Monsieur Claude Lessard Président Conseil supérieur de l’éducation 1175, avenue Lavigerie, bureau 180 Québec (Québec) G1V 5B2 Montréal, le 27 juin 2014 Objet : Réaction à l’Avis du Conseil supérieur de l’éducation au ministre de l’Éducation, du Loisir et du Sport intitulé «Le développement professionnel, un enrichissement pour toute la profession enseignante» Par courriel : [email protected] Monsieur, Le 3 juin dernier, dans les heures qui ont suivi la parution de l’avis du Conseil supérieur de l’éducation (CSE) sur le développement professionnel du corps professoral, la FPPE en accueillait favorablement les orientations notamment celle concernant la maîtrise d’œuvre par les enseignantes et enseignants. En ce sens, il nous apparaît essentiel qu’elles et ils puissent partager leurs savoir-faire et créer par ce biais une appartenance à leur établissement. Toutefois, nous différons grandement d’opinion avec le CSE sur les modalités envisagées pour que cela puisse se traduire dans les meilleures conditions. Nous croyons fermement que les enseignantes et enseignants ont aussi besoin d’un accompagnement permettant une réflexion encadrée sur leur pratique par des personnes qui ne sont pas membres du corps professoral et qui exercent le rôle de formateur. Le CSE avance dans son avis qu’il est possible pour une conseillère ou un conseiller pédagogique de demeurer enseignante ou enseignant ou, à l’inverse, qu’il est possible pour une enseignante ou un enseignant d’agir à titre de conseillère ou conseiller pédagogique quelques heures par semaine ou en alternant les années de conseillance et d’enseignement. Or, le milieu de la recherche nous rappelle à quel point le rôle de formateur est distinct de celui d’enseignement car il commande le développement de compétences bien différentes. Devenir formateur d’adultes comporte plusieurs défis. Perrenoud, entre autres, élabore 10 défis1 que cela comporte et insiste d’ailleurs sur l’importance de construire une identité professionnelle de formateur. Il faut par ailleurs rappeler que les commissions scolaires recrutent les conseillères et conseillers pédagogiques chez les praticiens d’expérience à leur emploi parce qu’elles et ils ont la connaissance du milieu scolaire, des disciplines et des programmes. Elles et ils acquièrent ensuite, souvent sur le tas, 1 Perrenoud, Philippe (2001) «Dix défis pour les formateurs d'enseignants» in Développer la pratique réflexive dans le métier d'enseignant. Professionnalisation et raison pédagogique. Paris, ESF. l’habileté à former des adultes. Le formateur en devenir doit alors prendre une distance par rapport à l’enseignement pour développer des compétences de formateur d’adultes. Le CSE insiste d’ailleurs sur l’importance pour ces formateurs d’avoir développé un savoir-faire pour accompagner les enseignantes et enseignants. Perrenoud insiste sur cet aspect : «Développer des compétences est au cœur du métier de formateur, qui prend la figure d’un entraineur davantage que d’un transmetteur de savoirs et de modèles.»2 Le CSE rappelle dans son avis que les services de conseillance pédagogique ont été décentralisés vers les établissements entre 1993 et 2003. Les conseillères et conseillers pédagogiques ont alors été mis à profit pour travailler au plan de réussite de l’école, mais ont également été sollicités pour alimenter le milieu au niveau de l’instrumentation – les situations d’apprentissage et la documentation entre autres - plutôt que pour l’accompagnement dans une démarche de réflexion pédagogique. Nous sommes d’avis que la centralisation des services, tout en assurant le déploiement des professionnelles et professionnels vers les différents établissements, permet davantage aux conseillères et conseillers pédagogiques réunis en équipe, de se former à leur nouveau rôle, et de mieux cibler avec l’équipe-école un projet identifié comme prioritaire par le groupe et de mettre en place les activités permettant de le réaliser. Plusieurs d’entre eux, notamment les conseillères et conseillers pédagogiques disciplinaires interviennent auprès de différents groupes d’enseignantes et d’enseignants. Le CSE estime d’ailleurs avec beaucoup d’à propos que : «Les acteurs rencontrés, parmi lesquels on trouve les enseignants, insistent sur l’importance de cette fonction et sur le rôle mobilisateur que les conseillers pédagogiques jouent dans le développement professionnel. Plus largement les services éducatifs avec leur équipe de conseillers pédagogiques sont, la plupart du temps, considérés comme le fer de lance du développement professionnel au sein des commissions scolaires : ils dispensent plusieurs formations, réalisent les accompagnements individuels ou collectifs, s’impliquent dans la recherche-action, stimulent les groupes de développement, réalisent les suivis postformation, etc. Leur rôle mobilisateur est donc de première importance et plusieurs représentants des commissions scolaires vont même jusqu’à affirmer qu’il devrait y avoir une reconnaissance officielle réservée au poste de conseillance pédagogique, reconnaissance assortie de primes et d’avantages sociaux qui rendraient cette profession plus attrayante.»3 Dans ce contexte, il est donc particulièrement incompréhensible et troublant que le CSE suggère, dans une de ses recommandations4 de demander au ministère de l’Éducation de réintégrer les conseillères et conseillers pédagogiques dans le corps professoral. Cette proposition démontre à la fois une méconnaissance par les auteurs de l'avis, et par le CSE qui cautionne cet avis, des conditions de travail et des tâches réelles de ce groupe de professionnels. D’autre part, cette proposition ne tient pas la route compte tenu du contenu même de l’avis du CSE : en effet, ce dernier souligne à plusieurs reprises les apports positifs de ce groupe de professionnels, comme en font foi par ailleurs les résultats de ses consultations. Or, ni les directions ni les enseignantes ou enseignants interrogés ne considèrent les conseillères et conseillers pédagogiques comme un obstacle à leur développement professionnel. Il est donc troublant de constater cet atterrissage d’autant plus que le CSE n’a pas cru bon interroger les enseignantes 2 Idem. «7. Aider à construire des compétences, exercer la mobilisation des savoirs.» Avis du CSE, p.74 4 Avis du CSE, p. 143, recommandation 8. 3 2 et enseignants ou les directions sur l’apport de ces professionnels comme il n’a pas non plus jugé bon interroger les conseillères et conseillers pédagogiques sur la partie de leur travail reliée à cette fonction particulière. Il s’agit là d’un manque de rigueur questionnable et cela jette un doute sur la conclusion proposée. De façon plus précise, le sens de la proposition du CSE mérite un examen critique. La proposition du CSE se lit comme suit : «Dans l’attente de la création de (…) postes particuliers d’enseignantes et d’enseignants experts et émérites, … - de réintégrer les conseillères et conseillers pédagogiques dans le corps professoral tout en maintenant leur fonction.» Il faut d’abord reconnaître qu’il s’agit ici d’une impossibilité structurelle, car ce n’est pas le Ministère qui est l’employeur des conseillères et conseillers pédagogiques, mais bien les commissions scolaires. D’autre part, la connaissance des lois et du régime de travail en milieu scolaire semble échapper totalement aux rédacteurs de l’avis du CSE. Il est ici essentiel de rappeler que les fonctions de conseillère ou conseiller pédagogique sont inscrites dans le Plan de classification du personnel professionnel des commissions scolaires et que la convention collective liant les professionnels s’applique à ce corps d’emplois. Le corps professoral est de son côté régi par la convention collective des enseignantes et enseignants. Et cela depuis plus de 45 ans! De plus, un employé ne peut être régi par plus d’une convention collective à moins de détenir deux contrats de travail distincts qui l’assujettissent à une convention pour une partie de son travail et à une autre convention pour l’autre partie de son travail. Chose certaine on ne peut être assujetti à deux conventions collectives simultanément. Il est aussi permis de se demander quel problème veut réellement résoudre cette proposition puisqu’elle s’inscrit dans l’attente de la création de postes particuliers d’enseignantes et d’enseignants experts et émérites. On pourrait penser logiquement que cette partie du travail actuel des conseillères et conseillers pédagogiques serait dorénavant effectuée par les enseignantes et enseignants. Or les conseillères et conseillers pédagogiques sont justement des enseignantes ou des enseignants qui ont choisi de parfaire et approfondir leurs connaissances pour devenir formateur d’adultes enseignantes et enseignants et donc pour pouvoir exercer cette fonction qu’on qualifie d’expert et d’émérite. Enfin, comment se fait-il que dans un avis traitant du développement professionnel et de la maitrise d’œuvre de celui-ci par les acteurs concernés, le CSE n’ait pas recommandé, suivant la même logique, que les conseillères et conseillers pédagogiques soient également les maîtres d’œuvre de leur développement professionnel pour devenir de bons formateurs. Dans le développement de cette voie, l’Université de Sherbrooke, par exemple, a développé un programme de perfectionnement qui s’adresse spécifiquement aux conseillères et conseillers pédagogiques. Ce programme a déjà permis de développer des partenariats fort intéressants avec certaines commissions scolaires. Ces initiatives contribuent au développement de la profession, à la définition des compétences attendues d’une conseillère ou d’un conseiller pédagogique et à la définition de leur identité professionnelle. Soulignons pour terminer que les délais inacceptables concernant le traitement du dossier des relativités salariales ont un impact négatif sur le développement de la profession; le CSE souligne d’ailleurs les conséquences négatives de cet état de fait. On ne peut qu’espérer un règlement rapide de ce dossier avec le Conseil du trésor. Les commissions scolaires pourront à nouveau offrir des conditions de travail permettant la reconnaissance de la profession et son développement. 3 Au terme de cette démonstration, le Conseil comprendra donc que sa proposition concernant les conseillères et conseillers pédagogiques nous apparaisse totalement inacceptable. Espérant que nos propos retiendront une attention positive de la part des membres du Conseil, nous vous prions d’agréer, Monsieur, nos salutations distinguées. Sophie Massé, Vice-présidente, responsable de l’action professionnelle Cc : Madame Marie-Claude Champoux, sous-ministre du ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport Monsieur Bernard Tremblay, président du Comité patronal de négociation pour les commissions scolaires francophones Madame Anne-Marie Lepage, présidente du Comité patronal de négociation pour les commissions scolaires anglophones Madame Josée Bouchard, présidente de la Fédération des commissions scolaires francophones Par courriel : [email protected] Monsieur David C. D’Aoust, président de l’Association des commissions scolaires anglophones Par courriel : [email protected] 4
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