La prévention des mutilations génitales féminines se met en place

«Moutier, deuxième ville en importance
RÉGION
Canton
du Jura
District
de Delémont
District
de Porrentruy
dans la région jurassienne, peut revendiquer
à elle seule le statut de 4e district du Jura.
Nous le revendiquons pour elle.
»
Clément Piquerez, animateur du Bélier
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FranchesMontagnes
Canton
de Berne
Jura bernois
n SANTÉ/INTÉGRATION
La prévention des mutilations génitales
féminines se met en place dans le Jura
V Le Jura se mobilise pour
faire face à une question
sensible: celle des mutilations génitales féminines.
V Avec les flux migratoi-
res, des femmes excisées
sont arrivées chez nous.
Quelle attitude adopter
avec elles? Ce n’est pas si évident, tant pour le personnel
médical que les travailleurs
sociaux voire les milieux
scolaires.
V Un colloque a réuni jeudi
des professionnels à Delémont. C’est un premier travail de sensibilisation. Il
s’agit maintenant d’aller
plus loin. Explications.
Un colloque sur les mutilations génitales féminines s’est
tenu jeudi dernier à Delémont
sous l’égide du Bureau de l’intégration des étrangers et du
Bureau de l’égalité. Les mutilations génitales féminines
(MGF) sont une atteinte à l’intégrité physique et psychologique de millions de filles et de
femmes à travers le monde
(lire ci-dessous).
120 millions de femmes
touchées dans le monde
Ces mutilations se rencontrent depuis quelques années
dans le canton du Jura, avec
l’arrivée de femmes venues de
pays où l’excision se pratique
parfois largement. Plus de
120 millions de filles et de
femmes en vie dans 29 pays
d’Afrique et du Moyen-Orient
ont subi une forme de MGF,
selon l’UNICEF. L’excision est
arrivée chez nous avec les flux
migratoires. L’UNICEF estime que plus de 10 000 fem-
La prévention la plus efficace se fait avec des intervenants connaissant bien les communautés concernées. Caritas
a une expérience de plusieurs années en la matière. Ici une séance de sensibilisation. PHOTO HEIKE GRASSER/CARITAS SUISSE
mes excisées ou menacées de
l’être vivent en Suisse.
Les mutilations génitales féminines, que l’on désigne aussi sous l’acronyme MGF, sont
un sujet tabou et délicat, souligne Angela Fleury, déléguée à
l’Egalité. En Suisse, l’article
124 du Code pénal les interdit,
qu’elles soient pratiquées ici
ou à l’étranger. Se référant à la
procureure Séverine Stalder,
Nicole Bart, déléguée à l’Intégration, souligne qu’il n’y a eu
à ce jour aucune dénonciation
suite à la pratique d’une telle
mutilation dans le Jura. Ce qui
ne signifie pas que le problème est inexistant.
«Il est important de parler,
de porter un jugement objectif
et documenté sur un problème qui prive d’une intégrité
physique et psychique. Nous
avons la responsabilité de donner écho au silence des fem-
mes, à des relations souvent
de force ou de pouvoir», déclare la ministre Elisabeth Baume-Schneider. La cheffe du
Département de la Formation,
de la Culture et des Sports dit
sa satisfaction de voir le problème empoigné dans le Jura
et confirme la volonté de l’Etat
d’agir dans ce domaine.
Arrivées en 2008-2009
Le problème a été posé par
l’arrivée massive de réfugiés
éthiopiens dans les années
2008-2009, rappelle Jeanne
Beuret, travailleuse sociale au
Centre d’animation et de formation pour femmes migrantes (CAFF). Elle ne cache pas
que des erreurs ont été commises au début dans la manière d’aborder l’excision avec ces
femmes. D’où la nécessité de
pouvoir compter sur des personnes de référence aptes à
Jacques Seydoux: une pratique mal connue,
peut-être plus dans le Jura qu’ailleurs
L
a problématique des mutilations génitales
féminines, importante, est mal connue,
peut-être plus dans le Jura qu’ailleurs, estime le
Dr Jacques Seydoux, gynécoloque-obstétricien,
médecin-chef à l’Hôpital du Jura.
Que faire lorsqu’une femme infibulée, avec
le sexe cousu donc, se présente pour accoucher? Au début, les gynécologues surpris pratiquaient une césarienne et laissaient l’infibulation. Autre attitude: on enlevait l’infibulation
mais on la rétablissait après l’accouchement,
dans l’idée d’éviter que la femme ne le fasse
«dans sa cuisine». Le Dr Seydoux ne cache pas
qu’il a changé sa pratique, une fois mieux informé. Plutôt que de réinfibuler une femme, il
s’agit de l’accompagner afin de contribuer à faire diminuer cette pratique. Ce qui suppose la
présence de personnes formées et disponibles.
Un message pleinement partagé par Pierrette Nusbaumer, psychologue. Il faut en effet du
tact et de la persuasion pour convaincre de renoncer à une pratique séculaire. Un rapport de
l’UNICEF datant de 2013 indique que 98% des
femmes de 15 à 49 ans sont excisées en Somalie, 96% en Guinée, 93% en Egypte, 89% au
Mali, 88% en Sierra Leone et au Soudan, 76%
au Burkina Faso, 74% en Ethiopie, 69% en
Mauritanie, 66% au Libéria, 50% en GuinéeBissau, 44% au Tchad, 36% en Côte d’Ivoire,
27% au Kenya et au Nigéria, 26% au Sénégal,
24% en Tanzanie, 23% au Yémen, 15% en Centrafrique, 13% au Bénin, 8% en Irak, 4% au
Ghana et au Togo, 2% au Niger, 1% au Cameroun et en Ouganda.
La belle expérience des Peuls au Bénin
Mais la pratique recule. Pierrette Nusbaumer
a eu l’occasion de partager l’expérience des
Peuls au Bénin, qui pratiquaient largement
l’excision: l’action de l’ONG locale Potal Men,
soutenue par Jura-Afrique, a abouti au bout de
dix ans à l’éradication de l’excision dans cette
communauté de 400 000 personnes. Un beau
témoignage qui donne de l’espoir.
GM
prendre en charge le problème. Selon Jeanne Beuret, il y a
dans le Jura une centaine de
femmes de pays où l’on pratique l’excision, excisées à 95%.
Leurs enfants ne sont pas répertoriés. Or les filles de ces
communautés sont menacées
d’excision. Il est urgent d’agir,
confirme Jeanne Beuret,
même si la réaction tardive du
canton du Jura n’a jusqu’ici
pas porté à conséquences.
cal, gynécologues compris, entre les années 2008 et 2010.
Cette ancienne députée des
Verts au Grand Conseil bernois, congolaise d’origine, vit
à Bienne et travaille depuis
une année au Planning familial à Porrentruy. Interrogée
par Le Quotidien Jurassien, elle
témoigne de la difficulté d’intervenir dans les communautés concernées, notamment
auprès des hommes:
– «Ils disent que les blancs
ont dominé les Africains pendant des siècles et qu’ils veulent imposer leurs manières
de faire, qu’il faut résister avec
les traditions, que la Suisse est
trop libre, qu’on laisse les enfants faire n’importe quoi,
qu’on leur apprend à mettre
des préservatifs, que ces enfants sont débauchés et que
par conséquent, il faut exciser
les filles. Après dix ans d’activité dans la prévention, j’ai
l’impression qu’il y a de sensibles améliorations, mais il y a
aussi des hommes hypocrites,
prêts à aller au pays pour une
fête d’excision. Il faut dialoguer, travailler à changer les
mentalités, dire qu’il y a des
bonnes et mauvaises choses
dans les traditions. En tant
que migrants, nous échangeons sur nos traditions. C’est
important que ceux qui ont
évolué témoignent.»
Changer les mentalités
Comprendre
avant de juger
Félicienne Lusamba VillozMuamba, 57 ans, conseillère
en planning familial et médiatrice interculturelle, intervient
depuis une dizaine d’années
et dans toute la Suisse sur le
thème des MGF, en collaboration avec Caritas. Elle a été sollicitée à plusieurs occasions
pour donner des formations,
notamment à Bienne et dans
le Jura bernois auprès de professionnels du domaine médi-
C’est ce que fait Mahamed
Abdi, Somalien de 34 ans, depuis 21 ans en Suisse. Il a grandi en Valais et créé l’Association Rajo qu’il préside et qui
travaille à changer les mentalités parmi les Somaliens.
«Pour moi, c’est important de
mettre en avant la prévention
et la discussion. Mon message
aux professionnels: il faut
comprendre ces personnes
avant de les juger.» Et de rele-
ver une difficulté majeure:
l’excision est interdite mais intervenir dans une famille et en
retirer une fille menacée de
mutilation, c’est punir la famille et la fille qui sont venues
chercher la sécurité en Suisse.
Dans une telle situation, si
l’on apprend qu’une fille est
menacée dans son intégrité,
l’intervention des autorités est
obligatoire, réagit la ministre
Elisabeth Baume-Schneider.
Avant d’agir frontalement, il
faut chercher à convaincre,
plaide toutefois Mahamed
Abdi. Mais l’interdiction doit
être appliquée, admet-il.
Caritas Suisse a une longue
expérience sur le front des
MGF, acquise avec les requérants d’asile. Depuis 2007,
elle a un mandat de deux offices fédéraux (Santé publique
et Migrations) pour la prévention des mutilations génitales
féminines. Nadia Bisang, la
responsable pour cette action,
apprécie qu’on commence à
réfléchir sur ces questions
dans le canton du Jura. Mais il
reste beaucoup à faire: former
les professionnels, établir un
réseau, trouver les personnes
clés pour avoir accès aux communautés de migrants.
Le colloque de jeudi était un
début. Le long débat qui a eu
lieu a répondu aux attentes, se
réjouit Nicole Bart, appuyée
par Angela Fleury. Des professionnels des domaines médical, social, scolaire, de la police
et d’associations actives dans
le
domaine
humanitaire
étaient présents. Ils auront pu
emporter la nouvelle brochure
du Bureau de l’intégration et
du Bureau de l’égalité qui donne quelques informations basiques et des références. Il
s’agit maintenant «d’avoir une
réflexion plus globale et d’exploiter les pistes développées
lors du colloque», conclut Nicole Bart.
GEORGES MAILLARD
L’excision: un gros risque pour la santé
V L’excision: ce terme désigne la lésion ou l’abla-
V L’excision est irréversible. Les complications
tion partielle ou totale des organes génitaux féminins externes pour des raisons non médicales.
L’excision peut consister en une élimination du
capuchon clitoridien avec ou sans clitoris, une
élimination du clitoris et des petites lèvres (excision) et une suture des grandes lèvres de manière à ne laisser qu’une minuscule ouverture (infibulation).
V L’excision regroupe également toutes les autres pratiques qui entraînent une lésion des organes génitaux féminins: percer, inciser, déchirer ou cautériser le clitoris.
V L’excision est un gros danger pour la santé des
femmes. On mentionne notamment les risques
de saignements abondants pouvant entraîner
la mort, de cicatrisation avec kystes et abcès,
d’infections (tétanos, septicémie, sida etc.), de
stérilité consécutive à l’inflammation des organes génitaux, de règles douloureuses, d’accouchements prolongés avec risques accrus pour la
mère et l’enfant, de troubles psychiques, de
sexualité entravée.
qui en résultent peuvent être soignées. Il existe
aussi des possibilités chirurgicales de dilater
l’orifice vaginal ou reconstruire partiellement le
clitoris. Dans le cas d’une infibulation, une opération peut réduire certaines difficultés. La défibulation peut être conseillée dans certains cas.
Elle rend possible l’accouchement normal. L’infibulation n’est pas refaite après l’accouchement.
V L’excision, contraire à de nombreuses conventions internationales dont la Convention relative aux droits de l’enfant, est interdite dans de
nombreux pays, y compris dans la plupart de
ceux où l’on rencontre cette pratique. En Suisse,
l’article 124 du Code pénal interdit les mutilations génitales féminines, qu’elles soient pratiquées en Suisse ou à l’étranger. Toute personne
qui pratique ou encourage les MGF en Suisse ou
à l’étranger, avec ou sans l’accord de la fille, encourt au minimum 180 jours amende et au
maximum une peine de prison de 10 ans. L’infraction est poursuivie d’office. GM
Le Quotidien Jurassien | Lundi 17 mars 2014
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