Toxicomanie en pratique quotidienne Actualitées diagnostiques INTRODUCTION Le médecin généraliste se trouve de plus en plus souvent confronté à des tableaux cliniques qui justifient l'intervention du laboratoire de toxicologie: l'absorption accidentelle ou volontaire de médicaments, l'échec d'une thérapeutique régulièrement prescrite ou la recherche d'une toxicomanie. Cette dernière indication est de loin la plus fréquente et en progression, représentant à elle seule plus de 70% de la routine analytique. Quel que soit le tableau clinique rencontré, les questions qui se posent sont toujours les mêmes: • dans quel délai peut-on rechercher une molécule? • sur quel type de prélèvement (sang, urine)? • quel est le seuil de détection? • comment interpréter des résultats d'opiacés et faire la distinction entre un usage illicite et un usage thérapeutique de médicaments? Le point capital est la collaboration entre le médecin et le biologiste: la mission du laboratoire est en effet délicate tant les situations sont complexes et l'impact du résultat lourd sur le plan médical, professionnel et social. Dans la mesure du possible, on s'attachera à fournir au biologiste tous les renseignements nécessaires à l'orientation de la conduite analytique: l'état clinique du patient, si possible une suspicion quant au type de substance ingérée, l'heure ou la date supposée d'ingestion et le cas échéant les traitements déjà mis en œuvre. .01 Toxicomanie en pratique quotidienne PRÉLÈVEMENTS ET DÉLAIS DE DÉTECTION Les drogues se recherchent principalement dans les urines. Le prélèvement urinaire est souhaitable: • les concentrations sont plus élevées que dans le sang • l’élimination trop rapide des substances dans le sang augmente le risque de faux négatifs et rend leur détection hasardeuse • le temps de séjour des substances et leurs métabolites y est plus long Les temps de détection des drogues dans les urines dépendent donc de plusieurs facteurs, notamment des différentes propriétés pharmacologiques de la substance, de la dose administrée (en prise unique ou répétitive), de la voie d’administration et du seuil de sensibilité de la méthode utilisée au laboratoire. Les valeurs dans le tableau 1 sont purement indicatives. L' APPROCHE DU LABORATOIRE EN PRATIQUE QUOTIDIENNE Le laboratoire procède à un premier screening de l'échantillon par des techniques immunologiques simples et rapides. Leur cut-off est de 300 ng/ml pour la cocaïne, les opiacés, les amphétamines et la méthadone et de 50 ng/ml pour le cannabis. Les cut-offs sont significativement plus élevés que la limite de détection de la méthode utilisée, ce qui diminue la probabilité d’avoir des résultats faussement positifs (faux positif par interférence médicamenteuse ou par exposition passive). Tout résultat positif par screening est réanalysé par technique chromatographique automatisée (GC, HPLC) avec un triple objectif: • confirmer les résultats du screening, souvent à risque de réactions croisées ou d'interférences médicamenteuses, • fournir une valeur quantitative qui permet de suivre le patient et dans le cas de la méthadone contrôler sa compliance au traitement, • détecter les métabolites actifs qui sont parfois les seuls éléments disponibles pour distinguer thérapie et toxicomanie. 2 Tableau 1: Substances et délais de détection Groupe Substance Principaux métabolites urinaires Amphétamines Cannabinoïdes Amphétamine Metamphétamine MDMA MDEA Cannabis Amphétamine Amphétamine MDMA, MDA MDEA ll-nor-∆-9-tetrahydroxycannabinol9-COOH Alcaloïdes Cocaïne Benzoylecgonine (BE) Opioïdes synthétiques Anesthésiques Opiacés: Héroïne Morphine Codéine Méthadone Acide gammahydroxybutyrique (GHB) 6-monoacétyl-morphine Morphine (et codéine) Codéine (et morphine) 2-éthylidène-l,5-dime3,3-diphépyrolidine Acide succinique NB: le terme opiacé réfert à l’origine végétale de la substance, provenant de la plante opium (Papaver somniferus); les opioïdes (naturels ou synthétiques) au contraire, sont des substances qui de part leurs activités intrinsèques sur les récepteurs opioïdes exercent un effet similaire à la morphine. “Streetnames” Demi-vie sanguine Délais de détection urinaire Speed, Cranck Crystal, Ice XTC, Ecstasy, Adam Eve Hennep, Hashish, Weed, Marihuana, Joints (Met)amphétamine: 7-30 h MDMA, MDEA: 8h Occasionnel: 14-38 h Fumeur régulier: 5-13 jours Cocaïne: 0,5-1,5 h BE: 5-8 h Heroïne:5-20 min 6-MAM: 45 min Morphine: 1-7 h Codéïne: 3-4 h 15-60 h 2-5 jours 6 heures 3 jours / 1-2 jours 2-3 jours 2-3 jours 2-5 jours 2-10 min 12 h Coke, Crack, Snow Smack, White lady Junk, White stuff Amidone, Méthadone XTC liquide, Rape drug, Liquid X 1-7 jours correspond le plus souvent à une prise d’héroïne/ morphine (entre 0.4 et 10, douteux, prise simultanée possible de codéine et d’héroïne/morphine). Pour les autres drogues (amphétamines, cannabis, cocaïne, méthadone), la détection ne pose pas de problème particulier d'interprétation. Figure 1. Morphine, métabolites et dérivés. Héroïne 1-3 mois L'INTERPRÉTATION DES RÉSULTATS Cas du résultat négatif: Se garder de conclure hâtivement, être attentif à 2 situations de nature à fausser l'interprétation: fraudes au prélèvement ou collecte des urines trop tardive. Cas du résultat positif: Si confirmé par techniques chromatographiques, ne souffre d’aucune discussion sauf dans le cas des opiacés. Cas des opiacés: Séparer une toxicomanie <artificielle ou ponctuelle> résultant de la prise d'un médicament à des fins thérapeutiques d'une toxicomanie <vraie> résultant d'un usage illicite (morphine, codéine, codéthyline et pholcodine sont repris dans plus de 100 spécialités pharmaceutiques). Les opiacés sont en majeure partie métabolisés en morphine (figure 1), détectable jusqu'à 48 heures après la prise d'héroïne, 4 jours après la prise de codéine et codéthyline et 15 jours pour la pholcodine. Le rapport morphine/ codéine permet d'orienter le diagnostic (attention: grande variabilité individuelle): M/C < 0.4 indique très probablement une prise de codéine, M/C > 10 6-mono-acétyl-morphine (6-MAM) Codéïne Pholcodéine Morphine Normorphine Codéthyline Morphine3-sulfate (3 - 10%) MorphineN-oxyde Morphine-3glucuronide (66 - 70%) <DESIGNER> DROGUES (ECSTASY, EVE) Sa consommation est en progression, l’essentiel de la production provient des Pays-Bas (83%). Si l’on collationne les résultats des laboratoires de contrôle: 53% des prises renferment de l'ecstasy ou MDMA (3,4-méthylène-dioxyméthamphétamine), 20% d’Eve ou MDEA (3,4-méthylène-dioxyéthylamphétamine) et 8% un mélange des deux. La consommation entraîne tout d'abord des effets aigus d'ordre neuropsychiatrique et cardiovasculaire: principalement des hallucinations visuelles, auditives et tactiles ainsi que des attaques de panique assorties d'une tachycardie sinusale, de troubles du rythme... Ces troubles s'accompagnent de dérèglements métaboliques: oedème aigu du poumon, insuffisance rénale, coagulopathie... La dose seuil est de 50 mg ; au-delà de 200 mg, les effets chroniques ou tardifs sont graves: apparition d'un syndrome dépressif, syndrome de persécution, psychose paranoïde chronique et quelques cas de schizophrénie. Les quantités consommées varient de 3 1 à 10 comprimés par jour (300 mg/comprimé) avec une durée moyenne d'utilisation de quelques mois à 1 an. Peu d'études pharmacocinétiques existent sur ces dérivés: après administration de 1,5 mg/kilo de MDMA à des sujets volontaires, la concentration maximale obtenue à la deuxième heure était de 330 ng/ml. On retrouve majoritairement dans les urines les dérivés méthoxylés et hydroxylés glucuro ou sulfo conjugués. Les techniques de laboratoire ont des limites de détection adéquates variant de 0.5 ng/ml à 100 ng/ml mais il faut se garder de faire une corrélation trop étroite entre la dose ingérée et la valeur retrouvée dans les urines. UNE NOUVELLE SUBSTANCE: ACIDE GAMMAHYDROXYBUTYRIQUE (GHB) Cet ancien anesthésique, connu sous le nom de «XTC liquide» connaît un engouement croissant dans les discothèques et autres. Son mode d’action est différent de celui des amphétamines. C’est un analogue structurel de l’acide gamma-aminobutyrique (GABA). GHB traverse la barrière encéphalitique après administration périphérique. GHB est rapidement métabolisé en succinate, puis en CO2 et H2O. Après une faible dose (1 à 2 g), un sentiment intense de bien-être est ressenti. Une dose plus élévée de GHB employée comme «date rape» drogue procure rapidement une sédation et amnésie; en même temps, des troubles de l’équilibre, des nausées et une augmentation des sensations sexuelles apparaissent. Un surdosage (> 5 g) induit un coma profond avec dépression respiratoire. L’alcool renforce ces effets. • les tests rapides pour la détection du GHB n’existent pas; une technique complexe de chromatographie nécessite 24 heures et donc limite son utilisation en routine. LA SUBSTITUTION PAR LA MÉTHADONE Cette molécule est très lipophile, bien absorbée par voie orale (70 à 95%), avant d'être stockée (80%, premier passage) puis libérée progressivement par le foie (demi-vie de 15 à 60 heures). La méthadone s'élimine par voie urinaire (36 à 60%), sous forme de molécule inchangée (87%) et métabolite (13%). Sa concentration urinaire varie de 0,1 à 40 µg/ml en fonction de la posologie, du métabolisme hépatique, des traitements associés, du pH et du volume urinaire. La capacité d'abstinence du patient et son évolution sont testés par la recherche dans les urines ou par un dosage sanguin (thérapeutique : 100 - 750 µg/l). CONCLUSION La recherche d'une toxicomanie ne peut s'opérer sans une collaboration aussi étroite que possible entre le clinicien et le biologiste pour déjouer les pièges liés au prélèvement, ou à l'interprétation des résultats. En pratique courante, on veillera à privilégier une intervention à 3 niveaux: • le dépistage des comportements à risque d'individus susceptibles d'absorber un jour de la drogue • le suivi du patient toxicomane en tentant de prévenir une majoration des doses ou un glissement vers des drogues plus dures • enfin une forme de prévention tertiaire visant à référer à des centres d'accueil toute toxicomanie échappant à l'approche thérapeutique conventionnelle. Diagnostic: • repose principalement sur l’anamnèse (présence d’un flacon en plastique!) et examen clinique • recherches techniques: acidose respiratoire, hypokaliémie transitoire, troubles électrocardiographiques 4 Laboratoire LBS ©2004. Chée d'Alsemberg 196-202, 1190 Bruxelles. Tél: 02 349 67 11 • Fax: 02 346 11 51 • email: [email protected]
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