Varangue n° 293 Journal-école du 19 novembre 2014 RISQUES SANITAIRES Les dangers du tatouage clandestin On les surnomme les scratcheurs. Ces tatoueurs marron exercent dans la clandestinité, en salon ou à domicile. Certains font appel à leurs services ou se tatouent eux-mêmes, en n’étant pas toujours informés des risques sanitaires qu’ils encourent. Longtemps décrié, aujourd’hui célébré : le tatouage est passé des bras de marins et bikeurs à ceux plus frêles des peoples et autres cools du moment. Art ancestral arrivé à La Réunion il y a seulement 25 ans, il s’est hissé de l’obscurité des premiers lieux à l’hygiène douteuse vers la lumière aseptisée des salons actuels. « J’avais 12 ans » Dans celui de North Coast Tattoo, au Moufia, son propriétaire Max, 38 ans, est concentré. Regard bleu assuré, geste précis, il pique, aiguille vrombissante à la main, un jeune client impassible. Originaire de Limoges, Max exerce son art depuis maintenant cinq ans. Pour ce portrait de loup sur poitrine, Bastien repart au bout d’une petite heure avec une liste de précautions à prendre et une petite fiche de soin. Il s’est également délesté d’environ 150 euros. C’est la deuxième fois que Bastien fait appel au talent de Max. « C’est un peu cher, mais avec Max, je n’ai pas hésité. Le tatouage, c’est un peu comme une drogue : il suffit d’une fois ! », confie l’étudiant en BTS assistant de gestion. « Le prix dépend de la surface, des couleurs, de la complexité du motif... En général, on facture à l’heure », indique Max. Le tatoueur évoque la guerre des prix entre les tatoueurs professionnels et les clandestins. « Le plus lourd dans ce métier, ce sont les charges, comme la taxe sur les déchets spéciaux ». Tant et si bien que des clients se tournent parfois vers les scratcheurs marron. Une pratique qui ne date pas d’hier : « A l’époque de mes grands-parents déjà, ils se tatouaient à l’encre de Chine avec du verre ou l’aiguille... », reconnaît Max. A Saint-Paul, son homonyme Max, jeune barman de 24 ans, a tenté l’expérience. Ses tatouages bien visibles entretiennent et honorent le mythe de sa profession. « J’avais 12 ans pour mon premier. C’est ma soeur qui me l’a fait avec une aiguille, un morceau de fil et de l’encre de Chine » , se remémoret-il en souriant à la vision de ses initiales, imprimés sur chacune de ses mains. Il a également fait appel au talent d’un ami bricoleur pour deux autres tatouages. La technique, si elle reste expérimentale, est déjà plus élaborée : « Mon copain avait fabriqué sa machine à tatouer avec un tube de stylo Bic, une dynamo et une aiguille ». Ils ont toutefois pris garde de bien désinfecter ce dermographe de fortune avant utilisation. Même s’il affirme ne rien regretter de ses marques de jeunesses, Max admet que la qualité, la finesse des détails, ne sont pas les mêmes. « Quand on est jeune, on fait n’importe quoi juste pour avoir un tatouage. Aujourd’hui j’ai les moyens de m’en payer, j’ai donc fait appel aux services d’un tatoueur pro ». Si pour Max le barman il n’y a pas « « Le tatouage, c’est un peu comme une drogue » eu de complication, tous n’ont pas cette chance. Charles LawPing Man, dermatologue à Bois de Nèfles, prévient : « Le risque, en l’absence de respect des conditions élémentaires d’hygiène et d’asepsie, est celui d’une transmission virale entre deux clients, principalement de l’hépatite B et C ». Yasmina Lara LEMOINE Cinquante tatoueurs à la Réunion Il n’existe en France aucune formation d’artiste tatoueur reconnue ; le coup d’aiguille s’acquiert par transmission directe de savoir, du maître à l’apprenti. Après plusieurs mois d’observation, ces derniers sont amenés à débuter dans la maîtrise du dermographe en tatouant des peaux synthétiques, et à se tatouer eux-mêmes. A l’heure où n’importe qui peut acquérir son kit de tatoueur en ligne, les quelques 2000 praticiens professionnels de France se sont regroupés en 2003 dans le Syndicat National de Artistes Tatoueurs. Le syndicat prône le suivi d’une formation de trois jours imposées par le ministère de la Santé sur les bonnes pratiques d’hygiène. A la clé : un certificat permettant d’exercer en toute légalité. En 2012, l’Agence régionale de la santé océan Indien recensait 54 déclarations individuelles d’activités sur l’île. Le tatouage : un art qui demande à Max de la concentration (YLL) FESTIVAL DU FILM RÉUNIONNAIS Zoom sur les réalisateurs péi Un court-métrage tourné avec seulement 50 euros ? C’est « l’exploit » de Thibaut Koche, prix du meilleur espoir réalisateur, obtenu pour son film Bizness, lors de la première édition du Festival du Film Réunionnais, début novembre au Cinépalmes de Sainte-Marie. La fiction met en scène les trafics en tous genres qui permettent de survivre ou arrondir les fins de mois. Une façon pour le jeune homme de montrer qu’ « on peut réaliser un film avec trois fois rien tant que l’idée est bonne et que la détermination est ferme». Il est pourtant possible de bénéficier de certaines aides. Francois Séry, du service culturel de la Région, attribue des subventions « aux festivals, aux actions d’éducation à l’image et enfin à l’investissement professionnel ». Les demandes doivent être formulées un an avant le projet. Indjila ABANOUR Le palmarès Plus de 10 prix ont été décernés. Meilleur réalisateur : Ericka Etangsale pour « Seuls les poissons morts suivent le courant » Meilleur espoir réalisateur : Thibault Koche pour « Bizness » Meilleur scénariste : Yohann Gorriz pour « Glyn » Meilleur actrice : Beryl Coutat Max le Barman et ses premiers tatouages maron (YLL) LA FAUTE AU TAXES OU À LA CULTURE D’ENTREPRISE ? Échanges dans la zone : un bilan mitigé Depuis toujours, la balance commerciale de l’île est déficitaire. Le département traite principalement avec la métropole et les pays de l’UE. Même si des échanges avec les pays voisins existent, ils restent encore peu développés. La première foire de l’océan Indien n’y changera rien… Des commerçants malgaches, indiens, réunionnais … se sont retrouvés au Parc des Expositions de Saint Denis, la semaine dernière, à l’occasion de la première Foire de l’Océan Indien. Bijoux, chaussures, meubles, tous les savoir faire sont représentés. Les relations entre les exposants sont à l’image des échanges entre les pays de la zone : timides. Des chiffres en baisse Assise près de son stand de pierres minérales, Sylviane Rajoa Andrianadon est une habituée des salons de l’île : Flores et Halles, Salon des Mascareignes, elle fait régulièrement le va-et-vient entre Madagascar et la Réunion pour vendre ses produits. Ces événements ponctuels lui suffisent et elle ne souhaite pas développer son activité dans le département. « Parfois, quand je suis ici, un ou deux clients achète en gros pour revendre dans les magasins, mais c’est rare » explique-t-elle. Cette frilosité à tisser des liens avec les acteurs locaux se retrouve aussi au niveau départemental. Le dernier bilan publié par la Direction Régionale des Douanes montre que les relations commerciales entre les pays voisins ont tendance à baisser. Entre 2011 et 2013, les importations ont diminué de 10% et les exportations de 3%. Comment expliquer ces chiffres? Stéphane Malais, ancien entrepreneur dans l’import export, pointe les tarifs douaniers comme principal frein au commerce extérieur. Spécialisé dans le sourcing, ce quadragénaire importait des produits de Thaïlande et de Chine pour des entreprises basées à la Réunion et à Mayotte. De la pierre d’alun aux meubles en bois, toutes sortes de marchandises sont passées par son entrepôt. Pour les formalités douanières, il faisait systématiquement appel à un transitaire. Ce dernier vérifie que le matériel est aux normes et calcule le montant des frais. «Ça peut aller du simple au double en fonction du produit », annonce-t-il. À cela s’ajoute les taxes régionales comme l’octroi de mer. Davantage d’entreprises exportatrices De quoi décourager certaines sociétés mais, pas le club export de la Réunion. « Le prix est souvent mis en avant par les chefs d’entreprises, mais c’est un faux problème », assène Bastien Walecks, le chargé de mission de l’association. Selon lui, les obstacles sont ailleurs : « En France, comme à la Réunion, il y a une faible culture de l’entreprise et la plupart des sociétés restent sur un format traditionnel ». Il insiste en comparant le modèle réunionnais à celui de Maurice : « Ils ont des cours d’entreprenariat dès la seconde et parlent également plusieurs langues ». Malgré ce bilan plutôt négatif, La première foire de l’Océan Indien au parc des expositions de Saint Denis (photo : T.A) Bastien Walecks reste confiant et assiste à un développement de l’exportation dans les pays de la zone depuis quelques années. Depuis la crise économique de 2008, la Réunion se tournerait de plus en plus vers ses voisins. Le nombre de sociétés exportatrices est passé de 550 en 2011 à 870 en 2014. Du côté des entreprises réunionnaise, le chargé de mission distingue cinq secteurs qui peuvent être valorisés à l’export : l’énergie, la formation, la sécurité alimentaire, les TIC et la tropicalisation des procédés dans le secteur de l’environnement. Bien que la Commission de l’Océan Indien et l’Union des Chambres de Commerce des îles de l’Océan Indien veulent favoriser ce type d’initiative, Bastien Walecks dénonce la lenteur du processus. C’est pourquoi le club Export organise, en complément, des Rencontres Réunion-Maurice pour tisser des liens avec l’île sœur. L’édition 2014, a eu lieu le 13 et 14 novembre dernier. Aurore Turpin SUICIDES D’ADOLESCENTS Les médias mis en cause Le 14 octobre, le corps de Mahéry est retrouvé sous le pont Vinh San. L’affaire trouve un large écho dans les journaux. Deux jours après, Thomas se suicide au même endroit, mais l’information n’est pas relayée par la presse. Lycéens et psychologues remettent en cause le traitement différencié de ces informations par les médias. « Mahéry ne s’est pas suicidé. On sait ce que vous ignorez. Surveillez les potes de Mahéry car si notre hypothèse est bonne, les suicides ne font que commencer ». C’est l’un des commentaires anonymes laissés sur le site Clicanoo, sous l’article du 14 octobre annonçant la mort de l’adolescent. On lit les mêmes propos sur les réseaux sociaux où des pages ont été créées suite aux suicides de Mahéry et de Thomas survenus à deux jours d’intervalle. Sur ces pages, des adolescents remettent en cause le traitement des médias qui auraient fait étalage de l’histoire du premier et décidé arbitrairement de ne pas traiter le suicide du second. Mathieu Aunay, journaliste à Antenne Réunion qui a couvert « l’affaire », explique pourquoi : « On n’a pas traité le cas de Mahéry comme un suicide mais comme une disparition ». Le reporter invoque la règle qui incombe aux médias de ne pas parler des suicides : « Nous avons annoncé le suicide parce qu’on avait déjà diffusé l’avis de recherche, c’était juste pour avoir un suivi de l’info ». Une théorie du complot Sur ces pages Facebook, les adolescents assurent que les deux suicides seraient liés, ils avancent même une explication via existence d’une page internet où les adolescents suicidaires se regrouperaient… Jérôme Talpin, chef du service des faits divers au Journal de l’île, réfute : « Il y a eu beaucoup de rumeurs sur Facebook, par sms, chez les ados et dans le monde éducatif. L’enquête a montré qu’il n’y avait aucun lien entre les deux histoires ». « Fallait-il faire des articles au risque d’alimenter la rumeur, s’interroge pour sa part Mathieu Aunay. On a toujours l’impression que les réseaux sociaux en savent plus que les médias »… Serge Esnou, membre de la Cel- lule Académique de Soutien et d’Accompagnement (CASA), mobilisé au lycée Levavasseur où Mahéry était scolarisé, confirme à sa façon : « Un suicide, c’est toujours un traumatisme pour les témoins et les proches, les rumeurs participent au processus de déni de l’acte ». Mais le psychologue avoue : « Les réseaux sociaux et les médias nous posent beaucoup de problème. On est une structure d’écoute mais on a aussi un rôle de recadrer l’information la plus juste possible ». Les jeunes reprochent également aux médias d’avoir présenté la disparition de Mahéry comme survenue à la suite d’une dispute amoureuse. « Imaginez les conséquences sur la jeune fille concernée. Elle est d’abord entrée dans une phase de colère, pas de tristesse, puisqu’elle ne comprenait pas pourquoi on lui reprochait cela », livre le psychologue. Jérôme Talpin se défend : « La brigade des mineurs nous a fourni un avis de recherche, on était dans une situa- Le Pont Vinh San (DR) tion d’urgence, on n’a pas eu le temps de se renseigner, dans les 10 minutes qui ont suivi, l’information était en ligne ». Julie RAMALINGOM RAMASSAMY *Nom d’emprunt OURS Directeur de publication : Bernard IDELSON Rédacteur en chef : Laurent DECLOITRE Secrétaires de rédaction : Audrey FELICIEN, Aurore TURPIN SANCTION ÉDUCATIVE « La ceinture, c’est pour les grosses bêtises » Le coup de ceinture comme moyen de correction reste dans les mœurs de certains parents. En novembre, à Strasbourg, une mère de famille a été condamnée à trois mois de prison avec sursis pour avoir infligé ce type de punition à sa fille. À la Réunion, les avis sur la question demeurent partagés. « Quand papa prend la ceinture, je cours », avoue Anthony, 10 ans, un sourire en coin, assis sur une colline du Parc Boisé, au Port. L’enfant turbulent a bien assimilé l’échelle des punitions : « La ceinture, c’est pour les grosses bêtises. Sinon, c’est plutôt des claques pour les petites ». Selon son papa, Garan, 32 ans, l’utilisation de la ceinture montre que les limites ont été dépassées : « Je suis un peu de la vieille école. J’ai eu une éducation stricte qui m’a permis de m’en sortir. Alors je la reproduis avec mes deux enfants. Je veux que mes garçons comprennent ce qui est bien et ce qui est mal ». Annie se promène dans le Parc Boisé en compagnie de sa fille Mélanie. C’est une grand-mère comblée de trois petits-enfants. Mais, elle n’approuve pas le laxisme supposé de sa fille : « Pour elle, punition rime avec ‘’Vas dans ta chambre’’, mais ça ne marche pas aussi bien qu’un coup de ceinture ! ». Cette ancienne secrétaire médicale ne voit pas cela comme de la violence : « Moi j’en ai reçu, j’en ai donné. Et ni moi, ni mes enfants ne sommes traumatisés. Quand on voit les nouvelles générations, je me dis que certains en auraient bien eu besoin quand ils étaient petits ». Mélanie, 25 ans, secoue la tête aux paroles de sa mère : « Moi je trouve que c’est trop violent. Il m’arrive de donner des claques à ma fille quand elle va trop loin mais la ceinture, non ! ». Chloé, 21 ans, se prépare à devenir professeur des écoles. La jeune femme originaire du Guillaume Saint-Paul, relativise : « Pour moi, le coup de ceinture ne doit pas être banni mais doit rester exceptionnel ». « À la maison, c’était maman qui utilisait la ceinture pour nous faire peur, quand on ne l’écou- tait pas. Un jour, ma petite sœur est tombée du lit à étage alors qu’on faisait les folles, rigole-telle. Ce jour-là, maman a mis ses menaces à exécution et depuis, on ne les a plus prises à la légère ». Selon Christelle Cuche, psychologue au centre la Passerelle, la punition fait partie de l’éducation. « Moi je trouve que c’est trop violent. » « La ceinture représente une extension de la main du parent. D’un enfant à un autre, ça n’aura pas le même impact. Pour certains, ce sera la bonne méthode de punition et pour d’autres, ça ne marchera pas », explique-t-elle sans condamner formellement la pratique. Thérèse Baillif, présidente du Collectif pour l’élimination des violences intra-familiales, considère que le dialogue est une meilleure alternative. « L’enfant est en apprentissage de la vie, il ne sait pas ce qu’il fait. Donc, il faut différencier la punition de la violence. La sanction est nécessaire mais elle ne doit pas être violente ». Elle poursuit : « Si on menace, on est dans la prévention. On ne peut pas dire que c’est répréhensible car le parent joue son rôle d’éducateur ». Mais si le parent passe à l’acte… « Il faut faire très attention, car on ne sait pas comment va réagir l’enfant : soit décider de ne pas reproduire cette violence ou, au contraire, imiter ce schéma et parfois même dans de plus grandes proportions ». Raphaëlle LAKIA SOUCALIE Un « droit de correction » toléré en France Les avis sur la question demeurent partagés entre moyen de punition barbare ou méthode efficace.(Photo d’illus- En France, le Code pénal punit les auteurs de violences, graves ou légères, sur les mineurs. Mais dans les faits, les tribunaux n’appliquent pas la loi. Quand la sanction apparait légère ou à but éducatif, la jurisprudence accorde un « droit à la correction parentale ». L’hexagone est l’un des rares pays de l’Union européenne à ne pas interdire la fessée, la gifle…ou le coup de ceinture. Certaines punitions peuvent néanmoins être considérées comme non justifiées ou humiliantes (par exemple déculotter l’enfant pour lui donner la fessée) et relever de la maltraitance. Dans ce cas, elles sont considérées par le juge comme des « violences légères », c’est-à-dire n’entrainant pas d’incapacité temporaire de travail. Elles sont passibles de peines allant de l’amende à de la prison avec sursis. tration, R.L.S) BOIRE EN SOIREE La galère des Sam « Celui qui conduit, c’est celui qui ne boit pas ». Malgré les contrôles routiers les soirs de week-end, l’alcool au volant continue à faire de nombreuses victimes sur les routes réunionnaises. La solution : désigner un Sam, sobre, chargé de ramener tout le monde à bon port. Qui sont ces Sam, garants d’une bonne soirée et d’un retour « Sans Accident Mortel » ? « C’est un club réservé aux plus de 25 ans, mesdemoiselles ». Le directeur du Mahé, club select de la capitale, se tient devant nous, à l’entrée de l’établissement, en costard gris. Il est entouré de cinq agents de sécurité moulés dans des tee-shirts noirs dont les manches semblent difficilement résister à la circonférence de leurs biceps. L’homme en gris nous autorise finalement à entrer, sans plus de négociation. ses deux amis Cyril et Jefferson, patientent près du second bar. Pointant du doigt le Sam du groupe, Maher affirme « C’est Jeff qui conduit, comme d’habitude ! » Le raccompagnateur, contraint de ne pas boire, sourit « Ça ne me dérange pas et comme ça, tout le monde peut passer une bonne soirée ». A l’intérieur, le son est assourdissant. Les voix aigües des Bee Gees retentissent. Un premier bar dès l’entrée s’étend sur la largeur de la piste. Près du comptoir, quelques personnes se déhanchent, un verre à la main, bousculant leurs voisins sans s’en rendre compte : l’ivresse est dans l’air. Les autres s’agglutinent au bar pour commander. Sur la piste de danse, des groupes se déchainent, levant un bras ou un verre en l’air en hurlant « I love Rock n’ Roll ». Maher, un habitué des lieux, et Moins enthousiaste, Audrey, Possessionnaise d’une vingtaine d’années, grimace. Ce soir, comme tous les autres, c’est elle, Sam. « Pas le choix, se plaint-t-elle, je suis la seule à avoir le permis. Je n’ai pris qu’un verre. J’aimerais boire plus de temps en temps et m’amuser comme les autres, mais bon… ». Chloé intervient : « Moi j’ai l’intention de passer mon permis. Après, on rattrapera toutes les fois où elle a été Sam et on alternera ! » Brittany, de Saint-André, est ins- Le sacrifice du conducteur tallée sur une banquette avec ses amis. En face d’eux, une table avec une bouteille d’alcool dans un seau à glaçons et plusieurs verres. Là encore, la jeune femme n’a pas d’autre solution que d’être Sam, étant la seule détentrice du papier rose. Charles, le plus âgé de la bande, se fait plutôt discret. Tenant un verre d’alcool, il avoue d’une voix à peine audible : « En fait, j’avais mon permis mais on me l’a retiré. Je conduisais sous l’emprise d’alcool. » Alors que le timbre de Will.I.Am résonne dans la boite qui continue de se remplir, le flambeur ajoute, avec plus de conviction : « Ils devraient mettre des navettes pas trop chères. On ne sort pas toujours avec des gens qui ont le permis et parfois, on se sent de conduire alors qu’en réalité, on a trop bu et on tente le diable ». Aurélie MARONI Cyril, Maher et Jefferson (Sam de la soirée) au Mahé La Bourdonnais à Saint-Denis Sortir sans Sam Vol II Nuit propose des navettes pour les fêtards de la zone de Saint-Gilles, fief des soirées réunionnaises. Un partenariat avec une vingtaine d’établissements du littoral ouest exclusivement, Vol II Nuit est un service payant qui fait l’aller-retour entre chez vous et le lieu de votre soirée. Le pass de 10 places s’achète directement dans les lieux partenaires et coûte 20 euros. DES CHAUFFEURS MALPOLIS ? « Il faut descendre plus vite ! » Citalis a lancé une nouvelle campagne appelant les usagers de bus à faire preuve de civilité. Paradoxal aux yeux de certains passagers, au vu de chauffeurs qui ne donnent pas l’exemple. Il est 13h30 quand je monte dans le bus Citalis, à l’arrêt « Ananas » de Bois de Nèfles. Comme pour les quatre autres véhicules que je prends cet après-midi, les passagers entrant devant moi ignorent le chauffeur. Qui les ignore a son tour. Pour ma part, je m’efforce de dire bonjour avec le sourire. Sur les cinq bus qui me mènent jusqu’au centre ville de Saint-Denis, seulement deux chauffeurs me répondent de manière audible ; mais je n’ai droit qu’à un seul sourire. Nous approchons du Butor quand Anissa monte dans le bus, sa petite fille dans les bras. La conductrice effectue la transaction en mâchant son chewinggum, sans un mot. « Je ne crois pas qu’elle m’ait dit «merci» ou «de rien». En tout cas, c’est sûr qu’elle n’a pas souri du tout », commente Anissa. Des efforts des deux côtés Rico, chauffeur du 25, assure, lui, dire « toujours bonjour aux passagers, c’est important ». Derrière lui, le bus affiche les couleurs vives de la nouvelle campagne de Citalis, destinée aux usagers inciviques et les invitant à changer leur comportement. Pour Rico, les comportements des usagers se dégradent, mais tout le monde doit jouer le jeu : « La civilité ça doit aller dans les deux sens, les chauffeurs aussi doivent faire un effort ». Rico est témoin des abus de ses collègues : « Je connais un chauffeur qui remballe les passagers quand ils lui demandent un renseignement ! » Bras coincé dans les portes Pourtant, les chauffeurs de Citalis reçoivent une formation qui va au-delà de l’apprentissage de la conduite. Comme l’affirme Evelyne Orosmann, responsable marketing chez Citalis, « les chauffeurs sont formés chaque année sur l’accueil des clients, la tenue civique, et les mesures de sécurités à respecter ». Des contrôles ont lieu à bord, notamment sous forme de passager mystère : un individu se fait passer pour un simple passager et évalue la qualité du service. Pour autant, les utilisateur du réseau de transport en commun ne semblent pas satisfaits, comme le reconnait Evelyne Orosmann : « Les usagers nous font remarquer sur Facebook que les chauffeurs n’appliquent pas les slogans de la campagne tel que «In bonjour i blés pa la langue » . La responsable marketing se justifie : « Il faut prendre en compte le facteur humain. Les chauffeurs ne peuvent pas être de bonne humeur tous les jours. Ça va dépendre de la personnalité de chacun ». La conductrice ne dit pas un mot aux passagers (photo C.M-P) De là à mettre en danger les usagers ? Pablo, 18 ans, étudiant, livre un témoignage édifiant. « Le chauffeur de la 24 ne m’a pas laissé le temps de descendre du bus, il a refermé les portes sur moi. Je me suis retrouvé coincé, le bras et l’épaule à l’extérieur alors que celui-ci repartait ! » affirme-t-il. Ce sont les cris des autres passagers qui auraient alerté le chauffeur insouciant. Le soir, le jeune homme reprend le même bus pour rentrer chez lui et retrouve le même homme au volant ! Encore une fois, ce dernier aurait refermé les portes du bus sur Pablo ! « Cette fois, c’est mon bras qui est resté coincé à l’intérieur. J’étais en dehors du bus, mais je ne pouvais pas descendre. Le chauffeur a redémarré quand même ». Le bus se serait arrêté un peu plus loin pour rouvrir ses portes. Sous le choc, Pablo laisse échapper un « Hé ! » de protestation, auquel le chauffeur aurait répondu : « Il faut descendre plus vite ! » Depuis, l’étudiant évite la ligne 24 et préfère se rendre a pied jusqu’à l’arrêt d’une autre ligne… Charlotte MOLINA-PRECIOSO CHALLENGES DANGEREUX DANS LES BUS Citalis running En métropole, les jeux de vitesse dans les transports en commun sont en vogue. Le « Challenge Race the tube » et le « RER Surfing » font le buzz sur la toile. A la Réunion, les adolescents du chef-lieu s’amusent eux aussi à courser les bus du réseau Citalis. « Ils aiment trop jouer avec le feu » Bertrand*, chauffeur de bus depuis plus de 10 ans, manœuvre et r e g a r d e régulièrement dans son rétrovi - seur d’intérieur « au cas où il y a un problème », avant de s’arrêter devant le lycée Leconte de Lisle. Cet emplacement fait face à l’établissement scolaire ; c’est là que les jeunes veulent être les plus rapides. En France, on assiste à des jeux similaires dans les métros et RER. Le but, ici, est de grimper dans le bus à la dernière minute, faisant sursauter chauffeur et passagers. Jeunes, adultes, vieilles personnes, tout le monde se presse pour entrer dans le véhicule avant son départ. Des lycéens, à l’intérieur, écartent les passagers et créent un léger espace vide face aux portes arrière. C’est à ce moment que tilte le signal sonore pour avertir les passagers de s’éloigner des fermetures. Quelques secondes avant leur verrouillage, un lycéen se faufile. Essoufflé et souriant, il lance un « Ma gagné » à ses amis qui le félicitent par une tape à l’épaule à tour de rôle. A l’arrêt suivant, le jeune homme redescend à l’avant pour remonter à nouveau par l’arrière, en courant. Le chauffeur gronde un « zot la pas fini, derrière ? » et les jeunes s’esclaffent. Pierrick, 15 ans, casquette à fleurs vissé à l’envers, dépoussière son pantalon. Il s’amuse de la colère du conducteur et ne peut cacher son sourire en coin vers une autre jeune fille présente dans le bus: « C’est juste pour le voir s’énerver un peu, histoire de rigoler ». Un autre de ses camarades confie : « Des fois, on se prend même des portes. On s’en fiche si on est en retard ou pas ». La bande d’amis rigole de plus belle. « Mi rgarde si mi craze pas inn » A chaque arrêt ou presque, de la ligne 5 à 8le même phénomène. Près des établissements scolaires il n’est pas rare de voir les adolescents jouer avec les nerfs des chauffeurs. « Bana i rende pas zot compte, si nous ferme trop vite la porte, c’est nout’ responsabilité si marmay i blesse à zot », lâche énervé Thierry, 33 ans. « Tout le temps mi lé obligé gardé si mi craze pas inn. Des fois, bana i tape su le bus comme un kayanmb pour rentré juste avant mi ferme ». Même si le bus est équipé d’un Photo d’illustration (source: saint-denisdelareunion.net) détecteur de mouvement, il arrive que le système défaille et que les sportifs du bitume se blessent. A l’arrêt du collège du Chaudron, Thierry vérifie sur son rétroviseur extérieur que personne n’est en train de monter ou descendre. Mais un collégien se glisse entre les portiques au dernier moment ; son sac reste coincé. Rires des camarades, gêne du collégien, juron du chauffeur, Aldrick, 13 ans rigole : « De toute façon, li lé obligé rouv’ la porte. Ma fini couri, faut être vif, rapide ». Face aux vitres, il se moque d’un comparse, qui, lui, n’a pas pu entrer à temps… Audrey FELICIEN * Tous les prénoms ont été changés
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