Extension lymphatique du cancer du poumon : une

Revue de Pneumologie clinique (2014) 70, 16—25
Disponible en ligne sur
ScienceDirect
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REVUE GÉNÉRALE
Extension lymphatique du cancer
du poumon : une anatomie enchaînée dans
des zones
Lymphatic spread of lung cancer: Anatomical lymph node chains
unchained in zones
M. Riquet ∗, C. Rivera , L. Gibault , C. Pricopi ,
P. Mordant, A. Badia, A. Arame, F. Le Pimpec Barthes
Service de chirurgie thoracique, laboratoire d’anatomie pathologique, hôpital européen
Georges-Pompidou, université Paris-Descartes, 20-40, rue Leblanc, 75015 Paris, France
Disponible sur Internet le 22 f´
evrier 2014
MOTS CLÉS
Cancer du poumon ;
Classification TNM ;
Métastases nodales
KEYWORDS
Lung cancer;
TNM classification;
∗
Résumé Le cancer du poumon est lymphophile. Sa dissémination métastatique se fait majoritairement par drainage lymphatique des cellules tumorales vers la circulation sanguine. Au
tout début, la classification de l’atteinte ganglionnaire a été basée sur des considérations cliniques et thérapeutiques et notamment en ce qui concerne le N2 : éviter les thoracotomies
inutiles, préciser les données fournies par la médiastinoscopie, prendre en compte les champs
d’irradiation. Depuis 1997, elle se soucie plus d’analyser les grandes disparités existant au sein
des N1 et des N2 sans toutefois parvenir à en comprendre le sens. Elle ne progresse plus. Ne
tenant pas compte de l’anatomie, elle ne permet pas d’appréhender la signification anatomique
et physiologique de l’atteinte N2 et N3. Il manque en effet à cette classification maintenant
confinée en des zones, les descriptions anatomiques et physiologiques qui caractérisent les
courants lymphatiques drainant les poumons et leur pathologie tumorale. Les stations décrites
dans les cartographies bénéficieraient en précision et en valeur pronostique si elles étaient
traduites en leurs équivalents anatomiques.
© 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Summary Lung cancer is characterized by its lymphophilia. Its metastatic spread mainly
occurs by tumor cells lymphatic drainage into the blood circulation. Initially, the lymph node
TNM classification was based on clinical and therapeutic considerations, particularly concerning N2 involvement. The goals were to avoid futile exploratory thoracotomies without lung
Auteur correspondant.
Adresse e-mail : [email protected] (M. Riquet).
0761-8417/$ — see front matter © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
http://dx.doi.org/10.1016/j.pneumo.2013.07.001
Extension lymphatique du cancer du poumon : une anatomie enchaînée dans des zones
Nodes metastases
17
resection, to provide more accurate data from mediastinoscopy, and to take into account the
radiation therapy fields. Since 1997, the international lymph node classification was more used
to analyse the disparities within N1 and N2 groups. However, this attempt did not succeed in
clarifying the lymphatic metastazing process, and was not progressing any more. Anatomy not
being considered, it did not permit to grasp the anatomical and physiological significances of
N2 and N3 involvement. In effect, this classification is now confined in zones and is lacking the
anatomical and physiological descriptions that characterise the lymphatic pathways draining the
lungs and their tumoral pathology. The stations proposed in numbers in cartographies should
have gained in accuracy and in prognostic value if they had been expressed in their anatomical
counterparts.
© 2013 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
Introduction
Le cancer du poumon (CP) est un cancer lymphophile.
Sa dissémination métastatique se fait majoritairement par
le drainage lymphatique des cellules tumorales (CT) vers
la circulation sanguine. Les CT empruntent les vaisseaux
lymphatiques (VL) péribronchiques intrapulmonaires qui
se poursuivent le long de la trachée dans le médiastin
et s’abouchent dans les confluents veineux cervicaux de
Pirogoff. Durant ce cheminement, les VL traversent des ganglions ou nœuds lymphatiques (NL) où les CT sont en général
retenues pour y être détruites. La colonisation de ces formations lymphoïdes constitue les premières métastases dans
l’évolution de la maladie. Les CT sont d’abord retenues dans
les NL du poumon et le TNM international dénomme ces premières métastases N1 [1]. Une fois cette barrière dépassée,
les CT sont retenues dans les NL du médiastin et les métastases sont appelées N2 quand elles siègent du même côté
du médiastin que la tumeur et N3 quand elles sont du côté
controlatéral [1]. Elles sont également appelées N3 quand
elles siègent dans les NL situés au niveau des abouchements
veineux cervicaux que ce soit du même ou de l’autre côté
[1]. Au niveau du médiastin, les VL et les NL qu’ils traversent
sont constitués en chaînes ganglionnaires. La classification
du TNM international ne tient pas compte de cette anatomie. Elle propose une numérotation en stations des sites de
NL en apparence les plus constants. Elle ne permet donc pas
d’appréhender la signification anatomique et physiologique
de l’atteinte N2 et N3 des CP. Après un rappel concernant
l’anatomie, nous verrons les démarches successives ayant
abouti à la classification des métastases ganglionnaires du
TNM, puis nous tenterons de resituer les chaînes au sein
des zones proposées actuellement pour donner un sens à
la cartographie internationale (mapping) de la classification
régionale des NL dans le CP.
Anatomie des lymphatiques du poumon
Les lymphatiques du poumon ont intéressé les anatomistes
depuis très longtemps et de nombreuses écoles d’anatomie
à travers le monde se sont penchées sur leur étude et leur
description. Trois études de par leur importance méritent
d’être citées : Hovelacque en 1912 [2], Rouvière en 1929 [3]
et Caplan en 1979 [4]. Ces travaux, à base d’injections intraparenchymateuses de produits colorés essentiellement pris
en charge par le système lymphatique, ont permis la description des principales chaînes ganglionnaires du médiastin
en montrant les VL et les NL traversés mais ils ont eu
deux inconvénients majeurs : les VL n’ont pas été suivis
jusqu’à leurs abouchements ultimes ou n’y aboutissaient
pas du fait de la technique utilisée et, surtout, les études
ont été menées sur des fœtus ou des enfants mort-nés
n’ayant pas ventilé. Aucune n’a concerné des sujets adultes
aux poumons ayant respiré et déjà confrontés aux expositions environnementales. Pour compléter ces travaux, notre
équipe a entrepris l’étude des lymphatiques du poumon
sur des cadavres de sujets adultes. L’injection du produit
coloré a été réalisée directement dans les VL sous-pleuraux
des segments pulmonaires (684 segments injectés) et les VL
ainsi remplis ont été disséqués et suivis sur tout(s) leur(s)
parcours jusqu’à leur(es) terminaison(s). Cette étude anatomique a été couplée à une étude chirurgicale consistant en
un curage systématique des ganglions du médiastin classés
selon les chaînes ganglionnaires chez des malades opérés
pour cancer, la CT et l’atteinte ganglionnaire étant considérées comme un traceur « anatomique ». Les résultats de
cette confrontation seront exposés plus loin dans cet article,
mais l’étude anatomique a permis de préciser plusieurs
points dont certains déjà mentionnés dans l’introduction
[5—9] :
• le drainage lymphatique reste segmentaire ;
• l’injection dès son arrivée dans le médiastin suit en général une chaîne ganglionnaire et par son intermédiaire
rejoint la circulation veineuse au niveau des confluents
veineux cervicaux, mais aussi ;
• l’injection peut rejoindre le canal thoracique dans le
médiastin et la circulation veineuse par l’intermédiaire
de ce dernier et enfin ;
• l’injection peut s’anastomoser avec une autre chaîne
ganglionnaire par des VL péritrachéobronchiques, ce qui
permet de constater que le produit a le plus souvent
rejoint la circulation sanguine lorsque 2 chaînes sont
injectées ;
• le nombre et la taille des NL traversés sont variables d’un
individu à l’autre et aussi chez un même individu, rendant
aléatoire l’interprétation des tailles des NL vues au scanner et l’importance donnée au nombre des NL présents
dans un curage pour en juger la qualité ;
• des vaisseaux lymphatiques peuvent ne traverser aucun
NL, expliquant certaines métastases systémiques chez
des patients N0, ou ne pas rencontrer de ganglion
18
M. Riquet et al.
intrapulmonaire avant ceux du médiastin, expliquant les
« skipping » métastases.
Évolution de la notion du N dans la
classification TNM internationale du
cancer du poumon
Mountain proposa sa première classification TNM du cancer
du poumon en 1974 [10]. À cette époque, les tumeurs neuroendocrines, dont les carcinoïdes mais aussi les cancers à
petites cellules, étaient regroupées avec les cancers du poumon, et les métastases aux NL du médiastin étaient toutes
considérées N2, quels que soient leurs sièges. Cette atteinte
N2 était le plus souvent au-delà de toute ressource chirurgicale et diagnostiquée tardivement lors d’une thoracotomie.
Les métastases aux ganglions du médiastin étaient donc avec
une très grande fréquence, à l’origine de thoracotomies
qui ne restaient qu’exploratrices. C’est pour diminuer cette
fréquence et éviter une chirurgie inutile chez ces patients
N2 qu’avaient été développées les techniques de médiastinoscopie.
En 1978, Naruke publiait un article intitulé « Lymph node
mapping and curability at various levels of metastasis in
resected lung cancer » [11]. Parmi les patients ayant eu une
exérèse, 64 étaient N2. Le siège des NL métastatiques était
reporté pour chaque malade sur une carte de l’arbre bronchique et de la trachée où figuraient dans de petits ronds,
toujours situés au même endroit sur cette carte, 14 stations
représentant le siège théorique de l’emplacement des NL,
la station 1 étant la plus haut située au niveau de la trachée (siège cervical) et la station 14 la plus distale, en dec
¸à
des bronches sous-segmentaires (Fig. 1). Quinze des patients
N2 étaient en vie à 5 ans (18,8 %) et les stations N2 étaient
dans le médiastin du côté de la tumeur (stations 9 à 2, homolatérales). Il apparaissait donc que certains patients dont
l’envahissement des NL du médiastin était homolatéral à
la tumeur pouvaient être guéris par leur exérèse et que
tous les N2 ne devaient pas être systématiquement récusés
pour la chirurgie. En 1980, Martini et al. [12] rapportaient
des résultats analogues. La carte des stations ganglionnaires
proposée par Naruke et celle de l’American Joint Committee for Cancer (AICC) [13], avec de minimes modifications
(suppression de la station 14 assimilée à la station 13) en
1979 (Fig. 2).
En 1983, l’American Thoracic Society (ATS) remettait
en cause la validité anatomique de cette cartographie.
Plusieurs des stations proposées par Naruke n’étaient pas
définies de fac
¸on très spécifique ce qui ouvrait la porte
à des interprétations subjectives : les NL apparaissaient
comme des micros étiquettes sur un diagramme, rendant
imprécises les limites de chaque station et arbitraire la
localisation des NL. Aussi, du fait des progrès réalisés dans
les démarches diagnostiques (médiastinoscopie et tomodensitométrie) et de l’absence de définition précise de
chaque station ganglionnaire, l’ATS proposa une modification de la classification et une nouvelle cartographie.
Celle-ci prenait en compte les structures anatomiques qui
pouvaient être identifiées en médiastinoscopie et distinguait les métastases ganglionnaires en fonction de leur siège
droit et/ou gauche dans le médiastin en considérant que
l’envahissement des NL sous la carène était bilatéral. Le
médiastin droit été distingué du médiastin gauche par une
ligne verticale passant par la carène (Fig. 3) [14].
En 1986, Mountain proposait un « new international
staging system for lung cancer » [15], maintenait cette cartographie de 1983, mais appelait N2 les métastases des
NL du médiastin homolatéral du fait de leur possible
meilleur pronostic post-chirurgical, et N3 celles du médiastin controlatéral ou supraclaviculaires dont le pronostic
était extrêmement mauvais. La raison de l’individualisation
de ces sites N3 était qu’ils se trouvaient au niveau des
champs d’irradiation de la radiothérapie mais n’étaient pas
anatomiques. Cette nouvelle classification ne concernait
plus que les cancers non à petites cellules et excluait tout
ce qui était « neuroendocrine ».
Dans un travail présenté en 1981, nous avions constaté
que certains patients N2 bénéficiaient d’une survie prolongée après chirurgie [16], mais remarqué, en revoyant les
dossiers, que quelques-uns ne présentaient pas de métastase aux NL intrapulmonaires. Martini [17] et Libschitz [18]
rapportaient aussi à la même période des cas de métastases
directes aux NL du médiastin, et les dénommaient « skipping
metastasis ». Cette curiosité nous avait fait penser à une
probable origine anatomique et furent à l’origine de nos
travaux sur l’anatomie des lymphatiques pulmonaires chez
le sujet adulte. Ces travaux ont commencé au début de
l’année 1984, époque à laquelle la validité anatomique des
cartographies était remise en question par l’ATS. Nous avons
publié l’explication anatomique des « skipping » métastases
en 1989 [6].
En 1997, 11 ans après sa deuxième classification, Mountain [19] proposait une nouvelle cartographie (Fig. 4). Cette
cartographie était calquée sur celle de 1983, avec la seule
différence que les lignes indiquant les limites anatomiques
des stations applicables à l’usage de la médiastinoscopie
avaient été supprimées, celle virtuelle séparant le médiastin
droit et gauche étant conservée. Cette cartographie, définitivement retenue par la communauté internationale, a des
rapports très lointains avec l’anatomie.
Extension lymphatique
anatomochirurgicale du cancer du poumon
Les résultats de l’étude sur l’anatomie des lymphatiques
pulmonaires chez l’adulte ont été publiés en 1993 [7] et
ceux de celle confrontant cette anatomie à la dissémination
lymphatique des cancers opérés en 1994 [8].
L’étude confrontant l’anatomie à la dissémination lymphatique des cancers opérés [8] mettait en évidence que le
pronostic était meilleur quand une seule chaîne était envahie (taux de survie à 5 ans de 27,4 % contre 9,3 % quand 2 ou
plusieurs chaînes étaient envahies, p < 0,0001). Une explication pouvait être donnée par l’anatomie : la lymphe d’une
chaîne médiastinale peut rejoindre la circulation sanguine
soit directement, soit par l’intermédiaire du canal thoracique, ce qui est normalement le cas quand une deuxième
chaîne est injectée, et l’atteinte d’une seule chaîne est
encore un phénomène local chez 27 % des patients alors que
des métastases systémiques occultes non décelables en préopératoire sont déjà présentes chez les autres malades. Le
fait du reste que 90 % de ces derniers patients mouraient de
Extension lymphatique du cancer du poumon : une anatomie enchaînée dans des zones
19
Figure 1. « Lymph node mapping » selon Naruke [11]. Avec la permission de la Japan Lung Cancer Society. Classification of lung cancer.
First English edition, Tokyo : Kanehara et Co.
métastases systémiques venait renforcer cette hypothèse.
Toutefois, il n’y avait pas d’explication à ce que les taux
de survie chez les patients N1 soient intermédiaires entre
ceux observés chez les N0 et ceux observés chez les N2.
Certains auteurs avaient constaté que les taux de survie
étaient meilleurs chez les patients N1 du fait de métastases
intralobaires que chez ceux porteurs de métastases extralobaires et hilaires [20,21]. L’étude de nos patients a permis
de confirmer ces résultats et nous avons remarqué que la
survie des N1 intralobaires était semblable à celle des N0 et
que la survie des N1 extralobaires et hilaires à celle des
N2 dont une seule chaîne était métastatique [22]. Les NL
extralobaires et hilaires sont les premiers ganglions de la
chaîne anatomique [3,7], ce qui peut expliquer cette dernière constatation. Le fait que les intralobaires aient le
même pronostic que les N0 pourrait s’expliquer par leur
apparition possible après la naissance [23] à partir du tissu
lymphoïde associé aux bronches (système BALT) [24]. À
la même période, Asamura [25] constatait également que
les N1 extralobaires et hilaires avaient un pronostic voisin de celui des N2, discutait de la frontière réelle entre
N1 et N2, et suggérait d’incorporer les N1 hilaires aux N2.
20
Figure 2.
M. Riquet et al.
Carte proposée par l’American Joint Committee for Cancer (AICC) en 1979 [13]. Avec la permission de l’AJCC.
En fait, d’après nos travaux, il paraissait logique d’aller
encore plus loin et de proposer 3 types de N différents en
incluant les N1 intralobaires dans les N0, les N1 extralobaires
et hilaires dans les N2 à une seule chaîne et en classant
les N2 multichaînes à part [26]. Quelques travaux ultérieurs
ont montré que les N1 hilaires avaient cette valeur pronostique [27,28] et que les N2 ne touchant qu’une seule station
avaient un meilleur pronostic que ceux en touchant 2 ou
plusieurs [29,30]. Dans la classification internationale, une
seule chaîne ganglionnaire est concernée quand une seule
station est métastatique, mais malheureusement, il peut
souvent s’agir d’une même chaîne quand 2 stations le sont.
Cartographie ganglionnaire et
aménagement en zones
En 2007, Rusch et al. [31] eurent en charge de revoir la classification du N dans le cadre du projet de révision du TNM
entrepris par l’« International Association for the Study of
Lung Cancer » (IASLC). Leur travail avait consisté à reprendre
47 bases de données regroupant 28 371 patients traités chirurgicalement. Les données concernant le N n’étaient
exploitables que dans 12 bases et pour 2876 patients. Elles
ne permettaient pas de modifier la cartographie proposée
par Mountain en 1997. Toutefois, les bases de données étant
internationales, le travail permettait de souligner quelques
différences existant entre la cartographie japonaise utilisée
par la « Japan Lung Cancer Society » (JLCS) diffusée par
Naruke et celle de l’« American Thoracic Society » (ATS) diffusée par Mountain : la station 1 de la JLCS correspondant
aux stations 1 et 2 de l’ATS, les stations 2, 3, 4R et 4L de la
JLCS aux stations 4R et 4L de l’ATS, et les stations 10 et 7 de
la JLCS à la station 7 de l’ATS. Un consensus permettait une
harmonisation qui fut reportée dans la nouvelle cartographie
proposée en 2009 pour le nouveau TNM [32] devenue ainsi
utilisable par tous. Cette « réconciliation » des 2 principales
cartographies internationales rapprochait un peu plus la
cartographie de la réalité anatomique et ces quelques
modifications correspondaient plus à nos constatations anatomiques. La nouvelle cartographie a été testée d’un point
de vue pronostique et il a été statistiquement envisagé
de répartir le médiastin et les poumons en « zones », dont
la valeur pronostique pourrait être validée par des études
ultérieures. Toutefois, cette répartition laisse persister des
sources de biais que les études anatomiques expliquent et
permettraient de corriger.
Anatomie des drainages lymphatiques
pulmonaires et imprécisions de la
cartographie
La description anatomique des chaînes ganglionnaires de
notre étude s’avéra assez conforme à celle rapportée par
Extension lymphatique du cancer du poumon : une anatomie enchaînée dans des zones
21
Rouvière et revue par Caplan [3,4]. Après avoir resitué les
données anatomiques et les stations en leur sein, nous verrons ce qui éloigne les cartographies de l’anatomie dans leur
répartition en zones.
Anatomie des drainages lymphatiques
pulmonaires
Figure 3. Carte proposée par l’American Thoracic Society (ATS)
en 1983 [14]. Reproduit avec la permission de l’American Thoracic
Society. Copyright © 2013.
Figure 4. Carte proposée par Mountain en 1997 dans sa classification internationale [19]. Reproduit avec la permission de l’American
College of Chest Physicians.
Il est possible de décrire les chaînes ganglionnaires du
médiastin [7] et d’y faire figurer les stations numérotées
dans la cartographie internationale [33] (Fig. 5—7).
Le médiastin supérieur droit comprend 3 chaînes :
• la chaîne pré- ou paratrachéale droite contient de nombreux NL dont la taille décroît de bas en haut et dont le
nombre varie d’un individu à l’autre. Cette chaîne inclue
les stations 4R, 2R, 10R (ganglion de la crosse de l’azygos
de Rouvière [3]) et le NL précarinaire 3 de Naruke [11].
Elle est située dans la loge de Baréty et déborde largement la ligne médiane sur la gauche ;
• la chaîne trachéo-œsophagienne consiste en un ou deux
VL qui montent dans le sillon que forment l’œsophage
et le bord droit de la trachée. Il y a peu de NL. Le plus
constant siège au niveau du défilé cervicothoracique. Plus
rarement existe un NL posé sur la membraneuse de la
bronche souche droite. Cette chaîne correspond à la station 3p ;
• la chaîne phrénique droite longe le nerf phrénique, n’est
pas toujours dotée de NL et correspond à la station 3a
quand il en existe.
Figure 5.
Équivalence anatomique des différentes stations, face.
22
Figure 6.
droit.
M. Riquet et al.
Équivalence anatomique des différentes stations, profil
Le médiastin supérieur gauche contient également
3 chaînes :
• la chaîne pré-aorto-carotidienne commence à partir de
l’artère pulmonaire gauche habituellement avec un NL
situé au niveau du ligament artériel (ganglion de Botal)
correspondant à la station 5. Elle monte le long de la bissectrice d’un triangle à sommet supérieur dans la base du
cou ayant pour base le hile pulmonaire, et pour côtés le
nerf phrénique en avant et pneumogastrique en arrière.
Hormis les NL de la station 5, les autres NL sont rares et
peu nombreux (station 6) ;
• la chaîne paratrachéale ou récurrentielle gauche est
constituée de VL qui suivent le bord supérieur de la
bronche souche gauche, passent donc sous la crosse de
l’aorte et montent dans le sillon que forment l’œsophage
et le bord gauche de la trachée. Elle longe le long de ce
trajet le nerf récurrent gauche. Les NL de cette chaîne
sont habituellement sus-bronchique gauches et situés à
la partie basse de la trachée (stations 10L et 4L). Les NL
plus haut situés sont rares (station 2L), heureusement car
difficilement accessibles ;
• la chaîne phrénique gauche monte le long du nerf phrénique. Les NL y sont rares mais plus fréquents qu’à
droite du fait de sa proximité avec la chaîne pré-aortocarotidienne avec laquelle elle contracte de fréquentes
anastomoses. La notion de station 3a n’existe pas à
gauche. Les NL sont assimilables à la station 6.
Le médiastin inférieur, situé sous le plan horizontal passant par la carène, contient trois chaînes :
Figure 7.
gauche.
Équivalence anatomique des différentes stations, profil
• la chaîne intertrachéobronchique est située dans l’espace
formé par la bifurcation bronchique sous la carène. Elle
est constituée en fait par un groupe de NL souvent de
taille et de nombre variables d’un individu à l’autre, qui
est commun aux deux poumons. Ce groupe est formé de
trois amas, un médian sous-carinaire correspondant aux
stations 7 en haut et 8 en bas et deux amas droit et gauche
correspondant aux stations 10R et 10L ;
• les deux chaînes des ligaments triangulaires des poumons ;
les NL n’y sont ni très fréquents ni nombreux, mais les
VL y sont constants. Ces chaînes sont situées le long de
l’œsophage mais les NL qui s’y trouvent sont à distinguer des NL juxta œsophagiens qui rec
¸oivent les VL de
l’œsophage [34] mais ne participent pas au drainage lymphatique des poumons à l’état normal.
Cartographie et zones anatomiques
Des imprécisions persistent dans la répartition en 7 « zones
anatomiques » de la nouvelle cartographie [32]. Les zones
ne correspondent pas à une équivalence anatomique mais
résultent d’analyses statistiques de données rétrospectives.
La distinction entre les stations persiste. Les 4 stations
péritrachéales sont en fait 2 chaînes (2R et 4R sont dans la
chaîne prétrachéale droite et 2L et 4L dans la chaîne récurrentielle gauche). Par contre, la division arbitraire entre
médiastin gauche et droit a été à juste titre supprimée, le
10R au niveau de l’azygos incorporé à la chaîne prétrachéale
Extension lymphatique du cancer du poumon : une anatomie enchaînée dans des zones
Figure 8.
23
Carte proposée par l’American Joint Committee for Cancer (AICC) en 2009 avec sa répartition en zones [32].
droite de même que le NL précarinaire 3 de la classification
japonaise.
La station 8 qui devrait être incluse avec la station 7 est
encore individualisée, toutefois elle figure dans la zone inférieure, mais malheureusement avec la station 9, qui elle est
une chaîne différente. Les stations 5 et 6 sont regroupées
en une seule zone, et la notion de station phrénique gauche
n’existe pas.
Les zones sont reprises dans le nouveau schéma de la
classification TNM (Fig. 8).
La zone « supraclavicular » correspond au N3 susclaviculaires.
La zone « upper » correspond aux chaînes prétrachéale
droite, trachéo-œsophagienne, phrénique droite et récurrentielle gauche. Cette zone peut correspondre à plusieurs
chaînes droites, à une seule chaîne gauche et dans ces cas
il s’agit de N2, mais elle peut correspondre aussi à des
N3 notamment dans les staging préopératoires.
La zone dite de l’AP peut correspondre à une seule chaîne
ou à deux quand la chaîne phrénique gauche et la chaîne
pré-aorto-carotidienne sont toutes deux envahies.
La zone sous-carinaire (subcarinal) ne comprend que la
station 7 alors qu’elle devrait plus anatomiquement inclure
la station 8.
La zone inférieure (lower) comprend les NL des ligaments triangulaires et la station 8, et donc potentiellement
2 chaînes métastatiques.
Les zones concernant les N1 (« hilar/interlobar » et
« peripheral ») correspondent aux deux entités anatomiques
possibles et sont les seules avec la zone « supraclavicular »
à pouvoir être considérées ainsi dans un tel cadre. Il faut
toutefois noter un problème propre à la station 12 (NL
lobaire) dont le siège est légèrement différent d’une cartographie à l’autre. En effet, un NL à ce niveau peut être
intralobaire s’il est situé vers les bronches segmentaires
(vraie station 12) et extralobaire s’il est au niveau du
24
tronc intermédiaire (station 11 dans ce cas). Cette imprécision est à l’origine possible d’une mauvaise distinction
entre NL extra- et intralobaires et donc d’une impossibilité d’établir une valeur pronostique différente entre les
2 stations.
Les zones proposées dans la nouvelle classification internationale ne correspondent que partiellement aux chaînes
anatomiques et seulement dans des situations particulières
qui sont les suivantes : une seule station est métastatique ou 2 stations d’une même chaîne dans une même
zone.
Dans les autres cas elles peuvent englober des situations
très différentes et ne pas permettre de dégager des caractéristiques pronostiques : le plus souvent quand 2 stations sont
métastatiques dans une même zone appartenant à 2 chaînes
différentes.
Conclusion
À ses origines, la classification de l’atteinte ganglionnaire
des cancers du poumon a été basée sur des considérations cliniques et thérapeutiques et notamment en ce qui
concerne le N2 : éviter les thoracotomies inutiles, préciser les données fournies par la médiastinoscopie, prendre
en compte les champs d’irradiation. Depuis 1997, elle se
soucie plus de considérer les grandes disparités de cette
classification au sein des N1 et des N2 sans toutefois parvenir à en comprendre le sens. Il manque en effet à cette
classification maintenant confinée en des zones, les descriptions anatomique et physiologique qui caractérisent les
courants lymphatiques drainant les poumons et leur pathologie tumorale. Les stations décrites dans les cartographies
bénéficieraient d’être traduites en leurs équivalents anatomiques.
Déclaration d’intérêts
Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en
relation avec cet article.
Références
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poumon, vaisseaux et ganglions. Étude faite sur le fœtus et le
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