Ézechiel 36 ou l`Esperance retrouvée

Soirées Carême Paroisse Vaise
EZECHIEL ou L’ESPERANCE RETROUVEE
Lecture du livre d’Ezechiel 36, 16-17a. 18-28
Introduction :
. La liturgie propose dix-sept extraits du livre d’Ezechiel dont un extrait
parmi les lectures de la veillée pascale.
En fait peu de chrétiens ont lu Ezechiel. En dehors de quelques textes
comme la vision des ossements desséchés (Ez 37, 1-14), la parabole des
mauvais bergers et du bon pasteur (Ez 34, 1-17) ou l’oracle sur le cœur
nouveau (Ez 36, 26-28), son œuvre demeure pratiquement inconnue.
Le NT ne le cite pas beaucoup, sauf l’Apocalypse de Jean qui en reprend
quelques éléments. Et pourtant les raisons ne manquent pas cependant
de relire aujourd’hui EZECHIEL. Son époque (le temps de l’exil)
ressemble à la nôtre. Elle est à la charnière entre un monde qui s’écroule
(feu la chrétienté) et un autre qui nait. Face aux urgences du moment le
prophète ne s’est pas contenté de reprendre frileusement les solutions
du passé. A frais nouveaux, il a cherché des réponses originales pour la
survie de la foi. Ezéchiel c’est l’espérance retrouvée.
Le contexte du livre d’Ezéchiel : L’expérience de l’Exil.
Nous ne sommes plus dans le contexte de l’Exode mais dans cette
période de l’Exil à Babylone. Plusieurs déportations ont lieu suite au
siège de Jérusalem. La première (avant 597) le roi et toute sa famille
sont déportés en Babylonie ainsi que l’élite de l’armée, bon nombre de
prêtres et d’artisans, et avec eux les trésors du Temple. D’autres
déportations de la population ont lieu ensuite lors de la prise de
Jérusalem (vers 587). La ville et le Temple sont incendiés. Le royaume
de Juda a disparu et une grande partie du peuple est désormais en exil.
Ezechiel fait partie des déportés.
Cette période est l’une des plus tragiques de toute l’histoire d’Israël : les
institutions disparaissent : le roi, le Temple, la terre. C’est la catastrophe,
les exilés sont au bord du fleuve de Babylone, il ne reste plus rien, ils ont
perdu tous leurs repères, plus de terre, plus de temple, plus de roi. Ils
n’ont plus rien. Ils sont livrés à l’étrangeté des mœurs babyloniennes,
c’est pour eux un véritable traumatisme.
Pour la foi d’Israël, l’expérience de l’Exil a représenté un bouleversement
et un défi. Des institutions aussi fondamentales que le Temple, le
sacerdoce, la royauté ne fonctionnent plus ; l’unité de la communauté
est mise à mal et le rapport à la terre est brisé. Israël se retrouve dans
une situation exceptionnelle d’isolement et de précarité, non plus dans
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un désert comme au temps de l’Exode, mais au milieu d’une nation
païenne. Il devient alors nécessaire d’organiser la communauté sur
d’autres bases. Un fécond travail de réflexion commence, car les
questions sont nombreuses : Qui est responsable des malheurs du
peuple ? Que valent les promesses divines ? Qui constitue le véritable
Israël : les exilés ou ceux qui sont restés au pays ? Quel culte est encore
possible ?
Et voici qu’en écho à toutes ces questions, le Seigneur va susciter son
prophète Ezéchiel, « Fils d’homme, je t’envoie vers les fils d’Israël, vers
ce peuple de rebelles qui s’est révolté contre moi. Jusqu’à ce jour, eux et
leurs pères se sont soulevés contre moi et les fils ont le visage dur, et le
cœur obstiné. C’est à eux que je t’envoie, et tu leur diras : Ainsi parle le
Seigneur Dieu… » (Ez 2, 3-4)
Et c’est ainsi que grâce au prophète Ezéchiel, l’Exil va être contre toute
attente pour Israël, non pas une fin mais l’occasion d’un nouveau départ,
d’un nouveau passage, d’une nouvelle création. En Exil, Israël va vivre
une séparation fondatrice. Ezéchiel en sera le tuteur. Il saura redonner
l’espérance aux siens.
Le message d’Ezéchiel :
Ezéchiel a pour mission d’éclairer le peuple au moment où, en Exil, il se
croit enterré, sans aucune espérance. Pour lui ouvrir un chemin vers la
renaissance, Ezéchiel va forger un langage nouveau.
DIEU EST LA. Les derniers mots du livre, qui sont déjà le message de la
vision inaugurale du livre, annoncent que la terre d’Exil n’est pas une
terre sans Dieu, car Dieu a la capacité de rejoindre son peuple. Cette
Bonne Nouvelle laisse donc entendre que Dieu n’est donc plus là où l’on
avait l’habitude de le rencontrer dans le Temple de Jérusalem, lieu
significatif de sa présence. Et cette absence, scellée par la ruine de
l’édifice, sanctionne la gravité du péché d’Israël, incompatible avec la
sainteté de Dieu.
Ezéchiel prend au sérieux le péché et l’homme pécheur, dont il souligne
la réelle responsabilité personnelle et qu’il appelle à la conversion. Si,
pour Amos, le péché est d’abord l’injustice, pour Osée l’infidélité à
l’Alliance, pour Isaïe l’orgueil, il est pour Ezéchiel, souillure et
profanation, offense à la sainteté de Dieu ( vocabulaire sacerdotal lié au
culte).
Le récit que nous lisons ce soir souligne ces deux aspects : la
profanation du Nom de Dieu (péché d’Israël, cause de l’Exil) et la
conversion ( un cœur nouveau, un esprit nouveau), la naissance à une
vie nouvelle suite à l’Exil, grâce à la puissance de la Parole de Dieu
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portée par la voix du prophète. Par sa Parole, le Seigneur assurera le
peuple de sa Présence, la formule « vous saurez que je suis le
Seigneur » est répétée 54 fois dans le livre ! Le cœur même de l’homme,
sous l’action du souffle de Dieu, sera rendu capable d’une obéissance
effective à la Parole de Dieu et le peuple trouvera sa joie à célébrer le
culte de son Seigneur en vivant en sa Présence.
Dans le NT, c’est le prophète visionnaire de l’Apocalypse qui a puisé le
plus abondamment à la source d’Ezéchiel : il s’agissait, pour lui aussi,
d’ouvrir une espérance et d’appeler au courage une communauté en
situation précaire. Et l’évangile de Jean a trouvé chez le prophète des
mots pour dire la présence inouïe de Dieu parmi les hommes. Nul doute
qu’aujourd’hui la voix d’Ezéchiel nous aide encore à espérer et à vivre. La
Parole veut planter sa tente dans nos cœurs, le souffle saint nous est
donné, même si nos repères ont disparu, Dieu est là !
Lecture du texte : « Que ton Nom soit sanctifié » (Ez 36, 16-28)
Quel chrétien n’a pas déjà chanté : « Donne-nous, Seigneur, un cœur
nouveau, mets en nous, Seigneur, un esprit nouveau » ? C’est l’un des
rares textes d’Ezéchiel qui a fait fortune au cours de l’histoire.
Il fallait avoir une foi profonde et être réellement soumis à la Parole de
Dieu pour oser annoncer, après la chute de Jérusalem, ce message d’un
cœur et d’un esprit nouveau !
L’organisation du texte à partir de sa dynamique historique.
. Le passé (Ez 36, 16-21) Ce passé est marqué par la souillure
d’Israël, et cela se traduit au plan de son histoire par l’exil au milieu des
nations. Il s’agit alors d’une mise à distance du don de Dieu : la terre et
l’élection.
. Le présent (Ez 36, 22-32) Ce présent témoigne de l’agir de Dieu.
D’abord à travers la motivation de son action, non pas pour le peuple
mais pour l’honneur de son Nom (Ez 36, 22-23) ; ensuite à travers les
modalités de cet agir, par la purification et le don de l’Esprit (Ez 36, 2432)
. L’avenir (Ez 36, 33-38) L’avenir sera enfin marqué par le retour
d’Israël dans sa terre et la prospérité retrouvée.
Chaque élément de ce triptyque s’ouvre par une Parole divine :
« La Parole du Seigneur me fut adressée : Fils d’homme… » (Ez 36, 1617) ; « Dis à la maison d’Israël » (Ez 36, 22) ; « Ainsi parle le Seigneur
YHWH » (Ez 36, 33).
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Chaque élément de ce triptyque met en scène trois acteurs :
« YHWH, Israël et les nations » autour d’une tension, « l’honneur
profané du NOM ».
. Dans le passé, Israël a profané le Nom de YHWH par ses souillures et
se idolâtries, et continue à le profaner dans le présent en étant dispersé
parmi les nations.
. De fait, dans ce présent, les nations se rient de l’honneur
bafoué du Nom de Dieu, en jugeant l’exil d’Israël comme une
impuissance de Dieu.
Aussi, dans ce même présent, YHWH qui avait dispersé Israël par égard
pour son Nom agira en faveur de son Nom. Il rassemblera et purifiera
son peuple pour qu’éclatent sa grandeur et sa sainteté aux yeux des
nations.
Cette dynamique historique laisse pressentir l’enjeu central de
l’oracle du prophète Ezéchiel, attaché à la sainteté du Nom
divin. Car s’il est vrai que YHWH est un Dieu « saint » (Lv 19), il rendra
saint son peuple pour qu’aux yeux de tous éclate sa sainteté. La
perspective c’est de manifester Dieu en sa vérité, c’est à dire sa sainteté
plus que le geste sauveur de Dieu vis à vis de son peuple, la restauration
d’Israël. C’est à cause de son Nom que Dieu agit et non pas d’abord à
cause de la situation perdue du peuple.
Une création renouvelée. Un Dieu Sauveur.
Il ne faut pas pour autant occulter la dimension anthropologique de
l’oracle qui apparaît clairement dans les v.25-29 : « Je répandrai sur
vous une eau pure et vous serez purifiés ; de toutes vos souillures et de
toutes vos ordures je vous purifierai. Et je vous donnerai un cœur
nouveau, je mettrai en vous un esprit nouveau, j’ôterai de votre chair le
cœur de pierre et je vous donnerai un cœur de chair. Je mettrai mon
esprit en vous et je ferai que vous marchiez selon mes lois et que vous
observiez et pratiquiez mes coutumes. »
Là où Jérémie 32, 39 évoque le don à l’homme d’un « cœur un », non
partagé, Ez 36, 26 parle du don d’un « cœur nouveau » qu’accompagne
la promesse d’un « esprit nouveau ». Chez Ez la nouveauté de Dieu est
référée ici au « cœur ». L’ultime conséquence de l’action de Dieu est
bien le remplacement du cœur de pierre, c’est à dire « endurci » (Ez
2,4 ; Ez3,7) par un cœur de chair. A quoi le v.37 ajoute le don de l’esprit
de Dieu à l’homme ainsi renouvelé. Seul cet esprit rendra l’homme
capable d’accomplir ce qu’il n’avait pu faire seul jusqu’à présent : suivre
en toute fidélité les lois et les coutumes, c’est à dire témoigner de la
sainteté de Dieu, sanctifier son Nom parmi les nations.
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La profanation du Nom ?
« Dans les nations où ils sont allés, ils ont profané mon saint Nom » (Ez
36, 20).
Que signifie : Israël exilé qui « a profané mon saint nom » parmi les
peuples ? Comment comprendre, comment est-ce possible ? Dans
l’Ancien Orient, chaque peuple avait sa divinité propre qui le protégeait.
Elle était responsable du « bien-être » de « son peuple ».
Si celui-ci connaissait le désastre, c’était donc que son dieu n’était pas
assez fort, aussi fort que son peuple le prétendait. Les israélites sont
exilés. Ceux qui les voient en tirent la conclusion logique : le Seigneur
n’est pas capable de protéger son peuple, il n’est donc pas si puissant
que cela !
Ainsi, alors que le Seigneur avait châtié son peuple qui avait souillé son
Nom en le condamnant à l’exil, le Seigneur se condamnait à être mal
compris, puisque cet exil se retournait contre son Nom puisque les
nations l’interprétaient non pas comme une punition contre la
désobéissance de son peuple mais comme le signe de son impuissance.
Le Seigneur d’Israël n’est pas si fort que le prétendent les israélites !
Cette situation se retourne donc contre le Nom de Dieu. Son saint Nom
est profané par les nations aussi !
Enfin pour Ezéchiel, puisque le châtiment est exécuté, (l’exil comme
peine expiatoire des impuretés et des souillures d’Israël), les choses,
pense Ezéchiel, ne peuvent en rester là, car à la longue, cela se retourne
contre le Seigneur ! Au regard de la sanctification de son Nom, c’est
contre-productif !
Il est à noter que « souillure et profanation », ces mots appartiennent au
langage du culte. La souillure est l’une des manières de parler du mal et,
pour la Bible, de désigner le péché. Elle suppose une sensibilité très vive
de la sainteté de Dieu, qui est le « Tout Autre » et veut pourtant se
communiquer : « soyez saints comme le Seigneur est saint » (Lv).
Dans le culte du Temple on ne peut approcher de la sainteté de Dieu et
imiter cette sainteté qu’en respectant les distinctions, les séparations
complexes entre « le pur et l’impur » et en rejetant le péché (Lv 19).
Quant à la profanation, elle est le contraire de la sanctification : refus de
la sainteté d’une chose (la terre sainte), d’un lieu ( le Temple, le saint
des saints), d’un mot ( le Nom).
Le Nom ? Dans la Bible, le Nom est lié à la personne, il dit quelque
chose d’elle et la représente, un peu comme une image. Qui connaît le
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nom d’une personne a pouvoir sur elle (Ps 91,14) « Je l’exauce car il
connaît mon Nom ».
Quand à la demande de Moïse, Dieu dévoile son Nom, c’est pour que ce
nom propre YHWH demeure un rappel de la sortie d’Egypte. Il insiste
donc sur un aspect de l’identité de Dieu : sa promptitude à secourir son
peuple, à le délivrer. « Vous saurez que je suis YHWH, votre Dieu, qui
vous aura soustrait aux corvées des Egyptiens » (Ex 6, 7).
Quand Ezéchiel évoque le Nom, il renvoie à cette définition, le seule
manière d’être Dieu, la seule manière pour Dieu d’être lui-même, c’est
d’agir encore pour son peuple qui est en Exil. C’est donc pour honorer,
respecter son Nom, sanctifier son Nom, que le Seigneur va agir. Sinon il
se renierait lui-même à l’image de son peuple qui a déshonoré son Nom.
C’est par amour de son Nom que le Seigneur va agir !
La raison du changement de situation est donc claire : Le Seigneur ne
peut pas permettre que son Nom soit profané, méprisé. A deux reprises
il le répète : « Ce n’est pas à cause de vous que j’agis, maison d’Israël,
mais bien à cause de mon Nom que vous avez profané… » (v 22.32)
Changement de situation : Comment le Seigneur montre la
sainteté de son Nom (Ez 36, 22_28)
« Je montrerai la sainteté de mon grand nom » (v.23).
Cet objectif prioritaire est caractéristique de la perspective d’Ezéchiel, qui
se montre plus sensible à la sainteté de Dieu qu’à sa tendresse. Il est
d’un apport inestimable, même si nous sommes tentés de l’accueillir
avec réticence. Ne dit-il pas la préoccupation qui doit orienter la vie du
croyant et que Jésus apprendra à ses disciples au cœur de leur prière :
« Notre Père, que ton Nom soit sanctifié » (Mt 6,9) ?
Le Seigneur va donc rétablir la sainteté de son Nom parmi les nations au
moyen de diverses actions.
La « sanctification du nom de Dieu » va s’opérer en trois étapes.
. Tout d’abord, le Seigneur va libérer son peuple de l’Exil.
Ez 36, 24. « J’irai vous prendre dans toutes les nations ; je vous
rassemblerai de tous les pays et je vous ramènerai sur votre terre ».
La liste des actions de Dieu s’ouvre par la tâche la plus urgente :
rassembler et rapatrier ceux que l’Exil avait dispersés et dont la situation
rejaillissait négativement sur la renommée de Dieu parmi les peuples
(v.19-20). Un peuple rassemblé, une Eglise rassemblée ont force de
témoignage !
. Ensuite, deuxième étape, Dieu va purifier son peuple par une
aspersion d’eau pure. Ez 36, 25_27. « Je verserai sur vous une eau
pure et vous serez purifiés. De toutes vos souillures et de toutes vos
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idoles je vous purifierai. Je vous donnerai un cœur nouveau et je mettrai
en vous un esprit nouveau. J’enlèverai votre cœur de pierre et je vous
donnerai un cœur de chair ».
Le rassemblement et le retour ne sont pas pure et simple rétablissement
d’une situation antérieure. Ils nécessitent un passage à faire, la
transformation du peuple tout entier et de chacun de ses membres, celle
qu’appelle de ses vœux le psalmiste : « Lave-moi tout entier de ma
faute. Purifie-moi de mon offense… Crée-moi un cœur pur, ô mon Dieu ;
renouvelle et raffermis au fond de moi mon esprit » (Ps 51, 4-12).
Le prophète se rappelle ici les purifications rituelles du Temple et le
symbolisme de l’eau comme source de vie et de purification joue là à
fond. L’acte de purification est décrit avec les mots techniques du rite
par lequel un homme souillé par le contact avec un mort, est aspergé
d’une eau spéciale, dite lustrale. C’est un homme pur qui doit officier (Nb
19, 9-22). Ici, Dieu seul peut purifier, car lui seul est pur !
. Enfin, troisième étape, intervient un changement complet, une
nouveauté radicale. Ce qui meut l’homme au plus profond est
transformé : le Seigneur change le cœur de pierre de l’Israélite et lui
donne un cœur de chair.
Les v.26-27 sont rythmés par les mentions du verbe « donner », traduit
aussi par « mettre ». Fidèle à lui-même, à son Nom, Dieu comble les
siens, librement et généreusement, sans aucun mérite de leur part.
Israël est convié à se faire « un cœur nouveau et un esprit nouveau »
(Ez 18, 31) : mais cela n’est pas possible sans un don de Dieu.
« Un cœur nouveau ».
Traditionnellement, les exhortations à vivre l’Alliance comportent une
dimension intérieure où le cœur est impliqué « revenez à moi de tout
votre cœur » (Dt 4, 29 ; Ps 119, 2.1O). Dans ses promesses de
rénovation intérieure, Ezéchiel s’inspire de Jérémie (31, 33) : « Je
mettrai ma Loi au plus profond d’eux-mêmes », mais il va plus loin. Là
où, pour Jérémie, la nouveauté de l’Alliance consistait dans la Loi mise
dans le cœur, elle réside, pour Ezéchiel, dans le don d’un cœur nouveau.
Dans la vision biblique de l’humain, le cœur est le siège de l’intelligence,
de la compréhension, l’organe des décisions, de la volonté ; quant à
l’esprit, il n’est pas du côté de l’intellectuel, mais d’abord du souffle qui
rend vivant, de l’inspiration qui oriente les attitudes. Un « cœur de
pierre » c’est un cœur endurci, un cœur qui ne comprend pas, qui
n’écoute pas, une intelligence abrutie (Is 6). « cœur de pierre et cœur
de chair » s’opposent comme inerte et vivant, dur et souple.
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Les conséquences :
Tout d’abord, « les nations sauront que je suis le Seigneur » (v.23.
35 ;36). Le but poursuivi sera donc atteint. Les nations devront
reconnaître que le Seigneur est le plus fort, qu’il est unique, qu’il n’y en a
pas deux comme lui, il est le vrai Dieu.
Mais pour que cela soit vraiment valable, pour que cela tienne, Israël
foncièrement renouvelé, va mettre en pratique les lois et les coutumes
du Seigneur (v.27). Ils auront ainsi une bonne conduite et le châtiment
n’arrivera plus.
Le v.27 montre les effets de la condition nouvelle promise : Israël est
rendu capable d’une vraie obéissance aux commandements. Comme aux
jours de la création du monde, où il avait insufflé en Adam sa propre
haleine de vie (Gn 2,7), Dieu par le don de son souffle, fait une nouvelle
créature. Et il se rend présent à son peuple dans une intimité jamais
atteinte : IL EST LA. (ce sera le dernier mot du livre Ez 48, 35). IL est là,
non plus seulement dans un Temple ou sur une terre, mais dans les
cœurs. Dans la Nouvelle Alliance en Christ, chaque baptisé, purifié par
l’eau et rénové par le don de l’Esprit Saint, deviendra « une créature
nouvelle » (2 Co 5, 17).
« Vous serez mon peuple et moi je serai votre Dieu » (v. 28).
Cette formule traditionnelle de l’Alliance est chargée d’une nouvelle
signification, dans la mesure où, transformé dans son cœur, Israël a
qualité pour manifester aux nations la sainteté de Dieu. Il reviendra aux
disciples du Christ de vivre unis au Père et entre eux, « ainsi le monde
saura que tu m’as envoyé » (Jn 17, 23).
Conclusion :
Ezéchiel, les voix d’autres prophètes résonnent en lui : Osée, Jérémie, le
second Isaïe. Mais il y a pourtant entre eux et Ezéchiel une différence
importante : on a beau aimer ses déclaration tonitruantes en écho à la
colère de Dieu et puis ses paroles de réconfort extrême en tant que
chantre de l’espérance, il faut bien constater que la tendresse a peu de
place chez lui. Le vocabulaire d’Osée, de Jérémie (amour, compassion,
fidélité, miséricorde) est totalement absent. Osée était aussi tendre que
dur. Avec Ezéchiel la conscience de nos fautes et le poids de la sainteté
du Nom du Seigneur passent au premier plan. Etre prophète à la suite
d’Ezéchiel, c’est être attentif à la sanctification du Nom du Seigneur, à la
première demande du Notre Père : « Que ton Nom soit sanctifié »
Le Notre Père : « Que ton Nom soit sanctifié »
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Que le « Notre Père » s’ouvre par cette demande revêt une importance
essentielle. Le croyant ne prie pas pour se faire un nom, mais bien au
contraire pour que Dieu se fasse un nom. Ce qui doit mobiliser son
attention c’est la réalité de Dieu, sa sainteté. Oublié et méprisé. La prière
du Notre Père s’ouvre donc par cette requête « que ton Nom soit
sanctifié ».
Cet appel à la sanctification du nom de Dieu nait sans doute d’une
expérience douloureuse. Le disciple sait que le nom de Dieu est oublié et
méprisé parmi les êtres humains. Il le voit profané et tourné en ridicule.
Parfois même, il découvre qu’il est utilisé de façon éhontée à des fins
politiques (violence), commerciales ou personnelles. C’est pourquoi le
croyant prie pour la sanctification du nom de Dieu, pour que ce nom
reprenne la place qui lui est due.
Mais que signifie exactement « sanctifier le nom de Dieu » ?
Son visage tourné vers le monde.
Dans la tradition biblique, le nom donné exprime l’identité profonde
d’une personne. Il n’en va pas autrement de Dieu.
Le Dieu de Jésus, dont témoigne l’AT porte un nom : YHWH. Ce fait n’est
pas simplement anecdotique. Il signifie que Dieu n’est ni une puissance
mystérieuse, ni une énergie qui circulerait dans la matière, ni même la
vie dans un sens général. Dieu est une personne. Plus encore, celui qui
porte un nom peut être reconnu et interpellé, il peut devenir un
partenaire. Parce que Dieu porte un nom, il est le « Tu » auquel le
croyant a la possibilité de s’adresser et de parler.
Mais il faut faire un pas supplémentaire. Dans la fameuse scène du
buisson ardent, Dieu révèle son nom à Moïse pour se faire connaître à
son peuple (Ex «3, 13-15). Le nom de Dieu constitue la révélation de son
identité et de sa signification pour les humains. Il forme le visage du
Dieu invisible tourné vers le monde et l’humanité.
Lorsque Jésus appelle à la sanctification du Nom de Dieu, il a donc en
vue l’identité profonde, la réalité même de Dieu. Il ne s’agit pas de la
réalité de Dieu en soi, mais de la réalité de Dieu tournée vers l’extérieur,
de la réalité de Dieu pour l’ensemble des humains.
Un appel et un don.
Le Nom de Dieu, son visage tourné vers les hommes, doit être
« sanctifié ». Que signifie ce verbe ?
L’AT, puis la liturgie juive au temps de Jésus donnent une double
réponse à cette question.
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. Dans un premier sens, c’est le peuple qui est appelé à sanctifier son
Dieu. Il est invité à agir de telle façon que la réalité de Dieu prenne sa
place, qu’elle soit accueillie pour ce qu’elle est (Ez 8, 13 ; 29,23).
Israël sanctifie Dieu par sa foi qui reconnaît en lui le Créateur et le
Seigneur de l’univers, par le culte fidèle qu’il lui rend, par l’obéissance
sans compromis à ses commandements.
. Mais, et c’est le second sens, aussi bien l’AT que la tradition juive
savent fort bien qu’il est impossible à l’être humain – fut-il le croyant le
plus accompli - de ménager à Dieu la place qui lui est due. Aussi Dieu
est-il par excellence Celui qui peut sanctifier son Nom.
Le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob sanctifie son Nom en révélant sa
force, sa gloire et sa sainteté lors d’apparitions (1R 19). Mais il sanctifie
également son Nom en accomplissant des actes revêtus de puissance en
vue de la libération de son Peuple et du jugement des incroyants (Ez 36,
16-38).
Par ailleurs, et c’est l’espérance des prophètes, Dieu sanctifiera
définitivement son Nom en instaurant de manière ultime, souveraine et
visible son autorité sur la création, c’est à dire en mettant fin au monde
présent et en nous ouvrant le monde à venir.
La responsabilité est bien partagée.
Dans le « Notre Père », qui est l’agent de la sanctification du
Nom de Dieu ? Est-ce l’homme sur la terre ? Ou est-ce Dieu luimême ?
. En priant pour la sanctification du Nom de Dieu, le croyant veut tout
d’abord humblement appeler Dieu à exercer pleinement sa
responsabilité. Que Dieu lui-même veille au respect et à la
reconnaissance de son Nom dans ce monde imparfait et pécheur. Qu’il
continue à être le Créateur et Seigneur de ce monde oublieux et révolté.
Qu’il se révèle pleinement dans son projet d’amour. Qu’il vienne établir
définitivement son Règne pour le Salut des hommes, des siens. Que
Dieu soit Dieu ! C’est là sans doute l’accent majeur donné par Jésus.
. Mais de ce premier aspect dominant et fondamental découle une
seconde dimension. La responsabilité de Dieu pour la création n’efface
pas celle des croyants. Eux aussi ont à travailler, leur vie durant, à la
sanctification du Nom de Dieu. Ils le font en vivant de la Révélation
reçue. Ils le font en lui rendant le culte qu’il mérite. Ils le font en faisant
de leur vie quotidienne un espace d’écoute et de fidélité à la volonté de
Dieu. Ils le font, enfin, en participant à l’édification d’une société juste et
fraternelle. Pour que le futur commence maintenant.
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Le texte du « Notre Père » ne dit pas davantage quand cette
sanctification du Nom de Dieu est appelée à se réaliser.
La prédication des prophètes de l’AT laisse entendre que l’appel à la
sanctification du Nom de Dieu coïncide avec la prière adressée à Dieu
d’établir définitivement son Règne sur la création.( à la fin des temps)
Dans le « Notre Père », le disciple de Jésus s’adresse certes à Dieu pour
lui demander d’établir pleinement et définitivement son Règne. Mais
cette requête ne l’exile pas dans un futur fantasmatique. Elle lui permet
au contraire de saisir le présent vécu à la lumière du Dieu qui vient pour
libérer sa création. La promesse d’accomplissement qui habite le futur
illumine le présent. Ainsi, c’est dans l’histoire ambiguë de l’humanité,
marquée par des silences, des conflits et des violences, que le Nom de
Dieu doit faire sa place.
Cet avènement de la réalité de Dieu dans notre monde quotidien, cette
sanctification du Nom est ainsi le fait de Dieu qui se manifeste toujours à
nouveau à ses créatures pour le sauver. Il est ensuite, et ensuite
seulement, le fait des disciples vivant leur foi et persévérant dans
l’écoute de la Parole de Dieu pour répondre à l’initiative d’amour du Dieu
Sauveur !
Un dernier mot. Après Pâques, pour les chrétiens, le Nom de Dieu a
désormais le visage du Christ crucifié et ressuscité. L’intervention
dernière et définitive de Dieu pour sauver les humains a eu lieu. Elle
n’est plus l’objet d’une espérance, mais une libération advenue une fois
pour toutes. Aussi, lorsque la communauté chrétienne dit « que ton Nom
soit sanctifié », elle dit : que la réalité de Dieu telle que nous la
connaissons à travers l’histoire de Jésus prenne toute sa place dans
l’histoire humaine !
[Tapezletexte]