1 ©Arnaud de Saint Julien - MPSI Lycée La Merci 2013-2014 Techniques de calcul matriciel Introduction Une matrice est un tableau de nombres avec lequel on pourra faire des opérations. C’est un objet numérique qui peut coder des objets d’origines diverses : • on connaît la matrice d’un système linéaire. Plus généralement, une matrice codera une application linéaire entre deux espaces vectoriels de dimension finie pour lesquels on aura choisi une base. Dans le domaine de l’algèbre, vous verrez aussi l’année prochaine qu’une matrice symétrique code une «forme quadratique». • certains processus stochastiques (aléatoires) peuvent être modélisés (par exemple des chaînes de Markov) par une matrice dite stochastique : c’est-à-dire une matrice dont les coefficients sont positifs et dont la somme des coefficients de chaque ligne vaut 1. La «monstrueuse matrice de Google» en est un exemple. • certains graphes sont aussi représentés par des matrices dites d’adjacence. • Une image numérique est une matrice de pixels. Par exemple pour une image en couleurs (RGB), les pixels sont représentés par un triplet de nombres représentant les niveaux de rouge (Red), de vert (Green) et de bleu (Blue). Dans ce chapitre, nous adoptons un point de vue purement matriciel. Le lien intime avec l’algèbre linéaire sera abordé au chapitre suivant. 1 Généralités 1.1 Opérations sur les matrices On note Mn,p (K) l’ensemble des matrices à coefficients dans K avec n lignes et p colonnes. Si A est une matrice de Mn,p (K), on note ai,j ses coefficients avec la convention que le premier indice i ∈ 1, n est celui des lignes et le second j ∈ 1, p celui des colonnes 1 . On pourra noter A = (ai,j ). Si une matrice possède autant de lignes que de colonnes, elle est dite carrée, on note Mn (K) = Mn,n (K). Définition 1 (Combinaisons linéaires et produit de matrices) 1. Soit A = (ai,j ) et B = (bi,j ) dans Mn,p (K). On note A + B la matrice de Mn,p (K) dont les coefficients valent ai,j + bi,j . Si λ ∈ K, on note λA la matrice de Mn,p (K) dont les coefficients valent λai,j . 2. Soit A = (aij ) ∈ Mp,n (K) et B = (bij ) ∈ Mn,q (K). On note AB = (cij ) la matrice de Mp,q (K) dont les coefficients valent : n cij = aik bkj . k=1 Remarques : 1. Attention, en mathématiques les indices des matrices commencent à 1 contrairement par exemple au langage Python où ils commencent à 0. 2 ©Arnaud de Saint Julien - MPSI Lycée La Merci 2013-2014 • L’ensemble Mn,p (K) a une structure de K-espace vectoriel dont le vecteur nul est la matrice nulle (tous les coefficients valent 0) de Mn,p (K). • faire attention aux formats des matrices (sorte de relation de Chasles) pour le produit. • Une matrice A est dite diagonale si ses coefficients non diagonaux sont nuls, c’est-à-dire ai,j = 0 pour i = j. Si D est diagonale, on la note D = diag(d1 , . . . , dn ) où les di sont ses coefficients diagonaux. Ce seront nos «matrices préférées» pour faire des produits matriciels car diag(d1 , . . . , dn ) × diag(t1 , . . . , tn ) = diag(d1 t1 , . . . , dn tn ). • Nous expliquerons dans le prochain chapitre que ces opérations codent l’addition et composition d’applications linéaires. • la complexité de la multiplication matricielle dans Mn (K) est en O(n3 ) (multiplier deux matrices de taille n nécessite n2 (n − 1) additions et n3 multiplications de réels). On admet les propriétés suivantes que nous démontrerons dans le prochain chapitre. Proposition 2 Le produit matriciel est bilinéaire et associatif, c’est-à-dire : 1. si A et B sont dans Mp,n (K) et C et D dans Mn,q (K), pour tout λ et µ dans K, on a : (λA + µB)C = λAC + µBC et A(λC + µD) = λAC + µAD. 2. si A ∈ Mp,n (K), B ∈ Mp,q (K), A ∈ Mq,r (K), on a : (A × B) × C = A × (B × C). Remarque : ces propriétés permettent de montrer que l’ensemble Mn (K) muni de l’addition et de la multiplication est un anneau dont l’élément unité est la matrice In = diag(1, . . . , 1). En particulier, ∀A ∈ Mn (K), on a A × In = In × A = A. 1.2 Quelques particularités de ce produit L’examen de la taille 2 est en général très instructive. Posons N= 0 1 0 0 et M= 0 0 . 1 0 • Ces deux matrices vérifient N 2 = 0 et M 2 = 0, pourtant elles ne sont pas nulles. Elles sont dites nilpotentes. • De plus, N M = pour n 1 0 0 0 et M N = 0 0 . Le produit matriciel n’est donc pas commutatif 0 1 2. • Pout tout λ ∈ K, si R = infinité de racines carrées. 1 λ , on a R2 = I2 . Autrement dit, la matrice I2 admet une 0 −1 ©Arnaud de Saint Julien - MPSI Lycée La Merci 2013-2014 1.3 3 Matrices élémentaires Proposition 3 (Matrices élémentaires) Soit i ∈ 1, n et j ∈ 1, p . On note Ei,j la matrice de Mn,p (K) dont tous les coefficients sont nuls sauf celui de la ligne i et de la colonne j qui vaut 1. On appelle matrices élémentaires de Mn,p (K) les matrices Ei,j pour i ∈ 1, n et j ∈ 1, p . • La famille (E11 , E12 , . . . , E1p , E21 , . . .) formée par les matrices élémentaires rangées par ordre lexicographique est une base de Mn,p (K), que l’on appellera base canonique. Ainsi dim Mn,p (K) = np. • On a Eij Ekl = δjk Eil avec δjk = 1 si j = k et 0 sinon. 1.4 Notion de polynôme de matrice et de polynôme annulateur Soit M ∈ Mn (K) et P = pi=0 ai X i un polynôme de K[X]. Puisqu’une combinaison linéaire et un produit de matrices de Mn (K) est encore une matrice de Mn (K), on note P (M ) la matrice de Mn (K) définie par : p ai M i = ap M p + · · · + a1 M + a0 In . P (M ) = i=0 Remarques : • un polynôme en M commute avec la matrice M , c’est-à-dire P (M ) × M = M × P (M ). • lorsque P (M ) = 0, on dit que P est un polynôme annulateur de M . • Soit P, Q ∈ K[X], M ∈ Mn (K) et λ ∈ K, on a (P Q)(M ) = P (M )Q(M ) 2 et (λP + Q)(M ) = λP (M ) + Q(M ). Quelques techniques et outils matriciels 2.1 Calculs de puissances n-ièmes Voici quelques recettes à découvrir en exercice : 1. Si D est diagonale avec D = diag(d1 , . . . , dp ), alors Dn = diag(dn1 , . . . , dnp ). 2. L’astuce de type «Pacman» (P DP −1 )n = P Dn P −1 est à connaître (P désigne une matrice inversible). 3. Utilisation du binôme de Newton : si A et B sont deux matrices de Mn (K) qui commutent, alors pour tout n ∈ N, on a n n k n−k (A + B)n = A B . k k=0 En particulier calcul de (λIp + N )n avec N nilpotente. ©Arnaud de Saint Julien - MPSI Lycée La Merci 2013-2014 4 4. Utilisation d’un polynôme annulateur : si P est un polynôme annulateur de la matrice A, c’est-à-dire si P (A) = 0, on écrit la division euclidienne de X n par P : il existe des polynômes Q et R tels que X n = QP + R. On a alors la relation matricielle : An = P (A) ×Q(A) + R(A). 0 Ainsi An = R(A), et il suffit donc de chercher le reste R. 5. Utilisation de récurrence, par exemple : 1 1 1 • avec A = 1 1 1, on a A2 = 3A donc An = 3n−1 A. 1 1 1 • avec R(θ) = 2.2 cos θ − sin θ . On a 2 R(θ)2 = R(2θ) donc R(θ)n = R(nθ). sin θ cos θ La trace d’une matrice Proposition 4 On appelle trace d’une matrice carrée A la somme de ses coefficients diagonaux. On la note Tr(A). La trace vérifie les deux propriétés suivantes : • La trace est une forme linéaire sur Mn (K). • Si A et B sont dans Mn (K), on a : Tr(AB) = Tr(BA). Remarques : • Nous verrons dans le chapitre suivant que la trace est un invariant de similitude : deux matrices semblables auront même trace. Nous verrons aussi plus tard que le déterminant d’une matrice est aussi un invariant de similitude. En attendant, pour la taille 2, on peut retenir la définition suivante : a b det = ad − bc. c d • en taille 2, un calcul montre que si A est une matrice de M2 (K), le polynôme suivant P est un polynôme annulateur de A : P = X 2 − Tr(A)X + det(A). 2.3 Matrices symétriques et transposée d’une matrice Définition 5 Soit A = (ai,j ) une matrice de Mn (K). 1. Elle est dite symétrique si ses coefficients sont symétriques par rapport à la diagonale, c’est-à-dire si : ∀(i, j) ∈ 1, n 2 , ai,j = aj,i . 2. Ce résultat est naturel si l’on sait que cette matrice code une rotation de centre O et d’angle θ et que la multiplication des matrices code la composition des applications linéaires. 5 ©Arnaud de Saint Julien - MPSI Lycée La Merci 2013-2014 2. Elle est dite antisymétrique si : ∀(i, j) ∈ 1, n 2 , ai,j = −aj,i . Remarque : en particulier, si A est antisymétrique, ses coefficients diagonaux sont nuls puisque ai,i = −ai,i . Proposition 6 Soit A = (ai,j ) une matrice de Mn,p (K). On appelle transposée de A, notée t A la matrice de Mp,n (K), dont les coefficients sont les symétriques de ceux de A par rapport à la diagonale, c’est-à-dire t A = (aj,i ). La transposée vérifie les propriétés suivantes : • elle est linéaire et involutive (c’est-à-dire ∀A ∈ Mn,p (K), t (t A) = A). C’est en particulier une symétrie de Mn (K). • ∀(A, B) ∈ Mn,p (K) × Mp,q (K), t (AB) = t B t A. Remarque : si on note φ : Mn (K) → Mn (K) l’endomorphisme qui à une matrice associe sa transposée, on a Ker(φ − id) = {M ∈ Mn (K) | t M = M } = Sn (K) l’ensemble des matrices symétriques et Ker(φ + id) = {M ∈ Mn (K) | t M = −M } = An (K) l’ensemble des matrices antisymétriques. Puisque φ est une symétrie, on a Mn (K) = Ker(φ − id) ⊕ Ker(φ + id) = Sn (K) ⊕ An (K). 2.4 Produits de matrices triangulaires et de matrices blocs On sait que le produit de matrices diagonales est encore une matrice diagonale. On peut généraliser aux matrices triangulaires supérieures et inférieures. Proposition 7 Une matrice A = (ai,j ) de Mn (K) est dite triangulaire supérieure (resp. inférieure) si ses coefficients en-dessous (resp. au-dessus) de la diagonale sont nuls, c’est-à-dire ∀(i, j) ∈ 1, n 2 , (i > j ⇒ ai,j = 0) (resp. i < j ⇒ ai,j = 0). Le produit de deux matrices triangulaires supérieures de Mn (K) (resp. triangulaires inférieures) est encore une matrice triangulaire supérieure (resp. triangulaire inférieure). Proposition 8 (Produits de matrices blocs) On considère les matrices M = A′ B ′ , où A, A′ , B, B ′ , C, C ′ et D, D ′ sont des matrices vérifiant : C ′ D′ • Le nombre de colonnes de A et C est égal au nombre de lignes de A′ et B ′ • Le nombre de colonnes de B et D est égal au nombre de lignes de C ′ et D′ On a alors l’égalité MN = AA′ + BC ′ AB ′ + BD′ CA′ + DC ′ CB ′ + DD′ A B C D et N = 6 ©Arnaud de Saint Julien - MPSI Lycée La Merci 2013-2014 3 Le groupe des matrices inversibles Définition 9 Une matrice A de Mn (K) est dite inversible s’il existe une matrice B de Mn (K) telle que AB = BA = In . Une telle matrice B est unique, on la note A−1 . Proposition 10 L’ensemble GLn (K) des matrices inversibles de Mn (K) est un groupe pour la loi ×. Si A et B sont dans GLn (K), on a (AB)−1 = B −1 A−1 . Deux questions se posent ainsi : • Comment savoir si une matrice A est inversible ? • Si elle est inversible, comment calculer son inverse ? Quelques éléments de réponse : • On regarde si le système associé AX = Y admet une unique solution. Si c’est le cas, la solution X = A−1 Y permet d’obtenir l’expression de A−1 . 2 1 1 Exemple : la matrice A = 1 2 1 est inversible d’inverse 1 1 2 3 −1 −1 1 3 −1. 4 −1 −1 −1 3 En particulier, une matrice triangulaire sera inversible ssi ses coefficients diagonaux sont non nuls. De plus si A est inversible et triangulaire supérieure, alors son inverse est encore une matrice triangulaire supérieure. • On démontrera plus tard qu’une matrice A ∈ Mn (K) est inversible si et seulement si det A = 0. En attendant, on retient le cas de la taille 2 : la matrice a b est inversible ssi son déterminant c d ad − bc = 0 et alors a b c d −1 = 1 d −b . ad − bc −c a • On peut utiliser un polynôme annulateur et exhiber ainsi une matrice B telle que AB = BA = In . Par exemple si A ∈ Mn (K) vérifie A2 −5A+6In = 0, alors A est inversible et A−1 = −1 6 (A−5In ). De même, on montre qu’une matrice nilpotente n’est jamais inversible.
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