RÉGION 21 Q DIMANCHE6AVRIL2014 SOCIAL Projet de loi sur les établissements et services d’aide par le travail Les ESAT ne sont pas des OVNI Adieu les centres d’aide par le travail (CAT) : devenus ESAT, les 30 établissements et services d’aide par le travail d’Alsace sont des entreprises. Tout en étant hors du droit du travail. O n y travaille, on y gagne un salaire, on y cherche des parts de marché. Mais c’est un monde que n’atteint pas le code du travail. Les ESAT ne sont pas des acteurs économiques banals : leur bible juridique, c’est le code de la famille et de l’aide sociale. Rien à voir donc avec les entreprises adaptées, qui embauchent et salarient des handicapés et relèvent du « milieu ordinaire du travail ». Les ESAT seraient-ils dès lors des OVNI, dans le paysage économique ? Pas vraiment. Certes, on y entre par un contrat excluant le licenciement tel qu’on l’entend généralement : l’esprit même de ces structures est d’intégrer des personnes handicapées. Marie -Josée Schildknecht, inspectrice des affaires sociales à Colmar pour l’Agence régionale de santé (ARS), prend soin de faire remarquer que « les échecs sont rares. On adapte le travail au rythme de chacun et si nécessaire, on évolue vers du temps partiel ». « C’est le fonctionnement et la capacité de l’équipe qui sont pris en compte » La notion de productivité personnelle devient secondaire : « C’est le fonctionnement et la capacité de l’équipe qui sont pris en compte », fait remarquer le directeur de l’ESAT de Duttlenheim, Jean-Noël Harter. Après orientation par une commission spéciale, les travailleurs demandeurs évoluent dans des établissements protégés à double vocation. La première est d’avoir une activité productive, bien sûr. La seconde est d’assumer un rôle d’accompagnement social, thérapeutique ou éducatif de son Des compétences revendiquées, un rôle social en plus. personnel. Les recettes d’un ESAT sont d’ailleurs doubles : l’argent vient des clients, mais aussi de l’État, qui contribue via les Agences régionales de santé à rémunérer les charges entraînées par un encadrement renforcé et spécialisé. En même temps, la petite planète des ESAT cherche à apparaître au public d’abord par ses compétences revendiquées. Les PHOTOS DNA – MICHEL FRISON activités proposées vont de la bureautique à l’entretien d’espaces verts, l’imprimerie, le conditionnement, la propreté, la blanchisserie… Tous domaines où il s’agit de proposer « des prestations professionnelles équivalentes au secteur ordinaire ». « Rester vigilants » Coup de pouce appréciable sur le dur marché de la sous- traitance ou de la prestation de service, les ESAT bénéficient de dispositions qui permettent de leur adresser des clients. Ainsi les entreprises publiques et privée de plus de 20 salariés, obligées d’employer 6 % de personnes handicapées, peuvent-elles satisfaire à cette obligation en préférant donner du travail aux ESAT. Par ailleurs, le code des marchés publics offre la possibilité UNE ENTREPRISE D’ABORD, MAIS PAS SEULEMENT Beaucoup de patrons aimeraient sans doute se balader comme Jean-Noël Harter traverse les Ateliers de la Bruche, à Duttlenheim. Des sourires, des détours pour lui serrer la main, des petits coucous du bout des grandes tables. Beaucoup des 180 personnes handicapées qui ensachent du thé, montent des paraboles, vissent des armoires, cueillent de la salade, assemblent des composants électroniques ou découpent de la mousse de siège auto sont ravies d’être là. Chacun doit y trouver son compte, explique le directeur, depuis 20 ans dans le travail protégé. Dans l’atelier d’entretien des espaces verts, trois diplômes attestent du certificat d’aptitude agricole obtenu par des salariés. Les moniteurs eux-mêmes peuvent accéder à un diplôme d’État d’encadrant, soit en passant par une école spécialisée de Strasbourg, soit par validation de leurs acquis. Car ils sont de vrais professionnels, techniciens certifiés en menuiserie ou en magasinage, embauchés pour suivre, former, rassurer parfois ces employés pas comme les autres, dans une entreprise pas comme les autres, qui assure des prestations au moins au niveau des autres. Chapeautés par l’association de parents ADAPEI, les Ateliers de la Bruche figurent parmi les plus anciennes structures du genre, parmi les plus grandes aussi. Sur 7000m² à Duttlenheim, la variété des activités tranche singulièrement avec le secteur marchand habituel. « Il s’agit de répondre à la diversité des profils et des capacités des salariés », explique Jean-Noël Harter. Frédéric, 26 ans, apprécie : il peut changer de poste et ainsi se chercher une voie : « Ca me plaît que ça soit différent », dit-il devant des cartons, après être passé par la menuiserie. Reste à trouver les commandes pour faire tourner la société. La dérogation d’embauche des handicapés obtenue par les commanditaires est une aide précieuse, pour le travail protégé. Mais Pascal Lapp, directeur du développement, va tout de même au-devant des industriels pour négocier des ordres. Pas à tout prix. La soustraitance confiée à ses ateliers doit être « faisable », en temps et au plan technique, pour des salariés à encadrer de près. Raison pour Aux Ateliers de la Bruche, sérénité et sérieux. PHOTO DNA – MICHEL FRISON laquelle a été développée une « économie ouverte à l’externe (les entreprises), ouverte à l’interne » : les structures de l’ADAPEI se fournissent mutuellement les prestations nécessaires pour faire fonctionner les foyers, les hébergements, l’entretien. Au total, les Ateliers de la Bruche parviennent à dégager des marges financières. Mais parler de bénéfice ne sera pas bien vu : tout est réinjecté dans l’outil de production. À l’instar de la blanchisserie qui, pour dégager d’agréables odeurs de lessive tout en faisant travailler ses servants dans les normes, a nécessité plus d’un million d’euros d’investissements. Le système de reconnaissance des vêtements par codes-barres est inclus : « Souvent, les industriels extérieurs nous sous-estiment », reconnaît Pascal Lapp. de réserver certaines prestations au secteur du travail protégé. Cela ne dispense pas les ESAT de « devoir rester vigilants, de manière à conserver des activités porteuses, souligne à l’ARS Marie-Josée Schildknecht. La sous-traitance peut être à double tranchant, des donneurs d’ordre ayant la faculté de délocaliser leurs tâches dans des pays à moindres coûts. D’ailleurs, les ESAT ont leurs propres commerciaux à la recherche de créneaux intéressants ». Pour autant, les ESAT butent sur des obstacles à leur développement. On admet à l’ARS d’Alsace que « même en période de crise des établissements ont su s’adapter ». Mais ce n’est pas le cas de tous : des ESAT peuvent être obligés de diminuer leur activité, ou de la réorienter. En outre, « le budget de l’État n’a pas permis ces dernières années la création de nouvelles places ». Or, sans financements publics, difficile d’imaginer de rentabiliser certaines activités. Du coup, de 500 à 600 places au moins feraient défaut dans la région. Les demandes non satisfaites dans la région atteindraient plus de 1000, sans tenir compte des doubles ou triples comp- LE CHIFFRE 40 C’est, en millions d’euros, les crédits d’État alloués en Alsace aux établissements et services d’aide par le travail (ESAT), soit un million en moyenne par site et par an. La taille moyenne d’un ESAT dépasse 100 personnes. tes : un travailleur handicapé peut formuler plusieurs demandes. À terme, la gestion de cette branche d’activité connaîtra sa propre mutation : un projet de loi prévoit d’en transférer la compétence aux conseils généraux. Pas infondé, commente un expert dans ces dossiers, les départements connaissant bien ces structures médico-sociales qui œuvrent de concert avec les établissements sous contrôle départemental. Les ESAT bénéficient d’agréments avec financements pérennes. Reste à savoir si la tentation des transferts de charges de l’État vers les collectivités locales ne trouvera pas là un nouveau terrain d’expérimentation. DIDIER ROSE R PRÈS DE 3500 SALARIÉS EN ALSACE Les établissements et services d’aide par le travail (ESAT) représentent des intervenants économiques originaux : ce sont des structures médico-sociales qui proposent des postes de travail à des personnes handicapées et les accompagnent à la fois au plan éducatif et personnel. La région compte 30 de ces ESAT, répartis sur 41 sites, qui emploient 3 400 travailleurs en situation de handicap : 1900 dans le Bas-Rhin et 1500 dans le Haut-Rhin. Le nombre de places, qui a progressé de 17 % en dix ans, reste insuffisant, et inférieur à la moyenne nationale : 3,35°/00 de la population en âge de travailler, contre 3,5°/00 dans toute la France.
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