Thomas Meier est responsable de la filière eau potable des Services industriels bâlois (IWB) depuis 2010 et dirige la société Hardwasser AG depuis 2011. Cette double fonction lui permet d’exploiter les synergies entre les deux grands pourvoyeurs d’eau potable de la région de Bâle. [email protected] Recharge artificielle des aquifères bâlois à partir du Rhin Pour s’approvisionner en eau potable, Bâle alimente artificiellement la nappe phréatique avec de l’eau prélevée dans le Rhin. Si cette source est quasiment inépuisable, elle n’est pas sans danger puisque toute pollution chimique du fleuve risque d’affecter la qualité de l’eau captée. Pour prémunir la ville des contaminations, un système de surveillance de l’eau brute intégré à un dispositif d’alerte intercantonal a été mis en place. Les aquifères de Lange Erlen (Services industriels de Bâle, IWB) et de la Hard (Hardwasser AG) approvisionnent près de 220 000 personnes en eau potable à Bâle-Ville, Riehen, Bettingen, Binningen et Allschwil. Les processus mis en œuvre sur les deux sites pour obtenir l’eau distribuée sont très similaires et se basent en premier lieu sur un prélèvement d’eau dans le Rhin (Fig.1). Dans la Hard, l’eau fluviatile reçoit un prétraitement supplémentaire dans des bassins de sédimentation, ce qui permet de pratiquer l’infiltration même en cas de forte turbidité du Rhin. Au total, près de 27 500 000 mètres cubes d’eau potable sont produits chaque année sur ces deux sites dans cette région densément peuplée du Nord-Ouest de la Suisse (Fig. 2). Bien que les deux producteurs d’eau potable réalimentent tous deux leur aquifère avec de l’eau du Rhin, ils le font pour différentes raisons. A Lange Erlen, la recharge artificielle est motivée par l’insuffisance des apports naturels provenant du bassin de la Wiese. Ce problème a été mis en évidence il y a déjà plus d’une centaine d’années et de premiers essais de réalimentation ont été effectués dès cette époque en prélevant de l’eau dans divers cours d’eau de la plaine de la Wiese. Mais ni la filtration sur sable à l’air libre ni Rhin Station de pompage de l’eau brute fluviatile Pré-filtration rapide Zone d’infiltration boisée l’aspersion sur des surfaces herbeuses n’ont donné satisfaction, si bien que la stratégie de recharge artificielle de la nappe n’a été appliquée que de façon sporadique pendant des décennies. Protection qualitative de la ressource La société Hardwasser AG pratique la recharge artificielle de la nappe non seulement pour augmenter le volume d’eau souterraine exploitable mais également pour protéger la ressource d’un certain nombre de nuisances. En effet, le site de la Hard est encerclé par la gare de triage, l’autoroute, la zone industrielle de Schweizerhalle, le port de Auhafen (transbordement de produits pétrochimiques du fleuve au rail) et les trois décharges de Muttenz (Fig. 2). La quantité d’eau artificiellement infiltrée est deux fois plus importante que celle captée : alors que l’exploitant prélève environ 14 000 000 m 3 d’eau par an dans la nappe, il injecte 32 700 000 m3 d’eau du Rhin. Cet excédent provoque la formation d’un dôme piézométrique qui empêche l’arrivée d’écoulements souterrains potentiellement contaminés en provenance des terrains environnants. Pour que ce système fonctionne, l’eau brute est traitée de façon à ce que les prélèvements dans le Rhin restent possibles même en conditions de forte turbidité. Avant Nappe phréatique Puits de captage Nappe phréatique Fig. 1 : La chaîne « naturelle » de potabilisation de l’eau du Rhin sur le site de Lange Erlen. 26 Neutralisation / Filtration au charbon actif Consommateurs Réservoir d’eau potable Journée d’info 2014 Site de Lange Erlen Bâle Site de la Hard Fig. 2 : La région bâloise et les deux sites d’alimentation de Lange Erlen et de Muttenzer Hard. d’être infiltrée, l’eau fluviatile subit un apport de floculant qui permet de la débarrasser de ses matières en suspension par décantation puis filtration sur sable. Grâce à ce prétraitement, l’infiltration n’est jamais interrompue sauf en cas de pollution chimique du Rhin où elle peut être suspendue pendant quelques jours. La carte des hydro-isohypses (Fig. 3) présente les caractéristiques de la nappe de la forêt de la Hard. Les captages sont situés au nord tandis que l’infiltration d’eau fluviatile empêche la pénétration naturelle d’eau souterraine par le sud. Malgré sa surface modérée, le système de fossés (700 m2) et d’étangs (4000 m2) de la Hard permet l’infiltration de la quantité colossale de 2 970 000 litres d’eau par mètre carré et par an. C’est 3400 fois plus que la quantité moyenne annuelle de précipitations de la région bâloise (870 l/m2 entre 1977 et 2013). La couche superficielle d’infiltration (Fig. 4) est constituée de sables et de graviers et doit être nettoyée en surface deux fois par an. En raison de son colmatage et de la pénétration progressive de la pollution, IWB Hardwasser AG Fig. 3 : Les lignes de niveau (isohypses) indiquent la répartition de l’eau souterraine sous la forêt de la Hard. En orange : captage. Fig. 4 : Fossé d’infiltration dans la forêt de la Hard (à gauche) et système d’inondation de Lange Erlen (à droite). 27 elle doit par ailleurs être totalement renouvelée tous les 10 à 12 ans afin d’éviter que les contaminations n’atteignent le sol graveleux naturel. 10 jours d’exploitation, 20 jours de régénération Le système de recharge artificielle de Lange Erlen est basé sur l’inondation périodique de surfaces boisées (Fig. 4) qui permet l’infiltration d’environ 100 000 litres d’eau par mètre carré et par an. Pour éviter un colmatage du sol, les champs d’inondation ne sont submergés que pendant 10 jours après quoi ils sont laissés à sec pendant 20 jours pour se régénérer. Le site de Lange Erlen présente huit zones d’infiltration divisées en deux ou trois champs d’inondation chacune. Ce dispositif est complété de trois champs d’inondation isolés qui sont utilisés en combinaison avec les autres. Pendant les 20 jours de séchage, les microorganismes et la macrofaune du sol régénèrent le milieu édaphique. A nouveau aéré, il conserve sa capacité d’absorption pendant de nombreuses années. L’entretien des zones d’infiltration se limite à celui du peuplement forestier. Il doit impérativement être composé d’essences qui supportent les variations hydrométriques du sol. En été, le couvert fournit une ombre qui évite un réchauffement excessif de l’eau en cours d’infiltration et, de ce fait, un développement algal indésirable. Les arbres sont d’autre part sources de litière qui sert de nourriture à la microfaune et à la macrofaune du sol et de sa surface. A l’origine, l’aquifère de Lange Erlen était artificiellement alimenté avec de l’eau prélevée dans la Wiese (rivière prenant sa source au Feldberg, en Forêt-Noire) et dans ses affluents. Après une succession d’étiages sévères dans cette rivière dans les années 1940, il a été décidé en 1962 d’aménager une prise d’eau dans le Rhin complétée d’un système de préfiltration rapide sur sable. Cette installation a été mise en service quatre ans après celle de la société Hardwasser AG. Risques de contaminations Depuis que l’eau d’infiltration est prélevée dans le Rhin, les deux sites d’alimentation en eau potable disposent de réserves d’eau brute quasiment illimitées. A l’heure actuelle, Hardwasser AG et IWB prélèvent à eux deux environ 0,14 % de l’écoulement rhénan (pour un débit moyen de 1050 m3 /s calculé pour la période 1891 à 2012). Même à régime très réduit – minimum de 300 m 3 /s pendant l’hiver 1963 –, la qualité d’eau brute disponible reste suffisante. En été, alors que la température du Rhin peut atteindre 24 °C, l’eau se rafraîchit lors de son passage dans le sol et redescend à 12 – 17 °C dans la nappe. La filtration par le sol forestier a également un impact positif sur la qualité de l’eau : Elle réduit de moitié la teneur en carbone organique total (COT) et en germes pathogènes. Ces derniers sont fortement représentés dans l’eau du Rhin (germes aérobies mésophiles : en moyenne 7500 unités formant colonie (UFC) par ml ; E. coli : en moyenne 240 UFC/100 ml) [1]. Mais l’eau fluviale peut également introduire des polluants chimiques dans la zone d’alimentation de la nappe phréatique. La prise d’eau des IWB, notamment, qui est située dans le ré- 28 servoir de la centrale hydroélectrique de Birsfelden, est exposée aux émissions du port de Auhafen et des zones industrielles de Schweizerhalle et de Grenzach (Allemagne). Selon la nature des micropolluants présents, la nappe peut être contaminée pendant des années. C’est par exemple ce qui s’est produit avec le chlorobutadiène qui était présent à des concentrations élevées dans le Rhin dans les années 1970 [2]. Alors que ce composé n’est généralement plus détectable dans le fleuve à l’heure actuelle, l’eau souterraine analysée dans la forêt de la Hard et au Lange Erlen en contient encore entre 10 et 200 nanogrammes par litre. Etant donné que la toxicité de ce composé est mal connue mais qu’il est soupçonné de génotoxicité, le laboratoire cantonal de BâleCampagne a décidé en 2007 de traiter l’eau captée sur ces sites au charbon actif avant de la distribuer. Des installations de traitement adaptées ont été aménagées sur les deux sites en 1988 et en 2013 et sont constamment en service. L’eau brute sous haute surveillance Pour apprécier et contrôler la qualité de l’eau souterraine infiltrée, un vaste programme de surveillance de l’eau brute a été mis en place ces dernières années dans la région de Bâle. Il est basé sur une gestion numérique de données d’analyse enregistrées en continu (Fig. 5) et sur un screening régulier de l’eau du Rhin par chromatographie gazeuse couplée à la spectrométrie de masse (GC-MS) effectué au laboratoire. Le Tableau 1 indique les analyses intégrées au système de surveillance continue et précise leurs apports en termes de monitoring. Les paramètres et valeurs mesurés sont compilés dans une base de données, ce qui permet de suivre l’évolution de la qualité de l’eau et de détecter les anomalies éventuelles en temps réel. Un dispositif d’alerte est couplé au système : en cas de dysfonctionnement grave, il est en mesure de stopper automatiquement la prise d’eau dans le Rhin. Grâce à la sensibilité croissante des techniques d’analyse, de plus en plus de composés sont détectables. La difficulté consiste alors à interpréter les données d’analyse et à définir les mesures à prendre en fonction des valeurs. Le développement du système de transmission et de gestion automatique des données est une priorité puisqu’il est seul garant d’une détection en temps réel des perturbations de la qualité de l’eau brute. Les mesures automatiques sont complétées par des analyses de contrôle quotidiennes effectuées au laboratoire. Elles visent d’une part la détermination des paramètres généraux (anions, cations, etc.) et d’autre part la détection des substances présentes à très faible concentration soit par analyse individuelle ou ciblée, soit par screening ou analyse nonciblée. Le screening ne permet pas de déterminer la concentration individuelle des substances mais livre une bonne appréciation qualitative de l’eau du Rhin. L’approche par substance permet de son côté d’obtenir une image quantitative. En raison du temps demandé par les analyses, l’évaluation de la qualité de l’eau qu’elle autorise est nécessairement rétrospective. Elle présente tout de même un grand intérêt pour la surveillance de l’eau brute puisqu’elle permet une caractérisation précise des pollutions éventuelles de la chaîne de production d’eau Journée d’info 2014 Procédé Objectif Mesure de la radioactivité Détection des modifications de la radioactivité du l’eau du Rhin (rayonnement gamma), identification des radionucléides présents. Biomonitoring Détermination de la toxicité de l’eau pour les organismes aquatiques (de façon indifférenciée pour l’ensemble des composés présents). Les IWB pratiquent des tests sur daphnies. Mesure de l’absorption UV-VIS (220 à 720 nm) / du SAC à 254 nm Mesure globale de la pollution de l’eau par les composés organiques dissous. Le paramètre mesuré est le coefficient d’absorption spectral (SAC à 254 nm). La quantité de lumière absorbée est directement liée à la concentration de certains composés organiques dans l’eau. Mesure du pH et de la température Paramètres généraux mesurés en continu. Leur enregistrement automatique permet de détecter toute modification en temps réel et d’alerter sur une détérioration de la qualité de l’eau. Dosage de l’oxygène dissous Paramètre sensible à la présence de substances biologiquement dégradables. Leur dégradation par les microorganismes fait augmenter la consommation d’oxygène dans l’eau. Mesure de la conductivité Paramètre indicateur de la présence de composés ioniques dissous. Mesure de la turbidité Contrôle surtout destiné à protéger les ouvrages (pompes, système de filtration rapide, surfaces d’infiltration dans la zone d’alimentation de la nappe). Echantillonnage pour le screening par GC-MS Prélèvement d’échantillons moyens journaliers destinés à une analyse de traces effectuée ultérieurement au laboratoire pour l’étude fine d’évènements particuliers. Tab. 1 : Techniques d’analyse utilisées pour surveiller la qualité de l’eau brute prélevée dans le Rhin. Conclusions Le prélèvement d’eau dans le Rhin est vital pour l’approvisionnement en eau potable de Bâle et de sa région puisque les aquifères ne présentent pas naturellement des volumes suffisants pour couvrir les besoins et sont potentiellement exposés à des pollutions latérales que seule une recharge artificielle permet d’éviter. L’eau du Rhin constitue une ressource quasiment illimitée mais sa qualité influence fortement les propriétés de l’aquifère dans lequel elle s’infiltre et donc la qualité de l’eau captée pour alimenter la population. Il est absolument primordial d’éviter toute intrusion de polluants dans la nappe. Pour s’en assurer, un programme de surveillance de l’eau brute basé sur des analyses de laboratoire et des mesures automatiques a été mis en place. D’autre part les gestionnaires sont connectés à un système d’alerte intercantonal. La qualité de l’eau du Rhin n’a cessé de s’améliorer ces dernières années et, abstraction faite des paramètres bactériologiques, elle répond même aux normes fixées pour l’eau potable. Dans une optique de protection de la ressource, cette évolution est très positive. IWB potable et en particulier de l’aquifère. En complément de leurs propres mesures, les IWB et Hardwasser AG sont informés des données recueillies par la station internationale de surveillance du Rhin de Weil am Rhein. La station gérée par le Service de l’environnement et de l’énergie du canton de Bâle-Ville mesure un grand nombre de paramètres et livre une information très complète de l’état du Rhin au moment où il quitte la Suisse vers le nord. Les deux producteurs d’eau potable font par ailleurs partie du système d’alerte mis en place pour le Rhin. En cas d’avarie en amont de la prise d’eau, les prélèvements peuvent être stoppés avant l’arrivée de la pollution. Enfin, les résultats des programmes de surveillance de la Commission internationale pour la protection du Rhin et de la Communauté des services des eaux du Rhin et du lac de Constance peuvent être consultés. Leurs séries de données permettent de suivre l’évolution de la qualité des eaux du Rhin au cours des décennies et de détecter l’émergence de nouveaux polluants.Etant donné que les deux sites de recharge artificielle de la nappe sont très dépendants de l’eau du Rhin, les possibilités de prélèvements complémentaires dans d’autres cours d’eau, dont la Wiese, sont actuellement à l’étude. Fig. 5 : Dispositif d’analyse automatique en continu de l’eau brute. [1] Rüetschi D. (2004): Basler Trinkwassergewinnung in den Langen Erlen – biologische Reinigungsleistungen in den bewaldeten Wässerstellen. Dissertation Universität Basel [2] Husmann W. (1676): Vom Wasser. Ein Jahrbuch für Wasserchemie und Wasserreinigungstechnik Band 47. Fachgruppe Wasserchemie in der Gesellschaft Deutscher Chemiker 29
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