› Aperçu historique des méthodes de préparation physique Chapitre 1 Aperçu historique des méthodes de préparation physique Quelques dates clés dans l’histoire de la préparation physique Dans l’Antiquité Gladiateurs ou adeptes de pratiques sportives moins guerrières, les civilisations grecque et latine avaient leurs champions. Certains s’entraînaient à temps complet comme de véritables professionnels. Dans leur entraînement, ils avaient intégré la notion de préparation physique. Ceux qui étaient en forme physique voyaient leurs chances de vaincre augmenter. Les athlètes couraient beaucoup, prenaient le temps de s’adonner à un travail régulier de soulevé d’haltères et allaient même jusqu’à surveiller leur alimentation. Mais, surtout, ils pratiquaient les disciplines dans lesquelles ils s’affrontaient. Sparte en est un exemple extrême : on obligeait les jeunes garçons Spartiates à quitter leur mère à l’âge de 7 ans pour débuter une formation militaire qui durait jusqu’à ce qu’ils aient 30 ans ; ils vouaient le reste de leur vie à la défense de la cité. Ils commençaient par apprendre à courir et à nager, puis pratiquaient divers exercices destinés à fortifier les bras. Ils pouvaient alors participer aux jeux du pentathle, qui comprenait cinq « combats » : la course, le saut, la lutte, le lancer du disque et le lancer du javelot. Les filles, elles, avaient le devoir d’être en parfaite condition physique pour donner naissance à des enfants robustes. Elles subissaient une véritable éducation étatique, à base de gymnastique, d’athlétisme et de lutte. Ce système assurait à Sparte une supériorité militaire qui la protégeait mais lui permettait aussi de briller aux jeux Olympiques : sur 81 vainqueurs connus de l’Antiquité, 46 étaient Spartiates ! Plus en détail, pour la course à pied, sur 36 connus, il y avait 21 Spartiates. Dans un contexte où l’accession à la performance sportive ne faisait pas l’objet d’un entraînement très élaboré, l’athlète qui était en forme, gagnait. Du xixe siècle à nos jours La préparation physique, tremplin de la performance C’est peut-être le succès des Spartiates aux jeux Olympiques qui inspira Georges Hébert1 (1875-1957) lorsqu’il fut, à partir de 1913, nommé à la tête d’un centre d’entraînement, le Collège d’athlètes de Reims. L’objectif était de préparer les sportifs français pour le rendez-vous olympique de 1916. Soulevé de parpaing, saut en longueur avec ou sans élan, lancer de poids de la main droite, lancer de poids de la main gauche, la musculature du haut du corps est privilégiée mais la prépara1. Parmi les ouvrages de Georges Hébert, citons notamment Le sport contre l’éducation physique (1926, réed. Éd. EP&S, 1993), L’éducation physique ou l’entraînement complet par la méthode naturelle (1938, réed. Vuibert, 1947). tion se veut, encore et toujours, uniquement générale et naturelle2. Elle trouve sa substance dans les disciplines athlétiques. On ne connaîtra jamais l’efficacité de la méthode puisqu’en raison de la guerre, les jeux Olympiques de 1916 sont annulés3. La préparation physique, source de beauté À la création des jeux Olympiques, en 776 avant J.-C., par goût du jeu et de la compétition, les Grecs font déjà des exercices corporels où l’esthétisme occupe une place de choix, sans pour autant négliger la performance. C’est cette philosophie qu’Edmond Desbonnet (1868-1953), fondateur de la première école de culture physique française, reprend à sa façon à la fin du xixe siècle : il avance que la culture physique doit développer la beauté, la santé et la force. Sa méthode est basée sur des exercices analytiques, sur le soulevé d’haltères ou de plaques de fonte et il insiste sur la valeur des étirements. Les gens fortunés, motivés par le culte du beau, s’y intéressent. Cette tendance peut être considérée comme les premiers pas d’une démarche qui amènera nos contemporains à fréquenter les salles de remise en forme, voire à pratiquer le bodybuilding. La recherche d’une performance en compétition reste là un objectif secondaire. Et si nous pensons qu’une pratique sportive compétitive, si modeste soit-elle, reste un moyen privilégié de mieux se connaître, on peut imaginer, autour de la philosophie de Desbonnet, un moyen d’amener certains adolescents réfractaires à s’engager dans une pratique sportive régulière. La préparation physique constitue là une porte d’entrée. À l’inverse, ce peut être un piège pour certains sportifs blessés ou en fin de carrière qui ont encore la volonté d’établir des performances : à se rendre à la salle de musculation beaucoup plus souvent qu’à l’accoutumée, ils trouveront peut-être une compensation psychologique dans ce travail mais ils peuvent modifier sans s’en apercevoir leur musculature et donc peiner ensuite à retrouver des sensations spécifiques à leur sport. À travers ce substitut de pratique, ils s’éloignent de ce qui constitue le cœur de leur pratique, au risque de s’écarter de la compétition. La préparation physique, première arme du soldat À l’inverse, les militaires, dans un autre type de compétition, savent tirer parti d’une préparation physique réfléchie. Au cours de la Seconde Guerre mondiale, dans des camps situés en Écosse, les Britanniques avaient instauré un mode de pré2. La méthode naturelle, mise au point par Hébert, repose sur l’observation des animaux et des peuplades primitives, qui se musclent efficacement et naturellement, sans artifice. Hébert prend ainsi le contrepied de la musculation du haut du corps, en vogue à l’époque, qui met l’accent sur le volume des biceps au détriment du reste du corps. 3. Après la guerre de 1914-1918, Hébert se consacre à l’éducation physique plutôt qu’au sport de haut niveau. 12 PP-0-PART1-p001-044.indd 12 28/01/14 14:40 Quelques dates clés dans l’histoire de la préparation physique ‹ paration physique pour leurs troupes d’élite. Avant le débarquement des troupes alliées en Normandie, des Français rejoignent l’Angleterre. À l’image du célèbre commando Kieffer, composé de soldats français qui débarqueront en première ligne le 6 juin 1944, un grand nombre de soldats suivront les stages de la Royal Air Force. Course à pied, travail au portique, ponts de singe, parcours chronométrés, simulateurs de saut en parachute, parcours du combattant… Une panoplie d’outils est déployée pour préparer physiquement les soldats. Cette méthode est si efficace qu’elle trouve ses prolongements jusqu’à nos jours. Nos troupes d’élite Le portique du colonel Amoros (GIGN, RAID, commandos (gravure extraite du Manuel d’éducation physique, gymnastique et morale, « Atlas », 1848). parachutistes, légionnaires, forces spéciales, pompiers de Paris) ont conservé l’essence de la tères viennent s’ajouter à la liste pour équiper les premiers démarche, qu’en réalité dès 1834 le colonel Amoros avait prégymnases. Georges Hébert s’inscrit dans cette forme de trasentée dans son livre Manuel d’éducation physique gymnastique vail, fondant en partie sa méthode, dite naturelle, sur des et morale4. Cet ouvrage propose une méthode de culture phyexercices au portique et les diffusant dans les écoles en fonction de l’aménagement des différents plateaux. sique qui s’adresse aux militaires et notamment aux pompiers ; En France, jusque dans les années 1960, les élèves du baelle repose sur divers exercices dont certains se pratiquent sur by-boom utilisent encore un portique de plusieurs mètres de un portique, conçu par Amoros lui-même et comportant échelles haut dans la cour de leur école. Puis, au début des années de corde, trapèzes, cordes avec ou sans nœuds, etc. (voir dessin 1970, les portiques sont délaissés, voire interdits en raison ci-dessus). Cette méthode inspirera plus tard les plus grandes des dangers d’utilisation qu’ils présentent ; ils finissent, manarmées du monde, au sein desquelles sont imaginées des pargés par la rouille et les termites avant d’être tout simplecours de préparation physique. ment supprimés dès 1980. Mais les via ferrata ou les parcours Au siècle suivant, Georges Hébert les nommera d’ailleurs « pard’acrobranche en vogue aujourd’hui ne seraient-ils pas des cours du combattant ». Aujourd’hui encore, dans les centres de versions modernes du portique d’Amoros ? formation des pompiers, on trouve des déclinaisons spécifiques du portique d’Amoros : monter à l’échelle fixe, traverser le portique en marchant sur la passerelle de sa partie haute, redescendre de Les prémices de la diététique du sportif l’autre côté en se laissant glisser le long d’un mât vertical. Plus encore, que dire quand les militaires intégraient des facteurs autres que le seul facteur physique dans la préparation physique de leurs troupes ? « Un soldat en forme est un soldat La préparation physique à l’école bien nourri, bien couché et bien entraîné », affirmaient les insOn trouve dans les instructions ministérielles du xixe siècle, tructeurs aux jeunes recrues du service militaire. Peut-on parler ou dans des listes de matériels recommandés par l’inspecteur de concepts diététiques et de récupération avant l’heure ? d’académie, les constituants du portique d’Amoros : un porDéjà, au xvie siècle, Sir Thomas Elyot5 avait à l’esprit l’imtique en chêne, un mât fixe vertical, un mât horizontal, une corde à console, une échelle de corde, une paire d’anneaux, portance de l’hygiène de vie : il l’évoquait dans son manuel un trapèze, une échelle de bois, une corde à nœuds, une d’éducation, dans lequel il recommandait notamment la pracorde lisse. D’autres matériels comme des barres parallèles, tique de la course à pied, citant comme exemples Achille et une échelle orthopédique (espaliers), une perche oscillante, Alexandre-le-Grand, qui furent de grands coureurs. À l’époque des cannes d’initiation à l’escrime ou encore de petits halde Sir Thomas Elyot, on pariait même sur les hommes comme 4. Ce manuel, publié par La Librairie encyclopédique de Roret en 1834, a été réimprimé en fac-similé par les Éditions EP&S en 1998. 5. Érudit britannique de la Renaissance, auteur de L’Éducation ou Comment élever ses enfants (vers 1535), inspiré des écrits de Plutarque. 13 PP-0-PART1-p001-044.indd 13 28/01/14 14:40 › Aperçu historique des méthodes de préparation physique on parie aujourd’hui encore sur les chevaux ! Ces coureurs, les footmen, qui pratiquaient quotidiennement la course à pied, s’imposaient un régime spécial constitué presque exclusivement d’œufs et de viande rouge à peine cuite. La préparation physique générale : une alternative à la pratique sportive en morte saison © Isabelle Amaudry La préparation physique présente l’avantage de maintenir le niveau de forme physique des sportifs durant toute la saison, en particulier quand leur activité n’est pas praticable. Par exemple, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, une majorité de piscines étaient encore découvertes. Si l’on vivait un hiver froid, la piscine pouvait être fermée pendant 6 mois ! Quand les conditions climatiques ou l’entretien de ces installations interdisaient l’accès au bassin, les entraîneurs de natation proposaient, en attendant, une approche pluridisciplinaire. De même, pour les sports dits « d’hiver » : les skieurs ne s’entraînaient qu’en hiver, attendant le retour de la neige pour retrouver leur forme physique ; l’été, la plupart d’entre eux effectuaient bien quelques courses en montagnes, mais cela ne suffisait pas pour répondre aux exigences d’un entraînement élaboré… Dans les années 1960, Honoré Bonnet, le directeur des équipes de France de ski, décrète que dorénavant la période estivale pourra être mise à profit pour développer les ressources physiques. Les sœurs Goitchelle, JeanClaude Killy, Jean Vuarnet, Guy Périllat, Adrien Duvillard et beaucoup d’autres skieurs sont déposés régulièrement en téléphérique ou en hélicoptère sur les crêtes alpines et doivent redescendre en courant dans la vallée, munis d’un sac à dos lesté. C’est une manière comme une autre d’effectuer un travail d’endurance de force dans un registre de contraction excentrique sur une base aérobie. C’est le lancement de ce que sera plus tard la préparation physique très élaborée du skieur. En athlétisme, à la même époque, en hiver, les sprinters jouaient au rugby ou au handball à onze et les sauteurs se tournaient vers le basket-ball en attendant une météorologie plus favorable à la pratique quotidienne de l’athlétisme. Ainsi, bien souvent, c’est l’insuffisance des installations sportives en quantité ou en qualité, qui a amené les entraîneurs à développer des activités ayant pour objectif de ne pas stopper toute activité à la saison morte. Un mal pour un bien… Vers une préparation physique spécifique Autre exemple, le judoka Laurent Del Colombo, étudiant à l’INSEP au début des années 1980, avec son camarade d’entraînement Fabien Canu, demande à Michel Pradet, un de leurs enseignants, de leur concocter un programme de préparation physique en adéquation avec les filières énergétiques sollicitées en judo. La préparation physique est incluse dans le programme d’entraînement et n’est, en aucun cas, un simple rajout occasionnant une fatigue supplémentaire. La démarche est audacieuse car, à l’époque, s’entraîner de façon différente, c’est rompre une tradition. Fabien est devenu champion du monde de judo et Laurent fut le préparateur physique de David Douillet. Quelques années plus tard, Jacques Dechoux imagine des séances de préparation physique qui ont pour objectifs de permettre à Philippe Candeloro de ne pas craindre de s’engager dans un mouvement difficile et de ne pas subir la fatigue d’une prestation de 4’30’’ dans laquelle il se livre corps et âme. La recherche de spécificité dans l’entraînement a généré des inventions remarquables. Ainsi, en aviron, on utilise depuis longtemps une mécanique de substitution permettant de simuler l’effort hors du plan d’eau : le rameur (voir photos cicontre). Certes, en l’absence de rames (appareil à traction centrale), le sportif ne reproduit pas avec exactitude la manipulation fine de la pelle, mais la pratique sur cet appareil lui permet d’entretenir en salle sa condition physique (ressources aérobies). Le système est d’ailleurs si ingénieux que toutes les salles de musculation sont désormais équipées de rameurs et que beaucoup de sportifs, quelle que soit leur spécialité, les utilisent. Et, pardelà le cadre de la performance sportive, cet appareil séduit également nombre de personnes désireuses de s’entretenir car il sollicite un grand nombre de groupes musculaires et offre une alternative au tapis roulant, au vélo ou à l’elliptique. Ces quelques exemples montrent que la préparation physique est devenue omniprésente dans la pratique sportive, car elle est indissociable de la construction d’un champion, particulièrement dans sa préparation en amont de toute compétition. Comme nous le verrons au chapitre 2, elle n’est plus l’apanage des seuls sportifs professionnels ou de haut niveau. Elle intègre le champ médical, se pratique dans les salles de sport, en tant qu’activité physique d’entretien, et, par extension, investit le monde de l’école. 14 PP-0-PART1-p001-044.indd 14 28/01/14 14:40
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