Vie des entreprises Au Fournil de cyril Blé local pour boulangerie locale Vendre du pain fabriqué à partir de blé issu des parcelles avoisinantes n’est pas simple pour un boulanger. Afin de s’assurer de la traçabilité, il convient de s’entourer des acteurs du territoire. C’est ce qu’a fait Cyril Huart lors de la création de sa boulangerie. V al-de-Vesle est un village marnais, situé au sud de Reims, qui a vu le jour suite au rapprochement de Courmelois, Wez et Thuisy. Trois communes disparues qui ont pourtant inspiré le nom d’une baguette : la CourWezThu. Une dénomination que Cyril Huart, boulanger à Val-de-Vesle, a pris soin de choisir pour rappeler la provenance locale de la farine qui sert à pétrir cette baguette. Avant son installation en 2009 et la création de sa boulangerie, Cyril Huart avait à cœur de lancer un commerce pour locavores. « Je souhaitais utiliser des produits locaux et notam- ment des blés de la commune pour la production de pain, se souvient le boulanger. C’était le critère principal dans la recherche de mes fournisseurs. Je me suis alors rapproché du Moulin Lorin situé à Auberive (51). J’ai d’ailleurs été surpris de leur capacité à répondre favorablement à une demande spécifique comme la mienne. En effet, je consomme 70 tonnes de farine chaque année. » Dès lors, la relation client-fournisseur s’est transformée en un véritable partenariat. Ne restait plus qu’à dénicher un troisième partenaire capable de sourcer des blés meuniers à proximité de Val-de-Vesle. Acolyance, groupe coopératif agricole basé à Reims, a répondu présent avec son silo situé anciennement à Courmelois. —— Logistique et organisation avant tout Cinq producteurs céréaliers cultivent du blé de variété Apache dans un rayon de 10 km autour du silo de Courmelois. « Apache est une variété se comportant bien dans ces sols et dont les rendements sont plutôt satisfaisants pour une variété meunière, indique Baptiste Lorin du Moulin Lorin. Afin d’être en mesure d’assurer la traçabilité de ces pro- ductions de la parcelle à la baguette, nous avons fait le choix, avec Acolyance, de ne travailler qu’avec une variété pure. Cela nous imposait de définir une variété meunière “solide” dont les propriétés boulangères sont sûres quelles que soient les conditions de l’année. Apache était donc le choix de la raison… » Pour les cinq agriculteurs concernés, « nous ne leur avons pas proposé de prime spécifique, explique Cyrille Bouhier de l’Écluse, ingénieur veille et innovation au sein d’Acolyance. Ils bénéficient tout de même d’une prime variétale classique qui s’élevait En bref À chaque partenaire son échelle photos : M. Lecourtier / Pixel image ●● Au Fournil de Cyril : Cyril Mettre en avant la production locale est un moyen pour la filière de faire connaître ses différents acteurs. L'organisme stockeur Acolyance, à gauche, représenté par Cyrille Bouhier de L'Écluse, le boulanger à droite (Cyril Huart) et Baptiste Lorin, au centre, responsable du Moulin Lorin. 10 Tribune verte · n° 2685 · 16 janvier 2014 Huart s’est installé comme boulanger en novembre 2009. Il a créé de toutes pièces la boulangerie de Val-deVesle. Désormais, il génère un chiffre d’affaires de 320 000 euros et emploie quatre salariés. En semaine, il vend 250 baguettes par jour et le double le week-end. ●● Le Moulin Lorin existe depuis 1890 et écrase environ 6 000 tonnes de blé chaque année. Il compte un portefeuille de 110 clients pour la plupart en région Champagne-Ardenne. Principalement des artisans. ●● Acolyance est un groupe coopératif qui collecte 1,4 million de tonnes dans la Marne, l’Aisne et la Seineet-Marne notamment. Vie des entreprises à 7 euros/tonne en 2012. Ils ne sont pas soumis à un cahier des charges particulier. Il leur est simplement demandé de respecter la réglementation en vigueur. Ils sont également soumis à la charte Irtac (Institut de recherches technologiques agroalimentaires des céréales) d’Arvalis - Institut du végétal qui permet la traçabilité à la parcelle ». « L’intérêt pour la profession agricole ne doit pas seulement être financier. Connaître la provenance des matières premières assure une bonne image des producteurs auprès des consommateurs, estime de son côté le boulanger. C’est un moyen pour nous d’attirer de la clientèle extérieure au village de Val-de-Vesle, mais c’est également un bon canal pour faire reconnaître les différents acteurs locaux du projet. » Une fois récoltée, la traçabilité de la variété Apache débute dès sa réception au silo de Courmelois. À cet effet, Acolyance réserve une cellule de 300 tonnes pour la réception des blés Apache. « Les producteurs sont priés de livrer leur récolte à la moisson, ajoute l’ingénieur veille et innovation de la coopérative. En effet, notre expertise nous permet d’assurer une qualité de conservation optimale. Dès lors que la cellule est pleine, nous savons que la consommation du Fournil de Cyril est de l’ordre de 70 tonnes par an. Nous lui réservons donc cette quantité. Le reste est vendu et expédié par nos autres canaux. Réserver une cellule pour une variété n’est pas toujours chose facile mais nous nous sommes adaptés, notamment en intégrant le chef de silo au projet. » Une fois stocké, le blé est ensuite expédié au second partenaire du projet, le Moulin Lorin, qui reçoit les denrées par camion de 30 t. Baptiste Lorin d’expliquer le traitement des lots : « Dès la réception du camion, le grain est isolé et moulu rapidement. Nous lançons une mouture et nous ensachons la totalité de la production. Celle-ci est ensuite stockée dans des sacs de 25 kg conditionnés sous forme de palette d’une tonne. Bien sûr, la boulangerie n’est pas en mesure d’absorber une telle quantité. Une livraison de 30 tonnes correspond à quatre mois de besoin en farine de la boulangerie. Ceci ne nous pose aucun problème car nous avons des capacités de stockage suffisantes et le délai de péremption de la farine est de neuf mois. Au contraire, en vieillissant, la farine prend du plancher et se bonifie d’une certaine manière. Une fois produite, la tonne de farine est livrée au Fournil de Cyril tous les dix jours environ. » Pour les deux premiers intervenants, ce projet ne représente qu’une infime part de leurs débouchés. Toutefois, c’est un moyen pour eux de montrer qu’ils sont capables de travailler au cas par cas sur de « micro-volumes », sans pour autant mettre en péril leur organisation. Pour Cyril Huart, l’approche est différente. La farine qui provient des alentours de son commerce représente entre 80 et 90 % de ses besoins. Un volume qui est utilisé à 90 % pour la fabrication de la baguette CourWezThu et à 10 % pour la réalisation de la parisienne, une classique. « La CourWezThu est vendue 0,95 euro l’unité, indique le boulanger. Ce sont les prix du marché pour les baguettes. Nous sommes peut-être moins chers que le marché si nous considérons que nous utilisons de la farine de tradition, plus pure et plus coûteuse, pour sa fabrication. » D’ailleurs, Baptiste Lorin tient à préciser que « produire cette farine locale n’est pas plus coûteux qu’une autre farine. Les coûts supplémen- En plus d'une farine 100 % locale, la CourWezThu se caractérise par un seul coup de lame sur toute sa longueur contrairement aux baguettes classiques. taires liés à l’organisation mise en place sont couverts par la réduction des coûts de transport. D’où une farine qui reste dans les prix du marché ». —— Généraliser le projet à l'ensemble des silos Au regard de l’accueil de cette démarche par les consommateurs – Au Fournil de Cyril génère un chiffre d’affaires de l’ordre de 320 000 euros dans une commune de 880 habitants –, les partenaires du projet, notamment le Moulin Lorin, Acolyance et Cyril Huart comme ambassadeur, envisagent de proposer le concept à d’autres boulangers. « Nous avons identifié, dans un rayon de cinq kilomètres autour des 86 sites de stockage d’Acolyance, des boulangers poten- Tribune verte · n° 2685 · 16 janvier 2014 tiels, informe le représentant du Moulin Lorin. Nous finalisons actuellement le marketing afin d’aller leur proposer le concept. Nous allons leur présenter une sacherie spéciale ainsi que la charte spécifique à la démarche sur laquelle se côtoieront les signatures des agriculteurs, du chef du silo, du meunier et du boulanger. » À Cyrille Bouhier de l’Écluse et Baptiste Lorin d’espérer convaincre une dizaine de boulangers d’entrer dans la démarche dès la récolte 2013. Soit une dizaine de pourcents du potentiel selon les critères cités sur le territoire commun à la coopérative et au meunier. L’expérience de Cyril Huart et sa réussite locale devraient être des arguments qui ne laisseront pas ses confrères de marbre… —— Mathieu LECOURTIER 11
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