Histoire des arts A Mlynski Le déserteur (1) Boris Vian Introduction : Document : Chanson qui se présente sous la forme d'un poème de 3 stophes de 16 vers ; les vers comportent six syllabes et les rimes sont embrassées. ( L'arrangement est confié au pianiste Harold B. Berg . Je n'ai pas insisté sur ce point) L'auteur : Boris Vian, est un ingénieur de l'école centrale touche à tout sur le plan artistique : trompettiste et critique de jazz, il est aussi parolier et écrivain, traducteur d'oeuvres américaines et scénariste. Ses romans les plus connus sont L'écume des jours ( récemment adapté au cinéma avec A Tautou et R Durris) et L'arrache cœur. Son œuvre littéraire peu connue de son vivant a été saluée dans les années 1960/1970 et fait partie des classiques étudiés au lycée. Contexte : Ecrite en 1954, cette chanson interprétée par Mouloudji sort en pleine débâcle de la France dans la guerre d'Indochine (défaite de Dien Bién Phu) alors que se profile la guerre d'Algérie. Son ton pacifiste voire subversif suscite des manifestations et malgré quelques modifications la chanson est interdite sur les radios jusqu'en 1962 (fin du conflit avec l'Algérie) Etude du texte : A) Une lettre émouvante : • La simplicité du ton :- la formule d'appel (« Monsieur le président je vous fais une lettre » v 1 et 2) - le voc courant ( «Je vous fais une lettre » v 2 « Je ne veux pas la faire »...v 10) - les tournures familières : v 16 « Je m'en vais déserter » « Cest pas pour vous fâcher » v 13 L'expéditeur s'adresse d' homme à homme ( « Il faut que je vous dise » v14) avec un interlocuteur qu'il respecte dans un premier temps ( v1 ) - Peu de figures de style ( une métaphore « les années mortes) , juste des anaphores sur deux vers qui montrent l'entêtement de celui qui cherche à convaincre avec de simples constats : v 18-19 « J'ai vu mourir … v23-24 « Et se moque des bombes v 26-27 « On m'a volé ma femme J'ai vu partir ... » Et se moque des vers » On m'a volé mon âme » • Universalité des chagrins évoqués : - v 18à 20 « J'ai vu mourir mon père J'ai vu partir mes frères Et pleurer mes enfants » les deux guerres mondiales et les guerres coloniales se succèdent sans laisser de répit : chaque génération est concernée et doit se sacrifier. ⁃ la guerre sépare et désunit les familles : v 25-26 « Quand j'étais prisonnier On m'a volé ma femme » ⁃ La guerre laisse des traumatismes irrévocables : v20 « Et pleurer mes enfants » Pour les proches v 21-22 « Ma mère a tant souffert Elle est dedans sa tombe » Pour les soldats qui subissent tous les mêmes séquelles de retour du front : « On m'a volé mon âme Et tout mon cher passé » v 26-27 On retrouve le thème du déracinement, de la perte de repères du soldat qui ne parvient plus à se réinsérer dans la vie civile surtout quand il a perdu son foyer. B) Une lettre engagée • L'expéditeur exprime clairement ses opinions : v 9-12 « « Monsieur le président Je ne veux pas la faire Je ne suis pas sur terre Pour tuer des pauvres gens » Il se présente comme un objecteur de conscience qui refuse de tuer sur commande.. En réponse à ses détracteurs, B Vian écrit dans une lettre ouverte « Jamais je n'insulterai des hommes comme moi, des civils, que l'on a revêtu d'un uniforme pour pouvoir les tuer comme de simples objets, en leur bourrant le crâne de mots d'ordre vides et de prétextes fallacieux. Se battre sans savoir pourquoi on se bat est le fait d'un imbécile et non celui d'un héros. • Il emploie l'indicatif et non pas le conditionnel ou le subjonctif pour évoquer l'avenir, car il est certain de ses convictions malgré le grand tournant qu'implique sa décision: v 15-16 « Ma décision est prise v29-30 « Demain de bon matin Je m'en vais déserter » Je fermerai ma porte » • Pour militer pour sa cause pacifiste, le héros renonce à une vie tranquille et s'expose à une grande précarité : v31-32 « J'irai sur les chemins Je mendierai ma vie » Il sera aussi sanctionné par la loi,la police puis la justice se chargeront de le poursuivre. • Mais en imaginant cette lettre, B Vian répond implicitement à l'accusation de lâcheté qui commente toute désertion. En adressant cette lettre aux autorités, le déserteur ne fuit pas mais revendique son choix et le justifie. • La fin du texte prévue initialement par B Vian était « Prévenez vos gendarmes Que je tiendrai une arme Et que je sais tirer « Mouloudji a réussi à convaincre B Vian de modifier la chute du texte si bien que le message pacifiste est beaucoup plus cohérent et que le déserteur est présenté comme une (future ?) victime facile d'un pouvoir qui a recours à la force. C) Une lettre subversive • Le projet du déserteur n'est pas d'échapper individuellement à son destin mais de convaincre les autres de se rebeller, c'est pourquoi cette lettre a fait polémique : L'anaphore « Refusez d'obeir Refusez de la faire N'allez pas à la guerre Refusez dee partir » v 37-40 • Par ailleurs , le pouvoir, désigné par le Président (changé un temps en « Messieurs qu'on nomme grands » pour se concilier la censure) est montré comme loin du peuple, indifférent aux répercussions qu'entraîne ses décisions. v2-4 «Je vous fais une lettre Que vous lirez peut-être Si vous avez le temps » • Dans la dernière strophe, le ton est moins respectueux et devient provocateur puisque le déserteur défie celui qui représente l'autorité : v 41-44 « S'il faut donner son sang Histoire des arts Le déserteur (2) A Mlynski Boris Vian Allez donner le vôtre Vous êtes bon apôtre Monsieur le président » Conclusion : Avant B Vian, d'autres écrivains se sont exprimés dans des textes poétiques sur le thème de la guerre : G Apollinaire déplore celle de 14/18 entre autres dans « La colombe poignardée et le jet d'eau « ; les poètes de la résistance , Eluard, Aragon, Dersnos, inciteront les citoyens à predre les armes pour résiter à l'occupant en 39/45. B Vian, dans le contexte des guerres coloniales,écrit pour dénoncer des guerres qui ne lui paraissent pas légitimes, c'est pourquoi Vian préférait au mot « antimilitariste », le terme « procivil » : « Se battre sans savoir pourquoi on se bat est le fait d'un imbécile et non celui d'un héros ; le héros est celui qui accepte la mort lorsqu'il sait qu'elle sera utile aux valeurs qu'il défend » Boris Vian a rédigé d'autres chansons contre la guerre, « les joyeux bouchers » ou « La java des bombes atomiques » sur un mode humoritique et grinçant . Mais c'est cette lettre qui joue sur l'émotion pour porter un message de rebellion qui sera traduite en 40 langues et sera reprise aux Etats Unis pour s'opposer à la guerre du Vietnam (Joan Baez et le mouvement Peace and Love). En 1983, Renaud en proposera une autre version,plus soixante-huitarde dans l'esprit , plus provocante dans le ton, nettement antimilitariste avec un déserteur défenseur de valeurs écologi-ques. Il en écrira une nouvelle version pour s'opposer à la première guerre du Golfe. La chanson est un moyen de communication particulièrement efficace pour transmettre des convictions, reprise par un groupe elle s'avère particulièrement fédératrice : les hymnes nationaux, les chants révolutionnaires (Ah ça ira , Le temps des cerises) ou les chants de combat (Le chant des partisans) , les chants de supporters ( je ne connais pas les noms des airs chantés par les anglo-saxons dans les stades de rugby, mais ils y mettent du cœur...) en témoignent. La chanson de B Vian fait partie de ces chansons qui par sa clarté et sa simplicité, est reprise régulièrement et s'adapte à des contextes historiques ou géographiques différents.
© Copyright 2024 ExpyDoc