FORBES AFRIQUE TOURISME ENQUÊTE La Tunisie en mode « action » Inattendue, audacieuse et décalée. L’une des dernières campagnes virales qui a fait le plus de buzz sur Internet ce printemps concerne… le tourisme tunisien ! A l’origine de cette nouvelle stratégie de communication, deux enjeux clés : changer en profondeur l’image du pays et restructurer le secteur de fond en comble. E PAR PATRICIA COIGNARD n mars dernier, les personnages de la saga Star Wars ont à leur tour succombé à l’énergie positive et communicative de Happy, le tube planétaire de l’Américain Pharrell Williams. D’Obi-Wan Kenobi à la reine Amidala, tous les héros de la saga se trémoussaient joyeusement sur cette version Happy from Tatooine (planète originaire des personnages principaux). Tournée à Tataouine, ville du sud tunisien, le clip vraiment drôle et décalé a surpris tout le monde. Quelques heures après sa mise en ligne, la vidéo a fait le tour du Net. Elle a totalisé 1,5 million de visiteurs sur YouTube. Des journaux du monde entier ont repris l’information. Et le clip a même reçu l’adoubement via Twitter de Pharrell himself ! Happy from Tatooine illustre la détermination de la Tunisie de changer son image en profondeur pour doper la saison touristique 2014. Et les suivantes. Cette initiative – complétée par une campagne classique d’affichage dans le métro parisien – a été menée de main de maître par le ministère du Tourisme tunisien. Faisant face depuis trois ans à une chute vertigineuse de l’activité touristique (33 % depuis 2011), le pays avait grand besoin de ce bol d’air frais. Pourquoi ce choix s’est révélé efficace en termes de notoriété ? « Pour Ci-contre : photochanger l’offre montage. Campagne touristique d’un pays 2014 orchestrée par l’agence Publicis. qui est plus ou moins 58 | FORBES AFRIQUE JUILLET // AOÛT 2014 bon marché en un pays de très haute qualité, il faut de dix à quinze ans », explique Amel Karboul, la ministre du Tourisme, nommée le 29 janvier 2014, novice en politique mais ex-consultante chevronnée en matière de management (lire son portrait p. 61). « En revanche, changer l’image d’un pays bon marché en un pays où il y a du fun, ça peut se faire beaucoup plus rapidement, et c’est l’une de nos priorités. Le principal défi de la Tunisie est de se façonner une nouvelle image de marque. » D’autant que, rappelle-telle, « les campagnes de publicité classiques coûtent énormément d’argent, et que leur impact est sur le très long terme. Or, la Tunisie a des moyens très limités. Elle doit capitaliser davantage, rapidement et autrement sur son patrimoine », précise-t-elle. D’où les réseaux sociaux avec une campagne virale qui fait mouche en faveur d’un marché touristique qui recommence à « frémir ». DES RECETTES EN HAUSSE Car si ce coup de projecteur sur le tourisme tunisien surfe sur une tendance, c’est plutôt celle des bons scores enregistrés par le secteur au cours du premier trimestre 2014. La Tunisie a en effet vu ses recettes touristiques en dinars augmenter de 2,4 % au premier trimestre 2014 (260 Me par rapport à la même période de 2013 – année « noire » marquée par une profonde crise politique et une série d’actes violents). Augmentation globale de la fréquentation touristique (+7,1 %, JUILLET // AOÛT 2014 FORBES AFRIQUE | 59 ENQUÊTE soit 1 million de touristes), des nuitées (+1,8 % soit 5,5 millions), avec une performance particulière pour la région saharienne Tozeur-Nefta (arrivées touristiques : +17 %, nuitées : 14,92 %, taux d’occupation : 25 % contre 17 %) : les indicateurs retrouvent enfin le sourire. Parmi les explications, une amorce de diversification de l’offre touristique pour mettre en valeur les caractéristiques de chaque région et de leurs sites culturels au travers de nouvelles collaborations avec le ministère de la Culture. A l’instar des « Dunes électroniques », un festival de musique organisé dans les décors de Stars Wars du 21 au 23 février, qui a attiré plus 5 000 personnes à Nefta, dans le sud du pays. « Et ce en dépit des recommandations du Quai d’Orsay de ne pas se rendre dans cette région. Les Français ont constaté par euxmêmes qu’ils y étaient en sécurité », se félicite explique Leila Tekaia, la directrice de l’Office national du tourisme tunisien. Ce succès – inattendu du propre aveu des organisateurs(1) – a par effet rebond profité à toute la région de Tozeur. « Cette manifestation, reconduite l’an prochain, a servi de tremplin pour confirmer la tenue d’autres événements culturels tout au long de l’année 2014 », précise-t-elle. Par exemple, l’Office national du tourisme tunisien, en collaboration avec Goethe-Institut, les ambassades d’Allemagne et de Suisse ainsi que l’Office allemand d’échanges universitaires rendent hommage aux peintres Paul Klee, August Macke et Louis Moilliet à l’occasion du centenaire de leur voyage tunisien du 7 avril 1914. Un programme artistique et culturel inédit qui a débuté au mois de mars dernier et qui se poursuivra toute l’année. Du 1er au 4 mai, le festival « L’Afrique danse l’Afrique » a fait de la Tunisie l’épicentre de rencontres entre danseurs issus de l’ensemble du continent. Du 12 au 15 juin, les mordus de musique électronique se retrouveront à Hammamet 60 | FORBES AFRIQUE JUILLET // AOÛT 2014 Ci-dessus : chorégraphie des héros de la saga Star Wars sur Happy from Tatooine. A retrouver sur www.bonjour-tunisie.com « Notre objectif en 2014 est d’atteindre 7 millions de touristes.» t-il adopter un autre modèle économique que celui du package « tout inclus » (vol + hébergement + restauration) ? Comme le martèle la ministre Amel Karboul : « Le temps est à l’action. Il faut changer la façon de manager ce secteur. Avec plus de 1 000 kilomètres de côtes, le segment du balnéaire restera dominant, mais l’objectif est d’élargir la gamme de produits avec le développement de la thalassothérapie, la plaisance, le golf, la culture ou l’écotourisme. » Ses priorités : casser le cercle vicieux d’une politique de prix bas en améliorant la qualité de l’offre hôtelière, l’accueil, de la propreté et de l’environnement (modernisation des équipements, démarche qualité, labels, montée en gamme…), et régler l’endettement des hôteliers. La diversification de la clientèle, pour Revolution Electro – The Mediterranean Music Festival. Cet été, ce sont le Djerba Street Art 2014 et le 50e anniversaire du Festival international de Carthage qui devraient attirer un public plus hétéroclite et jeune. C’est aussi le grand retour des rallyes et des marathons dans le Sahara. RÉINVENTER LA DESTINATION TUNISIE Alors, happy ? « Le regain de confiance des touristes au premier trimestre marque un véritable tournant pour le tourisme tunisien. Le mois d’avril a confirmé cette dynamique favorable suite aux actions promotionnelles menées depuis le début d’année. Les vacanciers Français sont de retour. Mais ces bons résultats restent inférieurs de 10 % à ceux de 2010, année de référence pour le secteur. Notre objectif en 2014 est d’atteindre 7 millions de touristes », explique Leila Tekaia. Avec en ligne de mire 10 millions de touristes dans deux ans. Cet objectif ambitieux a été fixé dès 2009, dans le cadre de l’étude stratégique réalisée par le bureau international de consulting Roland Berger(2) qui recommandait une refonte structurelle profonde du secteur, assortie d’un plan d’action en cinq axes et de vingt mesures prioritaires. La nécessité d’une réforme structurelle du tourisme tunisien – trop mono-culturel et dépendant du tourisme balnéaire – ne date pas du Printemps arabe. Aujourd’hui, au-delà de la nouvelle stratégie de communication, c’est finalement l’exigence de se réinventer qui apparaît en filigrane des échanges avec les pouvoirs publics et les professionnels du secteur. Un sujet tabou sous Ben Ali mais qui a fini par émerger tant les conséquences de la « révolution » ont révélé les difficultés des parties prenantes à renouveler leur offre. Au cœur de cette réflexion, une question essentielle : quand le tourisme tunisien va- autre impératif pour le secteur, s’est déjà amorcée depuis la crise de 2008 avec une pénétration de la clientèle russe, ukrainienne, tchèque, slovaque notamment. Elle devra, à moyens termes, s’ouvrir à d’autres marchés comme la Chine et le Japon. Sans oublier le gisement « domestique » du continent où le niveau de vie de certains pays augmente. En ce printemps 2014, le service après vente pour la promotion de la destination Tunisie est assuré par le président de la République, Moncef Marzouki, le président de l’Assemblée nationale constituante, Mustapha Ben Jaâfar, et la ministre du Tourisme. Sur tous les continents – et au-delà des querelles diplomatiques –, le gratin politique défend une Tunisie « de toutes les rencontres et de toutes les promesses ». A suivre. (1) Co-organisé par Panda Events, une agence événementielle niçoise. (2) Intitulée « Tourisme à l’horizon 2016 ». Amel Karboul, une pro du management à la tête du tourisme tunisien © FETHI BELAID/AFP PHOTO TOURISME A 41 ANS, LA POLYGLOTTE NOUVELLE MINISTRE EN CHARGE DU TOURISME AFFICHE UN PÉDIGREE INÉDIT POUR LA TUNISIE. C’est une femme (une première pour le pays), issue de la société civile, qui s’est formée au conseil en matière de leadership et d’innovation en Allemagne, en Suède, aux Etats-Unis et en Angleterre. Sa carrière de consultante internationale pour de grands groupes (Mercedes, Lufthansa… ) lui a fait parcourir la planète pendant plus d’une décennie. « Mon expertise en coaching systémique, management d’innovation et de transition rapide, mobilisation et motivation des équipes prend une nouvelle dimension en tant que ministre du Tourisme. Je dispose d’une expérience utile pour initier et accompagner la conduite du changement. » Déterminée à « transformer la stratégie en action », sa nomination lui a suscité la sympathie de bon nombre de Tunisiennes. Très présente sur les réseaux sociaux, notamment au cours des événements du Printemps arabe, elle n’hésite pas à prendre la parole sur ses différents comptes. Ce qui ne lui vaut pas que des commentaires affables en Tunisie. Aguerrie à la gestion de conflit, elle ne s’attarde pas à ces critiques et « trace sa route ». Selon elle, les trois objectifs qui la définissent sont « objective, franche et proactive ». « Aujourd’hui, face au besoin de changement et à la crise, il est nécessaire d’adopter des mesures à effets immédiats en toute objectivité et impartialité. C’est le langage de la vérité et de la franchise qui me permet d’appréhender la situation sans parti pris ni faux-fuyants. Il faut agir, oser établir les responsabilités, tirer les enseignements et proposer aux les équipes les bonnes solutions susceptibles de relancer le tourisme tunisien ». Dont acte. JUILLET // AOÛT 2014 FORBES AFRIQUE | 61
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