Le genévrier thurifère (Juniperus thurifera L.), un

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Naturalia Maroccana 1 (1) 2003 :
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Le genévrier thurifère (Juniperus thurifera L.),
un élément menacé de la biodiversité du bassin occidental
de la Méditerranée.
Thierry GAUQUELIN*, Wadi BADRI**, Valérie BERTAUDIERE*,
& Nicolas MONTES*
* Laboratoire d'Ecologie Terrestre (UMR 5552), Université P. Sabatier, 39 allées Jules Guesde, 31062 Toulouse
Cedex 4, France.
** Laboratoire d’Ecologie Terrestre, Faculté des Sciences Ben M’sik, Casablanca, Maroc.
Résumé : Les essences forestières du bassin occidental de la Méditerranée sont en nombre relativement limité. Parmi
celles-ci, le Genévrier thurifère (Juniperus thurifera L.), arbre ou arbuste dioïque de la famille des Cupressacées joue un
rôle particulier et original.
Présent en Afrique du Nord, Espagne, France (Pyrénées, Alpes, Corse) et dans les Alpes italiennes, ce Genévrier
montagnard présente de multiples intérêts, écologiques, socio-économiques, floristiques, scientifiques et culturels dans
toute son aire de répartition.
Il constitue ainsi une richesse patrimoniale et écologique tout à fait majeure mais particulièrement fragile. Au sud de
la Méditerranée, les peuplements sont soumis à une dégradation anthropique intense, qui menace à terme l’avenir de cette
espèce. Au Nord de la Méditerranée, et plus particulièrement en France, c’est la déprise humaine conduisant à une
recolonisation par d’autres espèces arborées (Chênes ou Pins) des stations de ce Genévrier, qui fragilise cette espèce.
Mots-clés : Biodiversité, Juniperus thurifera, dégradation, développement durable,
Summary : Thuriferous juniper is only found in isolated parts of the Western Mediterranean : France (Alps, Pyrenees and
Corsican highlands), Spain, Algeria and Morocco. This tree constitutes an important element of the forestal biodiversity in
temperate and mediterranean countries. In the Atlas mountains, the thuriferous juniper stands are heavily degraded as a
result of the intensive wood removal and livestock activity in these densely populated areas. In France, the decline in
human and livestock activities over recent decades has led to a recolonisation of some of Juniper stands by pines or oak. A
forest management system that enables these original stands to survive and regenerate must be undertaken without delay.
In both cases, conservation measures are urgently required to protect or rehabilitate these original stands with
floristical, ecological and socio-economical interest.
Keywords : Biodiversity, Juniperus thurifera, thuriferous juniper woodland, degradation, conservation, management,
Mediterranean basin.
LE GENEVRIER THURIFERE DANS LE
BASSIN OCCIDENTAL DE LA
MEDITERRANEE.
Systématique
Le Genévrier thurifère et un arbre ou arbuste
dioïque de la famille des Cupressacées, de port très
variable, à feuilles en écailles et à galbules noirs
bleuâtres à maturité.
Au sein du taxon Juniperus thurifera, une
première différenciation infraspécifique, sur des
bases à la fois géographiques et morphologiques
(feuillage, galbules), avait été proposée sans pour
autant faire l'unanimité : elle distinguait trois
variétés : la variété gallica De Coincy, pour la
France ; la variété hispanica Miller, type de
l'espèce, pour l'Espagne ; la variété africana Maire
pour les Atlas (De Coincy, 1898) .
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Plus récemment, Gauquelin et al. (1988) ont
proposé, à partir de critères morphologiques
(galbules) et phytochimiques, un découpage
différent, que nous retiendrons ici.
L’espèce est sectionnée en deux sous-espèces
: Juniperus thurifera subsp. africana (Maire)
Gauquelin et al, pour les populations nordafricaines et Juniperus thurifera subsp. thurifera,
pour les populations européennes.
Répartition
Ce taxon se développe exclusivement dans la
partie occidentale du bassin méditerranéen : Italie,
France et Espagne pour le continent européen,
Maroc et Algérie pour l'Afrique du Nord
(Emberger, 1939 ; Braun-Blanquet et De Bolos,
1957 ; Boudy, 1958 ; Quézel et Barbéro, 1981 ;
Benabid, 1982 ; Borel et Polidori, 1986 ; Conrad,
1986 ; Barbéro et al, 1987 ; Ouhmidou et al, 1994 ;
Gauquelin et al, 1999). Nous ne reprendrons pas ici
la répartition précise de cette espèce. La figure 1
montre cependant que les peuplements les plus
étendus se situent en Espagne, même si, au Maroc,
cette essence joue un rôle tout à fait particulier,
constituant souvent la limite supérieure forestière.
LA PLACE DU GENEVRIER
THURIFERE PARMI LES ESPECES
ARBOREES ET ARBUSTIVES DU
DOMAINE MEDITERRANEEN :
COMPARAISON MAROC ET FRANCE.
La figure 2 témoigne de la pauvreté relative,
en domaine tempéré et méditerranéen, de la flore
arbustive et arborée, pourtant fondamentale en tant
qu’élément structurant de la végétation et du fait de
son rôle écologique. Seules 96 espèces en France et
78 au Maroc correspondent à ce type biologique
alors que la flore totale est estimée à plus de 4800
espèces. Ces chiffres tranchent avec ceux
enregistrées en milieu tropical humide. A titre de
comparaison, dans 8000 ha de forêt de Guyane
française, plus de 500 espèces différentes de
grandes arbres (diamètre supérieur à 40 cm) ont été
inventoriés et ce chiffre doit être triplé si on prend
Naturalia Maroccana 1 (1), 2003
en compte tous les arbustes (Fromard,
communication orale).
Cette pauvreté est encore soulignée si on
s’intéresse uniquement aux végétaux pouvant
croître à des altitudes supérieures à 2000 m. Dans
ce cas là, même si, en proportion le Maroc présente
une plus grande diversité que la France, le nombre
d’espèce est bien faible : 13 espèces pour le Maroc
et 12 pour la France si l’on sait que certaines ne
jouent qu’un un rôle physionomique et écologique
mineur, alors que seules quelques autres, tel le
Genévrier thurifère au Maroc, constituent un
élément majeur de cette biodiversité. Du fait de sa
résistance et vitalité extraordinaire, cet arbre est
ainsi le seul élément arboré capable de se
développer dans certains secteurs de la chaîne
atlasique, constituant ainsi un écosystème unique,
performant mais fragile.
Tout ceci montre l’importance qu’il y a à
préserver de tels éléments irremplaçables de la
biodiversité ligneuse. En Europe, c'est dans un
même souci de préservation que les habitats
dominés par le Genévrier thurifère sont ainsi
définis, au titre de la "Directive Habitats" de
l’Union Européenne, comme habitats naturels
prioritaires d’intérêt communautaire dont la
sauvegarde nécessite la désignation de “zones
spéciales de conservation”.
UTILISATIONS DU GENEVRIER
THURIFERE
En Espagne et au Maroc, le genévrier
thurifère est utilisé depuis des millénaires.
Au Maroc, son bois est utilisé comme bois de
chauffage, pour la cuisine mais aussi comme bois
de construction du fait de sa dureté et de son
caractère imputrescible. Ses rameaux sont
consommés par le bétail (chèvres et moutons),
notamment durant les périodes hivernales pendant
lesquelles les ressources herbacées sont faibles. Une
autre utilisation traditionnelle est la production, à
partir de la distillation des branches, d’une sorte de
goudron, un peu analogue à l’huile de cade e xtraite
du Genévrier oxycèdre, et utilisée en médecine
vétérinaire.
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ÉTENDUE ET CARACTÉRISTIQUES DES DIFFÉRENTES POPULATIONS DE GENÉVRIER THURIFÈ
Étendue relative des peuplements
France (Alpes,
Italie (Alpes)
Pyrénées)
OCEAN
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L
Etendue des peuplements : ~500 ha
Tranche altitudinale: 300-1800 m
A
T o p o g r a p h i e e t: Sud
e /Sudx p o s i t i o n s
Ouest,
plus
rarement
à
l'Est,
au Nord
Tranche pluviomètrique : 600-1000 mm,
(extrêmes : 1800 mm)
Température moyenne : De l'ordre de 10°C
Bioclimats : Sub-humide à Humide
Substrat: Calcaire, Roches cristallophylliennes
Biotopes et sols
:Sols superficiels ou
rocheux, Pelouses sèches sommitales,
Terrasses
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FRANCE
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Tranche altitudinale: 900-1200 m (extrêmes:
200 et 1800 m)
T o p o g r a: Toutes
p h i e
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e
Tranche pluviomètrique : 350 - 1000 mm
Température moyenne : 12°C - 15°C
Bioclimats : Semi-aride à Sub-humide
M
Substrat:Tous
Biotopes et sols
:Divers
Ge
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Etendue des peuplements : 500-1000 ha
Tranche altitudinale : 490-1400 m
Topographie et expositions : préférence Sud-Est
ou Est mais aussi Nord et Ouest
Tranche pluviomètrique : 500 - 950 (extrêmes :
1500 mm)
eTempérature imoyenne : 7-12°C
l
l
Bioclimats : Sub-humide à Humide
Substrat:Rhyolites, Granodiorites, Granites
Biotopes
et sols:Rocher /
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e Terrasses ou anciens
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pâturages
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exceptionellemnt
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secteurs)
Tranche altitudinale : 2300 m
T o p o g r a : Versant
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Aurès
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R: De l'ordre de 1000 mmI
Tranche
pluviomètrique
Température moyenne : Non connu
Bioclimats : Semi-aride à Sub-humide
Substrat: siliceux (grès) ou calcaire
Biotopes et sols:Periglaciaire
c
Etendue des peuplements : 30 000 ha
Tranche altitudinale : 1700-3400 m
Topographie et expositions : Toutes
Tranche pluviomètrique : 260-1120 mm
Température moyenne : 8,3°C (Oukaimeden)
Bioclimats : Semi-aride à Sub-humide
Substrat: Tous
Biotopes et sols:Divers, Périglaciaire important
Figure 1 : étendue et caractéristiques des différentes populations de Genévrier thurifère.
Figure 2 : Comparaison du nombre d’espèces arborées et arbustives en France et au Maroc.
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Pins ou Chênes
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Position rupicole
Sols superficiels
Pas de compétition
Colonisation
(Rôle pionnier)
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Genévrier thurifère par d’autres essences
plus compétitives telles que Pins, Chênes, etc..
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par le Genévrier thurifère
(stade de transition)
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(Juniperus thurifera
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Prélèvements de bois
Pâturage, Distillation du bois
Figure 3 :
des
Modèle dynamique général de l’évolution
formations à Genévrier thurifère
en
France
et
au
M
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En Europe, et spécialement en Espagne, les
utilisations sont aussi multiples. Le bois sert à
fabriquer des poutres, des piquets et même des
petits meubles, des portes ou du parquet. On
élabore de la liqueur à partir de la distillation des
cônes femelles. Cet arbre est aussi utilisé comme
essence ornementale et depuis quelques années
comme espèce de reboisement de terrains de
montagne, de terres agricoles ou encore d’anciennes
mines à ciel ouvert.
Il faut aussi mentionner l’intérêt écologique
fondamental de cette espèce, notamment en ce qui
concerne son rôle anti-érosif ou encore la faune
qu’il peut abriter (Gauquelin et al., 1999)
L’EVOLUTION DES FORMATIONS A
GENEVRIER THURIFERE AU NORD ET
AU SUD DE LA MEDITERRANEE
La dynamique de ces formations et les
menaces qui pèsent sur le Genévrier thurifère sont
différentes au Sud et au Nord de la Méditerranée
(figure 3) (Gauquelin et al, 1999).
Au sud de la Méditerranée, l’accroissement
des populations montagnardes est encore sensible ;
à titre d’exemple, le taux d’accroissement moyen
annuel de la population de la commune de Ouirgane
(Haut Atlas Occidental) est de 2% ; la population
est passée de 5066 habitants en 1982 à 6435 en
1994 (données Secrétariat d’état à la population du
Maroc/ rapport PNUD, 1997). Les peuplements
sont donc soumis à une dégradation anthropique
croissante, qui menace à terme l’avenir de cette
espèce (Benabid, 1987). A l’inverse, au Nord de la
Méditerranée, et plus particulièrement en France,
c’est la déprise humaine qui affecte aujourd’hui les
zones de montagne. Celle-ci se traduit par une
réduction du pâturage et une fermeture du milieu
qui, dans le cas des stations ouvertes à Genévrier
thurifère, conduit à une recolonisation par d’autres
espèces arborées (Chênes ou Pins) de certaines de
ces stations (Gauquelin et Lathuillière, 1995),
fragilisant ainsi l’espèce.
Dans les deux cas, la préservation de la
biodiversité du milieu passe par la mise en place
d’une gestion durable des espaces montagnards
prenant en compte tout à la fois l’intérêt des
populations autochtones et la nécessaire
conservation des espèces clés.
91
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