n°39 - Direction des sciences du vivant

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Institut de Recherches en Technologies et Sciences pour le Vivant
Fonctions intégrées des protéines - Du vivant aux nanotechnologies
Direction des Sciences du Vivant
Résultats scientifiques
Lettre n° 39 - Mars 2014
Fleur
Renaud Dumas
Page 2
Pseudomonas
Sylvie Elsen
Page 1
Ingénierie métabolique
Myriam Ferro
Pages 2
Ataxie de Friedreich
Sandrine Ollagnier
Page 3
Une nouvelle arme fatale pour le bacille Pseudomonas
aeruginosa, multi-résistant aux antibiotiques
Une collaboration entre des équipes mixtes de notre Institut et des médecins du CHU de Grenoble a permis d’identifier un nouveau facteur de virulence du pathogène opportuniste Pseudomonas aeruginosa, une bactérie qui
sévit partout dans le monde, couramment nommée bacille pyocyanique. Ce pathogène provoque fréquemment des
infections pulmonaires aiguës ou chroniques, en particulier chez les personnes atteintes de mucoviscidose ou hospitalisées en services de soins intensifs. Deux voies essentielles de virulence de P. aeruginosa au niveau des poumons infectés sont ainsi identifiées : la première, déjà connue, provoque une inflammation tissulaire par injection de toxines ; la seconde,
décrite ici, provoque une hémorragie par un mécanisme impliquant une nouvelle toxine libérée à proximité des cellules. Ces deux voies
devront désormais être prises en compte pour le développement de nouveaux antimicrobiens ou de vaccins, la résistance aux antibiotiques
actuels ne cessant d’augmenter chez ce pathogène.
Les médecins hospitaliers connaissent bien Pseudomonas aeruginosa, ce pathogène opportuniste
fréquemment responsable d’infections pulmonaires graves, aiguës ou chroniques. La grande capacité de cette bactérie à acquérir des résistances aux
antibiotiques en fait une cible privilégiée pour le
développement de nouvelles stratégies thérapeutiques. Ces dernières visent à inhiber les facteurs de
virulence microbiens plutôt que leur multiplication. Classiquement, le pouvoir pathogène du
bacille pyocyanique est largement attribué à son
système de sécrétion de type III (SST3). Il s’agit
d’une véritable aiguille moléculaire qui injecte des
toxines directement dans les cellules de l’immunité
ou des barrières pulmonaires et vasculaires, entraînant des dégâts tissulaires majeurs.
Des chercheurs de l’équipe Pathogénie
Bactérienne et Réponses Cellulaires du
laboratoire Biologie de Cancer et de
l’Infection, en collaboration avec des
médecins du Service de Réanimation et
du Laboratoire de Bactériologie-Hygiène Hospitalière du CHU de Grenoble, ont identifié un nouveau mécanisme de virulence chez une souche de
P. aeruginosa. Nommée CLJ1, celle-ci a
été isolée au CHU de Grenoble chez un
patient décédé d’une pneumonie hémorragique qui a aggravé une insuffisance respiratoire chronique.
Les chercheurs ont montré que cette
Facteur de virulence du pathogène Pseudomonas aeruginosa, une souche était hypervirulente chez un
bactérie autrement connue sous le nom de bacille pyocyanique qui modèle rongeur alors qu’elle ne possède
provoque souvent des infections pulmonaires chroniques et aiguës. pas les toxines les plus connues, ni l’aiguille du SST3. Elle provoque une héReprinted from Cell Host Microbe, 15(2), Elsen S, Huber P, Bouillot S, morragie pulmonaire fatale chez des
Couté Y, Fournier P, Dubois Y, Timsit JF, Maurin M, Attrée I, “A Type III modèles infectés, comparable à celle
Secretion Negative Clinical Strain of Pseudomonas aeruginosa Employs a observée chez le patient.
Two-Partner Secreted Exolysin to Induce Hemorrhagic Pneumonia”. L’analyse comparative des protéines
Pages 164-76, Copyright (2014), with permission of Elsevier.
sécrétées par différentes souches de P.
Biologie du Cancer et de l’Infection
aeruginosa, réalisée par l’équipe Étude de la Dynamique des Protéomes du Laboratoire de Biologie à
Grande Échelle, a permis d’identifier chez l’une
des souches une nouvelle cytolysine, nommée
Exolysine A. Celle-ci entraîne la mort des cellules
infectées en provoquant leur rétraction, la désorganisation de leur squelette d’actine et la perméabilisation de leur membrane externe.
Des souches de P. aeruginosa responsables de pathologies variées, collectées dans divers hôpitaux
aux Etats-Unis et en Europe, ont également la capacité de sécréter l’Exolysine A. Ce qui indique
que ce type de souche est de répartition mondiale.
Il est donc essentiel de prendre en compte ce
nouveau mécanisme de virulence pour le développement de nouveaux antimicrobiens visant
Pseudomonas aeruginosa.
Contact : Sylvie Elsen
BCI
Laboratoire Biologie du Cancer
et de l'Infection
UMR_S 1036 - CEA - Inserm - UJF
Référence
Elsen S, Huber P, Bouillot S, Couté Y, Fournier
P, Dubois Y, Timsit JF, Maurin M and Attrée I.
A type III secretion negative clinical strain of
Pseudomonas aeruginosa employs a two-partner
secreted exolysin to induce hemorrhagic
pneumonia. Cell Host & Microbe, 2014
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La protéine des fleurs révèle un pan de son histoire…
L'anatomie d'un organisme vivant, qu'il soit végétal ou animal, est inscrite dans son patrimoine génétique : ce
sont les gènes architectes qui gouvernent la nature et la position de ses organes. L'évolution des êtres vivants au
cours du temps est donc souvent dictée par l'évolution de ce type de gènes. Les mutations de ces derniers contribuent ainsi à faire évoluer les morphologies, voire à créer de nouveaux organismes. Mais elles peuvent aussi être
fatales, si les changements qu'elles induisent sont trop brutaux. Pour cette raison, l'évolution d'un gène architecte
se fait le plus souvent après sa duplication, un événement de dédoublement du gène où l'une de ses deux copies
assure la fonction originale, tandis que l'autre peut évoluer librement.
Les chercheurs viennent de montrer que le gène
architecte LEAFY (codant pour la protéine du
même nom) a réussi à évoluer sans duplication.
Chez les plantes à fleurs, ce gène orchestre la formation du bouton floral et de ses différents organes (sépales, pétales, étamines et pistil). Il était déjà
présent, mais avec des propriétés différentes, chez
les végétaux plusieurs centaines de millions d'années avant l'apparition des fleurs. En témoigne la
présence de la protéine LEAFY chez des algues et
chez les mousses qui sont des végétaux sans fleurs.
L'acquisition des propriétés requises pour sa fonction florale s'est faite en douceur via une forme
intermédiaire, ayant cumulé les caractéristiques
anciennes et nouvelles, celles de l'algue et de la
plante à fleur. Cette forme intermédiaire a pu être
identifiée car elle existe toujours chez Nothoceros
aenigmatica, une espèce apparentée aux mousses.
C'est la première fois qu'un tel mécanisme d'évolution est mis à jour pour un gène architecte.
Ce mode d'évolution est probablement impliqué
dans d'autres types de gènes architectes comme
ceux responsables du développement des embryons chez les insectes ou les mammifères.
Contact : Renaud Dumas
LPCV
Laboratoire Physiologie Cellulaire & Végétale
UMR 5168 - CEA - CNRS - UJF - Inra
Référence
Sayou C, Monniaux M, Nanao MH,
Moyroud E, Brockington SF, Thévenon E,
Chahtane H, Warthmann N, Melkonian M,
Zhang Y, Wong GK, Weigel D, Parcy F and
Dumas R. A promiscuous intermediate
underlies the evolution of LEAFY DNA
binding specificity. Science, 2014
Évolution du mode de liaison à l'ADN
de LEAFY au travers des espèces (algues
en bleu, mousse en vert, fleurs en rouge/
orangé.
La protéomique au service de l’ingénierie métabolique
L’ingénierie métabolique vise à développer des micro-organismes particulièrement performants pour la production
de molécules d’intérêt. Afin d’optimiser cette production, il est nécessaire d’avoir recours à des modèles de prédiction des flux métaboliques. Jusqu’à ce jour, faute de disposer d’une méthode permettant d’avoir accès aux quantités
exactes d’enzymes présentes dans les cellules, les modèles développés n’intégraient pas ces données.
Les travaux réalisés dans l’équipe Étude de la Dynamique des Protéomes (EDyP) du laboratoire Biologie à Grande Échelle ont permis d’appliquer une
stratégie analytique utilisant la spectrométrie de
masse (technologie PSAQ™ ; voir lettre scientifique de l’iRTSV n°27) à la quantification exacte et
multiplexe de 22 enzymes intervenant dans le
métabolisme central de la bactérie Escherichia coli.
Cette stratégie à permis de comparer l’abondance
de ces enzymes entre une souche de référence d’E.
coli et deux souches modifiées mutées qui produisent un pouvoir réducteur élevé (quantités importantes de NADPH). Ces enzymes font partie de la
voie de synthèse de l'acide tricarboxylique, des
pentoses phosphates et de la glycolyse.
La combinaison de la connaissance de la quantité
absolue de protéines et de données de fluxomique
(étude des flux métaboliques) permet de définir le
paramètre cinétique « F » qui correspond à l’activité enzymatique effective (Figure) et de distinguer
deux niveaux de régulation d’une réaction : soit au
niveau de la quantité d’enzyme qui catalyse cette
réaction, soit au niveau de l’activité enzymatique
proprement dite. Cette information relative au
niveau de régulation est capitale pour orienter la
stratégie d’ingénierie métabolique puisque celle-ci
cherchera à augmenter la quantité d’enzyme, ou à
modifier l’activité de l’enzyme. De plus la connaissance de la quantité exacte d’enzyme présente
dans la cellule est un élément clé pour déterminer
la valeur Kcat/Km, souvent absente des bases de
données d’enzymes, et nécessaire à toute modélisation.
Référence
Trauchessec M, Jaquinod M, Bonvalot A, Brun
V, Bruley C, Ropers D, De Jong H, Garin J,
Bestel-Corre G and Ferro M. Mass
spectrometry-based workflow for accurate
quantification of E. coli enzymes: How
proteomics can play a key role in metabolic
engineering. Molecular and Cellular Proteomics,
2014
Les résultats obtenus par l’équipe EDyP
permettent de déterminer certains paramètres enzymatiques de voies métaboliques
d'intérêt qui pourront être utilisés dans le
cadre du développement d'outils prédictifs
en biologie des systèmes et dans de nombreuses applications de biotechnologie.
Contact : Myriam Ferro
BGE
Laboratoire Biologie à Grande Échelle
Inserm_S 1038 - CEA - Inserm - UJF
Equation de Michaelis-Menten et paramètres cinétiques
associés.
V = flux. [E] = concentration de l’enzyme. Kcat = turnover.
Km = constante d’affinité. [S] = concentration du substrat.
Ce travail est le fruit d’une collaboration entre l’équipe BGE/EDyP, l’entreprise MetabolicExplorer et l’équipe IBIS de l’Inria/Grenoble.
Cette stratégie est développée dans le cadre du projet RESET, Investissements d’Avenir Bio-Informatique (dont le porteur du projet est Hidde De Jong, Inria) visant à modéliser la machinerie d’expression génique des bactéries dans le but d’optimiser la production de composés d’intérêt.
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Physiologie Cellulaire & Végétale - Biologie à Grande Échelle
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Vers la compréhension de l’ataxie de Friedreich
Impliqués dans de nombreuses fonctions biologiques telles que les mécanismes de transcription, de traduction, de
réplication de l’ADN ou de régulation de la quantité de fer cellulaire, les centres fer-soufre (Fe/S) sont des cofacteurs essentiels à la vie. La synthèse des Fe/S est assurée dans la mitochondrie par un complexe multi-protéique,
une des machineries cellulaires les plus conservées au cours de l’évolution. Commune à l’ensemble du règne animal, elle est présente de la bactérie à l’homme où elle entraîne de nombreuses maladies telles que des ataxies, encéphalopathies, anémies, ou myopathies, lorsque elle est défaillante.
Initialement mise en cause dans l’ataxie de Friedreich où elle est déficiente, la fonction de la frataxine, une des quatre protéines qui compose le
complexe multi-protéique responsable de la synthèse des Fe/S, suscite l’intérêt de la communauté
scientifique. Cette pathologie rare concerne une
naissance sur 50 000, et des stratégies thérapeutiques tentent de réduire les effets néfastes qui découlent de l’absence de frataxine fonctionnelle.
Différents travaux ont montré son implication
dans le métabolisme du fer cellulaire et plus récemment dans la synthèse des Fe/S.
Les études menées par l’équipe Biocatalyse du Laboratoire Chimie et Biologie des Métaux en collaboration étroite avec le groupe de H. Puccio à
l’IGBMC de Illkirch et des biophysiciens du CEAGrenoble (équipe Physicochimie des Métaux en Biolo-
gie du Laboratoire Chimie et Biologie des Métaux
et Inac/SCIB) ont permis de dévoiler le rôle de la
frataxine au cours de l’étape initiale de la biosynthèse des Fe/S. Ces chercheurs ont comparé, par
une approche interdisciplinaire alliant biologie
moléculaire, biochimie et biophysique, l’activité du
complexe protéique en présence et absence de
frataxine. Ils ont mis en évidence le rôle de la protéine lors de l’assemblage des Fe/S, où elle contrôle l’arrivée du fer dans le complexe via l’activation de la cystéine désulfurase, une enzyme du
complexe qui fournit les atomes de soufre à partir
de L-cystéine (Figure). Ils montrent ainsi pour la
première fois que les Fe/S se forment par arrivée
simultanée des deux éléments qui les constituent.
De plus, ils mettent en évidence que la frataxine
protège les Fe/S nouvellement formés dans le
complexe au sein de la protéine échafaudage ISCU
(Figure) en empêchant la dissociation de l’édifice
protéique pour permettre leur transfert aux protéines mitochondriales dont l’activité en dépend.
Une meilleure connaissance du fonctionnement
de cette protéine au niveau moléculaire est primordiale pour la conception de traitements plus
efficaces qui s’attaquent directement à la cause de
ce trouble, en créant, par exemple, des molécules
capables de mimer les propriétés biologiques de
la frataxine.
Contact : Sandrine Ollagnier de Choudens
LCBM
Laboratoire Chimie et Biologie des Métaux
UMR 5249 - CEA - CNRS - UJF
Référence
Colin F, Martelli A, Clemancey M, Latour JM,
Gambarelli S, Zeppieri L, Birck C, Page A, Puccio
H and Ollagnier de Choudens S. Mammalian
frataxin controls sulfur production and iron entry
during de novo Fe4S4 cluster assembly. Journal of the
American Chemical Society, 2013
Fer
ala
Soufre
nin
e
L-cystéine
Rôle de la frataxine dans l’assemblage des centres fer-soufre.
F : frataxine. NFS1 : cystéine désulfurase. Isd11 : partenaire de NFS1. U : protéine échafaudage ISCU. En orange : atome de fer, en jaune : atome de soufre.
L'ataxie de Friedreich est une maladie neurologique,
évolutive, rare et d'origine génétique. Ataxie signifie
incoordination des mouvements, due à l'atteinte du cervelet et de la sensibilité profonde.
Les laboratoires de l’iRTSV
Directeur de la publication
Dr. Jérôme Garin
BCI
CBM
UMR_S 1036
CEA/Inserm/UJF
UMR 5249
CEA/CNRS/UJF
Biologie du Cancer
et de l'Infection
Chimie et Biologie
des Métaux
BGE
PCV
UMR_S 1038
CEA/Inserm/UJF
UMR 5168
CEA/CNRS/UJF/Inra
Biologie à Grande
Échelle
Physiologie Cellulaire & Végétale
GPC
Groupe Physiopathologie du Cytosquelette
iRTSV et UMR_S 836
UJF/Inserm/CEA/CHU
Éditeur et format électronique
Pascal Martinez — [email protected]
Comité de rédaction
Renaud Dumas, Sylvie Elsen, Myriam Ferro, Sandrine
Ollagnier de Choudens.
Institut de Recherches en Technologies et
Sciences pour le Vivant
http://www-dsv.cea.fr/irtsv
http://www-dsv.cea.fr/irtsv/lettres
CEA Grenoble
17 rue des Martyrs
38 054 Grenoble cedex 09
Responsable : Jérôme Garin
Tel. : 04 38 78 45 01
Fax : 04 38 78 51 55
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Chimie et Biologie des Métaux Contacts : [email protected]