CentredeRechercheScientifiqueetTechniquessurlesRégionsArides.Biskra Impact du changement climatique sur les bio indicateurs de diversité dans les écosystèmes naturels du semi-aride : Cas de Locusta migratoria (Insecte, Orthoptère) Allal Benfekih L1. & Petit D.2 (1)- Laboratoire de zoologie, département d'agronomie, faculté agrovétérinaire, Université Saad Dahleb, BP 270, route de Soumâa, Blida, 9000, Algérie. [email protected] (2)- Laboratoire de biologie des populations et de génétique évolutive, UMR 1061, faculté des sciences et techniques, Université de Limoges, 123 av. Albert Thomas, 87000, Limoges, france. [email protected] Résumé Abstract Plusieurs études sur les changements globaux indiquent que l'augmentation des températures devrait entraîner des modifications appréciables, en particulier au nord de la Méditerranée où une augmentation annuelle moyenne de 3°c déterminerait un décalage d'un étage de végétation. C’est surtout dans les portions méridionales de la région méditerranéenne, où ce phénomène serait susceptible de présenter un impact écologique plus intense, avec en particulier une remontée vers le nord du climat saharien et des espèces qui lui sont liées. Bien que cette observation générale de l’assèchement soit reconnue, très peu de travaux portent sur les variations de distribution des espèces dans le Maghreb en rapport avec les changements climatiques globaux. Puisque la similitude de bio climagrammes, à de nombreuses années d’intervalle, est mise en application par les chercheurs qui construisent des modèles de distribution des espèces (Guisan & Thuiller, 2005), nous nous sommes basés sur les travaux de Benabadji & Bouazza (2000) qui consistent à porter sur un même climagramme toutes les localités pour lesquelles on disposait de valeurs récentes (1975-2000) et anciennes (1913-1938) des paramètres climatiques. Comme bio indicateur de diversité et de vulnérabilité des écosystèmes naturels nous avons pris comme exemple un insecte orthoptère L. migratoria dont le maximum de fréquence correspond à des valeurs de m supérieures à 5 °c dans l’étage semi-aride. Notre analyse montre un déplacement des étages bioclimatiques de certaines localités entre la période ancienne et récente. Certaines stations situées dans l’étage humide dans la période ancienne se retrouvent aujourd’hui dans l’étage semi-aride. Ce phénomène est particulièrement accentué pour Blida qui n’est plus dans l’étage humide mais dans l’étage semi-aride. Pour compenser l’assèchement de son milieu environnant, le criquet migrateur s’est déplacé vers la côte de manière significative. Mots clés : réchauffement climatique, biodiversité, Locusta migratoria, bioclimagramme, Algérie. Several studies on the global changes indicate that the increase in the temperatures, should involve appreciable modifications, in particular in the north of the Mediterranean sea where an average annual increase in 3°c would determine a shift of a stage of vegetation. It is especially in the southernmost portions of the Mediterranean area, where this phenomenon would be likely to present a more intense ecological impact, with in particular an increase towards the north of the Saharan climate and the species which are dependent for him. Although this general observation of the draining is recognized, very few work concern the variations of distribution of the species in the Maghreb in relation with the global climatic changes. Since the similarity of bioclimagramms, at many years of interval is applied by the researchers who build models of distribution of the species (Guisan & Thuiller, 2005), we based on the work of Benabadji & Bouazza (2000) which consist in carrying on a same a climagramm all the localities for which one had recent values (1975-2000) and old (1913-1938) of the climatic parameters. As a bioindicator of diversity and vulnerability in the natural ecosystems we took as example an Orthoptera insect L migratoria of which the maximum of frequency corresponds to values of m higher than 5°c in the semi-arid stage. Our analysis shows a displacement of the bioclimatic stages of certain localities between the old and recent period. Certain stations located in the wet stage during the old time are found today in the semi-arid stage. This phenomenon is particularly accentuated for the region of Blida which is not any more in the wet stage but in the semi-arid stage. To compensate for the draining of its surrounding environment, the migratory locust moved towards the coast significantly. Key words : climate change, biodiversity, Locusta migratoria, climagramm, Algeria. 239 CentredeRechercheScientifiqueetTechniquessurlesRégionsArides.Biskra !" # $ %* JK . QG/ G* V!G WG< X °3 ++ /#!; !*< = >" ?#!; EF G ;H JK `{ ] H J| } ~ YZ[ !\ ]?#!; G Q/* JK ^F !*_ `/Q ] _ !" X Z . ; ! ] Q; *F { *; ; . *; G<* J ; JK *F ! !* ^ ;`F $ Q ; !*{ $Z $"G $ %QG `G * K *} [ * ! // Benabadji & Bouazza ;` ` = Q ] (Guisan & Thuiller, 2005) *F ! *; %! JK ;Q *; Q J* ?/ JK ` ;Q (2000) JK J!!G !* #<" *F ;Q< $ L. migratoria " Z Q . #; . {* G/ JK X° 5 $ ` m W#* *{ Z \ ` > G/ |G ;~F ! E %GK . ;Q $ *; EG *; QG/ ="= * $ %G ~ YZ . K {* QG/ JK " !! ] ;Q *} G QG/ _ Q* Q .K {* QG/ %Q* G QG/ JK QG J G Q/* JK !{ .J|G ! _ ! J { ? ! !_ . =_ ]J* ! ?/ ] Locusta migratoria ] J!!G !* ] J*; K : Introduction Il y a deux raisons de s'inquiéter du devenir de la biodiversité. La première, c'est que la biodiversité contribue à atténuer le réchauffement climatique par la fixation des gaz à effet de serre. L'enjeu est de savoir si la dynamique actuelle de la biodiversité va lui permettre de conserver ce rôle ou pas. L’autre raison est l'impact positif joué par la biodiversité sur la qualité de l'eau et de l'air, notamment. L'adaptation de la biodiversité au changement climatique peut se faire par la colonisation d'habitats plus favorables ou l'adaptation aux nouvelles conditions climatiques par des modifications du cycle de vie, des changements de dates de ponte ou de floraison. Actuellement, les espèces avancent leur cycle de l'ordre de 3 jours tous les 10 ans (Couvet, 2004). Bien que l’observation de l’assèchement et du réchauffement climatique soient reconnus, très peu de travaux portent sur les variations de distribution des espèces dans le Maghreb, en rapport avec les changements climatiques globaux. Nous nous proposons d’analyser dans ces résultats préliminaires le cas du changement climatique sur la distribution d’un insecte Orthoptère : Locusta migratoria. 240 CentredeRechercheScientifiqueetTechniquessurlesRégionsArides.Biskra Matériel et méthodes Compilation des travaux de thèses Les thèses et travaux traitant de l’orthoptérofaune ont été effectués entre 1988 et 2003, sous l’égide de différentes institutions (le Département de zoologie agricole et forestière à l’INA d’El Harrach, l’INFS/AS de Ouargla, le Département d’agronomie de la Faculté Agrovétérinaire de Blida, le Département de prospection et de lutte antiacridienne à l’INPV d’El Harrach, ainsi que diverses stations régionales agricoles). L’ensemble des inventaires, concerne 56 stations, correspondant en fait à 49 localités, car une localité peut être représentée par différentes formations végétales où les présences de Locusta migratoria sont établies. Nous avons retenu pour chacune des 49 localités les valeurs de m (moyenne des minima du mois le plus froid, en °c), de M (moyenne des maxima du mois le plus chaud, en °c), de P (précipitations annuelles, en mm) et Q2 [(coefficient pluviothermique d’EmbergerSauvage, 1963), selon la formule Q2 = 3,43 (P/ M – m)]. Bioclimagrammes Le diagramme pluviothermique d’Emberger-Sauvage (Sauvage, 1963) de L. migratoria a été établi par la fréquence de présence de l’espèce dans la période récente, car aucune donnée densitaire n’était disponible dans les thèses consultées. Pour chacune des 49 localités prises en compte dans les thèses, on a indiqué leur position dans un graphe à 2 dimensions, avec m°c en abscisse et Q2 en ordonnée. La présence-absence de L. migratoria, codée en 1-0 est introduite dans le logiciel SYSTAT 7.0 (SPSS, 1997) en tant que 3ème dimension. Le programme calcule et trace alors des courbes de probabilité de présence (ou d’isofréquence) qui traduisent le bioclimagramme de l’espèce. Nous avons testé la significativité des facteurs climatiques sur la présence-absence de L. migratoria grâce à des régressions logistiques, avec le logiciel JMP vers. 5.0 (SAS, 2002). Changements climatiques Les données climatiques récentes sont situées dans l’intervalle 19712003. Elles sont toutes issues de l’Office National de la Météorologie et ont été collectées dans les différentes thèses consultées et autres publications (Benabadji & Bouazza, 2000). Nous avons comparé ces 241 CentredeRechercheScientifiqueetTechniquessurlesRégionsArides.Biskra informations aux données de Seltzer (1946) établies pour la période 1913-1938, en particulier pour les facteurs m (°c) et P (mm). Les données anciennes ont été répertoriées dans l’ouvrage de Chopard (1943) ; d’autres données plus récentes entre 1944 et 1956 sont répertoriées dans les collections du laboratoire de zoologie agricole et forestière de l’INA. Dans la mesure où les données climatiques anciennes pour les régions où L. migratoria a été signalé sont très incomplètes, nous avons utilisé une approche indirecte des variations de la distribution par des méthodes de régression. Nous avons cherché des liaisons entre les paramètres m et P avec des variables géographiques physiques (altitude et distance à la mer). Pour mettre en évidence des changements de distribution du criquet migrateur dans l’espace bioclimatique défini par les paramètres m et P, nous avons testé si la distribution de L. migratoria a varié dans le sens d’un rapprochement ou d’un éloignement par rapport à la mer, ou une élévation ou un abaissement altitudinal. Résultats et discussion Analyse du bioclimagramme actuel de Locusta migratoria Le graphe de la figure 1, obtenu grâce à 49 localités, montre que cette espèce présente un maximum de fréquence dans deux secteurs discontinus, l’un au Nord algérien et l’autre dans le Sahara. Dans la zone Nord, les fréquences de L. migratoria sont maximales dans les localités du semi-aride supérieur à hiver chaud et les localités situées entre le subhumide et l’humide à hiver doux. Dans le Sud algérien, l’espèce est confinée à l’étage Saharien à hiver doux ou chaud. 242 CentredeRechercheScientifiqueetTechniquessurlesRégionsArides.Biskra Doux Frais Chaud 200 Per-humide Humide 150 1,0 Subhumide 0,4 0,6 Q2 100 Maquis, friches, garrigues, dunes fixées 0,8 Semi-aride 0,2 50 0,6 0,4 0,8 Aride 0,4 0,6 0,8 1,0 0,2 Périmètres irrigués du sud algérien 0 0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 Saharien m°c Figure 1. : Fréquence de Locusta migratoria dans le bioclimagramme d’Emberger en Algérie. Les limites d’étages sont établies d’après Daget, 1970. La présence de L. migratoria augmente lorsque la moyenne des températures minimales du mois le plus froid (m°c) est plus élevée (régression logistique, N = 38, p = 0,056). On peut préciser que cette présence de L. migratoria est liée à une moyenne de m se situant autour de 5°c. Le bioclimagramme de L. migratoria en Algérie a été établi grâce aux observations d’origines multiples dans les différentes localités. Cependant la validité d’une étude bioclimatique repose sur le fait que chaque localité mentionnée, pour laquelle on connaît un certain nombre de paramètres climatiques, constitue réellement un lieu de présence et de vie de l’insecte. Nous avons constaté par ailleurs que de nombreuses localités enregistrées dans les spécimens anciens du laboratoire de zoologie de l’INA d’El Harrach ont été signalées plus récemment à l’occasion de travaux d’inventaires et d’études bioécologiques. Cette similitude à de nombreuses années d’intervalles indique que le bioclimagramme que nous avons obtenu est relativement fiable. Cette considération pragmatique est également mise en application par les chercheurs qui construisent des modèles de distribution des espèces (Guisan & Thuiller, 2005). Ces observations de L. migratoria ne reflètent cependant pas la totalité de son aire bioclimatique qui ne 243 CentredeRechercheScientifiqueetTechniquessurlesRégionsArides.Biskra Distance à la mer, en Km pourrait être obtenue qu’en étudiant la fréquence d’occurrence dans l’ensemble des localités de son aire de répartition dans le bassin méditerranéen. Cette information plus globale est indispensable pour appréhender la distribution potentielle de l’espèce à l’échelle de l’Algérie en particulier dans les régions où m est supérieur à 9°c. Influence du changement climatique global sur la distribution de L. migratoria dans le Nord Algérien Nous n’avons pas mis en évidence des variations de la distribution selon les altitudes (ANOVA, N = 68, Fr2,65 = 0,664, p > 0,5). Cependant, il y a une différence significative (ANOVA, N = 68, Fr2,65 = 3,25, p = 0,045) de la répartition dans le sens d’un rapprochement par rapport aux zones littorales ; ce qui signifie l’importance cruciale d’une certaine quantité de précipitations (fig.2). 125 87 49 11 <1943 44-56 > 1970 Figure 2. : Variations de la distribution de L. migratoria dans 3 périodes, selon la distance à la mer des localités. D’après nos résultats, dans la partie nord algérienne, la fréquence de présence de L. m. cinerascens est maximale dans les étages subhumide et humide à hiver doux et chaud et semi-aride à hiver chaud. C’est dans cette aire que les exigences écobiologiques et physiologiques sont satisfaites de manière optimale. Un travail pionnier de Benabadji & Bouazza (2000) sur la bioclimatologie de l’Ouest algérien, au niveau des Hauts Plateaux à Artemisia herba-alba, a montré une accentuation nette de la sécheresse entre la période ancienne (1913-1938) par rapport à la récente (19701990). Leur base de raisonnement a consisté à reporter dans un même climagramme des données climatiques des deux périodes se rapportant à une même localité. Ces auteurs constatent que certaines stations sont passées de l’étage semi-aride à l’aride et d’autres de l’étage aride au 244 CentredeRechercheScientifiqueetTechniquessurlesRégionsArides.Biskra saharien. Dans la plupart des cas, cela correspond à un déficit des précipitations en automne. La moyenne des minima du mois le plus froid (m°c) des stations étudiées était située entre -1 et + 4°c. Prenant exemple sur Benabadji & Bouazza (2000), nous avons porté sur un climagramme (fig. 3) toutes les localités pour lesquelles on disposait de valeurs récentes et anciennes des paramètres climatiques. 1500 P.H. P en mm H. 1000 Tizi-Ouzou Boufarik 500 Koléa Blida Skikda Hadjout Staouali Dar el Beida A. Biskra Ghardaïa 4 Alger Ténès S.-A. El Oued S.H. Annaba S. Ouargla 5 6 7 8 9 10 m en °c Figure 3 : Déplacement des étages bioclimatiques de certaines localités entre les périodes anciennes (1913-1938) et récentes (1975-2000). L’ellipse correspond à l’aire d’occurrence maximale de L. migratoria. Abréviations des étages bioclimatiques : P.H. : per-humide, H : humide, S.H. : subhumide, S.A. : semi-aride, A. : aride et S. : saharien. On remarque que certaines stations situées dans l’étage humide dans la période ancienne se retrouvent aujourd’hui dans l’étage semiaride. Ce phénomène est particulièrement accentué pour Blida qui n’est plus dans l’étage humide mais dans l’étage semi-aride. Il faut souligner cependant que les valeurs de m ne montrent pas d’orientation bien définie : certaines valeurs ont augmenté, alors que d’autres ont diminué. Pour faire face aux changements climatiques, le criquet migrateur pouvait soit se déplacer en altitude, soit vers la côte de manière à compenser l’assèchement de son milieu 245 CentredeRechercheScientifiqueetTechniquessurlesRégionsArides.Biskra environnant. Mais le fait de gagner de l’altitude semble constituer une contrainte pour cette espèce dans la mesure où le climagramme montre que m est un facteur limitant pour des valeurs trop fraîches. Par ailleurs, nous avons prouvé que la pluviométrie au niveau des localités étudiées augmentait avec la proximité du littoral (Benfekih, 2006). Le déplacement vers la côte en revanche, ne présente pas cet inconvénient de la diminution des m. Conclusion A travers ce travail, nous voudrions mettre l’accent sur le rôle des acridiens en tant qu’indicateurs de la biodiversité dans les milieux ouverts, comme cela peut être le cas pour L. migratoria dans le Nord de l’Algérie. Il nous semble important de songer à développer des outils par des approches de biomodélisation qui permettraient d’évaluer la sensibilité des espèces aux changements globaux en zone méditerranéenne, dans le Maghreb et en particulier en Algérie. L’utilisation des systèmes d’information géographique (SIG) et des paramètres climatiques de périodes anciennes et récentes nous permettraient de ce fait de comprendre l’impact des changements climatiques sur la distribution potentielle des espèces. Ce sont des facteurs de type perturbation humaine et la présence de ressources trophiques en quantité et en qualité qui vont conditionner localement la présence des espèces (Guisan & Thuiller, 2005). Nous avons montré à cet égard que la probabilité de présence de l’espèce dans le Nord algérien était liée à la richesse floristique totale, en particulier au nombre de graminées et non aux types de milieux étudiés (friches, maquis, pinèdes, clairières, terrains cultivés, dunes) (Benfekih, 2006). Les positions, l’amplitude et la taille de l’aire de répartition de niches des espèces sont en effet de bons indicateurs de leur sensibilité aux changements climatiques. 246 CentredeRechercheScientifiqueetTechniquessurlesRégionsArides.Biskra Bibliographie Benabadji N. & Bouazza M., (2000) : « Contribution à une étude bioclimatique de la steppe à Artemisia herba-alba Asso, dans l’Oranie (Algérie occidentale) ». Sciences et changements planétaires/sécheresse 11(2) : 117-123. Benfekih L., (2006) : « Recherches quantitatives sur le criquet migrateur dans le Sahara Algérien. Perspectives de lutte à l’aide de microorganismes pathogènes et de peptides synthétiques ». 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