Ma vie rouge Kubrick - Lire vous transporte

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Simon
ROY
Ma vie
rouge Kubrick
Liberté
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gr
t
c
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an
The Shining, de Stanley Kubrick, cette histoire
étrange située dans un hôtel où s’installent
hors saison un écrivain, sa femme et leur garçon
aux pouvoirs extrasensoriels, a impressionné
une foule de spectateurs depuis sa sortie en
1980. C’est à l’âge de dix ans que Simon Roy a
découvert ce film, médusé par une réplique :
« Tu aimes les glaces, canard ? » Depuis, il l’a
revu au moins quarante-deux fois, sans doute
parce qu’il « contient les symptômes tragiques
d’une fêlure » qui l’habite depuis des générations. La relation méticuleuse entretenue
avec le maléfique récit lui aura permis d’intégrer les éléments troubles de sa « généalogie
macabre », d’en accuser le coup. Un ouvrage
singulier, stupéfiant.
de
Co
ll
Ma vie rouge Kubrick
boréal
Simon Roy
Ma vie rouge Kubrick
Col
lectio
nL
Simon ROY
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Boréal
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Les Éditions du Boréal
4447, rue Saint-Denis
Montréal (Québec) h2j 2l2
www.editionsboreal.qc.ca
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Ma vie
rouge Kubrick
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Simon Roy
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Ma vie
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© Les Éditions du Boréal 2014
Dépôt légal: 3e trimestre 2014
Bibliothèque et Archives nationales du Québec
Diffusion au Canada: Dimedia
Diffusion et distribution en Europe: Volumen
Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec
et Bibliothèque et Archives Canada
Roy, Simon, 1968Ma vie rouge Kubrick
(Collection Liberté grande)
isbn 978-2-7646-2332-9
1. Kubrick, Stanley – Critique et interprétation. I. Titre. II. Collection: Collection
Liberté grande.
pn1998.3.k83r69
2014
isbn papier 978-2-7646-2332-9
isbn pdf 978-2-7646-3332-8
isbn epub 978-2-7646-4332-7
791.4302’33092
c2014-941516-8
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À ma mère Danielle.
Merci pour tout.
Merci malgré tout.
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ça me prend
dans une file au retour
du travail
au volant de l’auto
pour un air que jeune elle chantait
dans une allée d’épicerie
je pense à ma mère
et le souffle me manque
tant je voudrais pouvoir
encore lui dire et l’entendre encore
Bruno Lemieux,
Dans le ventre la nuit, 2013
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1
«
Tu aimes les glaces,
canard ?
C
’est un film d’horreur qui rejoindra même
ceux qui ne prisent pas le genre – peut-être même
a-t-il été spécialement conçu pour eux.» (Extrait
de la critique du film The Shining de Bruce McCabe,
du Boston Globe, parue en 1980, le jour de mon anniversaire, le 14 juin.)
En anglais, le mot shining est parfois employé
pour désigner un phénomène paranormal lié en
général à la télépathie. Comme un étrange état de fulgurance. Ainsi, des événements passés peuvent
quelquefois laisser des traces et il arrive, semble-t-il,
que des personnes ayant un don particulier, celles qui
ont justement le shining, puissent les percevoir.
*
*
*
Je devais avoir dix ou onze ans, guère plus, la première fois que j’ai vu le film The Shining. C’était à la
télévision, en version française. L’Enfant lumière. Je
n’avais aucune idée à cet âge de qui étaient Jack
Nicholson ou Stanley Kubrick. Par contre, quelques
années plus tôt, j’avais vu Shelley Duvall au cinéma de
Joliette avec ma mère dans l’adaptation du film
Popeye, avec Robin Williams dans le rôle principal.
Duvall y interprétait Olive Oyl.
11
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C’était une chaude et humide soirée d’été. De
l’intérieur de la maison, toutes fenêtres ouvertes, on
entendait les grillons striduler. Il était tard, un peu
après la diffusion du bulletin de nouvelles de vingtdeux heures. Ma mère m’avait laissé seul à la maison
pendant qu’elle était allée rendre visite à un couple
d’amis habitant juste en face de notre petit bungalow
pour une autre de leurs fameuses parties de cartes du
samedi soir qui pouvaient s’étirer parfois jusqu’au
milieu de la nuit. Bol de chips entre les jambes, je passais d’une chaîne à l’autre, désœuvré comme on peut
l’être à dix ou onze ans quand on est seul chez soi à une
heure aussi tardive.
Je suis tombé tout à fait par hasard sur une scène
d’un film montrant un petit garçon à la coupe de cheveux carrée semblable à la mienne à l’époque, lançant
des fléchettes sur une cible. Du début du film je ne
garde aucun souvenir précis. Pas même des mystérieuses sœurs Grady. Je me rappelle cependant être allé
rejoindre d’un pas anormalement rapide ma mère
chez ses amis aussitôt après avoir vu la scène, pourtant
pas si effrayante, où, pendant qu’il fait visiter le gardemanger à Mme Torrance accompagnée du garçon, le
chef cuisinier, Dick Hallorann, se retourne vers l’enfant et lui dit d’une voix distordue, comme au ralenti:
«Tu aimes les glaces, canard*?», tout en continuant
d’énumérer pour le bénéfice de Wendy Torrance la
liste des aliments qu’on y stocke.
L’effet de dédoublement de la voix du chef Hallorann a créé en moi un malaise si puissant que j’en
* Les extraits en italique proviennent de la version française
du film The Shining, L’Enfant lumière.
12
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garde encore près de trente ans plus tard un souvenir
intact. On ne choisit pas ses souvenirs, et celui-là s’est
imprimé dans mon esprit selon un procédé analogue
à la création d’un fossile. J’avais beau me dire que ce
n’étaient que des images diffusées à la télévision, mais
une sensation malsaine m’avait résolument gagné,
comme si l’homme noir qui avait prononcé ces
paroles me regardait, moi précisément, de ses yeux de
charbon, plutôt que le petit garçon nommé Danny,
d’ailleurs resté quelque peu à l’écart, dans le cadre de
la porte de la pièce réfrigérée. D’une manière inexplicable, même si à cet âge je ne pouvais être encore dupe
à ce point, c’est comme si le chef Hallorann avait un
moment décroché en quelque sorte de son rôle de
guide de l’hôtel Overlook pour établir un lien intime
avec moi et me révéler quelque terrible secret. Une
révélation allant bien au-delà d’une cordiale invitation à déguster une coupe de glace au chocolat.
Je fixais les lèvres de Dick Hallorann, et c’était tout
comme si elles se détachaient de son bon visage noir
pour cracher des mots qui m’atteignaient de plein
fouet. Était-ce ce que l’on appelle dans le film The
Shining la fulgurance?
Une brèche venait d’être ouverte dans le ciment de
mon confort tranquille d’enfant. À jamais. À jamais.
À jamais. L’horreur, par le truchement du cinéma,
venait de s’immiscer dans ma vie jusque-là préservée
par une mère qui avait toujours eu tendance à me surprotéger des menaces du monde extérieur. Mais qui
aurait pu la blâmer?
Je n’ai donc pu ce soir-là me rendre plus loin dans
la découverte du film qui exercera sur moi à partir de
ce moment une fascination étrange. Personne ne sait
qu’encore aujourd’hui il m’arrive de me redire men13
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talement cette phrase (Tu aimes les glaces, canard?)
lorsque j’ouvre la porte du congélateur pour y prendre
le pot de crème glacée au chocolat.
14
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2
Le gardien
de l’hôtel Overlook
Distribution:Jack Nicholson (Jack Torrance)
Shelley Duvall (Wendy Torrance)
Danny Lloyd (Danny Torrance)
J
ack Torrance et sa famille (sa femme, Wendy, et
leur fils de sept ans, Danny) sont déménagés
depuis peu au Colorado. Ancien instituteur du
collège Stovington (Vermont), Jack est à la recherche
d’un emploi lui permettant idéalement, à temps
perdu, de mener à terme un projet d’envergure,
en l’occurrence la rédaction d’un nouveau roman. Le
poste qui lui est offert à l’hôtel Overlook semble donc
tout désigné à ce stade de sa vie. La tâche a priori paraît
plutôt simple: il s’agit grosso modo d’assurer la garde
de l’établissement et de veiller à son entretien minimal
pendant la saison morte hivernale, alors que les liens
de communication routiers sont rompus avec le
reste de l’État. Au cours de son entretien d’embauche,
le directeur de l’hôtel, Stuart Ullman, prend bien
soin d’avertir Jack que les lieux sont chargés du poids
d’une tragédie survenue il y a une dizaine d’années:
un dénommé Grady, alors gardien de l’établissement,
avait tué sa femme et ses deux filles à coups de hache
avant de se faire éclater la cervelle avec un fusil. Pour
15
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certains, la solitude et l’isolement peuvent être difficiles à supporter. Même s’il est quelque peu ébranlé,
Jack accepte le poste.
Danny, son petit garçon, a quant à lui des prémonitions catastrophiques à propos de cet hôtel. Le
gamin est en effet en proie à des visions d’épouvante
qui le font sombrer dans un état de transe. Il voit
notamment, outre une cage d’ascenseur d’où se déversent des flots de sang, deux fillettes se tenant par la
main, immobiles, en apparence des jumelles, vêtues de
robes bleu azurin. Mais le sort en est jeté, Jack et les
siens iront passer l’hiver dans cet hôtel luxueux situé
au sommet des montagnes enneigées du Colorado.
Aussitôt les Torrance arrivés à l’Overlook, la direction de l’hôtel leur fait visiter l’établissement, que
Wendy juge pour le moins impressionnant par son
côté quasi labyrinthique, caractéristique confirmée
par un immense dédale que dessinent des cèdres de
haute taille dans le parc de l’hôtel. Les trois pensionnaires solitaires ont l’air bien perdus dans cet endroit
si vaste aux allures de grand vaisseau fantôme.
Après les premières semaines idylliques passées à
se la couler douce, un malaise gagne Jack, dont la raison semble vaciller. Des symptômes d’abord légers
sont perceptibles, indices que l’homme n’est pas aussi
équilibré que les premières scènes du film le laissaient
croire. Si on le voit à l’occasion dans le salon principal
de l’Overlook, installé à sa machine à écrire, on le
trouve de plus en plus souvent oisif, à lancer une balle
de tennis sur les murs, à fixer bêtement le vide ou à
étudier une maquette du labyrinthe de cèdres dans le
Colorado Lounge.
Enfermé dans la cellule hermétique de son roman
en construction, Jack Torrance semble prendre ses dis16
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tances par rapport aux deux autres membres de sa
famille. Ses seuls contacts avec eux se révèlent tendus,
chargés de sous-entendus inquiétants.
Parallèlement, l’enfant laissé à lui-même poursuit
ses explorations des lieux déserts de l’Overlook, se
déplaçant sur un tricycle Big Wheel ou jouant avec
ses autos miniatures dans les couloirs de l’hôtel. Mais
surtout, guidé par une vision, Danny développe une
curiosité particulièrement malsaine à l’égard d’une
chambre condamnée de l’aile Ouest de l’Overlook,
la chambre 237, qui évoque la pièce maudite du conte
de La Barbe bleue. Le garçon a bien du mal à réfréner
ses envies d’aller y voir de plus près. Danny pénètre
alors dans la chambre 237, un peu comme ces princesses trop curieuses qui défiaient en secret l’injonction
du tyran assassin dans le conte cruel de Charles Perrault. Les Anglais ont une drôle d’expression servant à
exprimer les conséquences fâcheuses d’une curiosité
malavisée. Et elle s’applique plutôt bien dans le cas de
l’obsession de Danny Torrance: curiosity killed the cat.
Alors que l’intrigue se déployait jusque-là surtout
dans un registre de tension psychologique exploitant
le malaise des personnages et du spectateur, un rythme
propre au récit d’épouvante proche du slasher movie
s’impose désormais: le père se met en tête qu’il lui
incombe de tuer son enfant, aidé en cela par les voix
des esprits et des démons habitant l’Overlook. S’ensuit
une chasse aux intentions clairement homicides.
Armé d’une hache, le père traverse, l’écume à la
bouche et l’œil fou, les couloirs hantés de l’hôtel à
la recherche de sa femme et de son fils pour leur faire
subir le même sort que celui réservé aux sœurs Grady,
exécutées à la hache une dizaine d’années plus tôt par
leur père, l’ancien gardien de l’Overlook.
17
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L’enfant court se réfugier dans le gigantesque
labyrinthe de cèdres attenant à l’hôtel, pourchassé par
son père aussi dément que déterminé à s’acquitter de
sa mission sacrificielle. Une forte tempête de neige inspire heureusement à Danny une ruse: il se cache derrière un mur de cèdres et efface avec sa main les traces
de pas dans la neige, confondant Jack qui, maintenant
aux abois, se perd autant dans l’espace labyrinthique
que mentalement, en hurlant comme un loup dans la
nuit le nom de son fils. Danny profite de l’occasion
pour sortir du labyrinthe en suivant en sens inverse le
tracé de ses pas. Il retrouvera sain et sauf sa mère qui a
entre-temps tout juste réussi à mettre en marche une
chenillette qui saura les conduire en sécurité vers
Sidewinder, la ville la plus proche.
Jack périra au terme d’une nuit d’errance parmi
les sentiers enneigés du dédale vert.
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Table des matières
1
Tu aimes les glaces, canard ?
11
2
Le gardien de l’hôtel Overlook
15
3
Une réception très critique
19
4Stalyne Kubrick
21
5
Film filtre
26
6
La montagne
29
7Écran noir
31
8
L’idée de fou
34
9
Le miroir
37
10 Heinrich Ludwig Kleyer
41
11 To Overlook
44
12 Trauma
46
167
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13 Rhum rouge
49
14 Il était une fois dans l’ouest
52
15 Exit Music (for a film)
54
16 Le grand verni
56
17 Il Grande Massacro
60
18 Les sœurs Forest
63
19 Perfect Kiss
65
20 Heeeere’s Johnny !
67
21 The Burns Sisters
70
22 I Don’t Like Mondays (Tell Me Why)
74
23 I am Charlie Decker
77
24 Chaos
80
25 Chronique d’une mort annoncée
84
26 Fondu noir déchaîné
89
27 Gide et les corn flakes
92
28 Prodiges
95
168
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29 Duello Finale
97
30 Dead End
100
31 Labyrinthes
105
32 Delbert Grady
108
33 Au bout du sentier de la gloire
110
34 Culte noir
111
35 Redrum sur le mur de Babylone
115
36 Bip Bip
117
37 Enfant-vedette
119
38 Tennis
121
39 La voix de Jack
123
40 Le vent nous portera
125
41 Trou noir
128
42 Ekki Múkk
130
43 Famille éclatée
135
44 Bloody Jacques
137
169
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45 Empreinte indélébile
140
46 Lloyd et moi
143
47 KDK12 à KDK1
153
48 Bonne fête des mères
156
49 La porte entrouverte
158
50 La solitude est dangereuse
159
51 Le bras d’Abraham
161
52Scène refoulée
162
Remerciements et regrets
165
170
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Crédits et remerciements
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du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre
du Canada (FLC) pour leurs activités d’édition et remercient
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« Tu aimes les glaces, canard ? » Depuis, il l’a
revu au moins quarante-deux fois, sans doute
parce qu’il « contient les symptômes tragiques
d’une fêlure » qui l’habite depuis des générations. La relation méticuleuse entretenue
avec le maléfique récit lui aura permis d’intégrer les éléments troubles de sa « généalogie
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