La propri´et´e de Sperner Anna Ferretti 10 avril 2014 Dans ce travail on va s’occuper d’un probl`eme de th´eorie des ensembles : pour un ensemble ` a n ´el´ements, quel est la collection la plus grande de sous-ensembles telle que aucun des sous-ensembles choisis n’est contenu dans un autre de cette collection. Ce probl`eme ´equivaut `a dire que l’alg`ebre bool´eenne Bn poss`ede la propri´et´e de Sperner (Th´eor`eme de Sperner). On donnera donc des preuves de ce Th´eor`eme en entroduisant les notions d’ensemble partiellement ordonn´e (poset) et d’alg`ebre bool´eenne. Ce travail se base sur le livre de Richard P. Stanley [1, p.31-41]. Tout d’abord quelque rappels. D´ efinition. Un ensemble partiellement ordonn´ e P est un ensemble fini, avec une relation binaire (not´ee ≤) qui satisfait les axiomes suivants : 1) x ≤ x pour tout x ∈ P (r´eflexive) 2) Si x ≤ y et y ≤ x, alors x = y (antisim´etrique) 3) Si x ≤ y et y ≤ z, alors x ≤ z (transitive). D´ efinition. Soit S un ensemble `a n ´el´ements et soit P l’ensemble de tous les sous ensembles de S. Alors P est appel´e alg` ebre bool´ eenne (finie) de rang n et est not´e avec Bs . Dans le cas sp´ecifique o` u S = {1, 2, ..., n} on notera simplement Bn . Il existe une fa¸con de repr´esenter les poset avec un dessin ; ceci est appel´e diagramme de Hasse. Dans ce diagramme les ´el´ements de P sont repr´esent´es par les sommets. Si x < y dans P , alors y sera dessin´e ”en dessus” de x. Ensuite on dessine une arˆete entre x et y, si y recouvre x (i.e. x < y et il n’y a pas d’´el´ement z ∈ P satisfaisant x < z < y). Pour mieux comprendre on peut regarder l’exemple pour le diagramme de Hasse de B3 1. On dit que deux poset P et Q sont isomorphes s’il existe une bijection φ : P → Q telle que pour x, y ∈ P , x ≤ y si et seulement si φ(x) ≤ φ(y) dans Q. On peut voir ¸ca en disant que deux poset sont isomorphes si les diagrammes de Hasse respectifs diff`erent seulement pour le nom des ´el´ements. D´ efinition. Une chaˆıne C dans un poset P est un sous-ensemble de P totalement ordonn´e, c’est-` a-dire, pour x et y ∈ C on aura soit x ≤ y soit y ≤ x. 2 Figure 1 – Le diagramme de Hasse de B3 [1, p.34] Une chaˆıne finie est de longueur n si elle contient n + 1 ´el´ements. Une telle chaˆıne est de la forme x0 < x1 < ... < xn . Un poset fini est ”grad´ e” de rang n si toute chaˆıne maximale est de longueur n (o` u une chaˆıne maximal est une chaˆıne qui n’est pas contenue dans une plus longue chaˆıne). Par exemple l’alg`ebre bol´eenne Bn est ”grad´ee” de rang n. Soit P ”grad´e” de rang n et soit x ∈ P . On dira que x est de rang j si la chaˆıne la plus longue de P , avec x comme dernier ´el´ement, est de rang j. Le rang de x sera not´e ρ(x) = j. Le i-` eme niveau de P est d´efini par Pj := {x ∈ P : ρ(x) = j}. On obtient alors que P est une union disjointe P = P0 ∪ P1 ∪ ... ∪ Pn et que chaque chaˆıne maximale de P est de la forme x0 < x1 < ... < xn o` u ρ(xj ) = j. On notera pj = |Pj |. Exemple. Soit P = Bn , alors ρ(x) = |x| (la cardinalit´e de x vu comme ensemble) et n pj = . j On dit qu’un ensemble ”grad´e” P de rang n est : – rang-sym´ etrique, si pi = pn−i pour 0 ≤ i ≤ n – rang-unimodal, si p0 ≤ p1 ≤ ... ≤ pj−1 ≤ pj ≥ pj+1 ≥ pj+2 ≥ ... ≥ pn pour un certain 0 ≤ j ≤ n. La suite des rangs p0 , p1 , ..., pn est aussi appel´ee sym´ etrique ou unimodal (selon le cas). Exemple. L’ensemble Bn est rang-sym´ etrique et rang-unimodal. C’est clair, car la suite n0 , n1 , ..., nn (la n-i`eme ligne du triangle de Pascal) est sym´etrique et unimodale. 3 D´ efinition. Une antichaˆıne dans un poset P est un sous-ensemble A de P dans lequel aucun ´el´ement n’est comparable `a un autre, c’est-`a-dire, on ne peut jamais avoir x, y ∈ A avec x < y. Par exemple, dans un poset P les niveaux Pj sont des antichaˆınes. Le probl`eme est maintenant de trouver l’antichaˆıne la plus longue dans un poset P. Consid´erons l’alg`ebre bol´eenne Bn . Le probl`eme de trouver la plus longue antichaˆıne dans Bn est ´equivalent au probl`eme auquel on s’interesse dans ce travail : pour un ensemble ` a n ´el´ements, trouver le nombre maximal de sous-ensembles tel que aucun de ces sous-ensembles n’est contenu dans un autre choisi. Pour r´esoudre ce probl`eme on pourrait prendre tous les sous-ensembles de car- n dinalit´e bn/2c (la partie enti`ere de n/2). Cela nous donnerait un total de bn/2c sous-ensembles, correspondant `a la cardinalit´e du plus grand niveau Pj de Bn . La difficult´e est de montrer qu’il n’existe pas une plus grande collection de sous-ensembles satisfaisant les crit`eres du probl`eme. D´ efinition. Soit P un poset ”grad´e” de rang n. On dira que P poss` ede la propri´ et´ e de Sperner ou que P est un poset Sperner si max{|A| : A est une antichaˆıne de P } = max{|Pj | : 0 ≤ j ≤ n}. En d’autres mots, il n’existe pas d’antichaˆıne plus longue que le niveau Pj avec le plus grand nombre d’´el´ements. Remarque. Si P est un ensemble de Sperner, alors il peut quand mˆeme y avoir des antichaˆınes de cardinalit´e maximal qui ne correspondent pas au niveau Pj le plus grand. La propri´et´e de Sperner nous dit seulement qu’il ne peut pas exister d’antichaˆınes plus longues. Exemple. Voici un exemple de poset P qui ne satisfait pas la propri´et´e de Sperner. Figure 2 – Le diagramme de Hasse d’un poset P [1, p. 36] En effet, max{|A| : A antichaˆıne de P } = 4 6= 3 = max{|Pj | : 0 ≤ j ≤ 1}. Apr`es la d´efinition ci-dessus, on peut dire que r´esoudre notre probl`eme ´equivaut a montrer le Th´eor`eme de Sperner : ` 4 Th´ eor` eme 0.1. L’alg`ebre bool´eenne Bn est un ensemble de Sperner. En effet, si Bn poss`ede la propri´et´e de Sperner on a que la plus longue antichaˆıne n dans Bn a la mˆeme cardinalit´e du plus grand niveau de Bn , donc |A| = bn/2c et on a resoulu notre probl`eme ! Il existe trois preuves c´el`ebres du Th´eor`eme de Sperner. La premi`ere qu’on va d´ecrire est celle due ` a Emanuel Sperner en 1927 et utilise l’alg`ebre lin´eaire ; la deuxi`eme trouv´ee par David Lubell en 1966 utilise des arguments de combinatoire ; la troisi`eme est aussi de type combinatoire, mais utilise l’id´ee de la premi`ere preuve. D´emonstration. 1. Pour la premi`ere preuve la proc´edure `a suivre sera expos´ee, mais les diff´erentes assertions ne seront pas d´emontr´ees. Pour commencer on d´efinit un ”order matching” µ : Pi → Pi+1 comme ´etant une fonction injective satisfaisant x < µ(x) pour tout x ∈ Pi . On remarque que si un tel ”order-matching” existe, alors pi ≤ pi+1 (car µ est injective). Le contraire est pourtant faux : si pi ≤ pi+1 , c’est pas sˆ ur qu’il existe un ”ordermatching” de Pi vers Pi+1 . De mani`ere similaire on d´efinit un ”order-matching” µ : Pi → Pi−1 comme ´etant une fonction injective satisfaisant x > µ(x) pour tout x ∈ Pi . Pour d´emontrer notre Th´eor`eme de Sperner on utilise la proposition suivante qui nous dit que des poset avec une certaine propri´et´e sont Sperner. Proposition 0.2. Soit P un poset ”grad´e” de rang n. S’il existe un entier 0 ≤ j ≤ n et des ”order-matchings” P0 → P1 → P2 → ... → Pj ← Pj+1 ← Pj+2 ← ... ← Pn alors P est rang-unimodal et Sperner. Il faut maintenant prouver que cette proposition peut ˆetre appliqu´ee `a l’alg`ebre bool´eenne Bn . Pour faire ¸ca on utilise le Lemme suivant nous garantissant que, sous certaines conditions, pour un poset P de rang n, il existe des ”ordermatchings” µ : Pi → Pi+1 et µ : Pi+1 → Pi . Lemme 0.3. Soit RPi l’espace vectoriel r´eel form´e par toutes les combinaisons lin´eaires des ´el´ements de Pi . i) Supposons qu’il existe une transformation lin´eaire U : RPi → RPi+1 injective telle que U est un ”order-raising operator”, c’est-` a-dire, telle que pour tout x ∈ Pi , U (x) est une combinaison lin´ e aire d’´ e l´ e ments y ∈ Pi+1 satisfaisant P x < y (on aurait U (x) = y>x cy y, pour cy ∈ R). Alors il existe un ”order-matching” µ : Pi → Pi+1 . ii) De mani`ere similaire, supposons qu’il existe une transformation lin´eaire U : RPi → RPi+1 surjective qui est un ”order-raising operator”. Alors il existe un ”order-matching” µ : Pi+1 → Pi . ` ce moment il faut appliquer le Lemme `a l’alg`ebre bool´eenne Bn . Ensuite on A pourra directement appliquer la proposition et on obtient que Bn est Sperner ! 5 Pour faire ¸ca il faut d´efinir une transformation lin´eaire Ui : R(Bn )i → R(Bn )i+1 pour chaque 0 ≤ i < n, tel qu’elle satisfait les propri´et´ees du Lemme. On va d´efinir Ui de la mani`ere la plus simple : pour x ∈ (Bn )i soit X Ui (x) = y. y∈(Bn )i+1 ,y>x Par d´efinition notre Ui est d´ej` a un ”order-raising operator”. On veut alors montrer que Ui est injective pour i < n/2 et surjective pour i ≥ n/2. Pour cela il y a le Th´eor`eme suivant : Th´ eor` eme 0.4. L’op´erateur Ui , d´efinit comme ci-dessus, est injectif pour i < n/2 et surjectif pour i ≥ n/2. On peut donc utiliser l’op´erateur Ui d´efinit avant pour appliquer le Lemme `a l’alg`ebre bool´eenne Bn et c’est bon :) Cette premi`ere d´emonstration est tr`es indirecte et longue. Lubell a essay´e de resoudre c¸a autrement et on va maintenant donner sa preuve (beaucoup plus courte, simple et jolie). D´emonstration. 2. On sait que le nombre maximal d’´el´ements d’un niveau Pj n de Bn est bn/2c . Les niveaux sont des antichaˆınes, donc pour une antichaˆıne A de cardinalit´e maximale on a n |A| ≥ . bn/2c n Ce qu’il faut montrer maintenant est |A| ≤ bn/2c . On commence par compter le nombre total de chaˆınes maximales ∅ = x0 < x1 < ... < xn = {1, ..., n} dans Bn : il y a n choix pour x1 , ensuite n − 1 choix pour x2 et ainsi de suite. En total il y a donc n! chaˆınes maximales. Ensuite il faut compter le nombre total de chaˆınes maximales ∅ = x0 < x1 < ... < xi = x < xi+1 < ... < xn = {1, ..., n} qui contiennent un ´el´ement x donn´e, de rang i. Il y a i choix pour x1 , i − 1 choix pour x2 , jusqu’`a un choix pour xi = x. Ensuite il y a n − i choix pour xi+1 , n − i − 1 choix pour xi+2 , etc. jusqu’`a un choix pour xn . Le nombre de chaˆınes maximales contenant x est donc i!(n − i)!. Maintenant soit A une antichaˆıne. Pour x ∈ A soit Cx l’ensemble des chaˆınes maximales de Bn qui contiennent x. Puisque x ∈ A, les ensembles Cx sont deux ` a deux disjoints (par la d´efinition d’une antichaˆıne). En effet pour tout x1 , x2 ∈ A : toute chaˆıne c ∈ Cx1 contient x1 . Cela implique que c ne contient pas x2 . De mˆeme, toute chaˆıne c0 ∈ Cx2 contient x2 . Donc c 6= c0 pour tout c ∈ Cx1 , c0 ∈ Cx2 . Vu que les Cx sont disjoints on obtient : [ X X | Cx | = |Cx | = (ρ(x))!(n − ρ(x))! x∈A x∈A x∈A Le nombre de chaˆınes maximales dans les Cx ne peut pas d´epasser le nombre total de chaˆınes maximales dans Bn , qui a ´et´e calcul´e comme ´etant n!. On a donc X (ρ(x))!(n − ρ(x))! ≤ n!. x∈A ´ ERENCES ´ REF 6 On divise par n! des deux cˆ ot´es et on obtient X 1 ≤ 1. n x∈A ρ(x) n Le coefficient binomial i atteint son maximum en i = bn/2c. Cela nous donne 1 ≤ n1 pour tout x ∈ Bn . En revenant `a notre calcul on obtient n (bn/2c ) (ρ(x)) X X 1 1 ≤ ≤1 n n x∈A bn/2c x∈A ρ(x) ce qui est ´equivalent ` a n |A| ≤ . bn/2c On a donc obtenu ce qu’on voulait. Le Th´eor`eme de Sperner est ainsi d´emontr´e ! La troisi`eme preuve reprend l’id´ee de la premi`ere en utilisant les ”order-matchings”. D´emonstration. 3. Dans cette d´emonstration on d´efinit explicitement un ”ordermatching” µ : (Bn )i → (Bn )i+1 pour i < n/2 de la mani`ere suivante. Chaque S ∈ (Bn )i est repr´esent´e par une suite de +1 et −1, construite en prenant une suite (a1 , a2 , ..., an ) o` u aj = 1 si j ∈ S et aj = −1 si j n’appartient pas `a S. Dans cette s´equence on remplace ensuite chaque +1 et −1 cons´ecutifs par deux z´eros 00. On r´ep`ete se processus, en ignorant les 00, jusqu’`a quand il n’y a plus rien ` a remplacer. On d´efinit alors µ(S) = S ∪ {k} o` u k repr´esente la derni`ere position occup´ee par un −1. µ d´efinie de cette mani`ere nous donne bien un ”order-matching”. Ensuite, si on relie tous les ”order-matchings” pour i < n/2 et on les relie aussi, par une construction sym´etrique, aux ”order-matchings” (Bn )i → (Bn )i−1 pour i > n/2 on obtient les order-matchings de la Proposition 0.2 (Bn )0 → (Bn )1 → (Bn )2 → ... → (Bn )j ← (Bn )j+1 ← (Bn )j+2 ← ... ← (Bn )n et on a d´emontr´e que Bn est Sperner. Dans ce travail on a ainsi d´emontr´e un important probl`eme de la Th´eorie des ensembles, celui o` u pour un ensemble `a n ´el´ements il faut trouver la collection avec le plus grand nombre de sous-ensembles tel que aucun des sous-ensembles soit contenu dans un autre de cette collection. Le Th´eor`eme de Sperner est ´equivalent ` a r´esoudre ce probl`eme, donc on en a donn´e quelque preuve. La premi`ere (due ` a Sperner) a ´et´e illustr´ee pour son importance dans d’autres r´esultats de combinatoire. En effet, dans certains cas on ne connaˆıt pas de preuves simples et directes, donc les ”order-raising operators” Ui et le Th´eor`eme 0.4 de la premi`ere d´emonstration se r´ev`elent tr`es utiles. R´ ef´ erences [1] Richard P. Stanley. Algebraic Combinatorics. Undergraduate Texts in Mathematics. Springer, New York, 2013.
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