En bout de piste

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SPORTIVEMENT VOTRE
Le Quotidien de la Réunion - jeudi 02/10/14
Athlétisme
L’EX-CTS JEAN MAYER PREND SA RETRAITE
En bout
de piste
Après vingt-deux ans d’un travail acharné, parfois décrié mais toujours passionné,
Jean Mayer tire sa révérence et cède sa place de CTS au profit de Jean-Louis
Lebon. Portrait d’un « fonceur » qui n’a pas fini de courir.
Un départ, ça se prépare. Sur
la piste, comme dans la vie.
Jean Mayer est bien placé pour
le savoir. L’ancien sprinteur de
haut niveau (20’’88 sur 200 m)
reconverti en 1992 conseiller
technique sportif (CTS) de l’athlétisme réunionnais vient de
laisser sa place à un ancien
lanceur, Jean-Louis Lebon.
Un passage de témoin réfléchi entre deux hommes qui se
distinguent de par leur gabarit
et leur spécialité, mais qui s’unissent dans l’idée qu’ils ont de
ce métier. « Ça va être un autre
savoir-faire, c’est bien. C’est un
produit du terroir, il a l’expérience de la métropole. On a un
peu le même parcours, lui aussi
a connu le très haut niveau »,
livre le néo-retraité.
Soulagé de céder sa place avec « l’impression d’avoir bien
travaillé pour la nation », Jean
Mayer n’a pas encore pensé au
grand espace qui s’ouvre devant lui. « C’est un peu voulu
parce que j’ai peur de revenir
sur l’avant. Parce que ma
chance, c’est d’avoir fait en
même temps mon métier et ma
passion », sourit-il.
« Le petit
Réunionnais est
un sprinteur »
Rassurez-vous : Jean Mayer
ne va pas couper net son effort.
Il n’a jamais su le faire en
vingt-deux ans de carrière.
« Quelqu’un a dit que j’étais un
électron libre. J’étais un fonceur, je voulais aller trop vite, je
n’attendais pas les autorisations
de la ligue. »
Bourreau de travail, « 60 à 70
heures par semaine » en
moyenne, Jean Mayer n’a pas
chômé. Tant au niveau de la
détection que de la formation.
« J’ai formé pas loin de 1000
entraîneurs », rappelle-t-il. Son
zèle incontrôlable lui a pourtant
valu quelques reproches. Et des
moments de doute, comme lors
de l’assemblée générale de la
ligue, en 2002. « J’ai craqué. Je
suis quelqu’un de très émotif.
En rentrant chez moi, je me
suis dit : “ je démissionne, je
dégage ”. »
Sa famille et ses proches l’ont
ramené à la raison. Jean Mayer
a tenu bon, vaille que vaille. Le
sprinteur a poursuivi son travail
de fond auprès de la jeunesse.
Jusqu’à établir un postulat très
personnel. « J’ai testé 5000 gamins du collège pour jauger les
qualités physiques du petit Réunionnais, des Hauts et des Bas.
Le petit Réunionnais, c’est quelqu’un d’éclectique : il est bondissant, il est rapide et il est
rapide longtemps. Le petit Réunionnais, c’est d’abord un sprinteur. »
« Il aurait fallu
un 2e CTR »
Ce n’est pas un hasard si ses
principales fiertés viennent du
sprint et du demi-fond : Vallon
Hoarau, Karen Crescence, Myriam Jalma et plus récemment
Pamela Clorate. Le titre de vicechampionne de France élite décroché l’an dernier à la longueur par Darlène Mazeau a
donné un peu plus corps à ses
propos. Dommage qu’elle soit
aussi seule à tutoyer les sommets. « Sur le plan de la performance, le problème se situe du
passage de junior à senior. C’est
vrai qu’on n’a pas fait assez de
suivi, on aurait dû les accompagner. Il aurait fallu un 2e CTR
qui s’occupe du haut niveau »,
concède sans détour le Dionysien.
Dans sa bataille pour la démocratisation de l’athlétisme,
Jean Mayer regrette de ne pas
avoir été mieux accompagné
par ses pairs, Jean-Louis Pria-
Le désormais ex-CTS croit en la relève.
non en tête. « J’attendais la
venue de Jean-Louis. Il a hésité,
il continuait de faire des perfs,
je l’ai laissé tranquille. Il a manqué cette transition, la ligue
aurait du lui donner les
moyens. »
Bien sûr, le CTS n’était pas
tout seul dans sa tâche. « On va
me dire que j’avais une équipe
technique régionale d’une vingtaine de personnes. Mais comment veux-tu que je sois dur
avec des bénévoles, moi qui
suis le professionnel de l’histoire. J’étais près du peuple,
peut-être parce que je viens du
peuple », glisse-t-il d’un air malicieux.
L’homme n’est pas du genre
à fuir les reproches. Il est trop
sincère pour cela. Ce qui explique du même coup son aversion pour la calomnie. Comme
lorsqu’on lui a reproché d’être
un ennemi du hors-stade, une
branche en plein essor dont il a
servi la cause dès son arrivée au
poste de CTS. « A cette époque,
on m’a dit : le hors stade ne
marchera jamais. Pour le tour
de l’île pédestre, j’ai dit : je veux
la sélection de La Réunion. C’était ma première. On a mis 10
minutes aux Malgaches. »
Jean Mayer s’est finalement
concentré sur la piste, par choix
mais également par nécessité.
« On avait un problème de repérage entre les jeunes qui ne
connaissent pas l’athlé et leur
entrée au club. Ce serait bien
qu’il y ait un agent détecteur
dans chaque club. Je n’ai peutêtre pas assez insisté pour cela », reconnaît un homme que
l’on qualifie parfois « d’introverti ».
Cela ne l’a toutefois pas empêché de poursuivre son travail
de fourmi, dont il récolte les
fruits aujourd’hui seulement, à
l’heure de la retraite. « Quand je
suis arrivé à La Réunion, on
tournait entre quatre et huit
athlètes sur la liste du haut
niveau. Depuis la semaine dernière, ils sont treize », se félicite-t-il, convaincu que le meilleur reste à venir. Et qu’un
produit de la formation péi foulera à nouveau la piste olympique, comme il fut le premier
à le faire il y a 38 ans. Pourquoi
pas l’heptatlonienne Esther Turpin ? « Elle est partie pour »,
sourit Jean Mayer.
Cette relève ambitieuse, l’ancien CTS compte bien l’accompagner encore quelques années, par le biais de sa fonction
d’entraîneur au pôle espoirs de
Champ-Fleuri. « J’y serai tous
les soirs. A la maison, ça continue à râler un petit peu »,
souffle-t-il.
Pour Jean Mayer, être en
bout de piste est synonyme de
nouveau départ.
Vincent COUET-LANNES
Jean Mayer tire sa révérence après vingt-deux années à animer la politique sportive de la ligue
d’athlétisme. (Photos Raymond Wae Tion)
Une vie à 100 à l’heure
Comme don du ciel, ou de
ses parents, Jean a reçu la
vitesse. Encore fallait-il savoir
s’en servir. Le marmaille du
Bas-de-la-Rivière s’est d’abord
essayé au vélo : « Je suivais la
PPA sur la route en corniche. » Il y a eu le foot aussi,
puis le rugby. Un essai... peu
concluant. « Le premier pète
que j’ai pris, je me suis dit :
“ je ne suis pas fait pour ça”»,
s’amuse-t-il encore.
Finalement, c’est l’athlétisme qui va polir ce talent
brut. En une journée, Jean
Mayer va sceller sa destinée,
au hasard d’une rencontre au
stade de Champ-Fleuri, récemment rebaptisé du nom de
l’homme qui l’a révélé. « Je
vois une fille, qui était en
cours avec Marc Nasseau. Je
l’avais déjà remarquée dans
un bal, dans sa robe à pois. Je
vais lui parler. Marc viens me
voir et me dit : “ tu cours,
toi?” Je fais 11’9 sur la piste en
cendrée. » La fille à la robe à
pois sera sa femme, l’athlétisme sa raison de vivre.
A 20 ans, le Dionysien s’envole pour la métropole, direction le bataillon de Joinville. Il
est muté à Saint-Maur, où il
fait la connaissance de
Jacques Piasenta. Puis il in-
tègre l’Insep, où il travaille
sous les ordres de Jacky Verzier, un second père pour celui qui a perdu le sien à l’âge
de huit ans. « Il m’a donné le
virus », évoque-t-il avec émotion.
« Je suis
très jazzman »
Sa progression est courte et
fulgurante, à l’image de sa carrière sportive. Jean Mayer fête
sa première sélection avec l’équipe de France espoirs lors
d’un match contre l’Allemagne. Distrait, il n’entend
pas l’ordre de départ. Le lendemain, un article du journal
L’Equipe relate : « le jeune
Mayer oublie de partir sur 200
mètres. »
Ce n’est que partie remise.
Quelques mois plus tard, il
décroche son billet pour les
Jeux olympiques de 1976, à
Montréal. Sans le savoir,
Mayer vient d’entrer dans
l’Histoire du sport réunionnais
en devenant le premier athlète
péi qualifié pour les JO. « Je
l’ai appris quand je suis revenu, c’est une petite fierté »,
dit-il modestement. Il aurait
quand même aimé faire mieux
qu’un quart de finale du 200
mètres : « Une place en finale
c’était possible. » En perte de
vitesse, victime de surentraînement, Jean Mayer doit se
résoudre à ranger les pointes
pour passer de l’autre côté de
la barrière. « J’ai basculé
comme entraîneur au Stade
Clermontois ».
A la tête d’une belle équipe
de sprinteurs, il s’installe dans
le top 5 français derrière les
mastodontes parisiens (Racing, Stade Français et Puc) et
le club d’Aix-les-Bains d’un
certain Pierrot Carraz, futur
coach de Christophe Lemaître.
A Clermont, Jean Mayer s’abreuve du savoir qui l’aidera à
devenir plus tard CTS. « Je
tiens à remercier François Julliard, Alain Tronqual, Roland
Dufour, Jean-François Pontier,
mes formateurs du stade clermontois. Ils m’ont énormément appris », insiste le Dionysien.
Insatiable dans sa quête de
connaissance, il redécouvre
aujourd’hui les joies de la lecture, mais aussi de la guitare.
« Je suis très jazzman, j’aime
bien l’improvisation. »
La photo et la randonnée
sont d’autres nouvelles passions auxquelles il compte s’adonner. Car Jean Mayer est un
fonceur-né.
V.C-L
Jean Mayer en bref
Naissance : le 22 octobre 1952 (61 ans) à
Saint-Denis.
Clubs successifs : La Patriote, Bataillon de
Joinville, VGA Saint-Maur, Stade Clermontois.
Records personnels : 10’’55 sur 100 m, 20’’88
sur 200 m.
Palmarès : vice-champion de France du 200 m
(1976), quart de finaliste du 200 m aux JO de
Montréal (1976), 15 sélections en équipe de
France.