«Moutier, deuxième ville en importance RÉGION Canton du Jura District de Delémont District de Porrentruy dans la région jurassienne, peut revendiquer à elle seule le statut de 4e district du Jura. Nous le revendiquons pour elle. » Clément Piquerez, animateur du Bélier PAGE 13 FranchesMontagnes Canton de Berne Jura bernois n SANTÉ/INTÉGRATION La prévention des mutilations génitales féminines se met en place dans le Jura V Le Jura se mobilise pour faire face à une question sensible: celle des mutilations génitales féminines. V Avec les flux migratoi- res, des femmes excisées sont arrivées chez nous. Quelle attitude adopter avec elles? Ce n’est pas si évident, tant pour le personnel médical que les travailleurs sociaux voire les milieux scolaires. V Un colloque a réuni jeudi des professionnels à Delémont. C’est un premier travail de sensibilisation. Il s’agit maintenant d’aller plus loin. Explications. Un colloque sur les mutilations génitales féminines s’est tenu jeudi dernier à Delémont sous l’égide du Bureau de l’intégration des étrangers et du Bureau de l’égalité. Les mutilations génitales féminines (MGF) sont une atteinte à l’intégrité physique et psychologique de millions de filles et de femmes à travers le monde (lire ci-dessous). 120 millions de femmes touchées dans le monde Ces mutilations se rencontrent depuis quelques années dans le canton du Jura, avec l’arrivée de femmes venues de pays où l’excision se pratique parfois largement. Plus de 120 millions de filles et de femmes en vie dans 29 pays d’Afrique et du Moyen-Orient ont subi une forme de MGF, selon l’UNICEF. L’excision est arrivée chez nous avec les flux migratoires. L’UNICEF estime que plus de 10 000 fem- La prévention la plus efficace se fait avec des intervenants connaissant bien les communautés concernées. Caritas a une expérience de plusieurs années en la matière. Ici une séance de sensibilisation. PHOTO HEIKE GRASSER/CARITAS SUISSE mes excisées ou menacées de l’être vivent en Suisse. Les mutilations génitales féminines, que l’on désigne aussi sous l’acronyme MGF, sont un sujet tabou et délicat, souligne Angela Fleury, déléguée à l’Egalité. En Suisse, l’article 124 du Code pénal les interdit, qu’elles soient pratiquées ici ou à l’étranger. Se référant à la procureure Séverine Stalder, Nicole Bart, déléguée à l’Intégration, souligne qu’il n’y a eu à ce jour aucune dénonciation suite à la pratique d’une telle mutilation dans le Jura. Ce qui ne signifie pas que le problème est inexistant. «Il est important de parler, de porter un jugement objectif et documenté sur un problème qui prive d’une intégrité physique et psychique. Nous avons la responsabilité de donner écho au silence des fem- mes, à des relations souvent de force ou de pouvoir», déclare la ministre Elisabeth Baume-Schneider. La cheffe du Département de la Formation, de la Culture et des Sports dit sa satisfaction de voir le problème empoigné dans le Jura et confirme la volonté de l’Etat d’agir dans ce domaine. Arrivées en 2008-2009 Le problème a été posé par l’arrivée massive de réfugiés éthiopiens dans les années 2008-2009, rappelle Jeanne Beuret, travailleuse sociale au Centre d’animation et de formation pour femmes migrantes (CAFF). Elle ne cache pas que des erreurs ont été commises au début dans la manière d’aborder l’excision avec ces femmes. D’où la nécessité de pouvoir compter sur des personnes de référence aptes à Jacques Seydoux: une pratique mal connue, peut-être plus dans le Jura qu’ailleurs L a problématique des mutilations génitales féminines, importante, est mal connue, peut-être plus dans le Jura qu’ailleurs, estime le Dr Jacques Seydoux, gynécoloque-obstétricien, médecin-chef à l’Hôpital du Jura. Que faire lorsqu’une femme infibulée, avec le sexe cousu donc, se présente pour accoucher? Au début, les gynécologues surpris pratiquaient une césarienne et laissaient l’infibulation. Autre attitude: on enlevait l’infibulation mais on la rétablissait après l’accouchement, dans l’idée d’éviter que la femme ne le fasse «dans sa cuisine». Le Dr Seydoux ne cache pas qu’il a changé sa pratique, une fois mieux informé. Plutôt que de réinfibuler une femme, il s’agit de l’accompagner afin de contribuer à faire diminuer cette pratique. Ce qui suppose la présence de personnes formées et disponibles. Un message pleinement partagé par Pierrette Nusbaumer, psychologue. Il faut en effet du tact et de la persuasion pour convaincre de renoncer à une pratique séculaire. Un rapport de l’UNICEF datant de 2013 indique que 98% des femmes de 15 à 49 ans sont excisées en Somalie, 96% en Guinée, 93% en Egypte, 89% au Mali, 88% en Sierra Leone et au Soudan, 76% au Burkina Faso, 74% en Ethiopie, 69% en Mauritanie, 66% au Libéria, 50% en GuinéeBissau, 44% au Tchad, 36% en Côte d’Ivoire, 27% au Kenya et au Nigéria, 26% au Sénégal, 24% en Tanzanie, 23% au Yémen, 15% en Centrafrique, 13% au Bénin, 8% en Irak, 4% au Ghana et au Togo, 2% au Niger, 1% au Cameroun et en Ouganda. La belle expérience des Peuls au Bénin Mais la pratique recule. Pierrette Nusbaumer a eu l’occasion de partager l’expérience des Peuls au Bénin, qui pratiquaient largement l’excision: l’action de l’ONG locale Potal Men, soutenue par Jura-Afrique, a abouti au bout de dix ans à l’éradication de l’excision dans cette communauté de 400 000 personnes. Un beau témoignage qui donne de l’espoir. GM prendre en charge le problème. Selon Jeanne Beuret, il y a dans le Jura une centaine de femmes de pays où l’on pratique l’excision, excisées à 95%. Leurs enfants ne sont pas répertoriés. Or les filles de ces communautés sont menacées d’excision. Il est urgent d’agir, confirme Jeanne Beuret, même si la réaction tardive du canton du Jura n’a jusqu’ici pas porté à conséquences. cal, gynécologues compris, entre les années 2008 et 2010. Cette ancienne députée des Verts au Grand Conseil bernois, congolaise d’origine, vit à Bienne et travaille depuis une année au Planning familial à Porrentruy. Interrogée par Le Quotidien Jurassien, elle témoigne de la difficulté d’intervenir dans les communautés concernées, notamment auprès des hommes: – «Ils disent que les blancs ont dominé les Africains pendant des siècles et qu’ils veulent imposer leurs manières de faire, qu’il faut résister avec les traditions, que la Suisse est trop libre, qu’on laisse les enfants faire n’importe quoi, qu’on leur apprend à mettre des préservatifs, que ces enfants sont débauchés et que par conséquent, il faut exciser les filles. Après dix ans d’activité dans la prévention, j’ai l’impression qu’il y a de sensibles améliorations, mais il y a aussi des hommes hypocrites, prêts à aller au pays pour une fête d’excision. Il faut dialoguer, travailler à changer les mentalités, dire qu’il y a des bonnes et mauvaises choses dans les traditions. En tant que migrants, nous échangeons sur nos traditions. C’est important que ceux qui ont évolué témoignent.» Changer les mentalités Comprendre avant de juger Félicienne Lusamba VillozMuamba, 57 ans, conseillère en planning familial et médiatrice interculturelle, intervient depuis une dizaine d’années et dans toute la Suisse sur le thème des MGF, en collaboration avec Caritas. Elle a été sollicitée à plusieurs occasions pour donner des formations, notamment à Bienne et dans le Jura bernois auprès de professionnels du domaine médi- C’est ce que fait Mahamed Abdi, Somalien de 34 ans, depuis 21 ans en Suisse. Il a grandi en Valais et créé l’Association Rajo qu’il préside et qui travaille à changer les mentalités parmi les Somaliens. «Pour moi, c’est important de mettre en avant la prévention et la discussion. Mon message aux professionnels: il faut comprendre ces personnes avant de les juger.» Et de rele- ver une difficulté majeure: l’excision est interdite mais intervenir dans une famille et en retirer une fille menacée de mutilation, c’est punir la famille et la fille qui sont venues chercher la sécurité en Suisse. Dans une telle situation, si l’on apprend qu’une fille est menacée dans son intégrité, l’intervention des autorités est obligatoire, réagit la ministre Elisabeth Baume-Schneider. Avant d’agir frontalement, il faut chercher à convaincre, plaide toutefois Mahamed Abdi. Mais l’interdiction doit être appliquée, admet-il. Caritas Suisse a une longue expérience sur le front des MGF, acquise avec les requérants d’asile. Depuis 2007, elle a un mandat de deux offices fédéraux (Santé publique et Migrations) pour la prévention des mutilations génitales féminines. Nadia Bisang, la responsable pour cette action, apprécie qu’on commence à réfléchir sur ces questions dans le canton du Jura. Mais il reste beaucoup à faire: former les professionnels, établir un réseau, trouver les personnes clés pour avoir accès aux communautés de migrants. Le colloque de jeudi était un début. Le long débat qui a eu lieu a répondu aux attentes, se réjouit Nicole Bart, appuyée par Angela Fleury. Des professionnels des domaines médical, social, scolaire, de la police et d’associations actives dans le domaine humanitaire étaient présents. Ils auront pu emporter la nouvelle brochure du Bureau de l’intégration et du Bureau de l’égalité qui donne quelques informations basiques et des références. Il s’agit maintenant «d’avoir une réflexion plus globale et d’exploiter les pistes développées lors du colloque», conclut Nicole Bart. GEORGES MAILLARD L’excision: un gros risque pour la santé V L’excision: ce terme désigne la lésion ou l’abla- V L’excision est irréversible. Les complications tion partielle ou totale des organes génitaux féminins externes pour des raisons non médicales. L’excision peut consister en une élimination du capuchon clitoridien avec ou sans clitoris, une élimination du clitoris et des petites lèvres (excision) et une suture des grandes lèvres de manière à ne laisser qu’une minuscule ouverture (infibulation). V L’excision regroupe également toutes les autres pratiques qui entraînent une lésion des organes génitaux féminins: percer, inciser, déchirer ou cautériser le clitoris. V L’excision est un gros danger pour la santé des femmes. On mentionne notamment les risques de saignements abondants pouvant entraîner la mort, de cicatrisation avec kystes et abcès, d’infections (tétanos, septicémie, sida etc.), de stérilité consécutive à l’inflammation des organes génitaux, de règles douloureuses, d’accouchements prolongés avec risques accrus pour la mère et l’enfant, de troubles psychiques, de sexualité entravée. qui en résultent peuvent être soignées. Il existe aussi des possibilités chirurgicales de dilater l’orifice vaginal ou reconstruire partiellement le clitoris. Dans le cas d’une infibulation, une opération peut réduire certaines difficultés. La défibulation peut être conseillée dans certains cas. Elle rend possible l’accouchement normal. L’infibulation n’est pas refaite après l’accouchement. V L’excision, contraire à de nombreuses conventions internationales dont la Convention relative aux droits de l’enfant, est interdite dans de nombreux pays, y compris dans la plupart de ceux où l’on rencontre cette pratique. En Suisse, l’article 124 du Code pénal interdit les mutilations génitales féminines, qu’elles soient pratiquées en Suisse ou à l’étranger. Toute personne qui pratique ou encourage les MGF en Suisse ou à l’étranger, avec ou sans l’accord de la fille, encourt au minimum 180 jours amende et au maximum une peine de prison de 10 ans. L’infraction est poursuivie d’office. GM Le Quotidien Jurassien | Lundi 17 mars 2014 |3
© Copyright 2024 ExpyDoc