La faute médicale à travers la jurisprudence1 Anis LADHAR Dans une affaire tristement célèbre3, 2 le médecin personnel du célèbre chanteur Michael Jackson, a été reconnu coupable d’homicide involontaire. Le médecin avait commis une faute médicale, en injectant au chanteur un puissant anesthésique qu’il a utilisé comme somnifère. Cette affaire, très médiatisée, démontre qu’aucune personne n’est à l’abri d’une faute médicale. On est tous des victimes potentielles d’une faute médicale. On est tous concernés. Mais qu’est ce qu’on entend par faute médicale ? La définition de la faute est loin d’être facile. Il n’existe pas une faute médicale4 mais plutôt des fautes médicales. Il peut s’agir d’une faute civile, pénale, administrative, disciplinaire. Chacune de ces fautes a ses spécificités. Etymologiquement, la notion de faute dérive du verbe latin « fallere » qui signifie faillir. Transposée en matière médicale, la faute serait une défaillance, un manquement à une norme qui peut être de science ou de conscience. A ce titre, dans un arrêt du 12 février 20025 la cour d’appel de Tunis a défini la faute médicale comme étant « une défaillance dans la conduite du médecin qui ne peut pas être commise par un médecin avisé placé dans les mêmes circonstances externes qui ont entouré le médecin responsable »6. La faute médicale est une notion variable, aussi bien dans le temps que dans l’espace. Variabilité dans le temps, dans la mesure où les 1 A l’origine, cet article est une intervention faite dans le cadre d’un séminaire international intitulé « La faute médicale et la responsabilité », organisé conjointement par l’Union Internationale des Avocats et l’Ordre National des Avocats de Tunisie le13 et 14 avril 2012. 2 Docteur en Droit, assistant à l’Ecole Nationale des Ingénieurs de Sfax. 3 Le 7 novembre 2011, le docteur Conrad Murray a été condamné à la peine maximale de quatre ans de prison pour homicide involontaire. 4 Pour plus de développement sur la faute médicale, voir Anis LADHAR, La faute et la responsabilité en matière médicale, thèse de droit, Faculté de Droit de Sfax, 2012. 5 C. appel Tunis, ch. délict., n° 13422 du 12 février 2002, RJL, janvier 2005, note S. Daoula, p. 115 et s 6 ف اٌخبسجٍخ اٌزً أحبطذٚجذ فً ٔفظ اٌظشٚ ال ٌمع ِٓ طجٍت ٌمظ, رمصٍش فً ِغٍه اٌطجٍتٛ٘ " إْ اٌخطأ اٌطجًّ وّب ٌعشّفٗ اٌجعط ." يٚثبٌطجٍت اٌّغؤ 1 données acquises ou actuelles de la science7, sont des données liées à l’évolution de la médecine, et varient en fonction de son évolution. Ce qui est aujourd’hui conforme aux données de la science, ne le sera pas probablement dans le futur. Variabilité dans l’espace dans la mesure où l’appréciation de la faute diffère selon l’endroit dans lequel elle a été commise. Le dépouillement de la jurisprudence révèle que la faute commise au sein du service hospitalier, « la faute de service » 8, est retenue plus facilement que la faute commise dans le secteur libéral. Cette distinction entre la faute commise dans le secteur public et la faute commise dans le secteur libéral, conduit à des disparités entre les victimes. Toutefois, l’étude de la jurisprudence tunisienne, surtout inédite, révèle un constat. La jurisprudence, a essayé de venir en aide aux victimes des fautes médicales, en adoptant une conception souple de la notion de faute. La question est donc de savoir quelle est la conception qui a été adoptée par la jurisprudence de la faute médicale ? Les solutions adoptées par la jurisprudence diffèrent selon la nature de la faute médicale, qui peut être de science (I) ou de conscience (II). I- La faute de science : la faute technique Il existe plusieurs types de fautes techniques. Il peut s’agir d’une faute de diagnostic, d’une faute dans la réalisation de l’acte médical ou d’une faute de surveillance. Cependant, parmi ces fautes, c’est la faute de diagnostic (A) et la faute dans la réalisation de l’acte médical (B) qui soulèvent plus de problèmes. 7 La jurisprudence tunisienne ne distingue pas généralement entre les données acquises et les données acquises de la science. Elle fait recours tantot aux données acquises de la science (V. cour d’appel de Sfax n° 4046 du 31 janvier 2010, inédit, « )» اٌّعطٍبد اٌعٍٍّخ اٌثبثزخ, tantôt aux données actuelles de la science (v. cass. crim. n° 7435 du 25 janvier 2006, Bull. C. cass. Partie pénale, 2006, p. 233). 8 Voir : T. Bouachba, La responsabilité administrative devant le Tribunal administratif, Revue Servir, 1988, p. 42 ; Anis Ladhar, Thèse précitée, n° 634 et s. 2 A : La faute de diagnostic Le diagnostic se défini comme étant « l’acte par lequel le médecin, groupant les symptômes morbides qu’offre le malade, les rattache à une maladie ayant sa place dans le cadre nosologique »9. Lorsque l’on parle de faute de diagnostic, on doit distinguer entre la faute et l’erreur de diagnostic. Si la faute engage la responsabilité du médecin, il n’en est pas de même pour l’erreur. Selon Jean Penneau, l’erreur est « une anomalie accidentelle de comportement et survenue dans une prestation globalement correcte »10. L’erreur de diagnostic, si elle est légère, ne doit pas engager la responsabilité du médecin11. Aussi avisé soit-il, le médecin n’est pas à l’abri de l’erreur de diagnostic. Les symptômes de certaines maladies se ressemblent tellement, qu’ils peuvent induire le médecin en erreur. En plus, il arrive que l’état dans lequel l’acte de diagnostic est entrepris, rende l’erreur possible. Tel est le cas lorsque le patient n’est pas en mesure d’informer le médecin des maux dont il souffre en raison de son état d’inconscience, sa minorité, ou en cas d’urgence. En droit tunisien, la jurisprudence retient difficilement cette distinction. Il en a été ainsi dans une affaire soulevée devant la cour d’appel de gabes12. Dans cette affaire, la cour d’appel a acquitté un médecin qui a diagnostiqué chez son malade une tumeur intestinale qui s’est révélé inexistante. Pourtant, le pronostic grave et erroné avait provoqué chez le patient un choc psychologique énorme lui causant une hypertension artérielle et la surdité de l’oreille droit. Cependant, dans la plupart des affaires soulevée devant la jurisprudence tunisienne, les magistrats 9 Dictionnaire des termes techniques de médecine, Maloire, 20 ème éd. J. Penneau, Faute et erreur en matière de responsabilité médicale, Paris, L.G.D.J., 1973, tome 133, n° 204. 11 Voir L. Ben Mahmoud. L’assurance des risques liés aux soins médicaux, RJL, janvier 2005, Numéro spécial « Responsabilité médicale », p. 17. 12 C. appel Gabes ch. délict. n° 1962 du 13 octobre 2003. 10 3 retiennent la faute du médecin en cas d’erreur de diagnostic. A ce titre, l’article 32 du Code de déontologie médicale dispose : « Le médecin doit élaborer son diagnostic avec la plus grande attention et s’il y a lieu en s’aidant ou en se faisant aider dans toutes les mesures du possible, avec des conseils les plus éclairés et des méthodes scientifiques les plus appropriées ». A travers cet article, on distingue 3 catégories de fautes de diagnostic : 1ère catégorie : le manque d’attention dans l’élaboration du diagnostic 2ème catégorie : le fait de ne pas s’entourer des conseils les plus éclairés. 3ème catégorie : la mise en œuvre de méthodes scientifiques inappropriées. Concernant le manque d’attention dans l’élaboration du diagnostic, dans un arrêt en date du 2 mai 200313, la Cour de cassation a considérée comme fautive, l’erreur de diagnostic commise par un médecin qui n’a pas réussi à diagnostiquer le mal dont souffrait sa patiente, décédée peu de temps après la consultation. Dans une autre affaire en date du 13 mars 200814, la Cour de cassation a défendu la solution adoptée par la cour d’appel de Tunis. Celle-ci avait retenu la responsabilité d’un médecin qui a commis une erreur de diagnostic lors de l’interprétation des résultats d’un scanner. Le médecin avait estimé que le malade souffrait seulement d’une sinusite, alors qu’il était victime d’une hémorragie cérébrale. Selon la Haute juridiction « cette faute de diagnostic est une faute médicale grave, que la jurisprudence tunisienne et comparée retiennent pour engager la responsabilité du médecin »15. Par ailleurs, dans l’affaire Trabelsi16, Le Tribunal administratif a conclu, sur la base des conclusions des experts médicaux désignés, « à l’existence d’une faute à l’encontre du cadre médical de l’hôpital Farhat 13 Cass. crim. n° 34841 du 2 mai 2003, inédit. Cass. civ. n° 20241/2007 du 13 mars 2008, inédit. 15 ." ٌٍخ اٌطجٍتٚاٌعبًٌّ عٍى اعزّبدٖ فً اثجبد ِغؤٚ ًٔغٛ خطأ طجً فبدح اعزمش فمٗ اٌمعبء اٌزٛ٘ حٍث أْ ٘زا اٌخطأ فً اٌزشخٍصٚ" 16 T. A. 1ère instance n° 19877 du 22 mars 2005, M. Trabelsi c/ Ministère de la Santé Publique, inédit. 14 4 Hached de Sousse qui se manifeste par le diagnostic tardif de l’état du malade puisqu’il a subi un traitement au service médical pendant vingt quatre heures pour une gastrite inflammatoire des intestins alors même qu’il souffrait en réalité d’une péritonite»17. La deuxième catégorie de faute de diagnostic est de ne pas s’entourer des « conseils les plus éclairés » 18 d’autres médecins. Face à un diagnostic difficile, le médecin a l’obligation de s’entourer de l’avis éclairé de ses confrères, et notamment les médecins spécialisés dans le domaine en question. La troisième catégorie de faute de diagnostic, résulte de la mise en œuvre de méthodes scientifiques inappropriées. Cette catégorie de fautes de diagnostic, se déduit d’une lecture a contrario de l’article 32 du Code de déontologie médicale. L’acte diagnostic connait aujourd’hui une véritable révolution. Il n’est plus seulement un acte intellectuel et intuitif. L’évolution de l’imagerie médicale a limité les cas d’erreurs (radiographie, scanner, IRM). L’acte de diagnostic qui ne fait pas recours aux méthodes scientifiques appropriées est considéré comme fautif. Cependant, le problème c’est qu’aujourd’hui, les nouvelles méthodes diagnostiques, aussi efficaces soit-elles, sont parfois plus risquées que la maladie elle même. Tel est le cas de l’artériographie, de l’angiographie, de l’endoscopie. Dans plusieurs affaires soulevées devant la jurisprudence tunisienne, l’injection d’un produit de contraste destiné à l’artériographie a causé à certains malades la paralysie et même la mort19. La question est de savoir jusqu’où peut-on aller dans l’emploi des méthodes de diagnostic. 17 د خطئ فٍجبٔت اإلطبس اٌطجً ٌّغزشفى فشحبد حشبدٛجٚ ب رمشٌش االخزجبس أوذدّٕٙحٍث أْ االعزٕزبجبد األخٍشح فً اٌزوش اٌزً رعٚ " ٗعششٌٓ عبعخ عٍى أعبط إصبثزٚ عخ رّثً فً اٌزشخٍص اٌّزأخش ٌحبٌخ اٌّشٌط ثذًٌٍ إخعبعٗ ٌٍعالج ثمغُ اٌطت اٌجبطًٕ أسثعخٛثغ ." ًدٌخ إال ثعذ إخعبعٗ ٌٍزذخً اٌجشاحٌٍٚظ ثبٌضائذح اٌذٚ "بة فً "اٌصفبقٙ عذَ اٌزفطٓ إلصبثزٗ ثبٌزٚ األِعبءٚ بة فً اٌّعذحٙثبٌز 18 Voir l’art. 33 du Code de déontologie médicale. Voir cour d’appel de Tunis n° 48788 du 29 avril 1998, RTD, 1999, p. 201 ; Cass. civ. n° 16638 du 3 mai 2002, inédit ; Tribunal administratif, 1ère instance n° 17526 du 30 décembre 2005, R. Harakéti c/ Ministère de la Santé Publique, inédit. 19 5 B : La faute dans la réalisation de l’acte médical Cette faute est très répandue. La jurisprudence tunisienne nous révèle plusieurs exemples. Tel est le cas du médecin qui coupe par maladresse la langue d’une patiente20, qui oublie une compresse21, ou des ciseaux dans l’abdomen du malade22, Le recours des médecins aux appareils de plus en plus sophistiqués a accentué le nombre d’accidents médicaux. Dans une affaire en date du 12 février 2002, la Cour de cassation a retenu la responsabilité pénale d’un chirurgien qui a causé des brulures à son patient lors d’une intervention chirurgicale. Selon la Haute juridiction, « l’emploi par le médecin d’un bistouri électrique qui n’a pas été essayé auparavant, pour vérifier sa fiabilité sur le malade anesthésié, lui causant des brulures aux jambes résulte de sa faute »23. Outre l’oubli d’instruments dans le corps du malade et la maladresse dans le geste médical, le manque d’asepsie des instruments médicaux constitue une faute médicale non moins grave pour la santé du patient. Déjà affaibli par la maladie, le patient devient très vulnérable aux infections nosocomiales24, d’autant plus que lorsqu’il s’agit d’un acte chirurgical, les organes internes du patient sont exposés directement à des éléments pathogènes. En France, on estime que dans les unités de soins intensifs de 20 Cass. crim., n° 29551, du 3 décembre 2002, inédit. Trib. 1ère inst. Tunis, du 30 mars 1984, inédit 22 C. appel de Sousse, ch. délict. n° 40018 du 31 octobre 1983, inédit. 23 Cass. crim. n° 13422 du 12 février 2002, RJL janvier 2005, p. 115, note S. Daoula, p. 115. ٍٍُٗ عٍى ِشٌط ِخذس رغججذ ٌٗ فً حشق ثشجٙب ِٓ طشف اٌطجٍت اٌّزٙب ِٓ لجً ٌٍزحمك ِٓ عالِزٙشثبئً ٌُ رغجك رجشثزٙسي وٛ" إْ اعزعّبي آٌخ ثغز ٓب فً ِىبْ ثعٍذ عٙظعٛ رٌه ثٚ بٌٙ فً عذَ أخز االحزٍبطبد اٌالصِخ عٕذ اعزعّبٚ وبْ ٔزٍجخ ٌخطئٗ اٌّزّثً فً عذَ اٌغٍطشح عٍى اعزعّبي رٍه اٌَخ ًب ِٓ لجً ٌزحمٍك اٌحّبٌخ اٌىبفٍخ ٌٍّشٌط ِّب لذ ٌٍحمٗ فٙدح ثٛجٌّٛة اٍٛب لصذ اٌزفطٓ ٌٍعٌٙب لجً اعزعّبٍٍٙ اٌزّشْ عٚ بٙ ثزجشثزٚ اٌّزعشس اٌّخذس ." ّالِٙ ٚ اججبد ٌعزجش ِمصشاٌٛ عٕذ رشوٗ ٌزٍه اٚ ٖعالِخ جغذ 21 24 Selon le professeur Mongi Ayari, « une infection est dite nosocomiale si elle apparaît au cour ou à la suite d’une hospitalisation et si elle est absente à l’admission dans l’établissement de soin », v. son article « Réflexion sur la faute médicale, A propos de la responsabilité civile, pénale et administrative » in Colloque « La responsabilité civile et pénale et fautes médicales » du 13 février 2003, Ecole Supérieure de Magistrature, p. 32. En droit français, la circulaire du ministre de la Solidarité et de la Santé n° 236 du 13 octobre 1988 définit les infections nosocomiales comme étant « toute maladie provoquée par des microorganismes, contractée dans un établissement de soins par tout patient après son admission, soit pour hospitalisation, soit pour y recevoir des soins ambulatoires », (voir J. M. Aubry, La responsabilité de l’hôpital en cas d’infection nosocomiale, Petites Affiches, 1992, n° 22 p. 14). 6 l’hôpital, 4 à 9 % des malades admis sont atteints durant leur séjour d’une infection supplémentaire et que l’infection est responsable de 1 à 2,5% des décès observés à l’hôpital25. Il semblerait qu’en Tunisie et malgré l’absence de statistiques en ce domaine, le pourcentage serait plus élevé. II - La faute de conscience : la faute d’humanisme Contrairement à la faute technique dans laquelle l’expert médical joue souvent un rôle déterminant dans son appréciation, la faute d’humanisme est l’apanage du juge. Il peut tout seul dire s’il ya ou non une faute d’humanisme prévue par le Code de déontologie médicale ou par les textes spéciaux. Mais parmi les fautes de conscience c’est le défaut de consentement (A) et le défaut d’information (B) qui soulèvent plus de problèmes. A : Le défaut de consentement A part des cas rares26, le droit tunisien n’oblige pas expressément le médecin à recueillir le consentement préalable du patient avant d’entreprendre un acte médical. Le Code de déontologie médicale, demeure lacunaire sur la question. En droit français par exemple, ce principe est 25 Ce chiffre est cité in Thèma Encyclopédie, Larousse, science de la vie, 1991, les infections à l’hôpital, p. 229. 26 Parmi ces cas rares : l’article 109 du Code de déontologie médicale, qui exige le consentement libre et éclairé sous forme écrite des sujets soumis à une expérimentation médicale. L’écrit est aussi exigé en matière d’expérimentation des médicaments destinés à la médecine humaine. En médecine de procréation, l’article 5 de la loi du 7 août 2001 relative à la médecine de reproduction, énonce que « la fécondation des gamètes et l’implantation des embryons dans le cadre de la médecine de la reproduction ne peuvent être effectuées qu’après avoir constaté la présence personnelle des deux membres du couple concerné et après avoir recueilli leur consentement écrit ». La loi du 25 mars 1991 relative au prélèvement et à la greffe d’organes humains pousse le formalisme encore plus loin. Aux termes de son article 8 alinéa 1er, elle exige que « le consentement du donneur soit recueilli par le président du tribunal de première instance dans le ressort duquel se trouve la résidence du donneur ou l’établissement hospitalier ou devant son suppléant. Le magistrat qui recueille le consentement du donneur s’assure au préalable que ce consentement est exprimé dans les conditions prévues par l’article 2 de la présente loi. Il en dresse un procès-verbal signé par lui, par le donneur et par le greffier…». 7 consacré dans le code civil27, dans le Code de déontologie médicale28, et dans le code de la santé publique29. Le caractère quelque peu « avare »30 du droit tunisien, ne peut que sanctionner les malades. Cela se vérifie d’ailleurs en pratique. Dans certaines affaires, soulevées devant la jurisprudence tunisienne, certains médecins ont procédé à l’ablation d’un organe d’un malade, sans recueillir son consentement préalable. Une de ces affaires est particulièrement choquante. En l’espèce, une patiente, qui souffrait de douleurs au sein gauche, avait subie une intervention chirurgicale afin de prélever une partie du tissue adipeux, pour effectuer une biopsie. Lors de son réveil postopératoire, elle a constaté avec stupeur l’ablation de son sein gauche à son insu. Le service médical lui a justifié cette ablation, par la constatation lors de l’intervention d’une tumeur. Or, la patiente a découvert plus tard que cette tumeur était inexistante et qu’il s’agissait d’une erreur de diagnostic. B : Le défaut d’information L’obligation d’information se justifie par l’existence d’un déséquilibre dans la relation médecin- patient. On a d’une part un 27 Le Code civil français énonce dans son art. 16-3: «Il ne peut être porté atteinte à l'intégrité du corps humain qu'en cas de nécessité médicale pour la personne ou à titre exceptionnel dans l'intérêt thérapeutique d'autrui. Le consentement de l'intéressé doit être recueilli préalablement hors le cas où son état rend nécessaire une intervention thérapeutique à laquelle il n'est pas à même de consentir ». 28 Le Code de déontologie médicale français stipule dans son article 35 : « Le médecin doit à la personne qu’il examine, qu’il soigne ou qu’il conseille, une information loyale, claire et progressive sur son état, les investigations qu’il propose tout au long de la maladie, il tient compte de la personnalité du patient dans ses explications et veille à leur compréhension… ». 29 Le Code de la santé publique français énonce dans son art. L1111-2 alinéa 1er et 2ème : «Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. Lorsque, postérieurement à l'exécution des investigations, traitements ou actions de prévention, des risques nouveaux sont identifiés, la personne concernée doit en être informée, sauf en cas d'impossibilité de la retrouver. Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Seules l'urgence ou l'impossibilité d'informer peuvent l'en dispenser ». 30 Voir B. khallédi, L’information sur les risques médicaux : que peut faire le juge avec le Code de déontologie médicale, RJL, janvier 2005, p. 61. 8 professionnel de la santé, et de l’autre part un profane, affaibli par la maladie. Or, en droit tunisien, et à part des cas rares31, il n’y a pas une consécration explicite de l’obligation d’information. Le Code de déontologie médicale ne fait pas allusion à cette obligation. En revanche, dans son article 36, il permet au médecin de dissimuler au patient un pronostic grave ou fatal. L’étude de la jurisprudence tunisienne révèle un constat. Face au caractère lacunaire de la législation, la jurisprudence a essayé de trouver des solutions. Généralement, elle retient l’obligation d’information sur la base de l’article 243 du Code des obligations et des contrats. L’obligation d’information pose un problème au niveau de l’étendu de l’information et au niveau de la preuve. Au niveau de l’étendu de l’information32, la question qui se pose est de savoir sur quoi doit porter l’obligation d’information ? Doit-elle porter sur les risques prévisibles ou sur les risques exceptionnels ? Dans un arrêt en date du 13 mars 2008, la Cour de cassation semble étendre l’obligation d’information aux risques exceptionnels. Elle a considéré que le médecin a l’obligation de « solliciter l’avis du malade dans les décisions graves et urgentes surtout lorsqu’il s’agit des cas dans lesquels il y a un risque de danger, indépendamment du degré de l’aléa »33. Le Tribunal administratif était plus explicite34 puisqu’il a étendu clairement l’obligation d’information aux risques exceptionnels. Cette solution qui est favorable aux victimes, est en avance par rapport au droit 31 Voir l’article 6 de la loi du 27 juillet 1992 relative aux maladies transmissibles ; l’article 3 de la loi du 3 novembre 1964 portant institution d’un certificat médical prénuptial. 32 Sur l’étendu de l’obligation d’information en matière médicale, v. Anis Ladhar, Thèse précitée, n° 162 et s. 33 ٗإٔغبًٔ ثئعالَ اٌّشٌط ثحبٌزٚ ًٍّ عٚ ًاجت طجٚ ٌٍخ اٌطجٍخ عٍى أٔٗ عٍى اٌطجٍتٚلذ اعزمش فمٗ اٌمعبء فً ٍِذاْ اٌّغؤٚ " ارٗ وّب عٍٍٗ إششان اٌّشٌطٚ ِذاٚ ي اعزّبد٘ب ٌزشخٍص اٌّشضٌٕٛ ًعبئً اٌزٌٛاٚ ٌخٚ األدٚ ثبٌزمٍٕبدٚ ثبٌمشاساد اٌزً ٌشا٘ب ِالئّخٚ االستعجاليت وبصفت أولً وأحري عىدما يتعلق األمر بالحاالث التي تكىن فيها الخطىرة محتملت بقطع الىظر عهٚ فً اٌمشاساد اٌخطٍشح ." وسبت االحتمال 34 V. Tribunal administratif, 1ère instance n° 17526 du 30 décembre 2005, R. Harakéti c/ Ministère de la Santé Publique, inédit. 9 français qui limite l’obligation d’information aux risques fréquents ou graves normalement prévisibles35. Au niveau de la preuve de l’information, conformément à l’article 420 du Code des obligations et des contrats, la charge de la preuve du défaut d’information pèse initialement sur le patient. Or, il s’agit là d’une « preuve diabolique toujours difficile à établir, parce qu’il s’agit tout d’abord d’un fait négatif dont le fardeau de la charge de la preuve est généralement lourd »36. En plus, même lorsque le médecin informe son patient des risques d’une intervention, cela ne signifie pas nécessairement que l’information a été claire et loyale. Cependant, malgré cette difficulté de fait comme de droit, la Cour de cassation ne semble pas en tenir compte. Or, le renversement de la charge probatoire est une solution possible, d’autant plus que la Cour de cassation y a fait recours en matière de droit de travail, dans des affaires portant sur des licenciements abusifs. A ce titre, en droit français, dans une affaire en date du 25 février 199737, la Cour de cassation française a renverser la charge de la preuve en considérant que le médecin était tenu de prouver qu’il a exécuté son obligation d’information. Cette solution fut consacrée par la loi du 4 mars 200238 à travers l’article L1111-2 du Code de la santé publique. Dans des arrêts récents, la Cour de cassation française a érigé l’obligation d’information en matière médicale en obligation légale39. 35 V. l’article L 1111-2 du Code de la santé publique français. A. Khaldi, La place actuelle du consentement du malade à l’acte médical dans le Code des obligations et des contrats, Livre du centenaire du Code des obligations et des contrats, 1906-2006, sous la direction de Mohammed Kamel Charfeddine, Centre de publication universitaire, Tunis, 2006, p. 340 ; V. dans le même sens M. Mahfoud, L’obligation d’information du médecin en droit privé tunisien, RJL, décembre 2006, p. 85. 37 Cass. Fr. civ. 1ère, , 25 février 1997, Gaz. Pal., 1997, I , jurisp. 2228, rapport Sargos, 28, Guige. 38 Loi ° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de soins, JORF, 5 mars 2002, p. 4118 et s. 39 Voir Cass. Fr., . civ. 1ère, 3 juin 2010, n° 09-13591, D. 2010, 1484, obs. Gallimeister, 15222, note P. Sargos, 1801 ; D. Bert, Feu l’arrêt Mercier, D. 29 juillet 2010, Point de vue p. 1801. Voir P. Sargos, Deux arrêts « historiques en matière de responsabilité médicale générale et de responsabilité particulière liée au manquement d’un médecin à son devoir d’information, D. 2010, études et commentaires, p. 1525. 36 10 Par ailleurs, le défaut d’information pose un problème au niveau de l’indemnisation. Contrairement au droit français qui indemnise les victimes d’un acte médical en cas de défaut d’information, au titre de la perte d’une chance40, le droit tunisien ne reconnait pas la théorie de la perte de chance41. En cas de défaut d’information, la victime n’est pas indemnisée partiellement mais intégralement42. Cette solution, aussi avantageuse soitelle pour la victime, est contestable juridiquement. Dans la plupart des cas, le défaut d’information ne fait que faire perdre une chance de guérison. Dans certains cas, lorsque l’acte médical est nécessaire, même s’il est dûment informé des risques, le malade doit subir l’acte médical. Il s’avère ainsi, que le bilan qu’on peut tracer est que la jurisprudence tunisienne a essayé, avec plus au moins de succès, de venir en aide aux victimes. Toutefois, ses solutions demeurent insuffisantes, car elles sont aléatoires. Une intervention législative semble aujourd’hui une nécessité. 40 La Cour de cassation française a défini la perte de chance comme étant « la disparition de la possibilité d’un événement favorable lorsque cette chance apparaît suffisamment sérieuse » (Cass. Fr., 6 juin 1990, Bull. crim., RTD civ., 1991, p. 121, obs., P. Jourdain). Sur la perte de chance, voir E. Ay, Clarification de la notion de la perte d’une chance de survie par la Cour de cassation (cass. 1ère civ., 14 octobre 2010), Petites Affiches n° 3 du 5 janvier 2010, p. 7 ; D. Bandon-Tourret, La perte de chance de survie : quelles conditions d’indemnisation ?, Gaz. Pal., 14-15 janvier 2011, p. 42 ; A. Legoux, Défaut d’information du patient : concurrence de l’indemnisation par l’ONIAM et de la responsabilité civile, Gaz. Pal., 24-25 mars 2010, p. 831 ; Ch. Quézel-Ambrunaz, note sous cass. civ. 1ère, 11mars 2010, pourvoi n° 09-11270, , Gaz. Pal., 24-25 mars 2010, p. 833 41 A part un arrêt isolé en date du 9 janvier 1962, émanant du tribunal de première instance du Kef (Trib. 1ère inst. Kef, n° 365 du 9 janvier 1962, RJL, 1962, p. 375), on n’a pas pu déceler un recours jurisprudentiel à cette théorie. Bien au contraire, dans un arrêt inédit, en date du 13 mai 2010, la Cour de cassation tunisienne a refusé d’appliquer cette théorie. 42 Dans son arrêt du 4 juin 2003, la cour d’appel de Tunis a confirmé la position des juges de première instance quant au montant de l’indemnisation qui représentait une réparation intégrale du préjudice. L’indemnisation était calculée à 500 dinars par point d’incapacité, ce qui représente une indemnisation intégrale du préjudice. 11
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