Télécharger la newsletter pénale de Février 2014

NEWSLETTER
FEVRIER
EDITO
(DROIT
2014
PENAL)
Après avoir rejoint le cabinet J.P. Karsenty & Associés en janvier 2014, nous avons le plaisir de vous
faire part de cette 1ère Newsletter consacrée au droit pénal et au droit pénal des affaires.
Nous tenons à vous tenir informé des évolutions récentes en la matière. La pénalisation d’un nombre
croissant de domaines du droit appelle à une vision globale et à une vigilance accrue : les newsletters
se focaliseront tant sur les aspects de droit pénal au sens strict que sur les évolutions touchant les
autres domaines du monde de l’entreprise… Bonne lecture !
Thomas Ricard, Benjamin Mathieu, Matthieu Chirez
Anciens Secrétaires de la Conférence
Pénal
Rappel sur les conditions du cumul de qualifications pénales : Le cumul possible entre les délits
d’escroquerie et de faux et usage de faux
CASS., CRIM., 14 NOVEMBRE 2013, N°12-87991
Sur le fondement du principe non bis in idem,
interdisant de poursuivre une même personne deux fois
pour les mêmes faits, la prévenue soutenait que la fausse
signature n’était qu’un élément constitutif du délit
d’escroquerie et ne pouvait dès lors être constitutive en
sus du délit de faux. La chambre criminelle ne retient pas
cette interprétation, réaffirmant la distinction
traditionnellement opérée sur le fondement des intérêts
protégés et validée par la CEDH (Oliveira c/ Suisse, 30
juillet 1998, §22).
Interrogée sur la possibilité d’un cumul des qualifications
d’escroquerie et de faux et usage de faux, la chambre
criminelle rappelle sa jurisprudence constante selon
laquelle le cumul de qualifications est possible dès lors
que les valeurs ou intérêts protégés par les textes
d’incrimination sont distincts (voir par ex. cass., crim., 3
mars 1960).
En l’espèce une personne avait imité la signature de sa
mère et fourni les coordonnées bancaires de celle-ci afin
de contracter un crédit à la consommation, divers
abonnements (téléphonie, EDF-GDF) et un contrat
d’assurance automobile.
Condamnée des chefs
d’escroquerie et de faux et usage de faux, la prévenue
formait un pourvoi en cassation soulevant notamment le
moyen tiré de l’impossibilité pour un même fait,
autrement qualifié, d’entraîner une double déclaration
de culpabilité.
Lorsqu’une même valeur sociale est protégée par les
deux textes entrant en concours, une seule qualification
pénale pourra être retenue (par exemple l’homicide
volontaire et l’empoisonnement qui portent tout deux
atteinte à la vie). Cependant, lorsque les qualifications
concurrentes protègent des valeurs sociales ou des
intérêts distincts, il sera possible de retenir autant
d’infractions que de valeurs sociales atteintes.
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En l’espèce, le délit d’escroquerie sanctionne l’atteinte
portée à la propriété d’autrui tandis que le délit de faux
sanctionne les atteintes à la confiance publique, les
valeurs protégées étant distinctes la chambre criminelle
en conclu que la prévenue pouvait être déclarée
coupable des deux chefs de prévention.
d’emprisonnement encourue par la prévenue ne pouvait
être supérieure au maximum prévu pour l’une ou l’autre
des infractions, soit le maximum de 5 ans
d’emprisonnement prévu pour le délit d’escroquerie.
Le cas d’espèce concernant une escroquerie commise
par une personne à l’encontre de sa mère, l’immunité
familiale prévue pour le délit de vol (art. 311-12 C. pénal)
et applicable à l’escroquerie (art. 313-3 C. pénal) aurait
pu être soulevée, rendant a priori les poursuites pour
escroquerie impossibles en l’espèce.
Il est nécessaire de rappeler que si le cumul de
qualifications est dans certains cas possible, il est en
revanche prohibé de cumuler les peines correctionnelles
et criminelles de même nature. Ainsi, la peine
Pénal
Une avancée pour les droits de la défense lors de la garde à vue : la renonciation à l’assistance
d’un avocat n’est jamais définitive
CASS., CRIM., 5 NOVEMBRE 2013, N°13-82682
Par un arrêt de principe du 5 novembre 2013, la
Chambre criminelle de la Cour de cassation déduit de
l’article 63-3-1 du Code de procédure pénale, le droit de
toute personne gardée à vue de pouvoir bénéficier de
l’assistance par un avocat dès qu’elle en fait la demande,
quand bien même elle y aurait précédemment renoncé.
à être assisté d’un conseil, et que ce choix ne lui était à
nouveau ouvert qu’au moment de la prolongation de la
mesure de garde à vue.
La Cour de cassation, dans le cadre d’un pourvoi avec
examen immédiat, casse et annule cette décision pour
méconnaissance de l’article 63-3-1 du Code de
procédure pénale, considérant qu’il appartenait aux juges
du fond, après avoir constaté l’irrégularité des auditions
recueillies postérieurement à la sollicitation par le mis en
examen de l’assistance par un avocat, de les annuler et
d’étendre les effets de cette annulation aux actes dont
elles étaient le support nécessaire.
Dans cette espèce, une personne placée en garde-à-vue
avait déclaré, lors de la notification de ses droits, ne pas
souhaiter s’entretenir avec un avocat et renoncer à
bénéficier de l’assistance par un avocat. Par la suite,
prenant conscience de l’étendue des charges pesant sur
elle à l’occasion d’une audition, elle sollicita l’assistance
d’un conseil. Malgré cette demande, l’audition fut
poursuivie par l’officier de police judiciaire, celui-ci
refusant donc d’accéder à sa demande. Ce n’est qu’à
l’occasion de la prolongation de la mesure, plusieurs
heures plus tard, que le gardé-à-vue put finalement être
assisté d’un avocat.
L’apport le plus significatif de cet arrêt est l’affirmation
de principe selon laquelle le renoncement à l’assistance
par un avocat, à l’occasion d’une mesure de garde-à-vue,
n’est jamais définitif. La personne gardée à vue a ainsi la
possibilité de revenir sur sa renonciation à tout moment,
ce qui entraine l’interruption de l’audition en cours
jusqu’à la venue de l’avocat ou à tout le moins durant le
délai de 2 heures fixé par l’article 63-4-2.
Saisie d’une requête en nullité, la Chambre de
l’instruction la rejeta au motif que lors de la notification
de la garde-à-vue, le mis en examen n’avait pas demandé
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Pénal
L’abus de confiance pour les nuls : piqure de rappel de la Chambre criminelle
CASS., CRIM., 11 DÉCEMBRE 2013, N°12-86624
L’abus de confiance est une infraction technique qui
suscite de nombreuses interrogations doctrinales et a fait
l’objet de nombreuses interprétations jurisprudentielles.
L’arrêt rendu par la Chambre criminelle le 11 décembre
2013, sans remettre en cause la jurisprudence établie,
présente l’intérêt d’opérer une piqure de rappel
concernant plusieurs éléments clefs.
pu naître, le prévenu excipant d’une négligence de la part
des clients régulièrement informés des ventes de titres.
Sur la caractérisation des éléments constitutifs du délit
d’abus de confiance
L’abus de confiance est le fait de détourner au préjudice
d’autrui un bien quelconque qui lui a été remis à charge
de le rendre, de le représenter ou d’en faire un usage
déterminé. Il suppose donc pour être constitué
l’existence d’une remise — préalable, volontaire et
précaire quelconque — suivie d’un détournement au
préjudice d’autrui.
En l’espèce, une personne avait détourné les placements
financiers de plusieurs clients de la société d’assurance
pour laquelle elle travaillait tandis qu’elle avait la gestion
de ces placements. Les détournements, dont les
premiers remontent à 1994, n’ont été révélés qu’à
l’occasion d’un contrôle interne effectué par les services
de la société d’assurance en 2004.
En l’espèce, l’un des clients étant décédé antérieurement
aux faits de détournement, le prévenu soutenait que
qu’aucun abus de confiance ne pouvait être constitué dès
lors que les personnes victimes du détournement, à
savoir la société d’assurance et les ayants-droit, n’avaient
procédé à aucune remise.
Sur le point de départ de la prescription
S’agissant d’un délit, la question de la prescription se
posait concernant l’ensemble des faits antérieurs de trois
ans à la mise en mouvement de l’action publique. L’abus
de confiance est une infraction instantanée qui est
consommée lorsque l’auteur acquière la volonté de
détourner le bien qui lui a été remis.
La Cour de cassation approuve la solution de la Cour
d’appel et rappelle qu’il « n’importe que les parties lésées
au jour du détournement soient les ayants-droit des
remettants », le texte d’incrimination ne posant pas la
A ce titre, le délai de prescription devrait commencer à
courir au jour du détournement. Néanmoins, la Cour de
cassation, par une création prétorienne, a créé la
catégorie des infractions dissimulées à laquelle appartient
l’abus de confiance.
condition d’une identité de personne entre l’auteur de la
remise et la victime du détournement.
Sur l’exercice de l’action civile
Selon l’article 2 du CPP, l’action civile appartient à tous
ceux qui ont personnellement souffert du dommage
directement causé par l’infraction. On parle alors de
préjudice personnel et direct. En matière d’abus de
confiance, la Chambre criminelle reconnaît en l’espèce
le statut de victime tant de la société d’assurances qui
employait le prévenu et qui lui avait confié la gestion des
actifs de ses clients, que des clients eux-mêmes qui
faisaient confiance à leur gestionnaire.
Cette solution permet de reporter le point de départ de
la prescription de l’action publique « au jour où le délit
est apparu et a pu être constaté dans des conditions
permettant l’exercice de l’action publique » (Cass., crim.,
5 juillet 1945). La détermination de l’époque à laquelle
les faits ont pu être constatés relève de l’appréciation
souveraine des juges du fond, sous réserve que les motifs
qui la justifient ne contiennent ni insuffisance ni
contradiction (Cass., crim., 27 novembre 1958).
En terme de dommage, il est intéressant de noter que la
chambre criminelle approuve la Cour d’appel lorsqu’elle
énonce que « le retentissement médiatique sur les clients,
d’une affaire concernant un abus de confiance commis
par l’un des préposés », occasionne « une atteinte à
En l’espèce, la Chambre criminelle, confirmant l’arrêt
d’appel, rappelle que le point de départ de la
prescription doit être fixé à la date de la découverte des
détournements et non à la date où des soupçons auraient
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l’image de la société » constitutive d’un « préjudice
personnel » qui « découle directement de l’infraction »,
permettant d’accueillir la demande d’indemnisation du
préjudice moral de la société.
La Chambre criminelle casse donc l’arrêt de la Cour
d’appel considérant que « la société d’assurances a subi
un préjudice direct à la suite du détournement de
placements financiers dont elle a été privée et qu’elle a
dû rembourser à ses clients », tandis que la Cour d’appel
cantonnait le préjudice direct à la perte des revenus
qu’elle pouvait escompter si ces placements avaient
perduré conformément aux vœux de leurs propriétaires.
Enfin, par un attendu de principe, la Chambre criminelle
achève le cour de rattrapage en rappelant que « l’abus de
confiance peut préjudicier et ouvrir droit à réparation,
non seulement aux propriétaires, mais encore aux
détenteurs et possesseurs des biens détournés ».
Pénal
Le recours à la géolocalisation bientôt réglementé dans le cadre des enquêtes préliminaires
Par deux arrêts de principe du 22 octobre 2013 (Cass.,
crim., 22 oct. 2013, n°13-81949 et n°13-81945), la
Chambre criminelle a invalidé la technique pourtant
répandue de la géolocalisation dans le cadre d’une
enquête préliminaire.
pouvoirs de police judiciaire prévus à l’article 77-1-1 du
Code de procédure pénale.
La chambre criminelle a ainsi énoncé que les
dispositions légales invoquées, relatives aux activités
exercées par la police judiciaire sous la direction du
procureur de la République, ne confère pas le pouvoir
de mettre en œuvre la mesure technique dite de
« géolocalisation », laquelle, en raison de sa gravité, ne
peut être réalisée que sous le contrôle d’un juge.
C’est sur le fondement de l’article 8 de la Convention
européenne de sauvegarde des droits de l’Homme
(CESDH) que la chambre criminelle casse l’arrêt de la
chambre de l’instruction, considérant qu’il résulte de ce
texte que la technique de géolocalisation constitue une
Dans la foulée de ces décisions, une circulaire avait
préconisé l’interruption immédiate des mesures de
géolocalisation ordonnées dans le cadre de tous types
d’enquêtes réalisées sous la direction du procureur de la
République, avant qu’un projet de loi ne soit présenté le
23 décembre 2013.
ingérence dans la vie privée dont la gravité nécessite
qu’elle soit exécutée sous le contrôle d’un juge.
La Chambre criminelle reprend ainsi la jurisprudence de
la Cour européenne concernant le statut du ministère
public français (CEDH, Medvedyev c/ France, 10 juillet
2008, n°3394/03 et CEDH, France moulin c/ France,
23 novembre 2010, n°37104/06), lequel ne peut être
qualifié d’autorité judiciaire faute de présenter les
garanties d’indépendance et d’impartialité requises, en
raison de son rôle de partie poursuivante lors du procès.
Ce projet de loi prévoyait à l’origine que la mesure de
géolocalisation resterait sous le contrôle du procureur de
la République pendant les 15 premiers jours et ne
pourrait être poursuivi qu’avec l’autorisation du Juge des
libertés et de la détention (JLD). Le Sénat a cependant
amendé le texte en réduisant cette durée de 15 à 8 jours
lors de la lecture du texte le 21 janvier 2014 avant de
transmettre le texte à l’Assemblée nationale.
Cette solution a été rappelée par la Chambre criminelle
le 19 novembre 2013 à l’occasion d’une question
prioritaire de constitutionnalité relative notamment à
l’intégration de la technique de géolocalisation parmi les
Affaire à suivre...
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