DCEM 3 Strasbourg, 06 Octobre 2014 Thromboses veineuses profondes. Traitements anticoagulants : surveillance, accidents Jean-Pierre Cazenave, Christian Gachet, Arnaud Dupuis Etablissement Français du Sang-Alsace Strasbourg http://www.efs-alsace.fr/ Thrombogénèse La pathologie thrombotique est multicausale, faisant intervenir des facteurs de risque génétique (anomalies de la coagulation) et circonstanciels (alitement, chirurgie, grossesse). La thrombose survient lorsqu’un « seuil critique » de génération de thrombine est atteint grâce à l’effet conjoint de plusieurs anomalies. Thromboses veineuses et artérielles Thrombose Veineuse Stase + Facteurs favorisants Thrombose artérielle Forces de cisaillement + Lésion vasculaire Thrombogénèse Plusieurs types d’anomalies constitutionnelles ou acquises prédisposent aux thromboses : les déficits en inhibiteurs de la coagulation les anticoagulants circulants de type antiphospholipide les mutations de certains facteurs de la coagulation les anomalies de la fibrinolyse Eléments en faveur d’une thrombophilie - âge < 40 ans - absence de facteur de risque - Récidive - localisation exceptionnelle - antécédents familiaux - fausses couches spontanées à répétition Thrombophilie constitutionnelle - Déficit en ATIII - Déficit en protéine C Dosage ATIII, PC et PS, RCA - Déficit en protéine S - Facteur V Leiden - Mutation du F II Recherche mutation FV et FII en biologie moléculaire - Hyperhomocystéinémie (MTHFR, CBS) - Anomalie du système fibrinolytique Thrombophilie acquise - anticoagulant circulant de type Recherche ACC + antiphospholipide Auto-immunité - diminution acquise des inhibiteurs (grossesse, insuffisance hépatique...) - augmentation du PAI - augmentation du F VIII, IX, XI Facteurs de risque biologique d’une MTEV acquise • 1ere cause à chercher : SAPL adulte jeune ou enfant territoire inhabituel récidive thrombose artérielle pertes fœtales Prématurité • Hyperhomocystéinémie (carence, IRC, Ménopause, psoriasis, hypothyroidie, etc.) Risque thrombotique de la thrombophilie Thrombophilie Antithrombine Protéine C Protéine S F V Leiden (hét) F II (hét) Risque de MTE (X) 50 5 à 10 5 à 10 5-8 3 Risque thrombotique pour des paramètres non consensuels Anomalie Elévation F VIII Elévation F IX, X, XI Hyperhomocystéinémie Risque de MTE (X) 4.8 2à3 2 Facteurs de risque de la MTE • • • • • Chirurgie Immobilisation, alitement Cancers Grossesse Contraception orale (ethinyl estradiol) • THS • Hyperstimulation ovarienne • Syndromes myéloprolifératifs Exploration d’une thrombophilie - Doit avoir lieu à distance de l’épisode thrombotique (3 mois) - À faire à distance du traitement anticoagulant - Confirmer les anomalies sur 2 bilans Hémostase spécialisée - PC, PS, ATIII, RCA, ACC etc… Biologie moléculaire - FV, FII, MTHFR etc… Auto-immunité - Anticardiolipine et/ou Anti-béta2-GP1 Rationnel de traitement En raison du rôle central de la thrombine dans la thrombogénèse, la cible de la plupart des traitements antithrombotiques est de bloquer l’activité de la thrombine ou de prévenir sa génération Les héparines: mode d’action Héparine non fractionnée (1) Traitement préventif prévention des risques modérés : 5000 UI d’HNF en SC 2 à 3 X/j : pas de surveillance biologique prévention des risques élevés : adaptation de la dose pour générer un allongement du TCA (1,2 à 1,3 X le temps du témoin avec un prélèvement effectué à midistance entre 2 injections (2 à 3 injections en SC par jour) Héparine non fractionnée (2) Traitement curatif d’une TVP constituée perfusion continue : avec seringue électrique = méthode de référence, faire un bolus initial de 5000 UI, puis injection de la dose calculée : 500 à 600 UI/kg/jour Voie sous-cutanée : 2 à 3 injections par jour Durée optimale du traitement en général 5 à 6 jours puis relais par les AVK Héparine non fractionnée (3) Surveillance biologique TCA: facile à exécuter, automatisable, résultat rapide, mais il y a des différences de sensibilité selon les réactifs et ce test est non spécifique (déficit factoriel, ACC) mesure de l’activité anti Xa ou de l’héparinémie : zone thérapeutique : 0,3-0,7 UI/ml Suivi de la numération plaquettaire Prélèvement sur tube citraté (à transmettre au labo dans les 2h) ou sur CTAD. Héparine de bas poids moléculaire (1) Prévention de la maladie thromboembolique postopératoire : - si anesthésie générale : 1ère dose en pré-opératoire : 2000-3000 U 2h avant l’intervention si risque faible ou modéré, 5000 U 12h avant si risque élevé - si anesthésie rachidienne : pas d’injection en préopératoire Héparine de bas poids moléculaire (2) Traitement curatif de la maladie thromboembolique - HBPM aussi efficace qu’une HNF avec un risque hémorragique comparable ou réduit - 1 ou 2 injections SC : résultats cliniques équivalents - dose si 2 injections/j : 80-100 U anti-Xa/kg/12h - dose si 1 injection/j : 180 U anti-Xa/kg/24h Héparine de bas poids moléculaire (3) Surveillance du traitement : 1) Mesure de l’activité anti-Xa 2) Numération plaquettaire 2X/semaine Quand prélever : Au pic d’activité, 3 à 4 h après l’injection si 2 inj/j et 4 à 5h si 1 inj/j Qui surveiller : - prévention d’un risque modéré ou élevé : pas de surveillance - traitement curatif : si poids très faible ou élevé, en cas d’IR Héparine de bas poids moléculaire (4) Surveillance du traitement curatif de la maladie thromboembolique : – pas d’ajustement de la dose – uniquement si sujet âgé, insuffisant rénal ou à risque élevé de saignement, toutes les 48h, héparinémie cible : 0,6-1,3 U anti-Xa/ml – Toujours contrôler les plaquettes si recommandé! Pentasaccharide = Fondaparinux© 1. Inhibiteur du Xa 2. Se lie sélectivement à l’antithrombine 3. Activité anti-Xa 4. TCA et TT non modifiés Pentasaccharide = Fondaparinux© Indications : 1) En chirurgie : préventif :1 inj 2.5 mg/jour en SC, curatif : 1 inj 7.5 mg/jour en SC (poids entre 50 et 100 kg) 2) En médecine : idem 3) Syndrome coronaire aigu et IDM : 2.5 mg/jour en SC Les antivitamines K • Inhibent la synthèse de facteurs fonctionnels: II, VII, IX et X, PC et PS • VO; Délai d’action 2-4 jours, Durée d’effet 36-120 heures • Deux familles: coumariniques et diones –Warfarine(Coumadine®) , Acénocoumarol(Sintrom®) –Fluindione(Previscan®) • Particularités notables – Index thérapeutique étroit +++ – Très forte fixation aux protéines plasmatiques (>95%) => interférence médicamenteuses et alimentaires +++ – Très forte variabilité inter-individuelle de réponse – Elimination hépatique Les antivitamines K Indications • Utilisation en relais de l’héparine (maintien jusqu’à l’obtention d’un effet mesurable des AVK) – Maladies thrombo-emboliques veineuses – Cardiopathies: fibrillation auriculaire, valvulopathies, prothèses valvulaires Surveillance des AVK (1) Le seul test utilisé est le temps de Quick. Ce test est simple dans sa réalisation, mais pose de nombreux problèmes de standardisation. Un index de sensibilité appelé ISI (International Sensibility Index) a été défini permettant de corriger le rapport temps du malade/ temps du témoin. Cela a abouti à proposer l’expression du temps de Quick en INR. TQ du malade INR = TQ du témoin ISI Surveillance des AVK (2) Définition des zones thérapeutiques : Les valeurs de l’INR doivent se situer entre 2 et 3, sauf pour les patients porteurs de prothèses valvulaires mécaniques ou ayant présenté des embolies systémiques récidivantes (3-4.5 dans ce cas) Le seuil du risque hémorragique se situe à partir de 4.5 Surveillance des AVK (3) TCA uniquement dans 2 cas: - lors du relais HNF-AVK - pour apprécier le risque hémorragique en cas d’anticoagulation très forte Surveillance des AVK (4) Mise en route du traitement : relais héparine-AVK Il est toujours préférable de commencer un traitement anticoagulant par de l’héparine en raison l’action anticoagulante immédiate de l’héparine et des risques de nécrose cutanée. Durée du relais : 4-6 jours Surveillance des AVK (5) Quand faire les tests? - avant mise sous traitement - tous les 2-3 jours pendant la phase d’équilibration - ensuite une fois par mois - lors de l’introduction ou de l’arrêt d’un autre traitement Surveillance des AVK (6) Surveillance d’un malade devant subir une intervention chirurgicale : - arrêt des AVK, dès que l’INR est proche de 2, reprendre l’héparine si le patient présente un risque thrombotique - si l’intervention est urgente, utiliser le PPSB - reprendre l’héparinothérapie en post-opératoire AVK et accidents hémorragiques INR compris entre 4 et 6 : supprimer 1 ou 2 prises et reprendre à dose inférieure INR entre 6 et 10 : arrêt du traitement, 1 à 2 mg de vitamine K per os INR > à 10 : arrêt du traitement, 5 mg de vitamine K1 per os ou IV lente Accident hémorragique sévère : perfusion de Kaskadil (20 U de F IX/kg pour augmenter le Quick de 20%) AVK et interactions médicamenteuses Médicaments potentialisateurs : allopurinol (diminution du métabolisme hépatique), cyclines, econazole, hormones thyroïdiennes (augmentation du métabolisme des facteurs du complexe prothrombinique) Médicaments inhibiteurs : anticonvulsivants (augmentation du métabolisme hépatique), colestyramine (diminution de l’absorption intestinale) Associations contre-indiquées : ASA, AINS AVK et grossesse Les AVK sont déconseillés : syndrome malformatif si exposition entre 6 et 9 semaines d’aménorrhée ( malformation des os du nez), fœtopathie cérébrale au-delà de cette période. Penser à prescrire une contraception lors de l’utilisation des AVK. Si traitement AVK pour certains cas particuliers, substituer par l’héparine à partir de la 36e semaine d’aménorrhée AVK et allaitement : contre-indiqué avec une indanedione car passage dans le lait maternel, possible avec les coumariniques. Xarelto© Pradaxa© Nouveaux anticoagulants oraux • Gatran = Anti IIa direct = Pradaxa® (Dabigatran) • Xaban = Anti Xa = Xarelto® (Rivaroxaban) = Eliquis® (Apixaban) = Lixiana® (Edoxaban) Risque hémorragique toujours présent Suivi biologique complexe Absence d’antidote Dabigatran= Pradaxa© • Inhibiteur direct de la thrombine, prodrogue • Voie orale, clairance rénale, ½ vie : 12-17h • AMM – prévention des TVP après prothèse de hanche ou de genou – Prévention des AVC et des embolies systémiques chez des sujets porteurs d’une FA non valvulaire • Posologie : 220mg/j en 2 prises • Pas de surveillance biologique, si nécessaire TCA, TT modifié ou activité anti-IIa, mais peu interprétables!!! Rivaroxaban = Xarelto© • Inhibiteur du Xa • Voie orale, métabolisé par CYP450, ½ vie : 9-13h • AMM – prévention des TVP après prothèse de hanche ou de genou (10mg/j) – prévention des AVC et des embolies systémiques chez des sujets porteurs d’une FA non valvulaire (2X 10 mg/j) – Traitement des TVP et prévention des récidives sous forme de TVP et d’EP (15mg/j pdt 3 sem puis 20 mg/j) • Pas de surveillance biologique, si nécessaire activité antiXa avec calibrants spécifiques Refludan 1. Lepirudine (hirudine recombinante), élimination rénale, 1/2 vie ~ 80 min 2. Surveillance par le TCA, 4 heures après le début du traitement 2. TCA 1.5 à 3 fois le temps du témoin 3. Test à l’écarine 4. Dosage de l’hirudine Arrêt de fabrication en 2012 Danaparoïde = Orgaran© 1. Héparinoide de bas poids moléculaire 2. Activité Xa médiée par l’antithrombine 2. Activité anti Xa : 0.5 à 0.8 U/ml 3. TCA et TT non modifiés (rapport Xa/IIa 20) 4. En remplacement des héparines dans les TIH II Risque hémorragique Risque principal des traitements anticoagulants Le saignement est considéré comme majeur si la localisation est intra-cranienne ou rétropéritonéale, s’il nécessite une transfusion ou s’il est à l’origine du décès Risque hémorragique AVK • Incidence – Taux annuel d’hémorragies majeures : 1.3% des patients traités – Taux annuel des hémorragies intra-craniennes : 0.3% des patients traités • facteurs de risque – Intensité du traitement : association étroite avec le risque hémorragique (risque élevé si INR > à 4) – Caractéristiques du patient : âge > 75 ans, HTA, AVC ischémique, diabète, insuffisance rénale, atteinte hépatique – Pharmacogénétique : polymorphisme du cytochrome P450 (variants CYP2C9*2 et CYP2C9*3) Risque hémorragique AVK (suite) • Facteurs de risque – Prise médicamenteuse : antiplaquettaires, antiinflammatoires non stéroidiens, inhibiteurs de la cyclooxygenase de type 2 (COX-2) – Durée de l’anticoagulation Score prédictif : âge > 65 ans, antériorité de syndrome hémorragique, AVC, insuffisance rénale ou hépatique, cancer, thrombopénie, HTA non contrôlée Risque hémorragique Héparines en traitement curatif Varie de 0 à 2% selon les études en fonction de la pathologie sous-jacente, des traitements associés et de la durée et de l’intensité de l’anticoagulation Voie d’administration (IV continue et SC sont préférables à l’IV en discontinu) Intensité de l’anticoagulation Caractéristiques du patient : chirurgie ou traumatisme récents, association à un traitement antiplaquettaire ou thrombolytique, âge > 70 ans, insuffisance rénale Risque hémorragique Fondaparinux Taux d’hémorragies graves : 1.1 à 2.9% . Délai moyen de survenue : 11.5 jours. 10% des décès sont liés directement aux accidents hémorragiques. Ces accidents touchent une population âgée (moyenne de 75 ans) et 38 % des cas concernent une prescription hors AMM. Hirudines risque supérieur à celui de l’HNF (~ 18 %) ou du danaparoïde Dépend de la dose, de la durée du traitement, insuffisance rénale Risque hémorragique Traitement thrombolytique Critères d’hémorragie majeure : perte de 5g/dL d’hémoglobine ou chute de 15 % de l’hématocrite ou hémorragie intra-cranienne Facteurs de risque : âge > à 65 ans (augmentation de 40% des hémorragies pour chaque tranche de 10 ans d’âge), sexe féminin, petit poids, HTA, AVC dans antériorité, type de traitement TIH • Les Thrombopénies Induites par l’Héparine résultent d’une activation plaquettaire liée à la production d’anticorps dirigés contre le complexe héparine-PF4. Fixation de complexes immuns sur les plaquettes entrainant leur activation Complications Thrombotiques • Survenue dépend de la longueur et de la structure des chaines polysaccharidiques constituant l’héparine. • L’incidence varie selon les pathologies. Mécanisme Libération de FP4 sous forme de tétramère lors de l’activation plaquettaire Fixation du FP4 aux glycosaminoglycanes de l’endothélium L’héparine déplace le FP4 de l’endothélium et se complexe à ce FP4 dans la circulation. Le FP4 est déformé, expose de nouveaux épitopes et devient immunogène TIH : délai d’apparition Diminution importante des plaquettes (<100 G/L ou baisse de plus de 40%) 5 à 21 jours après le début du traitement, mais peut apparaitre plus vite si exposition préalable Peut aussi survenir de façon retardée après arrêt de l’héparine Peut être masquée par une hyperplaquettose Remontée des plaquettes en 2-3 jours (plus rarement 4-10 jours) après l’arrêt du traitement Anticorps Apparition fréquente mais seule une faible proportion de patients développe une TIH Dépend du type d’héparine utilisée: HNF plus immunogène que HPBM (1à 2 % des traitements par HNF, 0.1 à 0.5 % par HBPM), origine bovine, structure propre des héparines : longueur des chaines de polysaccharides, degré de sulfatation Les anticorps d’isotype IgG sont les plus pathogènes Rôle de la durée du traitement Diagnostic biologique (1) Thrombopénie – TIH Type 1 • bénigne et transitoire à l’initiation du traitement par HNF (-10 à 15%), liée à l’activation plaquettaire – TIH type 2, • diminution de plus de 40% du chiffre plaquettaire entre le 5e et le 21e jour, ou plus précocement en cas de sensibilisation préalable, ou plus tardivement en cas d’HBPM. La cinétique est importante avec une cassure. CIVD associée dans 10 à 20 % des cas Diagnostic biologique (2) Tests fonctionnels : – par agrégométrie : incubation du plasma malade avec l’héparine en cause et des plaquettes témoins – test de libération de la sérotonine radiomarquée : test de référence sur plaquettes lavées, réservé aux laboratoires spécialisés Tests immunoenzymatiques : – le résultat est positif en cas de densité optique supérieure à une valeur seuil. La DO est corrélée à la concentration des AC Diagnostic différentiel Autre thrombopénie : médicamenteuse, CIVD, infection, autoimmune Aide au diagnostic – Score pré-test des 4T : • • • • Thrombopénie relative Timing de survenue de la thrombopénie Thrombose ou autre manifestation clinique auTre cause de thrombopénie – Score clinico-biologique retrospectif : • • • • Chute de la numération plaquettaire Evolution de la numération plaquettaire Survenue de thrombose Autre cause de thrombopénie EFS-Alsace ALGORYTHME BIOLOGIQUE EN CAS DE TIH Suspicion de TIH Score < 3 score 3 – 5 score > 5 Arrêt de l’héparine Traitement substitutif Arrêt de l’héparine Traitement substitutif ELISA IgG * ELISA IgG * Pas de test Pas d’arrêt d’héparine - % des investigations *à l’arrêt de l’héparine et 48 h après + tests fonctionnels + TIH confirmé** - Tests fonctionnels ** sauf en post CEC EFS-Alsace Traitement des TIH Arrêter l’héparine en cause Démarrer un traitement antithrombotique substitutif • Danaparoïde ou Orgaran® • Argatroban ou Arganova© (= inhibiteur direct et reversible de la thrombine)
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