Le SIA Lab : un « laboratoire » pour la Défense

REPÈRES
Le SIA Lab : un « laboratoire »
pour la Défense
Christian Cosquer
Général de brigade (2S), Consultant Expert chez CEIS, Saint-Cyrien et ingénieur
diplômé de l’École supérieure d’électricité (Supelec).
S
teve Jobs, dans son garage créant Apple, épaulé par son camarade Steve
Wozniak, et Bill Gates créant Microsoft dans sa chambre d’hôtel, avec Paul
Allen, sont devenus les symboles de l’innovation et de l’entreprenariat.
Aujourd’hui, les Lab ou Fab Lab (contraction de Fabrication Laboratory, « laboratoire de fabrication ») foisonnent. Chaque administration, entreprise, grande agglomération ou pôle de compétitivité en possède ou souhaite en posséder un. Leur
fonctionnement incite au partage de ressources et au conseil. Ainsi, par l’intermédiaire de ces Lab, les PME ou les start-ups (jeunes pousses) ont accès à des ressources humaines, financières ou matérielles qui sont hors de leur portée. Fort de
ces constats et dans le cadre du pacte Défense PME et du programme « Système
d’information des Armées », le ministère de la Défense a lancé le SIA Lab.
Un article du Harvard Business Review de septembre 2012 décrit la genèse
de la création de ces Labs à partir de quatre époques de l’innovation. La première
époque est celle de l’inventeur solitaire, celle des grands inventeurs, et se termine
au début du XXe siècle (la lampe d’Edison ou l’avion des frères Wright). La deuxième
époque commence au début de la Première Guerre mondiale et résulte de la
complexité croissante des techniques et du coût de l’innovation qui ne peuvent être
supportés par un individu. C’est l’époque des grands laboratoires de recherche et
des grands groupes industriels. La troisième étape commence dans les années 1960,
les années « rebelles ». Durant cette période, les innovateurs quittent l’entreprise
car ils ne supportent plus leur caractère hiérarchique. Ils sont innovateurs et
n’aiment pas le cadre strict de l’entreprise mais ont besoin de financer leurs travaux
de recherche. Ils créent des start-ups et trouvent de nouvelles sources de financement avec le capital-risque où des investisseurs apportent du capital ainsi que leur
réseau à des entreprises ou des technologies innovantes. L’un des fondateurs de ce
nouveau mode de financement de l’innovation et créateur de l’American Research
and Development Corporation (ARDC) est un général américain d’origine française,
Georges Doriot (1). Durant cette période, le travail de recherche et d’innovation au
(1) Son expérience militaire, officier d’artillerie français durant la Première Guerre mondiale et général américain durant
la Seconde, lui avait permis de comprendre l’importance de l’environnement pour le développement d’entreprises innovantes. Les réalités de l’après-guerre n’avaient plus rien à voir avec ce que l’on connaissait auparavant, en terme de création de sociétés. Il s’agissait de favoriser la création de sociétés permettant des percées scientifiques, technologiques ou
organisationnelles, fondées sur des équipes d’une nature très différente des équipes de recherche « classiques ». Ces sociétés nécessitaient de financer beaucoup de R&D avant de pouvoir commencer à commercialiser les projets.
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sein des entreprises, compte tenu des attentes des marchés financiers, devient de
plus en plus difficile pour les chercheurs. Ainsi, la mondialisation, la croissance des
technologies de l’information et des communications accélèrent le rythme du
changement et l’avènement d’une nouvelle ère de l’innovation, celle des « Labs »
qui réunissent dans un espace dédié l’agilité d’une petite structure avec la puissance
et les ressources d’un grand groupe ou d’une grande administration.
Fortement inspiré de la communauté du logiciel libre Open Source, la
caractéristique principale des « Labs » doit être leur « ouverture ». Ils s’adressent aux
entrepreneurs, aux développeurs, aux artistes, aux bricoleurs, aux étudiants, aux
concepteurs en tout genre qui veulent passer plus rapidement de la phase de
concept à la phase de prototypage, de la phase de prototypage à la phase de mise
au point, de la phase de mise au point à celle de déploiement, etc. Ils regroupent
différentes populations, tranches d’âge et métiers différents. Ils constituent aussi un
espace de rencontre et de création collaborative qui permet, entre autres, de fabriquer des objets uniques : logiciels, objets décoratifs, objets de remplacement,
outils… Avec les outils informatiques, les projets peuvent passer de l’idée à une première réalisation grâce au prototypage rapide et au processus essai-erreur intelligent.
Il s’agit principalement dans ces espaces de faire cohabiter la création et
l’innovation, les concepts et les doctrines. Si la créativité relève de la réflexion, de
l’idée, l’innovation est du domaine de l’action. Il s’agit de créer pour que les idées
et les concepts émergent et ne soient pas tués par l’organisation, les contraintes
budgétaires et des enjeux de puissance.
Mais il s’agit avant tout d’inculquer un état d’esprit (2) car l’innovation ne
doit pas être une fonction dédiée dans les entreprises ou les administrations, réservée à quelques créatifs ou à une poignée de chercheurs, car cela reviendrait à dispenser tous les autres de proposer des améliorations permanentes.
Ce concept de « Lab » ou plutôt de développement par le prototypage et
l’expérimentation se rapproche en certains points du concept de transformation
dans les armées mis en valeur, au début des années 2000, par nos alliés américains
et repris par l’Alliance.
Ce concept de transformation partait du constat que, notre monde subissant de perpétuelles évolutions d’ordre stratégique, sociétal et technique, il s’agissait de veiller à ce que l’outil militaire reste en adéquation avec les besoins opérationnels. Il s’agissait, pour cela, d’installer à la place du processus traditionnel et
séquentiel de rénovation des forces armées (logique des programmes d’armement
notamment), un processus d’adaptation très réactif, inspiré des méthodes civiles,
instaurant un cycle de décision rapide, qui permettait d’intégrer au plus vite les
(2) Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense, au forum DGA Innovation le 20 novembre 2014 : « Savoir innover, c’est
donc un état d’esprit. C’est explorer des pistes nouvelles, être capable de sortir du confort de notre savoir, reformuler nos
certitudes pour laisser place à des évolutions qui pourront être décisives ».
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évolutions envisagées dans les domaines des concepts, des doctrines, des équipements ou des organisations.
Ce processus ne se substituait pas à une vision à long terme, mais la complétait. La vision à long terme – celle du PP 30 (Plan prospectif à 30 ans) ou celle du
POS (Politique et objectifs scientifiques) de la DGA – toujours nécessaire, était
destinée à éclairer l’avenir et à conduire des projets plus consommateurs de temps
(programmes d’armement à long terme par exemple, Rafale, char, porte-avions...).
Cette dualité temporelle de la réflexion montrait bien les difficultés d’insérer le processus d’innovation dans les esprits (traiter le quotidien et se projeter dans
l’avenir) et dans les organisations (d’autant plus que celles-ci sont le plus souvent
basées sur une séparation des structures court et long termes, plans et opérations,
J3 et J5...).
Créé à l’été 2013, le SIA Lab répond à ces deux concepts mais surtout au
besoin d’identifier et de sélectionner pour le ministère de la Défense des solutions
innovantes pouvant être rapidement disponibles sur les systèmes d’information des
armées.
Les valeurs du SIA Lab s’articulent autour de trois idées maîtresses.
Être un lieu de croisement et d’échanges
Le SIA Lab est un laboratoire d’idées et un lieu d’innovations accessibles à
tout le personnel du ministère de la Défense. L’intelligence collective, favorisée par
le croisement de populations diverses, est un facteur clé pour la résolution de problème et donc l’innovation. Dans le domaine des TIC (Technologies de l’information et de la communication), les PME françaises innovent et inventent des solutions dont les applications peuvent modifier la manière de fonctionner des forces
armées. Ces solutions, le SIA Lab doit les repérer, les identifier et les valoriser
auprès des instances opérationnelles et décisionnelles du ministère. En un an, le
SIA Lab a répertorié plus de 550 PME et en a rencontré plus de 100. Le SIA Lab
propose mensuellement des sessions de présentation de produits et de solutions au
profit des représentants du ministère de la Défense. Il propose également depuis la
rentrée un rendez-vous informel d’échanges et de discussions sur les SIC, les petitsdéjeuners du SIA Lab. De même, les acteurs du ministère, réalisant seul ou en
groupe des projets, sont invités à partager les résultats obtenus, les difficultés rencontrées et les méthodes utilisées. Des présentations de réalisations concrètes (Prix
de l’Audace…) sont effectuées.
Permettre de se confronter au réel
Une idée n’a pas de valeur, seule l’action compte. Pour le général Georges
Doriot : « Without actions, the world would still be an idea ». Des preuves de concept
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ou POC (Proof of Concept), ou encore démonstrations de faisabilité, sont en cours
de réalisation dans le cadre du programme du SIA ou par l’intermédiaire de la
Dirisi (Direction interarmées des réseaux d’infrastructure et des systèmes d’information de la défense). Ces démonstrations de faisabilité permettent de confronter
rapidement une idée aux difficultés de sa réalisation. Le SIA Lab permet également
aux utilisateurs potentiels de « toucher » en avance de phase à certaines technologies. Une récente session a montré différentes interfaces (gestuelle, visuelle, vocale)
possibles sur un système d’information opérationnel dans un avenir court terme.
Une session est en préparation sur les objets connectés dont tout le monde parle mais
dont peu de personnes savent réellement ce qu’ils pourront permettre dans un
contexte militaire.
Être une structure agile
Le SIA Lab est une structure agile à la fois dans sa configuration – l’architecture de l’espace situé à Paris, à proximité de Balard, est modulable et dispose de
moyens de communications variés ainsi qu’une SIA box permettant de tester les
solutions dans un environnement réel – mais aussi dans la partie présentation et
expérimentation qui permet de réaliser des sessions particulières à des organismes
intéressés.
Pour répondre à ces ambitions, le SIA Lab possède plusieurs modes de
fonctionnement : il propose mensuellement une session de démonstration de trois
produits innovants pouvant être rapidement déployée sur l’infrastructure du
Système d’information des Armées (SIA) ; des petits-déjeuners, retour d’expérience
(Retex), démonstrations, discussions, officieux sont organisés chaque mois pour
présenter des témoignages ou des technologies disruptives, pas encore accessibles ;
des présentations de produit sont organisées à la demande d’organisme.
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Mis en œuvre et animé par la société CEIS (Compagnie européenne
d’Intelligence stratégique), qui agit sous la responsabilité de l’Architecte intégrateur
Sopra Group, le SIA Lab participe aux objectifs du Pacte Défense PME. Il incarne
surtout un nouveau lieu d’innovation et d’échanges basé sur un dialogue croisé et
décloisonné entre les différentes composantes du ministère, au-delà même de la
BITD au sens strict.
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