Le défi de la prévoyance flexible

LundiFinance Epargne etfiscalité
Le Temps
Lundi 24 février 2014
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La Suisse doit préserver son attrait fiscal
> Réformes Notre fiscalité permet d’attirer les multinationales, les sociétés de négoce et les quartiers généraux européens
Reto Savoia*
et Jacques Kistler**
Tout est donc pour le mieux
dans le meilleur des mondes? Pas
vraiment. Déployer une activité en
Suisse coûte cher en comparaison
internationale. Ainsi, pour rester
compétitif, nous devons compenser ces coûts élevés par une fiscalité
attractive.
Nous avons, ces dernières années, fait preuve d’attentisme et
devons nous rendre à l’évidence:
nous avons perdu en Europe notre
place privilégiée comme pôle
d’attractivité des entreprises. Certains de nos voisins, peu compétitifs dans le passé, comme l’Angleterre ou la Belgique, sont
aujourd’hui plus innovants et
attractifs. Tandis que nos concurrents semblent tout faire pour
attirer les multinationales, nous
donnons parfois l’image inverse.
Nous avons par exemple tendance
à vouloir rendre nos lois et nos
pratiques fiscales plus restrictives,
et ceci, sans lien direct avec les
pressions déjà existantes de l’UE et
de l’OCDE. En effet, l’UE souhaite
l’abolition de certains de nos régimes fiscaux (voir ci-dessous) et
l’OCDE a lancé, sur l’impulsion du
G20, un projet contre les pratiques
fiscales déloyales (érosion de la
base d’imposition et transfert de
bénéfices/BEPS) visant la prévention des déplacements de profits
dans des juridictions fiscales favorables.
Ne soyons toutefois pas naïfs!
Ces initiatives font partie d’une
stratégie économique des Etats
afin d’attirer les multinationales.
Le but est d’appliquer une fiscalité
juste et équitable aux entreprises
mais également de limiter la compétitivité des petits pays par rapport aux grandes puissances.
Dans ce cadre, rien ne devrait nous
empêcher d’offrir certains régimes
fiscaux favorables qui existent au
sein de l’UE, comme les «IP-Boxes»
ou la déductibilité d’intérêts notionnels.
L’UE exige que nous abandonnions nos régimes fiscaux relatifs
aux sociétés holdings, auxiliaires,
principales ou succursales financières, étant donné que l’UE considère ces régimes comme étant
discriminatoires et constituant
ainsi des cas de concurrence fiscale
dommageable. Ces régimes fiscaux
sont néanmoins très importants
pour nos recettes fiscales (environ
50% des impôts des sociétés au
niveau fédéral) et ont par ailleurs
permis de créer de nombreux
emplois en Suisse.
Si ces régimes spéciaux venaient
à disparaître sans être remplacés,
de nombreuses multinationales
pourraient décider de quitter
notre pays ou d’y réduire leurs
investissements et emplois. Le
résultat serait alors extrêmement
négatif, tant au niveau des recettes
Ne soyons toutefois
pas naïfs! Ces
initiatives font partie
d’une stratégie
économique des Etats
fiscales que de l’emploi, et pourrait
entraîner une baisse importante
des activités économiques dans
l’Arc lémanique.
Afin d’éviter un tel scénario,
le comité de pilotage chargé de
la réforme III des entreprises a
proposé un certain nombre de
modifications de notre système
fiscal, à savoir:
1. L’introduction d’un régime
favorable pour des revenus de
licence ou «IP-Boxes» et la déduc-
tion d’intérêts notionnels. Cette
dernière mesure ne semble toutefois pas être plébiscitée par le
canton de Genève.
2. Une réduction substantielle
du taux cantonal de l’impôt sur
le bénéfice des sociétés.
3. D’autres mesures fiscales ont été
proposées, à savoir l’abolition du
droit de timbre d’émission de 1%,
une réduction de l’impôt sur le
capital, l’introduction d’une exonération totale pour participation
et d’une libéralisation de l’impôt
anticipé sur l’émission d’obligations en Suisse.
Il serait ainsi assuré que ces
modifications ne soient pas considérées comme dommageables par
l’UE, étant donné qu’elles sont déjà
proposées par au moins un pays de
l’UE.
Quelle est l’efficacité de ces
mesures pour garder les multinationales étrangères déjà localisées
en Suisse et en attirer de nouvelles?
La solution proposée semble
adaptée pour les sociétés dont la
propriété intellectuelle est importante (sciences de la vie et éventuellement les quartiers généraux),
ainsi que pour les activités de
financement. Cependant, elles
semblent peu applicables aux
sociétés de négoce, qui bénéficient
aujourd’hui du statut de société
auxiliaire, avec un taux d’impôt
effectif se situant entre 10 et 12%
dans l’Arc lémanique. Comme
solution, le canton de Genève a
annoncé qu’il visait une réduction
du taux d’impôt effectif à 13%. De
son côté, le canton de Vaud n’a pas
encore communiqué sa position
concernant cette question. Il reste
à examiner si cette mesure sera
suffisante pour garder toutes ces
sociétés. Dans certains cas, des
mesures supplémentaires pourraient être nécessaires afin de
réduire la base imposable de ces
sociétés et de permettre de les
garder en Suisse.
Toutes ces mesures se traduiront
immanquablement par une diminution des recettes fiscales (qui
seraient autrement plus importantes si rien n’était entrepris). Le
comité de pilotage reste relativement vague sur les moyens permettant de compenser ces diminutions. On peut toutefois
mentionner, en particulier, une
révision de l’imposition partielle
des dividendes pour les actionnaires, une augmentation des contrôles fiscaux, ainsi qu’un élargissement de la base de calcul pour
l’impôt sur le revenu (diminution
des déductions fiscales). La mesure
la plus évidente, qui semble toutefois avoir été exclue par le comité
de pilotage, serait une augmentation du taux de la TVA, qui est
aujourd’hui nettement moins
élevé que les taux en vigueur
au sein de l’UE.
Les changements imposés par
l’UE et l’OCDE sont toutefois une
excellente occasion pour modifier
notre système fiscal de manière
à ce qu’il devienne acceptable au
niveau international tout en restant compétitif. De même, l’initiative BEPS, qui se focalise entre
autres sur la substance des entreprises, pourrait d’une certaine
façon avoir un impact positif pour
la Suisse, qui est l’un des pays à
fiscalité attractive où les quartiers
généraux ont une substance importante.
Dès lors, si nous désirons rester
compétitifs au niveau international, nous devons faire le maximum
pour maintenir une fiscalité des
personnes morales attractive,
au risque de voir notre prospérité
économique en souffrir et, par
ricochet, le financement de notre
état social. De plus, si nous jouons
notre partition de façon adéquate,
notre compétitivité internationale
pourrait s’en trouver renforcée.
* Associé responsable département
fiscal, Deloitte
** Associé, département fiscal,
Deloitte
Le défi de la prévoyance flexible
«L’impôt est dans le pré»
> Prévoyance Combinés à des stratégies individuelles de placement,
les plans auprès de fondations complémentaires sont plus efficients
> Immobilier Il n’y a pas que l’amour qui est dans le pré, mais aussi
le fisc. Hériter un terrain à bâtir peut réserver quelques surprises
Alexandre Michellod*
Dans les éléments clés de la
réforme Prévoyance vieillesse
2020 figurent les principes de
flexibilisation à mettre en place
dans la prévoyance professionnelle afin de permettre à chacun
de pouvoir organiser sa retraite
de manière individuelle entre
62 et 70 ans. Sans vouloir préjuger
des modalités envisagées (relevons en particulier la suppression
de l’art 1i OPP2 permettant une
retraite réglementaire dès l’âge de
58 ans), la volonté du Conseil
fédéral d’amener plus de flexibilité dans le 2e pilier est à souligner. Il est en effet intéressant de
remarquer que l’individualisation
et la flexibilisation sont des concepts qui s’inscrivent de manière
prépondérante dans l’évolution
en cours de notre système de
prévoyance vieillesse, et ce, plus
particulièrement au niveau du 2e
pilier, où seule la partie dite surobligatoire intègre véritablement
de réelles solutions de plans de
prévoyance flexibles et individualisés, ainsi que le libre choix de la
stratégie de placement (à partir
de 126 360 francs). Actuellement,
de telles possibilités existent en
effet uniquement au sein d’un
nombre limité de fondations
complémentaires de prévoyance.
Pour corollaire les avantages
fiscaux et les économies d’impôts
offerts dans le cadre de plans de
prévoyance flexibles avec libre
choix de la stratégie de placement
restent ainsi peu connus encore
du grand public et surtout des
petites et moyennes entreprises
(PME) qui souhaitent améliorer
l’organisation de leur prévoyance
professionnelle.
Il faut en effet rappeler que ces
plans de prévoyance flexibles ne
sont pas l’apanage des seuls hauts
dirigeants ou cadres supérieurs
de multinationales, mais qu’ils
sont également à la portée des
professions libérales, des chefs
d’entreprise et même, dans certaines situations, de personnes
exerçant une activité indépendante. Lorsque l’on parle de plans
cadres, de plans bel étage, de
plans flexibles ou encore de plans
1E, ces définitions ont toutes
comme référence le montant
limite maximal fixé à l’article 8,
al.1 de la LPP, à savoir, pour l’année 2014, 126 360 francs. Ce
montant correspondant en fait
à 1,5 fois le salaire annuel maximal pris en compte dans la prévoyance professionnelle (84 240
francs). Cette limite supérieure,
bien évidemment connue comme
le loup blanc dans les milieux de
la prévoyance, l’est également par
les fiscalistes et planificateurs
financiers. En effet, à partir de
126 360 francs, l’OPP 2 autorise
le libre choix de la stratégie de
placement (art. 1e OPP 2) et permet de faire coïncider, au niveau
de la fondation complémentaire,
les avantages fiscaux liés notamment à la déductibilité de la
contribution d’épargne et des
rachats d’années manquantes
supplémentaires avec la perspective du développement d’une
épargne de prévoyance franche
de toute imposition tant au niveau de la fortune que du revenu.
Une gestion flexible de la
prévoyance professionnelle par
un concept de prévoyance scindée permet alors de réunir l’ensemble de ces avantages pour les
assurés qui en bénéficient. Elle
permet également à la PME qui
met en place un tel plan d’assurance complémentaire de rendre
plus efficiente, en termes d’administration, la gestion de la prévoyance professionnelle. Elle
contribue en outre à améliorer
la notion de transparence dans
les affaires relevant du 2e pilier,
ce qui est, rappelons-le, également un des points clés annoncé
par l’OFAS en novembre dernier.
* CAIA, responsable des solutions
de prévoyance, Banque Privée
Edmond de Rothschild SA
Un système de prévoyance moderne
Exemples de plans flexibles coordonnés avec la prévoyance de base
Prévoyance
de base
+ caisse cadres
Plan flexible dès
126 360 francs
auprès d’une fondation
complémentaire
de prévoyance*
Plan de base
plafonné
à 126 360 francs
auprès d’une
fondation LPP
ou
842 400 fr. salaire maximal assurable
Prévoyance
de base
Plan flexible pour les
revenus variables auprès
d’une fondation complémentaire de prévoyance*
160 000 fr. par ex.
126 360 fr. limite du salaire maximal
pour la garantie des prestations**
84 240 fr. salaire LPP assuré maximal
59 670 fr. salaire LPP coordonné maximal
+ plan bonus
Plan de base
plafonné
à 160 000 francs
par ex. auprès
d’une fondation LPP
24 570 fr. déduction de coordination LPP
21 060 fr. seuil d’entrée
*avec stratégie de placement individuelle; **i.e. 1,5x salaire LPP assuré maximal
SOURCE: BANQUE PRIVÉE EDMOND DE ROTHSCHILD
Bruno Fasel
et Fabien Nanchen*
Il y a quelques années, un
couple d’agriculteurs argoviens a
transmis son domaine agricole à
ses deux enfants. Au travers du
domaine familial, le premier des
fils a repris l’activité professionnelle de ses parents. Le second,
quant à lui, a reçu et colloqué
dans sa fortune privée un terrain
sis en zone à bâtir et exempt de
toute construction agricole.
S’agissant de ce terrain remis à
leur deuxième fils, les époux
espéraient vraisemblablement
bénéficier de l’exception fiscale
touchant à la vente ou au transfert de la fortune commerciale à
la fortune privée «des immeubles
agricoles ou sylvicoles». Cette
imposition est particulière dans
la mesure où elle est constituée
de deux niveaux différents de
taxation: une imposition, au sens
des revenus de l’activité lucrative
indépendante, à concurrence des
dépenses d’investissement, tandis
que le solde est soumis à l’impôt
cantonal sur les gains immobiliers.
Après un long conflit juridique, le Tribunal fédéral (TF) a
finalement statué sur le cas de ces
agriculteurs et a tranché en leur
défaveur, en date du 2 décembre
20111. Cette décision a même fait
l’objet d’une circulaire fédérale2.
Dans l’arrêt susmentionné, le TF
s’est penché sur la délicate question de la qualification d’«immeuble agricole ou sylvicole»
dans l’application des dispositions fiscales quant à l’impôt sur
le revenu, d’une part, et à l’impôt
sur les gains immobiliers, d’autre
part.
Il n’a bien entendu pas échappé à la haute cour que les dispositifs juridiques en la matière poursuivaient un but commun et
louable, à savoir la préservation,
dans l’intérêt des entreprises
agricoles, de la propriété des
terres arables qui constituent un
facteur de production économique important. Toutefois, la plus
haute instance juridique du pays
a souhaité préciser et circonscrire, voire limiter, les opérations
immobilières pouvant bénéficier
de l’exception fiscale déjà mentionnée.
Constatant l’inexistence d’une
définition fiscale appropriée «des
immeubles agricoles ou sylvicoles» pouvant légitimement bénéficier d’une imposition privilégiée, les juges de Mon-Repos ont
considéré qu’il fallait se référer à
la loi fédérale sur le droit foncier
rural (LDFR) pour fonder un tel
privilège fiscal.
La question fiscale
est un élément clé
de tout projet visant
à la mise en valeur
de parcelles agricoles
Le TF a estimé que l’on ne
pouvait parler d’un immeuble
privilégié fiscalement que lorsque les conditions d’application
de la LDFR étaient remplies.
C’est-à-dire, principalement,
lorsqu’il s’agit d’un ou de plusieurs immeubles faisant partie
d’une entreprise agricole située
en dehors d’une zone à bâtir et
qui peuvent être utilisés à des fins
agricoles.
Pour les juges fédéraux, l’imposition privilégiée de la vente ou
du transfert à la fortune privée
d’un immeuble agricole ou sylvicole non construit et entièrement
situé dans une zone à bâtir est
exclue sans qu’il soit nécessaire
de vérifier si l’immeuble est utilisé à des fins agricoles et s’il fait
partie d’une entreprise agricole. Il
en découle que le bénéfice d’aliénation – vente ou transfert à la
fortune privée – est soumis en
totalité à l’impôt sur le revenu,
tant pour l’impôt cantonal que
pour l’impôt fédéral direct.
Schématiquement, au regard
de la nouvelle circulaire fédérale,
la situation de ces agriculteurs
argoviens pourrait se présenter
de la manière suivante: imaginons une acquisition de l’immeuble agricole à 0,50 franc le m2.
L’Office de l’agriculture l’évaluerait, lors du classement en zone à
bâtir, à 7,50 francs le m2. Finalement, au jour de la vente ou d’un
transfert à la fortune privée, le
prix du marché serait devisé à
307,50 francs le m2.
Selon la jurisprudence du TF et
l’application rigoureuse de la
circulaire fédérale, le revenu
imposable de l’activité lucrative
indépendante réalisé par les
agriculteurs aurait été de
300 francs le m2 (307,50 francs/
m2 auxquels on déduit 7,50
francs/m2), charges sociales en
sus. Le solde, soit 7,00 francs par
m2 (7,50 francs/m2 auquel on
soustrait les 0,50 franc/m2), aurait
été soumis à l’impôt cantonal sur
les gains immobiliers.
Même si elle n’est pas une
nouveauté, mais une clarification, la prise de position du Tribunal fédéral conduit à ce que la
question fiscale soit désormais,
pour chaque propriétaire terrien,
un élément clé de tout projet
visant à la mise en valeur de
parcelles agricoles.
* Wealth Planning, UBS Suisse
romande
1. Arrêt 2C_11/2011 du 2 décembre
2011
2. Circulaire n° 38 du 17 juillet 2013