Guillaume CHAMPEAU Adresse Office central de lutte

Guillaume CHAMPEAU
Adresse
Office central de lutte contre la criminalité liée
aux technologies de l'information et de la
communication (OCLCTIC)
Place Beauvau
75800 Paris Cedex 08
Objet : demande de recours gracieux (PROJET, VERSION NON
DEFINITIVE)
Madame, Monsieur,
J'ai l'honneur de vous demander par la présente l'annulation de l'acte
administratif pris en vertu de l'article 6-1 de la loi du 21 juin 2004, par lequel
l'Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de
l'information et de la communication (OCLTIC) a notifié le nom de domaine
Islamic-News.info à des personnes mentionnées au 1 du I de l'article 6 de ladite
loi, aux fins qu'elles empêchent sans délai l'accès à ce domaine. Cet acte
administratif n'ayant fait l'objet d'aucune publication, je suis dans l'incapacité
matérielle de vous en livrer la date et les références précises, et vous prie donc
de bien vouloir procéder aux diligences nécessaires pour admettre la
recevabilité du présent recours et y donner satisfaction.
Ma demande n'a pas pour objet de contester le caractère éminemment
choquant de propos qui pourraient avoir été publiés sur le site IslamicNews.info, mais de faire reconnaître un abus de droit dans la mise en œuvre de
la loi du 13 novembre 2014, qui n'autorise votre administration à ordonner
sans procédure contradictoire préalable le blocage de sites internet qu'en
présence de contenus faisant indubitablement l'apologie d'actes de terrorisme,
ou provoquant à des actes de terrorisme.
INTERET A AGIR
Selon une jurisprudence constante de la Cour européenne des droits de
l'homme, l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de
l'homme et des libertés fondamentales à laquelle la France est partie garantit
non seulement le droit de communiquer des informations, mais aussi le droit,
pour le public, d'en recevoir 1. Rappelant ainsi que la liberté d'expression
comprend également la liberté de recevoir des idées et des informations, la
Cour européenne des droits de l'homme a jugé qu'il faut « déduire de
l’ensemble des garanties générales protégeant la liberté d’expression qu’il y a
1V. par ex. Observer et Guardian c. Royaume-Uni, 26 novembre 1991, §59b.
lieu de reconnaître un droit d’accès sans entraves à Internet »2.
La Charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne, devenue
contraignante pour la France depuis le Traité de Lisbonne de décembre 2009,
dispose également en son article 11 que « toute personne a droit à la liberté
d'expression », et que ce droit comprend « la liberté de recevoir des
informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités
publiques et sans considérations de frontières ».
C'est donc en raison de l'atteinte portée par votre acte administratif à mon
droit fondamental à la liberté de recevoir des idées et des informations que je
sollicite par la présente l'annulation de l'acte susmentionné, dont l'effet est de
m'empêcher d'accéder aux idées et informations exprimées sur le site Internet
Islamic-News.info.
MOTIVATIONS DU RECOURS
Dans sa Recommandation 2008/2160(INI) adoptée le 26 mars 2009, le
Parlement européen invitait les états membres « à garantir que la liberté
d’expression ne soit pas soumise à des restrictions arbitraires provenant de la
sphère publique et/ou privée et éviter toute mesure législative ou
administrative qui pourrait avoir un effet dissuasif sur tous les aspects de la
liberté d’expression ». Il est donc de la responsabilité de votre administration
d'observer la plus grande prudence dans la mise en œuvre des pouvoirs de
restriction de la liberté d'expression confiés par la loi du 13 novembre 2014.
Selon les termes de la page officielle de votre administration vers laquelle je
suis redirigé lors d'une tentative de consultation du site Internet IslamicNews.info, l'accès à ce site m'est interdit « car (mon) ordinateur allait se
connecter à une page dont le contenu provoque à des actes de terrorisme ou
fait publiquement l'apologie d'actes de terrorisme ».
Par l'article 12 de la loi du 13 novembre 2014, le législateur a effectivement
entendu confier à l'autorité administrative le pouvoir de notifier aux
fournisseurs d'accès à Internet « la liste des adresses électroniques des
services de communication au public en ligne contrevenant aux articles 421-25 et 227-23 » du code pénal, le premier cité visant « le fait de provoquer
directement à des actes de terrorisme ou de faire publiquement l'apologie de
ces actes ».
Cependant il n'est pas démontré par votre administration que le site
Islamic-News.info faisait effectivement l'apologie du terrorisme ou provoquait à
des actes de terrorisme, ce que le créateur de ce site internet dément3.
Par le défaut de publication d'une décision motivée, je suis placé dans
l'incapacité de vérifier si l'atteinte à ma liberté d'accès à l'information est
2 Ahmet Yildrim c. Turquie, 18 décembre 2012 (requête n°3111/10), §31
3 V. http://www.numerama.com/magazine/32516-moi-censure-par-la-france-pour-mes-opinionspolitiques.html
conforme aux restrictions permises par la loi et par les instruments
internationaux auxquels la France est partie, ce qui ne saurait être une
présomption irréfragable. Tout administré doit être de mesure d'apprécier et au
besoin de contester la proportionnalité des mesures d'atteinte à la liberté
d'expression décidées par l'administration.
Selon la seule explication avancée par voie de presse par le ministère de
l'intérieur, Islamic-News.info aurait été intégré à une liste des sites à bloquer
car il « reproduit – sans le mettre en perspective – un discours d'Al-Baghdadi
dans lequel le leader de l’État Islamique invite à « déclencher les volcans du
djihad partout », et héberge le fichier audio de ce discours in extenso »4. Mais
même à considérer que la publication en cause puisse être qualifiée d'apologie
du terrorisme en dépit de « l'interprétation étroite » que les états membres du
Conseil de l'Europe doivent faire de toute restriction à la liberté d'expression 5,
la présence d'une telle publication illicite ne saurait justifier à elle seule le
blocage de l'intégralité du média Islamic-News.info.
J'attire en effet votre attention sur le fait que La France a adhéré le 4
novembre 1980 au Pacte international relatif aux droits civils et politiques du
16 décembre 1966, dont l'article 19 dispose que « toute personne a droit à la
liberté d'expression; ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et
de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération
de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout
autre moyen de son choix ». Or, chargé de veiller à la bonne application du
traité, le Comité des droits de l'Homme de l'ONU a fait observer 6 que « toute
restriction imposée au fonctionnement des sites Web, des blogs et de tout
autre système de diffusion de l’information par le biais de l’Internet, de
moyens électroniques ou autres, y compris les systèmes d’appui connexes à
ces moyens de communication, comme les fournisseurs d’accès à Internet ou
les moteurs de recherche, n’est licite que dans la mesure où elle est
compatible avec le paragraphe 3 » de cet article. En tout état de cause,
prévient-il, « les restrictions licites devraient d’une manière générale viser un
contenu spécifique; les interdictions générales de fonctionnement frappant
certains sites et systèmes ne sont pas compatibles avec le paragraphe 3 ».
A toutes fins utiles, le Comité rappelait aussi qu' « interdire à un site ou à
un système de diffusion de l’information de publier un contenu uniquement au
motif qu’il peut être critique à l’égard du gouvernement ou du système
politique et social épousé par le gouvernement est tout aussi incompatible
avec le paragraphe 3 ».
Aussi, à défaut d'accéder à ma demande d'annulation de l'acte administratif
par lequel Islamic-News.info a été placé sur la liste des sites à bloquer par les
fournisseurs d'accès à Internet, je vous demande de bien vouloir me faire
4 « Les ratés de la première vague de blocages administratifs de sites djihadistes », LeMonde.fr, 18
mars 2015. http://www.lemonde.fr/pixels/article/2015/03/18/les-rates-de-la-premiere-vague-deblocages-administratifs-de-sites-djihadistes_4596149_4408996.html
5 V. CEDH, Sunday Times c/ Royaume-Uni, 26 avril 1979, §65
6 Observation générale n°34, § 43. CCPR/C/GC/34
parvenir copie des motifs ayant justifié cette décision.
Dans l'attente d'une réponse que j'espère favorable, je vous prie
d'agréer, Madame, Monsieur, mes salutations distinguées.
Guillaume CHAMPEAU