Les biens de retour et l`intérêt du service public

JURIDIQUE
ANALYSE
DSP
Les biens de retour et
l’intérêt du service public
L’arrêt « Commune de ­Douai » du 21 décembre 2012 a réaffirmé le régime protecteur
des biens de retour, lequel privilégie la propriété publique de ces biens et sur laquelle il n’est
pas possible de transiger.
LES AUTEURS
MARIE-HÉLÈNE
PACHEN-LEFÈVRE,
avocate associée
L
a catégorie des biens de retour connaît un
­renouveau certain en jurisprudence à la suite de
l’arrêt « Commune de ­Douai » rendu par le Conseil
d’Etat le 21 décembre 2012 (1). Elle avait fait l’objet de nombreux questionnements en doctrine
visant notamment le degré de liberté dont bénéficient les
parties à un contrat de délégation de service public (DSP)
s’agissant de la qualification des biens utilisés par le délégataire pour l’exploitation du service. Si toutes les interrogations ne sont pas levées, l’existence de cette catégorie
n’en a pas moins été réaffirmée par le juge et c’est toujours
­autour d’elle que le régime des biens des DSP se structure.
Comprendre la fonction de cette catégorie juridique nécessite de délimiter sa définition, préalable pour appréhender
son régime juridique protecteur.
éfinition de la notion de biens
D
de retour
JEAN-SÉBASTIEN
BODA,
docteur en droit public,
avocat au barreau
de Paris, cabinet Seban
et associés
La jurisprudence consacre l’existence de trois catégories
de biens des délégations de service public. Elle adopte une
­approche concrète de la notion de biens de retour.
Classification des biens des délégations
de service public
Le régime des biens des délégations de service public est
­articulé autour du triptyque : biens de retour ; biens de
­reprise ; biens propres (2). Synthétisant sa jurisprudence
antérieure, et notamment son avis de 2005 (3), le Conseil
d’Etat a jugé de façon générale dans l’arrêt « Commune
de Douai » que « dans le cadre d’une délégation de service
­public ou d’une concession de travaux mettant à la charge du
­cocontractant les investissements correspondant à la création ou à l’acquisition des biens nécessaires au fonctionnement du service public, l’ensemble de ces biens, meubles ou
immeubles, appartient, dans le silence de la convention, dès
leur réalisation ou leur acquisition à la personne publique ».
Il ressort de ce considérant que constituent des biens de
­retour l’ensemble des biens « nécessaires au fonctionnement
du service public » faisant l’objet d’une délégation, qu’ils
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soient meubles ou immeubles. Le Conseil d’Etat a ainsi
réaffirmé l’appartenance de principe à la personne ­publique
délégante de l’ensemble des biens, meubles ou ­immeubles,
nécessaires au fonctionnement du service ­public dans le
silence du contrat de délégation.
En revanche, sont des biens de reprise ceux pour lesquels
les parties ont clairement prévu une reprise facultative par
le délégant, en fin de contrat, pour laquelle le cocontractant
sera indemnisé. Autrement dit, ce sont les parties qui doivent, si elles le souhaitent, stipuler au contrat l’existence
de certains biens que l’autorité délégante pourra reprendre
moyennant une indemnité. Le Conseil d’Etat a cependant
fait le choix de ne pas permettre aux parties de qualifier
de biens de reprise certains biens indispensables au fonctionnement du service public, solution pourtant suggérée
par la doctrine. Une telle clause pourrait ainsi être jugée
irrégulière.
Enfin, constituent des biens propres ceux « qui n’ont pas été
remis par le délégant au délégataire en vue de leur gestion
par celui-ci et qui ne sont pas indispensables au fonctionnement du service public ». Ils sont « la propriété du délégataire », sauf clause contraire du contrat. En général, on se
réfère à une définition négative des biens propres : il s’agit
de tous les biens n’ayant le caractère ni de biens de retour
ni de biens de reprise. Ces biens peuvent faire l’objet d’une
faculté de reprise par la personne publique, à l’expiration
de la délégation, et moyennant un prix.
Approche concrète des biens de retour
Si l’on connaît la définition des biens de retour, il faut
néanmoins que le juge précise ce qu’il entend par biens
« ­nécessaires » à l’exploitation du service public. L’étude
de la jurisprudence atteste qu’en pratique le juge administratif promeut une approche concrète de la notion de
biens de retour. Tout d’abord, avec l’arrêt « Commune de
Douai », le Conseil d’Etat a levé une ambiguïté pouvant
naître de l’usage du terme « nécessaire », en faisant une
utilisation indistincte des notions « biens nécessaires » et
« biens ­indispensables ». Il a ainsi refusé toute gradation
entre ces deux notions auxquelles il confère une signification identique. Comme le ­relevait ­Bertrand ­Dacosta, rapporteur ­public, dans ses conclusions sur cet arrêt, « dans
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ANALYSE
le contexte particulier des concessions de service public,
nécessaire ou indispensable nous paraissent des notions
équivalentes, et donc ­interchangeables ». Par ailleurs, et
surtout, le Conseil d’Etat considère que sont des biens de
retour tous ceux qui ­deviennent ­nécessaires au fonctionnement du service en cours d’exécution du contrat. Ce faisant,
il adopte une ­approche pragmatique du caractère nécessaire du bien, ­celui-ci n’étant pas déterminé abstraitement
à partir des stipulations contractuelles, mais concrètement
en fonction de l’exécution du contrat.
C’est donc l’exécution du contrat et l’exploitation effective du
service public délégué qui permettent de qualifier les biens
de retour. Le Conseil d’Etat a récemment confirmé une telle
approche dans un arrêt « Sociétés
À NOTER
­Equalia et ­Polyxo » (4), dans lequel
L’exécution
il applique la théorie des biens de
du contrat et
retour à des biens meubles et perl’exploitation effective
du service public délégué met à l’administration de s’adrespermettent de qualifier
ser au juge afin de se voir restituer,
les biens de retour.
en fin de contrat, des biens nécessaires au fonctionnement d’un service public.
De même, dans un arrêt « Société ERDF » (5), la cour
admi­n istrative d’appel de Douai, saisi sur renvoi du
Conseil d’Etat à la suite de l’arrêt « Commune de ­Douai », a
confirmé ­l’approche concrète de la situation des biens des
délégations de service public. Cependant, s’agissant plus
­particulièrement des biens des concessions de distribution
publi­que d’électricité, la cour a opéré une distinction entre
les biens de la concession selon qu’ils sont ou non accessoires à l’activité de distribution publique d’électricité. Elle
a jugé, s’agissant des seconds, qu’ils ne constituaient des
biens de retour qu’à condition d’être indispensables « dans
leur intégralité » à l’exploitation de la concession. Une telle
définition, qui peut paraître restrictive, car ouvrant la voie à
l’appropriation privée de certains biens nécessaires au fonctionnement d’un service public, doit encore être ­validée par
le Conseil d’Etat, de nouveau saisi en cassation.
Régime juridique protecteur
des biens de retour
Le régime juridique applicable aux biens de retour vise à
préserver les intérêts du service public tant dans l’enca­
drement de l’appropriation privative de ces biens que dans
l’encadrement de l’indemnisation du délégataire en fin de
contrat.
Encadrement de l’appropriation privative
des biens de retour
Mise en place pour assurer le respect de l’exigence de continuité du service public, la catégorie des biens de retour a
parfois été critiquée pour sa supposée rigidité qui empêcherait les parties à un contrat de délégation d’avoir ­recours
à certaines sources de financement. C’est dans ce cadre
que, depuis plusieurs années, ont été mises en place des
­exceptions législatives au régime de la domanialité publique
permettant de conférer des droits réels au délégataire sur
certains biens nécessaires au fonctionnement du service
­public, établis sur la propriété d’une personne ­publique. Ces
­exceptions, qui figurent dans le code général de la propriété
des personnes publiques (CG3P) et dans le code ­général des
collectivités territoriales, concernent les baux emphytéotiques administratifs conclus par les collectivités territoriales ou les autorisations d’occupation du domaine ­public
de l’Etat. En sus de celles-ci, dans l’arrêt « Commune de
Douai », le Conseil d’Etat a reconnu expressément que les
parties pouvaient prévoir « [d’]attribuer au ­délégataire ou
au concessionnaire, pour la durée de la convention, la propriété des ouvrages qui, bien que nécessaires au fonctionnement du service public, ne sont pas établis sur la propriété d’une personne publique ».
Ce faisant, le juge a ainsi posé en principe la faculté pour
les parties de prévoir une appropriation privative temporaire de certains biens de retour qui, n’étant pas établis sur
la propriété d’une personne publique, ne sont pas soumis
à un régime domanial. Pour autant, outre le caractère temporaire de l’appropriation, l’arrêt précise que le contrat doit
comporter des garanties assurant la continuité du service
public, notamment la faculté pour la personne publique de
s’opposer à toute cession des biens en cause.
Comme le relevait ­Bertrand ­Dacosta dans ses conclusions,
­l’enjeu d’une telle avancée « n’est pas purement théorique,
puisque reconnaître un droit de propriété au concessionnaire sur les ouvrages de la concession, c’est permettre à
celui-ci de mobi­liser des techniques de financement plus
avantageuses, impliquant, de la part du financeur, la prise
de ­sûretés sur le bien ». On mesure alors toute la portée
pratique de cette solution qui vise à permettre de mobiliser de nouvelles ressources financières pour le financement
des biens ­nécessaires au service public tout en préservant
­l’affectation de ces biens et, au terme normal ou anticipé de
la convention, la propriété publique. Et cette solution rend
obsolètes les ­solutions de contournement de la théorie des
biens de ­retour auxquelles la pratique recourait, telle que
la qualification contractuelle en biens de reprise de biens
pourtant indispensables au service public, afin de permettre
une ­appropriation par le délégataire de ces biens pendant
la ­durée du contrat de délégation.
RÉFÉRENCE
CE, 21 décembre
2012, « ­Commune
de Douai »,
req. n° 342788.
Encadrement de l’indemnisation
du cocontractant
L’enjeu principal de la qualification de biens de retour est
de permettre le retour des biens concernés au délégant en
fin de contrat, ces biens étant considérés comme appartenant ab initio au délégant, sauf clause contraire prévoyant
une appropriation privative dans les conditions sus-rappelées. En conséquence de cette règle, la jurisprudence a précisé que c’est le délégant et non le délégataire qui est redevable de la taxe foncière sur les biens immobiliers ayant le
statut de biens de retour (6). Une clause stipulée au contrat
pourra cependant répercuter auprès du délégataire la charge
financière correspondante.
En principe, ce retour s’effectue à titre gratuit, comme l’a
consacré de longue date la jurisprudence (7). ­Toutefois, (•••)
LA GAZETTE • 13 AVRIL 2015 •
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(•••) la gratuité ne couvre pas l’hypothèse où les biens n’auraient pas pu être amortis, soit que la durée du contrat ait été
insuffisante, soit qu’il y ait été mis fin de façon ­prématurée.
Dans l’arrêt « Commune de ­Douai », le Conseil d’Etat a précisé que les parties ne peuvent valablement convenir de
conditions d’indemnisation des biens faisant retour de
­façon anticipée à la personne publique qui excéderaient la
part non amortie de ces biens, laquelle correspond à leur
valeur nette comptable : valeur nette comptable inscrite
au bilan si l’amortissement des biens en cause avait été
­calculé sur la base d’une durée d’utilisation inférieure à la
durée du contrat, valeur nette comptable qui résulterait de
­l’amortissement de ces biens sur la durée du contrat dans le
cas où leur durée d’utilisation était supérieure à la durée du
contrat. Il a ainsi encadré l’indemnité qu’est susceptible de
percevoir le délégataire en prescrivant son mode de calcul.
De façon générale, si l’indemnité de sortie ne peut être
­supérieure à la valeur nette comptable des biens non amortis inscrite au bilan au terme du contrat, en cas de résiliation anticipée, on peut y ajouter l’indemnisation du préjudice résultant, pour le concessionnaire, des dépenses qu’il
a exposées et du gain dont il a été privé, à condition qu’il
n’en résulte pas une disproportion manifeste au détriment
de l’autorité concédante. Il s’agit là d’autres chefs d’indem-
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nisation due en cas de résiliation, dont le dernier (le gain
manqué) est propre à la résiliation pour faute du délégataire.
(1) CE, 21 décembre 2012, « Commune de ­Douai », req. n° 342788.
(2) Sur ce régime, lire l’analyse de ­François ­L lorens : « La théorie des biens
de retour après l’arrêt “Commune de Douai” », RJEP, juin 2013, ainsi que
l’ouvrage de ­Laurent ­R icher, « Droit des contrats administratifs », LGDJ,
8e édition, 2012, n° 1211.
(3) CE, section des travaux publics, 19 avril 2005, avis n° 371234.
(4) CE, 5 février 2014, « Stés ­Equalia et ­Polyxo », req. n° 371121.
(5) CAA de Douai, 10 décembre 2013, « Sté ERDF », req. n° 12DA01949.
(6) Lire pour les incidences fiscales de la qualification de biens de retour :
CE, 27 février 2013, « Ministre du Budget c/ CCI de ­Béthune », req. n° 337634 ;
CE, 21 octobre 2013, « Ministre du Budget c/ Semidep », req. n° 358873.
(7) CE, 9 novembre 1895, ville de Paris, Rec., p. 142.
À RETENIR
˲˲Conciliation. Si la jurisprudence tend
à assouplir le régime des biens de retour
afin de l’adapter aux réalités économiques
et financières, elle continue à privilégier
la propriété publique de ces biens, sur
laquelle il n’est pas possible de transiger.
Le juge concilie liberté contractuelle et
fonctionnement du service public.