancer l’activité. Les BC exercent donc deux politiques différentes justifiées par une dichotomie entre la situation « normale » de l’économie et la situation de « crise ». Ainsi, les politiques non conventionnelles sont appliquées dans l’objectif de restaurer l’état « normal » de l’économie ou des marchés lorsqu’une dépression importante survient. I. 2. Les fondements des politiques monétaires non conventionnelles L’instauration d’une politique monétaire non conventionnelle fait appel à des instruments et des fondements économiques récents. Le recul nécessaire n’étant pas suffisant, de vifs débats entre les écoles de pensée économique tentent de trancher sur les mécanismes à l’œuvre lors de leur application. Pour autant, l’ensemble de ces politiques s’accorde sur les principaux objectifs : de relance de l’activité économique et d’inhibition du risque de déflation. Ces mesures se scindent en « Le taux d’épargne qui maximise la consommation par tête est tel que le taux d’intérêt réel est égal au taux de croissance potentielle. C’est la règle d’or. Ce taux est le taux réel neutre » (Aglietta, 2008). 2 5 trois leviers agissant sur les anticipations des agents, sur la liquidité qu’ils détiennent et sur les conditions du crédit. Dans cette synthèse, il convient de souligner que nous reprendrons la distinction de Ben Bernanke (2009) entre les politiques d’assouplissement quantitatif (quantitative easing) et du crédit (credit easing). De ce fait, l’assouplissement quantitatif sera considéré comme une politique visant à augmenter la base monétaire tandis que l’assouplissement du crédit s’intéresse à diversifier les actifs détenus par la banque centrale afin d’émettre directement de la liquidité aux agents non financiers3. I. 2. 1. Les politiques monétaires d’assouplissement A. L’assouplissement quantitatif (Quantitative Easing [QE]) : des réserves bancaires à l’augmentation des crédits octroyés La politique d’assouplissement quantitatif (QE) est utilisée lorsque le taux nominal court est proche de zéro et que les effets récessionnistes perdurent. L’objectif est de réduire les taux nominaux long pour relancer l’activité économique dès aujourd’hui. Le mécanisme de cette mesure consiste à accroître le passif du bilan de la banque centrale, via les réserves bancaires, pour alimenter l’économie en liquidité. Dans ce cadre, la BC réalise une opération similaire à l’Open Market4, de grande ampleur et qui agit à plus long terme, afin de saturer la demande de monnaie banque centrale. Pour ce faire, elle achète des titres longs exempts de tous risques financiers aux institutions financières, généralement des bons du trésor, financés par création monétaire et donc non stérilisés par la vente simultanée d’autres titres. Lorsqu’une politique d’assouplissement quantitatif est mise en place, la BC modifie son bilan en focalisant son action sur l’augmentation de son passif. Table 1. Bilan de la banque centrale Actif + Concours aux établissements de crédit (Open-Market, prêt etc.). Titres détenus fermement. Passif Billet en circulation. + Avoirs des établissements de crédit (Réserves excédentaires et obligatoires). Dans cette opération, les banques commerciales mettent en pensions (repo) ou vendent des titres sûrs en échange de liquidité ; augmentant le compte des réserves des banques dans le passif de la BC. 3 « Our approach--which could be described as "credit easing"--resembles quantitative easing in one respect: It involves an expansion of the central bank's balance sheet. However, in a pure QE regime, the focus of policy is the quantity of bank reserves, which are liabilities of the central bank; the composition of loans and securities on the asset side of the central bank's balance sheet is incidental. » (Bernanke, 2009). « QE is ‘just a return to the classic policy operation of the textbook: an open market operation. The only things that distinguish the present operations… are the circumstances under which they are taking place and their scale’ » (Bowdler et al., 2012). 4 6 Cette politique est donc aussi intéressante à utiliser dans une situation critique où le manque de confiance entre les banques gèle la circulation des liquidités ; la BC se substituant alors au marché interbancaire. Par ailleurs, l’augmentation de la base monétaire (high powered) se traduit par une hausse des réserves en monnaie banque centrale détenus par les institutions financières. Cette liquidité supplémentaire permet aux banques d’accroître le volume de prêts octroyés dans l’économie dans l’objectif d’accumuler des profits supplémentaires et de réorienter les actifs qu’elles souhaitent détenir. L’avantage d’utiliser cette politique, c’est qu’elle permet aux banques de jouer leur rôle de gestionnaire de prêt en sélectionnant les financements les plus efficaces ; ce qui supposerait un coût important et une sélection limitée si la BC détenait ce rôle (Artus, 2009). Néanmoins, ce mécanisme présume l’existence d’une relation entre la base monétaire et la masse monétaire qui circule effectivement. Pour cela, il est nécessaire de souligner que cette politique est une politique d’offre de crédit supplémentaire qui n’est pas efficace si la demande de crédit dans l’économie est inexistante (Choukairy et al., 2013). De plus, cet aspect repose sur des comportements des agents jugés stables qui n’ont pas lieu d’être réguliers conformément à la critique de Lucas formulée en 1976 (Loisel et al., 2009). B. L’assouplissement qualitatif ou des conditions de crédit (credit easing) La politique de credit easing (CE) est une autre forme de politique d’assouplissement parfois considérée comme un cas particulier de QE. Dans cette démarche, la banque centrale focalise son action sur les titres détenus à son actif plutôt que sur l’accroissement de sa base monétaire (cf. supra. table. 1). Elle achète ainsi des titres obligataires ou des actions non stérilisés, privés ou publics, aux institutions financières ou directement aux ANF, ce qui accroît mécaniquement le passif de la banque centrale par l’émission de liquidités. Ces achats ont pour but d’accroître les prix des actifs afin de diminuer les taux longs et relancer l’activité en augmentant la demande agrégée comme dans le cas de la QE (Loisel et al.). De plus, ces mesures exercent souvent une pression à la baisse sur les primes de risque dans l’économie favorable à la reprise des investissements (Bowdler et al.). L’avantage de privilégier cette forme de QE, c’est que la BC peut contrôler directement les injections de liquidités afin qu’elles soient utilisées dans des financements clés aidant la reprise de l’économie et limitant le risque de bulles spéculatives. Toutefois, elles sont plus difficiles à mettre en place et surtout plus dangereuse. En effet, même si les BC peuvent exiger des garanties suffisantes, elles sont plus souvent amenées à détenir des titres plus risqués que dans le cas d’une QE. De plus, la BC se retrouve dans le rôle de gestionnaire du financement de l’économie ; posant des problèmes sur une souplesse par rapport aux primes de risque exigées et sur une mauvaise évaluation des pertes liées aux titres financés. Enfin, même si cette politique peut relancer une demande de liquidité via la baisse des primes exigées, son application suppose que l’offre de crédit est insuffisante, comme pour une QE. Or, s’il s’avère que les besoins de financement sont inexistants, cette politique peut demeurer inefficace. Si la QE est une politique efficace et utile pour restaurer la confiance interbancaire dans une économie très intermédiée ; le credit easing prend tout son sens lorsque les entreprises et les institutions 7 financières, émettent directement leur demande de capital (via des obligations ou des actions) sur les marchés financiers (Loisel et al.). C. Canaux de transmission des politiques d’assouplissement Pour étudier l’impact et l’efficacité des politiques d’assouplissement, il est nécessaire de connaître les différents canaux de transmissions par lesquelles elles influencent l’économie réelle. Trois principaux canaux de ces politiques sont discutés par l’école monétariste et l’école néo-wicksélienne et dont l’efficacité fut étudiée par Oda et Ueda (2005) au Japon entre 1998 et 2005 (cf. infra). L’école monétariste ; réallocation du portefeuille d’actifs et effet richesse D’abord, les « monétaristes » suggèrent que l’accroissement de la liquidité détenue par les agents économiques à la suite d’une politique d’assouplissement génère deux canaux. (i). Un effet de réallocation du portefeuille des agents qui entraîne une augmentation des prix des actifs et une diminution mécanique des taux d’intérêt5. L’hypothèse sous-jacente réside dans le fait que même si les taux d’intérêts sont quasi nuls en période critique (cf. supra), les agents sont incités à acheter des titres via l’imparfaite substituabilité entre les titres et la monnaie. L’explication de l’augmentation des prix des actifs non monétaires est synthétisée par Christopher Bowdler et Amar Radia (2012) en deux effets distincts : Si les agents économiques désirent racheter d’autres actifs, de même catégorie, qui correspondent à des maturités différentes que celles précédemment vendues ; la BC peut restreindre la quantité d’actifs plus sûrs redistribués dans l’économie et leur prix augmente. Lorsque la BC rachète des actifs de longues durations, le montant des primes de liquidité exigées par les investisseurs baisse afin de s’aligner sur l’offre de rachat de la BC ; provoquant une diminution des taux longs. De plus, l’excès de liquidité détenu par les banques peut les amener à contracter davantage de titres risqués, diminuant encore le montant de la prime de risque exigée. (ii). Selon Metzler (1995)6, l’accroissement des liquidités détenues engendre un effet richesse par lequel les agents privés augmentent leur demande agrégée favorable à la reprise de l’activité. Par ailleurs, si la politique d’assouplissement a généré une hausse des prix des titres, la richesse des agents économiques détenant ce capital s’accroît ; leur permettant d’augmenter leur consommation. Toutefois, le premier canal dépend en partie du degré de perfectibilité de la substitution entre actif monétaire et non monétaire. Or, c’est précisément sur ce point que l’école Néo-Wicksélienne 5 La relation inverse qui existe entre le prix d’un titre et le taux d’intérêt provient du calcul de la valeur actualisée. 6 Cette référence est tirée des recherches de Choukairy et Ibenrissoul (2003). 8 s’oppose aux arguments Monétaristes. Les Néo-Wickséliens supposent en effet qu’il existe une substitution parfaite qui rend le canal de réallocation totalement inefficace lorsque les taux à court terme sont proche d’être nuls. D’après Woodford (2012), les agents sont donc indifférents entre la détention de titres ou la détention de monnaie, d’autant que la monnaie n’incorpore aucun risque de crédit. Ainsi, l’expansion monétaire n’a pas d’impact sur la demande agrégée ni sur l’activité et l’économie se retrouve dans une situation de trappe à liquidité. S’ajoute à cette critique le fait que le risque suite aux achats de titres pesant sur le bilan de la BC modifie les anticipations des agents sur l’évolution des finances publiques. Ces derniers peuvent considérer que ces achats provoquent un risque de perte important qui, sous équivalence Ricardienne, ne provoquera aucun effet d’augmentation de la demande agrégée7. L’école Néo-Wicksélienne ; le rôle des anticipations comme canal de transmission Si le canal de reallocation du portefeuille ne trouve aucun fondement théorique valable pour l’école Néo-Wicksélienne, les politiques d’assouplissement ne sont pas totalement dépourvus d’effets. L’opposition entre ces deux écoles se manifeste donc surtout dans l’interprétation des effets induits. De ce fait, si la QE ou la CE peuvent produire des effets positifs sur l’économie, ceux-ci résultent davantage d’un effet sur les anticipations généré par l’achat de titre à taux zéro par la BC (Oda et al.). En œuvrant une expansion monétaire, la BC créé donc un autre canal qui crédibilise son engagement sur sa volonté de baisser ses taux directeurs à plus ou moins long terme8. Deux effets sont ainsi induits par les politiques d’assouplissement pour les Néo-Wickséliens (Loisel et al.). (iii). L’accroissement du bilan de la BC par l’achat de titre, par exemple, contraint la BC à veiller financièrement à la valeur de ces titres. Cette contrainte est d’autant plus grande si la BC contracte des titres très longs obtenus à des taux d’intérêt quasi nul, leur prix étaient alors maximaux et ne peuvent que diminuer. Ainsi, toute hausse des taux d’intérêt nominaux engendrerait une perte à l’actif de la banque centrale. Son engagement à réduire les taux nominaux pour une certaine durée, correspondant à la maturité des titres qu’elle détient, est donc signalé crédible ; le niveau de la yield curve diminue. (iv). Les BC peuvent aussi utiliser la politique d’assouplissement pour annoncer directement une cible de taux d’intérêt à atteindre et son application permet simplement de crédibiliser sa démarche. Dans ce cadre, elle annonce qu’elle ne cessera de distribuer de la liquidité tant que ces taux ne passent pas effectivement sous la cible énoncée. Ces deux canaux de transmission des politiques d’assouplissement mis en évidence par l’école NéoWicksélienne constituent en réalité une autre sorte de politique non conventuelle, qui peut s’appliquer indépendamment de la QE ou de la CE et qui vise à agir directement sur les anticipations. 7 Selon le théorème de Modigliani-Miller énoncé en 1958. 8 Une offre de monnaie supplémentaire dans l’économie à demande de monnaie inchangée encourage la baisse des taux. 9 I. 2. 2. L’ancrage des anticipations sur les taux d’intérêt futurs (forward guidance). La portée de la critique Néo-Wicksélienne à l’encontre des politiques d’assouplissement est d’autant plus forte qu’elle préconise une autre politique afin de parvenir au même résultat de baisse des taux d’intérêt longs pour relancer l’activité. Cette politique transite par l’engagement crédible de la BC. Dans cette approche, la BC annonce la fixation future de ses taux directeurs afin d’influencer dès aujourd’hui les taux à moyen et long terme. La structure par terme de la courbe des taux du marché (yield curve) observable incorpore en effet l’inflation future anticipée, les primes de risque et l’ensemble des taux courts à chaque période. Sous l’hypothèse des anticipations rationnelles, l’annonce diminue ainsi le niveau de la yield curve suite à la baisse annoncée et maintenue des taux courts et par l’inflation future générée par ces taux faibles (cf. supra. Règle de Taylor) (Loisel et al.). + S’il est dit explicite, l’engagement de la BC à conserver son taux directeur très bas sera maintenu jusqu’à ce qu’un niveau annoncé d’inflation ou de croissance soit retrouvé. + S’il est dit implicite, la BC cible plutôt une trajectoire d’inflation moyenne sur plusieurs années. Par exemple, en cas de déflation, la BC s’engage à compenser ce niveau par une inflation plus forte à moyen terme en abaissant sur une durée plus longue son taux directeur. Selon Woodford (2012), ces engagements sont efficaces puisque « les déclarations de la banque centrale peuvent, au moins sous certaines circonstances, influencer le marché financier – et plus précisément, elles peuvent affecter les marchés de manière à refléter un changement dans les croyances quant à la trajectoire future des taux d’intérêt vers celle annoncée »9. Ainsi, si l’engagement est suffisamment crédible, la baisse des taux longs diminue le coût du crédit favorable à la reprise de l’activité par l’investissement. Cependant, la BC peut être incité à ne pas respecter ses engagements si l’inflation retrouve un seuil « normal » en vertu de son objectif de stabilité des prix. Si la crédibilité de la BC est entachée par une succession de comportement clandestin, alors l’impact de l’annonce risquerait d’être moins efficace sur la yield curve, voire inexistant. 9 Traduction réalisée à partir du document de Woodford (2012). 10 II. Les différentes politiques monétaires non conventionnelles conduites par les BC II. 1. Les enseignements de « la décennie perdue » au Japon et l’émergence des nouveaux instruments monétaires non conventionnels Au début des années 1990, l’éclatement de la bulle immobilière au Japon et l’insolvabilité de nombreux agents économiques en résultant a dégradé la situation financière de la plupart des banques japonaises. Le volume de crédits octroyés a d’ailleurs chuté drastiquement dès 1994 sous le montant des remboursements des prêts déjà accordés. L’impact sur l’activité économique a été sévère. Le taux de croissance, de 1991 à 2002, a notamment fluctué autour d’une valeur moyenne de 1% par an ; bien inférieure aux périodes de prospérités antérieures. Sur la période de 2000 à 2003, la déflation s’est installée durablement dans le pays, avec une inflation proche de -1% aggravant davantage la situation économique du pays10. A. Les premières applications réelles des politiques non conventionnelles Pour relancer l’activité dans le pays, les autorités monétaires japonaises, conduite par la Bank Of Japan (BOJ), ont adopté plusieurs politiques monétaires successives à l’initiative des premières applications de politiques non conventionnelles dans le monde (Oda et Ueda, 2005). 1. De 1995 à 1998, la réponse de la BOJ face à cette situation inquiétante a d’abord consisté, conformément à la règle de Taylor (cf. supra), à abaisser rapidement son taux directeur auxquels se refinancent les banques commerciales autour de 0,5% pour diminuer le coût d’accès à la liquidité ; permettant de relancer l’activité. En outre, cette décision a contenu les tensions du système financier générées par les faillites successives d’institutions financières. 2. A partir de 1999, la BOJ a adopté une politique d’ancrage des taux à long terme en annonçant sa conduite future quant à la fixation de son taux directeur. Elle s’engagea à le maintenir à des niveaux très faibles « jusqu’à ce que les risques déflationnistes soient dissipés ». Elle adopta en ce sens une préconisation Néo-Wicksélienne sur la conduite de la politique monétaire en période de crise11. Cette politique fut levée au milieu de l’année 2000 après quelques signes de reprise de l’activité avant la survenue d’une nouvelle récession en 2001. 3. En Mars 2001, la BOJ modifia son approche et lança la première application des politiques d’assouplissement quantitatif. Son application a consisté à cibler une quantité importante de liquidité à diffuser en achetant directement aux banques des bons du trésor (JGBs) ; augmentant Une situation de déflation devient problématique pour l’économie lorsqu’elle impact le bilan des entreprises. En effet, le coût des inputs est plus important relativement aux prix des outputs à cause de la baisse du niveau général des prix pendant le processus de production. Le profit des entreprises est ainsi diminué indépendamment des quantités de biens intermédiaires achetées et de biens finaux vendus. 10 On rappelle que le but recherché est alors d’orienter les anticipations sur la trajectoire des taux directeur afin d’influencer les taux longs actuels. 11 11 mécaniquement les réserves bancaires à son passif12. L’offre de monnaie ainsi créé aurait ainsi permis d’influencer directement les taux d’intérêt pour l’école Monétariste. En parallèle, elle s’est engagée à offrir autant de liquidité que nécessaire jusqu’à ce que le taux d’inflation reviennent à un niveau positif et soutenable. Elle communiqua par exemple en octobre 2003 son intention de « continuer de fournir de grande quantité de liquidité jusqu’à ce que l’inflation actuelle et future redeviennent proche de 0% ou plus ». Pour Woodford (2012), l’application de ces deux politiques non conventionnelles peut s’interpréter comme des politiques complémentaires visant à crédibiliser l’engagement de la BOJ à maintenir ses taux directeurs faibles tout comme lors de sa politique en 1999. B. L’efficacité de ces politiques n’est pourtant pas certaine Si lors de l’application de la QE entre 2001 et 2006, la BOJ a effectivement doublé le volume de sa base monétaire, principalement via l’achat de JGBs par Open Market en annonçant chaque augmentation au préalable, la yield curve est bien restée relativement stable à des niveaux très bas. Les taux à trois, cinq et dix ans, auxquels les agents non financiers opèrent leurs investissements productifs et immobiliers, ont tous diminué à cette période pour atteindre en moyenne des seuils respectifs de 0,25%, 0,6% et 1,25%. Concernant les principales variables agrégées, l’inflation s’est stabilisée autour d’un niveau légèrement négatif à partir de 2003 avant de redevenir positif fin 200613. Par ailleurs, après la récession mondiale due à l’éclatement de la bulle internet en 2000, une reprise de l’activité fut observée au Japon avec une croissance moyenne de 2% entre 2002 et 2006 ; rétablissant un output gap14 enfin positif. Cependant, l’octroi de crédit a lui été retardée jusqu’en 2006, période à laquelle la BOJ décida enfin d’arrêter l’application de sa politique dites de « Revised version of the Zero Interest Rate Policy » (RZIRP) mêlant QE et engagements de la BC sur ses taux directeurs. Bien sûr, s’il y a bien eu une reprise de l’activité, celle-ci était loin de rétablir les niveaux de croissances exceptionnelles des années d’avant 1990. Toutefois, ces mesures ont permis de sortir le Japon d’une situation d’inefficacité de la politique monétaire jusque-là sans précédent. Le problème qui se pose est de savoir lesquelles ont permis une diminution effective des taux à moyen et long terme afin de relancer l’activité économique. Il s’agit en réalité d’opposer l’argumentaire Monétariste, qui préconise l’application d’une politique d’assouplissement quantitatif à celui des NéoWickséliens, dont le rôle de l’engagement de la BOJ sur les anticipations explique l’intégralité de la baisse des taux longs. 12 Ainsi, le ciblage de la quantité de monnaie banque centrale en circulation redevient une politique active de la BOJ. 13 Ce qui a justifié l’arrêt de la politique d’assouplissement. L’output gap peut être défini comme l’écart du PIB réel à son niveau potentiel : (𝑌 − 𝑌). Si le PIB réel est une variable observée, le PIB potentiel est estimé par différents filtres faisant intervenir l’emploi et le capital potentiels, la productivité globale des facteurs ainsi qu’un paramètre lié à la structure économique du pays ; eux-mêmes estimé d’après des séries chronologiques antérieures. 14 12 Le travail économétrique réalisé par Oda et Ueda (2005) permet de décomposer l’efficacité de la QE et de l’engagement sur la conduite des taux directeurs par la BOJ sur les taux longs. Ils évaluent ainsi l’effet induit des différents canaux de transmission décris dans la partie I. Leurs estimations démontrent que la baisse de la prime de risque liée au canal de la réallocation du portefeuille des agents économiques n’est pas statistiquement significative. En revanche, leur conclusion est différente concernant l’engagement explicite de la BOJ à maintenir un taux directeur faible. En effet, ils concluent que la RZIRP a bien eu des conséquences favorables, mais celles-ci seraient en partie dues à l’anticipation de baisse des taux directeurs futurs. D’autres recherches, menées notamment par B. Bernanke (2004)15, corroborent aussi le fait que la QE n’aurait eue aucun effet réellement efficace au Japon de 2001 à 2006. Pour conclure sur ce point, on peut dire que le cas du Japon était unique au monde. Il permet entre autre d’évaluer aujourd’hui, avec un recul suffisant, l’impact des nouvelles politiques monétaires non conventionnelles d’assouplissement quantitatif (QE) et du contrôle des anticipations des agents économiques. Seulement, il est difficile de trancher sur la supériorité de l’une ou de l’autre forme de politique non conventionnelle. D’une part, le Japon a mené sa QE en parallèle d’une forward guidance rendant complexe l’évaluation des effets induits. D’autre part, il n’est pas certain que les politiques d’assouplissement ne fonctionnent pas dans un autre contexte ou dans une autre économie où les frictions des marchés sont différentes, accordant une légitimité aux analyses énoncées par les Monétaristes. Enfin, cette efficacité souvent discutée des politiques non conventionnelles, notamment pour le cas Japonais, explique sans doute les raisons pour lesquelles les BC ont mariés ces deux types de politiques non conventionnelles lors de la crise des Subprimes en 2008. Elles ont ainsi mis toutes les chances de leur côté. II. 2. La crise mondiale de 2008, l’innovation non conventionnelle à l’œuvre Avant de décrire les différentes politiques non conventionnelles appliquées aujourd’hui de par le monde, il convient de souligner que nous n’aborderons pas l’efficacité de ces politiques dans le détail. On peut expliquer ce choix par une portée limitée sur les résultats de leur instauration. Si la plupart des pays développés dans le monde ont appliqué des politiques provoquant l’augmentation importante de la base monétaire des BC, il faut différencier les politiques purement non conventionnelles d’assouplissement et celles plutôt liée à la responsabilité des BC à protéger l’économie d’un effondrement financier, traduit par le rôle de prêteur en dernier ressort16 (Olivier Loisel et al.). La première mesure vise à accroître la base monétaire par des opérations d’Open Market 15 Référence reprise du travail de Loisel et al. (2009). 16 Afin de sauver les systèmes bancaires et financiers, les BC ont récupéré des actifs pourris dans le bilan des banques et financer parfois leurs pertes. C’est le cas par exemple de AIG aux Etats-Unis. 13 afin de saturer la demande de monnaie, tandis que la seconde prévient le risque systémique d’effondrement des marchés monétaires et financiers. Dans cette dernière, la BC distribue de façon quasi-illimitée des liquidités aux agents financiers pour pallier aux pertes en capital subit par la crise et évite l’engrenage des faillites. Cette réponse a été menée par les BC dans les premiers mois qui ont suivi la crise alors que les politiques d’assouplissements ce sont plutôt étalées sur plusieurs années et ont démarré plus tardivement. Ensuite, il faut souligner le fait que l’ensemble des BC de ces pays ont suivi la même logique pour résoudre la crise. D’abord, elles ont naturellement réduit leur taux directeurs automatiquement en vertu de la règle de Taylor et ont fourni au système bancaire toute la liquidité nécessaire à son fonctionnement. Rapidement, les différents taux appliqués par les BC ont successivement buté sur la contrainte de la non négativité17 ; justifiant alors l’utilisation de politiques non conventionnelles afin d’inhiber le risque de déflation et d’éviter une récession prolongée. On s’attachera à décrire ici les différentes politiques d’assouplissement, credit easing et quantitative easing, appliquées par les BC dans le monde. Les politiques d’ancrage des anticipations sur les taux longs étant des politiques largement répandues et appliquées pour l’ensemble18. On peut tout de même indiquer que cette dernière a permis d’accroître le rôle de la communication des BC et leur portée sur le système financier depuis la crise ; la clarté et la diffusion des engagements pris à ce propos étant devenus des enjeux majeurs. A. La réponse rapide de la FED face à la crise et l’exemple de la credit easing Même avant la crise, la FED avait déjà procédé à des politiques non conventionnelles d’ancrage des taux directeur en 2003 justifiée par le risque de déflation. Son application avait semblé avoir fonctionné puisqu’il y avait bien eu une baisse des taux d’intérêts à moyen et long terme ; encourageant notamment l’investissement dans l’immobilier. Mais à partir de la crise des Suprimes, de véritables modifications dans la conduite de la politique monétaire de la FED ont vu le jour. Les Etats-Unis étant l’origine de la crise, les réactions des autorités monétaires ont été les plus rapides. Suite à la faillite de Lehman Brother, la FED a procédé à une succession d’innovations19 pour maintenir la confiance au sein des marchés et éviter le risque systémique. Puis dès 2007, la FED a commencé à diminuer son taux directeur à un niveau très faible jusqu’en 2009 où il atteignait 0,25% (Graphique. 2). Ne pouvant plus l’abaisser, la FED a dû rénover son arsenal monétaire en prolongeant sa politique de taux faible. Elle figure ainsi comme le premier cas mondial appliquant une politique 17 On nuancera la particularité de la BCE sur ce point-là plus tard. 18 Sans doute lié au coût inexistant de cette intervention ; n’engageant que la communication de la banque centrale. 19 Parmi elles ont peut noter la mise en place de la Term Repurchase Transaction (TRT), la Term Securities Lending Facility (TLSF) et la Term Auction Credit Facility (TAF). Ces instruments ne sont pas des politiques d’assouplissement au sens où l’ensemble des prêts accordés sont stérilisés, c’est-à-dire qu’ils sont la contrepartie d’une vente et qu’ils ne viennent pas gonfler la base monétaire au passif de la FED. Elle a par ailleurs sauvé plusieurs institutions financières (AIG, Freddie Mac, Bear Stearns et Fanny Mae etc.) d’une faillite probable en vertu de l’intérêt public et du danger systémique. Pour plus de détails, voir Choukairy et al. (2013). 14 d’assouplissant qualitatif (credit easing). Dans cette perspective, la FED lança de vastes programmes d’achats de titre qu’elle nomma la « QE120 » auxquelles succéderont la « QE2 » et la « QE3 ». Pour Choukairy et al. (2013), la politique de CE, par la « QE1 » principalement, a véritablement été appliquée par la FED à partir de mars 2009. La banque centrale a alors acheté, et donc modifié la composition de son bilan, de nombreux actifs plus ou moins risqués (GSE, MBS, Teasuries) et non stérilisés aux acteurs financiers de l’économie, afin de stimuler l’activité économique et rétablir la confiance des investissements sur certains marchés dans une économie très intermédiée21 (graphique. 3). Cette politique lui a permis de diffuser la liquidité principalement dans les marchés qui en avaient besoin et où les primes de risque étaient devenues bien trop importantes. Même si leur efficacité n’est pas certaine, on constate que les années d’applications de la CE, en parallèle d’une politique d’engagement sur les taux directeurs, semble avoir eu un effet baissier sur les taux d’intérêt à moyen et long terme. De plus, la prime de risque, représenté par l’écart entre le taux Libor et le taux appliqué aux actifs sans risque a diminué pour ré-atteindre fin 2009 à son niveau d’avant crise (graphique 2). Comme énoncée ci-dessus, la FED a utilisé de façon simultanée une politique d’assouplissement visant à stimuler l’investissement et diminuer les primes de risque, et une politique d’engagement sur ses taux directeurs, censée diminuer le niveau de la yield curve. Dès 2008, the Federal Open Market Committee (FOMC) avait en effet communiqué sa conduite quant au taux directeur futurs par sa volonté de les préserver à des faibles niveaux « pour une période prolongée ». Ensuite, après une succession d’autres annonces, la FOMC a par exemple réitéré son désir de garder ces taux bas « aussi longtemps que le taux de chômage sera supérieur à 6,5%, que les anticipations d’inflation à 1 an et 2 ans ne dépasseront pas 2,5%, et que les anticipations d’inflation de long terme resteront bien ancrées ». La FED a ainsi appliqué un discours le plus claire possible afin d’être totalement comprise sur ses intentions. En définitive, à l’instar de la politique japonaise des années 2000, la FED a elle aussi conjugué les conceptions Néo-Wicksélienne et Monétariste dans sa réponse à la crise. Bien que l’effet net de ces politiques sur l’activité économique n’est peut pas être rigoureusement évalué, elles ont au moins amorti les chocs subis par la crise. Cependant, les agents économiques adoptent encore un comportement de désendettement limitant la consommation et la reprise du crédit. B. L’action de la BCE, l’ambiguïté sur la quantitative easing. Survenue aux Etats-Unis, la crise des Subprimes s’est rapidement propagée en Europe ; causant une chute drastique des taux de croissance, des indices boursiers et du niveau général des prix. Menacée de faillite, les institutions financières dont le risque d’insolvabilité, associé à l’opacité des bilans des banques commerciales quant à la détention de titres « pourris », n’ont plus prêter de liquidité sur le En réalité, l’acronyme est trompeur. La FED a appliqué une politique de credit easing qui peut toutefois être considérée comme un cas particulier de la quantitative easing. 20 On estime que 90% des montants investis aux Etats-Unis proviennent d’un financement direct sur les marchés financiers. 21 15 marché monétaire. Cette situation a considérablement dégradé la confiance entre les banques de l’euro système et provoqué le gel presque total du marché interbancaire ; expliquant la déconnexion du taux Euribor à 3 mois22 au taux des actifs sans risque (graphique. 2). Pour pallier à cette situation, la BCE a conduit sa politique économique en abaissant d’abord, comme pour la FED mais avec un léger retard dans son action, son taux directeur à des niveaux très bas (1%) (graphique. 1). A ce stade, on peut noter une différence notable entre la BCE et les autres BC des pays développés. Si la BCE a maintenu son taux directeur à un niveau certes faible, il est cependant plus élevé que les autres BC afin d’éviter les risques de trappe à liquidité23 et d’inflation (Bentoglio et Guidoni, 2009). Elle a distribué ensuite des quantités de liquidité suffisante et abondante en contrepartie d’une large gamme de titre pour rétablir la confiance interbancaire et stabiliser les tensions du système financier24. Pour autant, cela ne s’est pas traduit par une volonté d’accroître sa base monétaire ; la plupart de ces transactions étant stérilisées (graphique. 3). Ce n’est qu’au cours de l’année 2011 que la BCE a réellement appliqué une QE à travers son programme de Long Term Refinancing Operations (LTRO) en effectuant des opérations de repo. Cette mesure a gonflé son passif par l’augmentation des réserves bancaires dans le but de maintenir des liquidités abondantes sur le marché monétaire (Fawley, 2013). Elle a ainsi élargi la gamme d’actifs éligible en collatéral25 et prêtée directement au banque. En revanche, elle ne justifie pas son action par une volonté ferme d’accroître les réserves bancaires pour saturer la demande comme le suggère une pure QE. Elle communiqua son objectif par sa détermination à accroitre les liquidités distribuées dans le but de diminuer la valeur des spreads (Euribor / Actifs sûrs) en se substituant au marché interbancaire, où le canal du crédit est prédominant dans les économies européennes26. En parallèle, elle appliqua aussi les préconisations Néo-Wicksélienne en s’engageant à maintenir ses taux directeurs afin d’ancrer les anticipations sur les taux à moyen et long terme. Mais contrairement à la FED qui discourait de façon claire et précise, la BCE déclarait d’une manière plus détournée, en opposition avec ses précédentes politiques de communication, que le « Conseil des Gouverneurs s’attend à ce que les taux d’intérêt directeurs de la BCE demeurent à leurs niveaux actuels ou endessous pour une période prolongée » du fait de « la modération des perspectives globales d'inflation à moyen terme, compte tenu de la faiblesse généralisée de l'économie réelle et de la dynamique monétaire atone ». 22 Taux auxquelles les banques se prêtent entre elles. Il est calculé à partir des taux appliqués par 41 banques européennes. On fait référence ici à une conception Néo-Wicksélienne, ce termes n’est pas présent dans les discours théoriques de l’école Monétariste. 23 24 Ce programme a été effectué dans le cadre de la Covered bond purchase program (CBPP) destiné à acheter des obligations sécurisées et des actifs auprès des banques et sur des segments de marchés lorsque ces titres étaient jugés importants dans le financement des banques de la zone euro (Choukairy et al.). La BCE est sur ce point déjà très avancée par rapport à la FED. La gamme d’actif éligible n’est pas essentiellement composée de bons du trésor mais d’actifs très diversifiés (avec des actifs éligible dès la notation « BBB - » jusqu’au 1er Février 2009). 25 26 On estime que 75% du financement des agents économiques est réalisés par le biais des banques commerciales. 16 Les politiques monétaires poursuivis par la BCE ont bien inhibé le risque pesant sur son système bancaire et financier et plus généralement sur les tensions vis-à-vis des dettes souveraines. Comme pour la FED, la BCE a su réutiliser l’ensemble des théories non conventionnelles, Monétariste et NéoWicksélienne, pendant la crise. Bien que son approche est loin d’être explicite quant à sa QE. C. Comparaison internationale des politiques non conventionnelles L’application des politiques non conventionnelles depuis la survenue de la crise des Subprimes dans les pays développés est quasiment unanime. D’abord, l’ensemble des BC des pays développés ont d’abord abaissé leur taux directeur à des faibles niveaux (graphique. 1) après avoir sauvé in extremis leur système financier. Ensuite, la plupart des pays ont conduit des politiques d’assouplissement quantitatif (QE) en focalisant leur politique sur l’accroissement de la liquidité distribuée dans l’économie pour restaurer la confiance sur le marché monétaire, à l’exception déjà étudiée de la FED. - La Bank of England (BOE) a par exemple doublé la proportion de réserves bancaires à son passif entre 2008 et la fin de l’année 2009 en expérimentant d’abord une CE à l’image des Etats-Unis27 avant d’appliquer une pure QE en distribuant amplement des liquidités au système bancaire (graphique. 3) (Fawley, 2003). - En tirant les enseignements des politiques monétaires appliquées au début des années 2000, et conforté par l’application mondiale de ces instruments (notamment par la FED), le Japon a reconduit une nouvelle QE en 2010 – 2011, plus importante qu’entre 2001 et 2006 ; en conservant d’importante quantité de bank note à son passif (graphique. 3). De plus, elles ont quasiment toute adopté une politique d’ancrage des anticipations selon les recommandations Néo-Wickséliennes en s’engageant sur la fixation future à de faibles niveaux des taux directeurs. La communication des BC est devenue une politique à part entière à l’instar de celle conduite par la FED, la BCE, la BOE et la BOJ. La Bank of Canada annonçait par exemple en 2009 sa volonté de conserver à 0.25% son taux directeur pendant un an et la BOE soutenait le maintien de son taux directeur à de faible niveau « au moins jusqu’à ce que le Labour Force Survey déclare mesurer un taux de chômage tombé sous le seuil des 7% ». Par ailleurs, la BOJ nomma sa politique de communication la « Comprehensive Monetary Easing28 » indiquant son souhait de perpétuer une QE jusqu’à ce que l’inflation atteigne 2%29 (Williams, 2013). A noter que la BOE a expérimenté à plusieurs reprises des opérations d’achat de titres directement au secteur privé (credit easing) pour rétablir une situation normale sur certains marchés avant de focaliser sa politique monétaire sur l’accroissement des réserves bancaires (Fawley et al, 2013). 27 28 Cette politique fait référence à trois pilliers : (i) une fixation du taux directeur à un niveau très faible, (ii) la mise en place du ZIRP, (iii) l’accroissement du passif de la BOJ par achat d’une large gamme d’actifs (Fawley et al, 2013). Sans l’avoir explicitement abordé dans ce document, l’accroissement de la base monétaire, si elle se traduit par une augmentation de la masse monétaire, peut génèrer de l’inflation selon l’équation quantitative de la monnaie de Fisher. 29 17 III. Conclusion L’intérêt de ce document était de décrire les fondements des politiques monétaires non conventionnelles d’assouplissement et d’ancrage des anticipations sur les taux d’intérêt long lorsque la politique monétaire conventionnelle devient inopérante. Si les Monétaristes prônent l’utilisation des politiques d’assouplissement en période de crise principalement du fait des effets qu’elle induit via le canal de réallocation du portefeuille, les Néo-Wickséliens préconisent un engagement des BC sur le maintien des taux directeurs pendant une certaine durée. Ces derniers considèrent aussi que le contrôle des anticipations est la seule politique véritablement efficace lorsque l’économie se retrouve en situation de trappe à liquidité. Pourtant, l’application de ces deux types de politique n’est pas incompatible. L’application simultanée peut au contraire s’avérer être bénéfique pour crédibiliser l’engagement des BC à maintenir ses taux directeurs à de faible niveau, l’offre monétaire étant largement supérieure à la demande de monnaie. Les réponses à la crise de 2008 ont profondément renouvelé les politiques monétaires en période d’instabilité. Les taux directeurs des BC des principaux pays développés ont rapidement été abaissés à un niveau proche de 0% ; les obligeant à utiliser de nouveaux instruments déjà expérimentés au Japon au début des années 2000. La FED a alors appliqué une CE dans le prolongement de sa politique de taux directeur faible tandis que la BCE s’est attachée à distinguer les objectifs de stabilité des prix et de stabilité du système financier ; sa politique quantitative étant la réponse apportée pour rétablir la confiance sur les marchés. Les autres BC (BOE, BOJ notamment) ont plutôt suivi des QE, justifiées par la structure de leur économie. Pour l’ensemble, elles ont toutes en parallèle reconsidéré leur communication en s’engagement plus ou moins clairement sur la fixation des taux directeurs futurs. Aussi, le recul limité de l’application de ces politiques et la seule expérience connue et terminée de leur application au Japon ne permet pas de trancher catégoriquement en faveur d’une théorie, Monétariste ou Néo-Wicksélienne ; ce qui peut justifier leur application simultanée actuellement. Les indicateurs récents montrent toutefois que ces politiques ont été plus ou moins efficaces pour diminuer les taux longs dans les économies par un double effet : un contrôle sur les anticipations futures et une diminution des spreads (Euribor / Libor). Si l’application de l’instrument quantitatif se justifiait par la volonté d’assurer la stabilité du système du marché monétaire et de relancer rapidement l’activité économique, les importants montants de liquidité vont devoir être suivi d’un dégonflement progressif des bilans bancaires. Cependant, des actifs ont été souscrits pour des termes assez long (notamment aux Etats-Unis via l’achat de MBS) ce qui pourrait générer une forte inflation future. C’est à ce stade que la crédibilité des BC sera mise à l’épreuve ; la tentation de remonter les taux directeurs et de rompre l’engagement sur leur trajectoire étant importante en vertu de l’objectif de stabilité des prix. Enfin, l’augmentation importante de la gamme des actifs pris en pensions (BCE) ou achetés (FED) peut peser un risque de perte importante sur leurs bilans. Bien que la préoccupation des BC ne soit pas encore à ce niveau, il est important de garder à l’esprit les effets pervers possibles de l’utilisation de ces politiques. 18 IV. Annexes Graphique 1. Taux directeur de la FED, BCE, BOJ et BOE Graphique 1. Base monétaire et expansion M2 19 Graphique 2. Ecarts Libor / Euribor et actifs sûrs V. Bibliographie AGLIETTA MICHEL. Macroéconomie financière. Edition Repère, mars 2008, pp. 207-210. ARTUS PATRICK. “Que sont vraiment les politiques monétaires non conventionnelles ?”. In : Natixis Special Report, N°28, février 2009. BERNANKE Ben. Discours à la London School of Economics, le 13 janvier 2009, London, England. BOWDLER Christopher et RADIA Arma. “Unconventional monetary policy: the assessment”. In: Oxford Review of Economic Policy, Volume 28, issue 4, 2012, pp. 603-621. CHOUKAIRY Widad et IBENRISSOUL Nafii. “La stratégie d’assouplissement quantitatif des banques centrales face à la crise : Cas de la BCE et la FED”. In: ISSN, Volume 2, n°3, Mars 2013, pp. 216-229. FAWLEY Brett W. et NEELY Christopher J. “Four Stories of Quantitative Easing”. Federal Reserve Bank of St. Louis REVIEW, January/February 2013, 95(1), pp. 51-88. LOISEL Olivier et MESONNIER Jean-Stéphane. “Les mesures non conventionnelles de politique monétaire face à la crise”. In : Publication Banque de France, n°1, Avril 2009. ODA Nobuyuki et UEDA Kazuo. “The Effects of the Bank of Japan’s Zero Interest Rate Commitment and Quantitative Monetary Easing on the Yield Curve: A Macro-Finance Approach”. In : University of Tokyo, April 2005. WILLIAMS John C. “Monetary policy at the zero lower bound: Putting Theory into Practice”. In : Federal Reserve Bank of San Francisco, January 2014. WOODFORD Michael, “Methods of Policy Accommodation at the Interest-Rate Lower Bound”. In : Columbia University, Septembre 2012. 20
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