Travaux de recherche

Travaux de recherche
Nicolas MARIE
Introduction
Ce document présente mes travaux de recherche depuis 2009.
D’une part, via la théorie des trajectoires rugueuses, le calcul de Malliavin et la théorie des
systèmes dynamiques aléatoires, je m’intéresse à des problèmes portant sur des équations différentielles stochastiques dirigées par un processus gaussien. Je développe des applications de
ces travaux théoriques en finance et en pharmacologie.
D’autre part, je m’intéresse à l’utilisation et à la recherche de nouveaux outils d’analyse de
données en psychiatrie. Plus particulièrement dans l’étude des troubles de la personnalité.
Ce document comporte quatre sections intitulées comme suit :
— Equations différentielles stochastiques singulières.
— Modèle type CIR fractionnaire en pharmacocinétique.
— Calcul des grecques dans des modèles fractionnaires.
— Analyse de données dans l’étude des troubles de la personnalité.
Equations différentielles stochastiques singulières
Cette partie de mes travaux concerne l’étude d’équations différentielles stochastiques, dirigées par des processus à trajectoires irrégulières, dont le champs de vecteurs présente des
singularités rendant les résultats généraux inapplicables.
Soient I un intervalle de R, ainsi que B := (Bt )t>0 un processus stochastique dont les trajectoires sont à valeurs réelles et localement α-höldériennes (α ∈]0, 1[). Soit l’équation
dXt = b(Xt )dt + σdBt
(1)
avec X0 := x ∈ I ◦ , σ ∈ R∗ et b ∈ C [1/α]+1 (I ◦ , R).
Lorsque I = R et b est lipschitzienne de dérivées successives bornées, l’équation (1) admet
une unique solution X(x) dont les trajectoires sont à valeurs réelles, définies sur [0, ∞[ et localement α-höldériennes.
Pour B mouvement brownien fractionnaire, les propriétés de X(x) ont largement été étudiées
dans la littérature (cf. par exemple Hairer (2005), Tudor et Viens (2007) ou Neuenkirch et
Tindel (2014)).
Lorsque I = [0, ∞[ et
lim b(r) = ∞,
r→0+
j’ai établi que l’équation (1) admet une unique solution X(x) dont les trajectoires sont à valeurs
dans ]0, ∞[, définies sur [0, ∞[ et localement α-höldériennes, dès que b satisfait l’hypothèse
suivante :
Hypothèse 0.0.1 .
1. Les dérivées successives de b sont bornées sur [ε, ∞[ pour tout ε > 0.
˙
2. Il existe une constante K > 0 telle que b(r)
< −K pour tout r > 0.
3. Il existe une constante R > 0 telle que b(r) > −Rr pour tout r > 0.
1
4. Pour tout T > 0,
T
Z
1
b(t )dt = ∞ ou lim+ α
T →0 T
α
0
Z
T
b(tα )dt = ∞.
0
Par exemple, la fonction r ∈]0, ∞[7→ r1/2−1/α − 3r + sin(r) satisfait l’Hypothèse 0.0.1.
Soient p, T > 0 et n ∈ N∗ arbitrairement choisis. Sous l’Hypothèse 0.0.1, j’ai montré que
l’application d’Itô-Lyons associée à l’équation (1) est lipschitzienne et continûment différentiable de ]0, ∞[×C α ([0, T ], R) dans C 0 ([0, T ], ]0, ∞[), et que le schéma d’Euler implicite d’ordre
n associé à l’équation (1) sur [0, T ] admet une unique solution X n,T (x) telle que :
lim sup Xtn,T (x) − Xt (x) = 0 p.s.
n→∞ t∈[0,T ]
Pour B processus gaussien centré, j’ai établi que X(x) ∈ Lp (Ω), que la suite (X n,T (x))n∈N∗ est
uniformément convergente dans Lp (Ω), et que la loi de XT (x) admet une densité par rapport
à la mesure de Lebesgue sur (R, B(R)).
Pour B mouvement brownien fractionnaire, j’ai établi que le système dynamique aléatoire
(t, x, ω) 7→ Xt (x, ω) admet un point fixe aléatoire X ∗ ∈ Lp (Ω) tel que :
|XT (x) − X ∗ ◦ θT | −−−→ 0 ; ∀x > 0
T →∞
presque surement et dans Lp (Ω), où (θt )t∈R désigne le shift de Wiener. Donc, pour toute fonction
uniformément continue ϕ : [0, ∞[→ R à croissance au plus polynomiale :
Z
1 T
ϕ[Xt (x)]dt −−−→ E[ϕ(X ∗ )] ; ∀x > 0
T →∞
T 0
presque surement et dans Lp (Ω).
Soit H ∈]0, 1[ l’indice de Hurst du mouvement brownien fractionnaire B. En remarquant que
la solution X 0 (x) de l’équation de Langevin dXt0 = −RXt0 dt + σdBt avec X00 = x satisfait la
relation
Z t
0
e−R(t−s) [RXs (x) + b[Xs (x)]]ds ; ∀t ∈ [0, ∞[,
Xt (x) = Xt (x) −
0
j’ai proposé un estimateur consistant de (H, σ) à partir de ceux connus pour le processus
d’Ornstein-Uhlenbeck fractionnaire X 0 (x) (cf. Berzin et León (2008), Melichov (2011) ou
Brouste et Iacus (2013)).
Soit b la fonction définie par
b(r) := (1 − β)[vr−β/(1−β) − wr] ; ∀r > 0,
avec v, w > 0 et β ∈]1 − α, 1[. La fonction b satisfait l’Hypothèse 0.0.1.
Soit F la fonction définie par F (r) := r1/(1−β) pour tout r > 0, ainsi que le processus Y (y) :=
F ◦ X(x) avec y := F (x). D’après la formule d’Itô trajectorielle, Y (y) est la solution de
l’équation
dYt = (v − wYt )dt + ζYtβ dBt
(2)
avec Y0 := y et ζ := σ/(1 − β).
Ainsi, le modèle type Cox-Ingersoll-Ross (2) admet une unique solution dont les trajectoires
2
sont à valeurs dans ]0, ∞[, définies sur [0, ∞[ et localement α-höldériennes. Toutes les propriétés
de X(x) présentées ci-dessus se transfèrent à la solution de (2) via la relation Y (y) := F ◦X(x).
Soit l’équation type Jacobi
dZt = ϑ(µ − Zt )dt + γ[ϑZt (1 − Zt )]β dBt
(3)
avec Z0 , µ ∈]0, 1[, ϑ > 0, γ ∈ R∗ et β ∈]1 − α, 1[. Avec des idées comparables, j’ai montré
que l’équation (3) admet une unique solution dont les trajectoires sont à valeurs dans ]0, 1[,
définies sur [0, ∞[ et localement α-höldériennes. J’ai établi, pour l’équation (3), des propriétés
analogues à celles présentées ci-dessus pour les équations (1) et (2).
Modèle type CIR fractionnaire en pharmacocinétique
Au sens d’Itô, pour B mouvement brownien, v = 0 et β = 1/2 ; l’équation (2) a été employée dans Kalogeropoulos et al. (2008) afin de modéliser la concentration dans l’organisme,
au cours du temps, d’un médicament administré par voie intra-veineuse.
D’après Delattre et Lavielle (2011), les trajectoires d’une diffusion sont trop irrégulières pour
modéliser de façon réaliste le processus d’élimination du médicament.
Dans le cas de l’injection intra-veineuse, j’ai donc proposé de modéliser le processus de concentration par l’équation (2), pour B mouvement brownien fractionnaire d’indice de Hurst H ∈
]1/2, 1[. Ainsi, plus H est proche de 1, plus les trajectoires du processus de concentration sont
régulières.
Plus précisément, j’ai défini le processus de concentration C := (Ct )t>0 par :
1/(1−β)
Z t
w(1−β)s
e
dBs Ct := x + σ
e−wt ; ∀t ∈ [0, ∞[.
0
Le processus C coincide avec la solution de (2) pour v = 0, jusqu’au temps T0 d’élimination
complète du médicament par l’organisme. L’étude du processus C est alors ramenée à celle
du processus d’Ornstein-Uhlenbeck fractionnaire X 0 (x), car Xt0 (x) = Xt (x) = Ct1−β pour tout
t ∈ [0, T0 ] lorsque v = 0.
J’ai démontré un théorème ergodique pour le processus C et proposé un estimateur consistant
θb de (w, H, σ) à partir de Hu et Nualart (2010) ainsi que Brouste et Iacus (2013).
Le faible nombre d’observations disponibles par individus en pharmacologie rend délicate l’utilisation de l’estimateur θb sur des données réelles. J’ai donc proposé une méthode, basée sur
une inégalité de Borell, permettant de choisir les paramètres H, σ, β et w à partir d’un faible
nombre d’observations.
Calcul des grecques dans des modèles fractionnaires
Cette partie de mes travaux concerne l’utilisation conjointe de la théorie des trajectoires rugueuses et du calcul de Malliavin dans le calcul des grecques pour des équations différentielles
stochastiques dirigées par le mouvement brownien fractionnaire.
Soit B := (Bt )t∈[0,T ] un mouvement brownien fractionnaire d-dimensionnel d’indice de Hurst
H ∈]1/4, 1[ avec T > 0 et d ∈ N∗ . L’opérateur divergence associé est noté δ. Soit l’équation
dSt = b(St )dt + σ(St )dBt
3
(4)
avec S0 := x ∈ Rd , ainsi que b ∈ C [1/H]+1 (Rd ) et σ ∈ C [1/H]+1 (R, Md (R)) de dérivées successives bornées.
Au sens d’Itô, pour B mouvement brownien (i.e. H = 1/2), l’équation (4) admet une unique
solution S(x, σ).
Soit F : Rd → R une fonction continue par morceaux et à croissance au plus polynomiale.
Il est établi dans Fournié et al. (1999) que pour σ uniformément elliptique, l’application
(x, σ) 7→ E[F [XT (x, σ)]] est continûment différentiable de Rd × C 3 (R, Md (R)) dans R. Les
auteurs ont également montré qu’il existe h∆ , hV ∈ dom(δ) tels que :
∆ :=
∂
E[F [ST (x, σ)]] = E[F [ST (x, σ)]δ(h∆ )]
∂x
et
∂
E[F [ST (x, σ)]] = E[F [ST (x, σ)]δ(hV )].
∂σ
Les sensibilités ∆ et V, appelées grecques en finance, permettent de construire une stratégie
de couverture de l’option de payoff F [ST (x, σ)] (hedging), sur des actifs dont les cours sont
modélisés par le processus S(x, σ).
V :=
Au sens des trajectoires rugueuses, pour b et σ bornées, l’équation (4) admet une unique
solution S(x, σ) lorsque H ∈]1/4, 1[ (cf. Lyons (1998), ainsi que Friz et Victoir (2010)).
Dans ce contexte, après avoir complété les résultats de la littérature sur la régularité de l’application d’Itô-Lyons, j’ai étendu les résultats de Fournié et al. (1999) énoncés ci-dessus.
Soit le modèle de marché financier dont la volatilité est modélisée par l’équation
dXt = υ(Xt )dBt1
(5)
et les cours des actifs sont modélisés par l’équation
dSt = b(St )dt + σ(Xt )dBt2
(6)
avec (Bt1 )t∈[0,T ] et (Bt2 )t∈[0,T ] mouvements browniens fractionnaires d-dimensionnels indépendants, d’indices de Hurst respectifs H 1 , H 2 ∈]1/4, 1[. Les conditions sur les champs de vecteurs
des équations (5) et (6) sont les mêmes que pour l’équation (4).
Au sens des trajectoires rugueuses, le système (5)-(6) admet une unique solution (X(υ), S(υ))
à laquelle mes résultats s’appliquent. Ainsi, j’ai établi l’existence et proposé une expression de
∂
E[F [ST (υ)]].
∂υ
Les modèles à volatilité stochastique fractionnaire présentant un intérêt en finance déjà établi
par plusieurs auteurs (cf. par exemple Comte et al. (2012)), ces résultats permettrait de faire
du hedging dans de tels modèles.
Analyse de données dans l’étude des troubles de la personnalité
Il s’agit d’un travail d’analyse de données cliniques effectué en collaboration avec Francis
Lavergne et Firouzeh Mehran, respectivement médecin psychiatre et psychologue clinicienne à
4
Paris.
En étudiant les patients souffrant d’un trouble de la personnalité borderline, le psychologue
Jeffrey Young a identifié 18 schémas précoces inadaptés, empiriquement classés en 5 domaines.
Chaque schéma rend compte d’un besoin de cohérence, et le dysfonctionnement d’un ou plusieurs d’entre eux peut entraîner un trouble de la personnalité selon son importance. Afin de
mesurer l’intensité des 18 schémas chez un individu donné, Young a proposé un questionnaire
retournant un score compris entre 0 et 30 pour chaque schéma. Plus le score obtenu pour un
schéma est élevé, plus il est susceptible de révéler un dysfonctionnement de ce dernier chez
l’individu.
Nous avons proposé une nouvelle classification en 5 pressions des 18 schémas, via des outils classiques d’analyse de données.
L’analyse en composantes principales a révélé l’existence d’un effet-taille et d’un effet-forme,
mesurant respectivement l’intensité globale des schémas et la tendance à l’opposition ou à la
soumission. La projection des individus sur le plan principal a mis en évidence que plus l’intensité globale des schémas est élevée, plus la tendance à l’opposition ou à la soumission est
marquée.
La classification ascendante hiérarchique sur les variables suggérait une partition des schémas
en 5 classes que nous avons appelées pressions à l’évitement, à la vigilance, au don, aux certitudes, et aux exigences. D’un point de vue statistique, la pression au don semblait jouer un
rôle particulier, précisé par la clinique : un score élevé pour la seule pression au don n’est
généralement pas révélateur d’un trouble de la personnalité.
La classification ascendante hiérarchique sur les individus suggérait une typologie en 6 classes
de patients. En la confrontant aux données cliniques, l’étude statistique des scores aux pressions par classes de patients nous a permis d’associer à chacune d’entre-elles un ou plusieurs
trouble(s) de la personnalité.
Nous avons donc proposé 5 catégories de schémas pertinentes du point de vue clinique et
statistique, question largement débattue par les disciples de Young ces dernières années, mais
également suggéré aux praticiens le questionnaire de Young comme outil d’aide au diagnostique
des troubles de la personnalité.
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