Angioedèmes, douleurs thoraciques et élévation des D-dimères: une association probablement non fortuite A. De Roeck, A. Du-Thanh, N. Raison-Peyron Service de dermatologie, Hôpital Saint Eloi, CHU Montpellier, 80 Avenue Augustin Fliche 34000 Montpellier Introduction Plusieurs études ont récemment suggéré l’implication de la cascade de la coagulation et de la fibrinolyse dans la pathogénèse des urticaires chroniques (UC), en mettant en évidence dans le plasma une élévation du taux de certains biomarqueurs de la coagulation dont les D-dimères (DD), produit de dégradation de la fibrine chez des patients ayant une UC, avec ou sans angioedèmes (AO) associés. Nous décrivons ici 2 patients présentant des AO entrants dans le cadre d’une UC récidivante, associés à des douleurs thoraciques constrictives et à une augmentation franche des DD en crise. Observations N°1 : Un homme de 39 ans consultait pour la survenue d’AO récidivants sans urticaire superficielle associée ayant débuté après la prise d’antiinflammatoires, non stéroïdiens, dans un contexte de soins dentaires. Il s’agissait d’AO des lèvres, de la langue, de la région pharyngée et des extrémités régressant habituellement en 24 heures sous corticothérapie générale, de rythme totalement irrégulier. Lors d’une crise, sans aucune prise médicamenteuse, le patient s'est plaint d'une gêne respiratoire et d’une douleur thoracique constrictive intense l'amenant à consulter aux urgences. Le bilan sanguin (notamment la troponine ultrasensible pour éliminer un syndrome coronarien aigu) était normal en dehors d'une augmentation isolée des DD à 2580 ng/mL (seuil de positivité > 500 ng/mL). L'ECG était sans particularité. Une embolie pulmonaire a été écartée par un angioscanner thoracique. Le traitement antihistaminique à fortes doses n’empêchait pas la survenue des crises mais l'association à l'acide tranexamique entraînait une amélioration des symptômes d'AO. N°2 : Un homme de 52 ans, aux antécédents de psoriasis, présentait depuis 9 ans des AO isolés, touchant surtout le visage, durant moins de 24 heures, et s’accompagnant de façon intermittente de douleurs thoraciques constrictives intenses. L’ECG lors d’un épisode douloureux était sans particularité. Le dosage de C1 inhibiteur pondéral et fonctionnel était normal. Le dosage des DD lors d’une crise d’AO avec douleurs thoraciques était élevé à 4000 ng/ml. Le traitement antiH1 à fortes doses (4X la dose) et par acide tranexamique à fortes doses (3g/j) n’empêchait pas la survenue des crises d’AO. Discussion Dans l’UC, les AO sont associés à des plaques superficielles d’urticaire dans 40% des cas et sont isolés dans 10 % des cas, entrant ainsi dans le cadre des UC récidivantes (fig 1). L’UC n’est pas une maladie allergique mais serait liée à une « fragilité » des mastocytes où différents facteurs seraient impliqués : le terrain atopique retrouvé dans 30 à 40 % des cas, des facteurs immunologiques dans 40 à 50 % des cas avec présence d'auto-anticorps anti-récepteurs aux IgE (ou anti-IgE) et des facteurs non immunologiques tels les médicaments (opiacés, AINS…), les infections, les aliments et l’activation de la voie de la coagulation et de la fibrinolyse (fig. 2). En effet, de nombreux travaux ont mis en évidence l’augmentation des DD chez 20 à 50 % des patients atteints d’UC avec ou sans AO associés (1). L’activation de la voie extrinsèque de la coagulation semble due à la participation des éosinophiles présents dans le derme inflammatoire et du facteur tissulaire (FT), associé à la génération de thrombine. Il a été démontré une corrélation entre l’élévation du taux des DD et la sévérité de l’UC (les AO isolés récidivants étant dans notre expérience une forme sévère d’UC) et une normalisation des DD en cas de rémission ou au décours d’un traitement efficace (2,3). Les patients présentant une UC avec un taux élevé de DD avaient une moins bonne réponse aux anti-H1. Par ailleurs, une activation des voies de la coagulation a été démontrée sensiblement de la même façon chez des patients atteints d'AO héréditaire par déficit en C1inhibiteur en crise (par la voie intrinsèque). Les douleurs rétrosternales sont parfois présentes chez les patients atteints d'UC ; elles ne seraient pas reliées à une cause systémique et seraient sans signification pronostique retrouvée, du moins à ce jour (4). Chez nos 2 patients, elles ne s’accompagnaient d’aucun autre symptôme en particulier digestif et survenaient uniquement lors des crises d’AO. Fig.1 AO des lèvres et de la partie basse du visage Conclusion Les douleurs rétrosternales intenses parfois présentes chez les patients atteints d'UC, en particulier ceux avec AO, peuvent parfois orienter à tort vers une pathologie cardiaque aiguë ou thromboembolique pulmonaire, ce d'autant plus que les DD sont élevés comme chez nos 2 patients. L’association AO récidivants entrant dans le cadre d’une UC-douleurs thoraciques aiguës pseudo-angineuses-augmentation des DD n’est peut-être pas fortuite : y-a-t-il une relation causale entre l’augmentation franche des DD à la fois responsable des AO et des douleurs thoraciques? Si oui, par quels mécanismes? L’hypothèse d’un œdème oesophagien associé aux AO cutanés ne peut être exclue quoique jamais évoquée et nécessiterait la réalisation d’une gastroscopie en crise pour confirmer ce diagnostic. Des études complémentaires sont nécessaires pour mieux comprendre la pathogénèse de ces symptômes thoraciques douloureux et angoissants pour le patient lors des crises d’AO et de voir si les DD jouent un rôle ou non dans leur survenue. Fig. 2 Le concept du mastocyte fragile dans l’UC Références 1. Tedeschi A et al. Chronic urticaria and coagulation: pathophysiological and clinical aspects.Allergy. 2014; 69:683-91. 2. Asero R et al. Severe chronic urticaria is associated with elevated plasma levels of Ddimer. Allergy. 2008; 63: 176–80. 3. Criado PR, et al. Evaluation of D-Dimer serum levels among patients with chronic urticaria, psoriasis and urticarial vasculitis. An Bras Dermatol.2013; 88 :355-60. 4. F. Augey et al. Effet de l’arrêt des corticoïdes au cours de l’urticaire chronique (étude prospective de 17 malades). Ann Dermatol Vénéréol. 2008; 135, 21-5. Tous nos remerciements au Laboratoire BIODERMA pour son soutien à la réalisation de ce poster.
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