LES MÉLANOMES MALINS ANO-RECTAUX A PROPOS DE DEUX CAS N. BENZZOUBEIR, H. KRAMI, N. DAFIRI, H. OUAZZANI, M. SOUALHI, L. OUAZZANI, F. FADLI, Z. HAKAM, F; SOUIDINE, A. BENNANI*. RÉSUMÉ Les auteurs rapportent deux cas de mélanome malin anorectal colligés à la Clinique Médicale B au CHU Ibn Sina. C’est une affection rare, de mauvais pronostic. La chirurgie reste actuellement le seul volet thérapeutique. SUMMARY The authors report two cases of anorectal malignant melanoma, seen and managed in the service of Medecine B. It’s a very uncommun affection of bad pronostic. At the present time, the surgical management is the only therapeutical attitude. Les mélanomes malins (MM) sont des tumeurs malignes développées aux dépens du système pigmentaire. La localisation ano-rectale se caractérise par sa rareté : 3ème rang après les localisations cutanées et oculaires, et par son pronostic extrêmement sombre. A propos de deux observations colligées à la Clinique Médicale B à Avicenne, nous voudrions souligner les principales caractéristiques de cette affection. OBSERVATIONS Observation 1 : Mr T. AHMED. Âgé de 73 ans est hospitalisé en Juillet 1991 pour des proctalgies évoluant depuis 1 mois accompagnées de rectorragies, d’émissions glaireuses et d’un prurit anal. On découvre à l’examen proctologique une énorme tumeur bourgeonnante de consistance pierreuse, de couleur noirâtre de 10 cm de diamètre. Cette tumeur anale circonférentielle et sténosante empêchait la pratique d’un toucher rectal. L’examen somatique découvre deux volumineuses adénopathies inguinales bilatérales, dures et fixées par rapport au plan profond. L’examen anatomo-pathologique d’un fragment biopsique de la tumeur anale montre qu’il s’agit d’un mélanome. Le * Clinique Médicale B. CHU - Avicenne - Rabat. Médecine du Maghreb 1996 n°60 reste du bilan d’extension est négatif. Mais le patient est décédé quelques jours après son admission à l’hôpital. Observation 2 : Mr K. MBAREK. Âgé de 64 ans hospitalisé en Juillet 1993 pour des proctalgies qui durent depuis une année, accompagnées de rectorragies. L’examen proctologique en position genu pectorale révèle une tumeur bourgeonnante à 5 cm de la marge anale occupant l’hémi circonférence gauche du rectum, de 4 cm de diamètre. L’examen anatomo-pathologique d’un fragment biopsique de la tumeur est en faveur d’un mélanome malin achromique. Le lavement baryté révèle un aspect radiologique en faveur d’un processus tumoral bourgeonnant ano-rectal situé à 5 cm de la marge anale et étendue sur 4 cm. L’échotomographie abdominale montre une paroi rectale épaissie d’allure tumorale avec présence d’adénopathies satellites ; le foie est homogène. La radio pulmonaire est normale. L’intervention chirurgicale a consisté à une large résection locale de la tumeur. Une chimio-radiothérapie était prévue, mais le malade a développé rapidement des métastases pulmonaires. DISCUSSION Le mélanome malin ano rectal (MMAR) est une affection rare (1 à 3% de tous les mélanomes). On l’estime de 0,25 à 1,25% de toutes les tumeurs anales (1). Il survient à tous les âges avec un pic de fréquence vers la 6ème décade. Il existe une légère prépondérance féminine, alors que dans notre série nos deux malades sont de sexe masculin et âgés respectivement de 73 et 64 ans. Sur le plan étiopathogénique, si l’action des radiations solaires ne peut être retenue dans la localisation anale, l’hypothèse d’une irritation chronique entretenue par le traumatisme de la défécation paraît bien artificielle (2). Le diagnostic du MMAR reste dans la plus part des cas très tardif. Le délai entre les signes révélateurs et la consultation est variable (Tableau 1). LES MÉLANOMES ANO-RECTAUX… 17 Auteurs Nb de cas Délais moyens (en mois) Angeras (3) 11 6 Huguier (7) 17 4,5 Pack (9) 20 8 Notre série 2 6,5 Les signes révélateurs sont dominés par les manifestations proctologiques (tableau 2). La constatation par le patient d’adénopathies inguinales n’est pas rare (7 fois sur 49 dans le travail de stearns) (11). Tableau 2 : Signes fonctionnels et généraux rapportés par PYPER (14 patients), CHIU (34 patients), notre série (2 patients) Signes cliniques Pyper (10) CHIU (6) Notre série Rectorragies 12 (85,7%) 24 (70%) 2 (100%) Constipation 7 (50%) 10 (29%) 0 Douleurs anales 6 (42,8%) 16 (47%) 2 (100%) Masse 4 (28,5%) 13 (38%) 1 (50%) Amaigrissement 4 (28,5%) 2 (6%) 1 (50%) Macroscopiquement ; l’aspect habituellement observé du MMAR est celui d’une tumeur végétante souvent polypoïde et dure. Le siège le plus fréquent est la partie haute du canal anal, le pôle inférieur arrivant à la ligne pectinée, le pôle supérieur s’étendant au bas rectum. La taille de la tumeur varie de quelques millimètres à plusieurs centimètres (2) (dans notre série, elle atteignait respectivement 10 et 4 centimètres). Rarement il envahit toute la circonférence et devient sténosant (observation 1), le plus souvent il s’étend dans le rectum (observation 2), ou s’extériorise par l’orifice anal sous forme d’une masse bourgeonnante (observation 1). L’aspect macroscopique de la lésion permet dans la majorité des cas d’évoquer hautement le diagnostic du MM. Toutefois une thrombose hémorroïdaire ou un prolapsus étranglé peuvent poser dans certains cas quelques difficultés diagnostic. Par ailleurs, l’absence de pigmentation peut faire méconnaître l’éventualité d’un MM devant n’importe quelle lésion bourgeonnante ano-rectale. Dans tous les cas, le diagnostic ne peut être qu’histopathologique. Cependant, la biopsie comporte un risque, elle est considérée comme traumatisante donnant un coup de fouet à l’évolution de la tumeur; Ce qui explique qu’un certain nombre d’auteurs ont proposé un cytodiagnostic par raclage ou par ponction de toutes les tumeurs brunâtres (8). L’extension du MMAR se fait de proche en proche, mais aussi par voie lymphatique et sanguine. Ainsi, il est habituel de distinguer les stades I (lésion limitée au canal anal), II (présence de métastases viscérales essentiellement le foie, le poumon, le cerveau et l’os) (2). D’une façon générale, le pronostic du MM cutané dépend essentiellement de l’épaisseur de la tumeur (5). C’est ainsi que pour une certaine épaisseur inférieure à 0,75 mm il n’y a aucune métastase, par contre ce pourcentage atteint 84% pour une lésion de plus de 3 mm d’épaisseur. Or les MM de la région anale sont habituellement découverts très tardivement, ceci explique l’échec thérapeutique dans la mesure où l’on est, lors du diagnostic initial devant une lésion déjà dépassée. Les moyens thérapeutiques sont représentés essentiellement par la chirurgie. L’acte le plus réalisé est l’amputation abdomino-périnéale (AAP) avec curage ganglionnaire inguinal et pelvien. D’autres thérapeutiques ont été essayées (chimiothérapie, radiothérapie, immunothérapie), mais leurs résultats restent décevants. La plupart des séries de la littérature font surtout état de traitements chirurgicaux : HUGUIER et LUBOINSKI (7) ont rapporté 17 malades, avec une survie moyenne de 14 mois ; 4 malades étaient en vie plus de 36 mois après le traitement, 2 patients traités par irradiation seule ont survécu 6 et 19 mois. BOLIVAR et Coll. (4) ont présenté deux observations avec des survies de 4 et 5 ans après A.A.P. Dans la série de 36 patients de WANEBO et Coll (12), la médiane de survie était de 21 mois après exérèse localisée et de 7 à 14 mois en cas d’A.A.P. CONCLUSION Les MMAR sont des tumeurs rares. Malgré leur aspect macroscopique caractéristique, leur diagnostic est généralement tardivement porté. Leur pronostic reste redoutable surtout lié à l’évolution métastatique. La chirurgie reste la principale arme thérapeutique. Médecine du Maghreb 1996 n°60 N. BENZZOUBEIR, H. KRAMI, N. DAFIRI, H. OUAZZANI, M. SOUALHI, L. OUAZZANI, F. FADLI, Z. HAKAM, F; SOUIDINE, A. BENNANI 18 BIBLIOGRAPHIE 1 - R. ALAOUI et Coll. Le mélanome ano rectal primitif. Med Chir. Dig. 1987, 16 : 351-353. 2 - M. AMOURETTI et Coll. Les mélanomes malins ano-rectaux. M.C.D. - 1984 - 13 - n°1 : 47-49 3 - ANGERAS et Coll. Primary anorectal malignant melanome. Journal of surgical oncology, 1983, 22 : 261-264. 4 - J.C. BOLIVAR et Coll. Melanoma of the anorectal region. Surg. Gynecol. Obstet. 1982, 154 - 337-341. 5 - A. BRESLOW. Pronostic des mélanomes malins : influence de l’épaisseur de la tumeur et des niveaux d’invasion. C.M., 28-4-1979 : 101-117. 6 - Y.S. CHIU et Coll. Malignant melonoma of the anorectume. Dis. Col. Rect. 1980, 23, 2 : 122-124. Médecine du Maghreb 1996 n°60 7 - M. HUGUIER et Coll. Les mélanomes malins ano rectaux. Arch. Fr Mal App. Dig. 1973, 62 : 579-590. 8 - R. LAUMONIER et Coll. Mélanomes malins du rectum glandulaire. Arch. Fr. App. Dig. 1962, 51 : 700-705. 9 - G.T. PACK et Coll. End results in the treatment of malignant melanoma. Ann. Surg. 1952, 136 : 905-911. 10 - P.C. PYPER et Coll. Melanome of the anal canal. Br. J. Surg. 1984, 71, 671-672. 11 - M.W. STEARNS. Malignant melanoma In : Néoplasms of the colon, rectum and anus. Wilcy. New York, 1980, 123. 12 - H.J. WANEBO et Coll. Anorectal melanome. Cancer, 1981, 47, 1891-1900.
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