Dictée Georges Brassens – Le Robert 2014 Explications et Commentaires Ils ont dégusté... Qui frapperait d’anathème un frère lai confessant un faible pour les bons-chrétiens ou les lacrima-christi (lacryma-christi), surtout baptisés ? Clouerait-on au pilori un rabbin parce qu’il n’a pas résisté à l’axoa ? Que l’officier de bouche qui n’a jamais capitulé devant la bonne chère leur jette le premier bloc de poudingue !... Et, puisque entre les maux on choisit le moindre en général, qui put prendre au pied de la lettre la fameuse chanson de Georges Brassens dans laquelle il affirmait que, de tous les conflits armés, c’était la Grande Guerre qu’il préférait ? Pourtant, excepté les vrais va-t-en-guerre et les faucons, qui la remanièrent en un canon détonnant souvent fort, les détracteurs qui lui chantèrent pouilles furent légion. Quoique, selon l’adage, l’Histoire (l’histoire) repasse les plats, je répars (repars), au risque d’amorcer une nouvelle querelle d’Allemand, que la der des der(s) a livré aux belligérants son plat de résistance, rayon boucherie. Combien de gaillards bleus de Prusse et de fritz en vert-de-gris se sont fait hacher menu comme chair à pâté par des shrapnel(l)s acérés tels des tranchets ? Dans nos régiments, les deuxième pompe ne recevaient au mieux, pour pain(s) de munition, que de la semelle de bif fin comme du crêpe. Mais, comme l’état-major présumait toute victoire impossible sans pétun, la biffe recevait des troupe fraîches quasi quotidiennement. Et, afin qu’hommes du rang et sous-offs aient suffisamment d’estomac pour sortir du boyau, ou qu’ils réagissent en moutons enragés malgré un déluge de pruneaux, les juteux distribuaient force tord-boyaux en leur promettant la fourragère… Même dans la capitale, pour faire la bombe, la Grosse Bertha servait quantité de marmites bien ventrues tant aux titis qu’au Tout-Paris ! Voilà pourquoi les noms à consonance teutonne et ceux rappelant l’Empire allemand n’eurent plus alors droit de cité. Bannis des boulangeries(-)pâtisseries, les forêts-noires, les bavarois et les viennoiseries, qui évoquaient la capitale austro-hongroise honnie ! Et tant pis pour la ménagère qui était plutôt bagel ; il valait mieux pour elle qu’elle choisît un parisien, sinon on lui collait un pain ! Qu’une espèce de pistolet tout aspergé d’eau de Cologne traînaillât en redingote à brandebourgs, ou qu’une graine de voyou se bâfrât de knacks ou de francforts, et on les accusait illico d’intelligences avec les casques à pointe ; on les cuisinait à petit feu et la plupart passaient à la casserole... C’est que, pendant la guerre, on ne sait jamais à quelle sauce on sera mangé ! Philippe Dessouliers 1 Commentaires des difficultés Premier paragraphe Un frère lai : il ne s’agit pas ici d’un membre d’une fratrie que Dame Nature n’aurait pas gâté ! Le frère lai est un frère servant, qui, la plupart du temps, se charge des activités manuelles. Les bons-chrétiens : accuser un frère de succomber aux bons chrétiens (sans trait d’union) ne serait pas très charitable ! Avec un trait d’union, « le bon-chrétien » fond alors dans la bouche du frère ! Le bon-chrétien n’est autre que la williams, poire jaune d’une variété sucrée à la chair douce et parfumée. Les lacrima-christi ou les lacryma-christi : du latin lacrima Christi, « larme du Christ », le lacrima-christi (nom invariable) est un vin de Campanie, cultivé plus particulièrement sur les pentes du volcan Vésuve. Des vins baptisés : on parle de « vin baptisé » lorsqu’il est coupé avec de l’eau. L’axoa : spécialité basque. C’est un ragoût de veau aux poivrons et aux piments d’Espelette. On prononce [a∫oa]. Le premier paragraphe, qui ne traitait que d’aliments, devait empêcher les concurrents d’écrire « la Shoah ». Le poudingue : Les personnes qui ont mis les pieds dans le plat en écrivant « pudding » n’avaient pas tout à fait tort. En effet, le substantif poudingue est une francisation de l’anglais pudding-stone, « pierre pudding », ainsi dénommé parce que cette roche est constituée de cailloux roulés, liés entre eux par un ciment naturel. Il faut néanmoins prononcer à la française [pud g]. La Grande Guerre : lorsqu’il s’agit de la Première Guerre mondiale, les majuscules s’imposent. Les faucons : le faucon, c’est un drôle d’oiseau. En effet, au figuré, il s’agit d’un partisan de la force dans le règlement d’un conflit. En ce sens, on emploie aussi le terme d’épervier. Les faucons et les éperviers sont donc des personnes qui n’hésitent pas à voler dans les plumes à l’ennemi ! Un canon : en ce début de texte, l’auteur a voulu… frapper fort ! Mais ce canon-là ne se rapporte pas à la guerre ; bien au contraire puisque la musique, dit-on, adoucit les mœurs. En effet, le canon (du grec kanôn, « règle ») est une composition polyphonique dans laquelle toutes les voix chantent la même mélodie mais avec un décalage dans le temps. L’autre canon, celui qui permet de tirer à boulets rouges sur l’adversaire, possède une racine qui provient de l’italien canna, « tube ». En définitive, dans les deux cas, le canon peut être un tube ! Un canon détonnant fort : confondre détoner, « exploser avec bruit (par réaction physique) », avec son homonyme détonner, « sortir du ton, chanter faux », ferait… grand bruit ! Deuxième paragraphe Je répars ou repars : répartir (ou repartir), au sens de « rétorquer », « répliquer », se conjugue comme partir. Repartir se prononce [RepaRtiR], [RəpaRtiR] ou [RpaRtiR]. Avoir l’esprit d’escalier (ou de l’escalier) signifie « avoir un esprit de repartie qui se manifeste trop tard, quand l’occasion est passée », c’est-à-dire quand on est… reparti (du verbe repartir, cette fois, c’est-à-dire « s’en retourner »). 2 Une querelle d’Allemand : pas de s à Allemand dans cette locution vieillie. Il s’agit d’une querelle faite sans motif valable, comme les conflits continuels entre les princes allemands d’autrefois. Combien de gaillards bleus de Prusse : il fallait comprendre « combien de jeunes recrues (i.e. des bleus) venues de Prusse et en bonne santé (i.e. gaillards) ». Gaillards est donc adjectif et bleus, substantif (variable en nombre). Le bleu de Prusse est une matière colorante bleue. En aucun cas, bleu de Prusse ne peut être une locution adjective. On ne pouvait par conséquent penser qu’il s’agissait de gaillards (substantif) en uniforme de la couleur du bleu de Prusse. Un fritz : pas de majuscule pour ce nom vieilli, employé péjorativement pour désigner un soldat allemand. En effet, Fritz était un prénom courant dans l’Empire allemand au début du XXe siècle. On prononce [fRits]. Des shrapnels ou des shrapnells acérés : du nom de son inventeur britannique, Shrapnel, le shrapnel (nom masculin) est un obus rempli de balles projetées lors de l’éclatement. Le shrapnel eut, si l’on ose dire, son heure de gloire durant la Première Guerre mondiale, car tous les belligérants l’utilisèrent massivement. Des tranchets : le tranchet désigne un outil sans manche, formé d’une lame plate, servant à couper le cuir. Les deuxième pompe : on a affaire ici à une ellipse ; un deuxième pompe est un soldat de deuxième pompe, de deuxième classe ; d’où l’invariabilité : des (soldats de) deuxième pompe. On comprend aisément que, face à cette difficulté, les candidats aient été dans leurs petits souliers… Le pétun : tabac. Ce mot était fort… prisé des poilus. Des troupe fraîches : il s’agit là encore d’une tournure elliptique. Il fallait comprendre « des gauloises troupe fraîches », cigarettes distribuées (en cartouches ?) par l’armée aux hommes de troupe. La Grosse Bertha : surnom donné au canon lourd allemand qui bombarda Paris en 1918, par allusion à la fille de l’industriel Krupp, qui produisait des canons dans ses usines. Des marmites : le Petit Larousse illustré donne pour acceptation à ce mot « obus de gros calibre ». Il faisait partie du langage argotique des militaires de la Première Guerre mondiale. Troisième paragraphe Plutôt bagel : le substantif, bagel, issu de l’allemand, se prononce [begœl], comme bégueule, ou [bagεl]. Bien sûr, pour créer la confusion, l’auteur a préféré la première possibilité… Un parisien : ce mot, pourtant… capital, est attesté dans le Petit Larousse illustré mais pas dans le Petit Robert. Il signifie « pain de fantaisie incisé lors de l’enfournement ». Évidemment, ce nom commun ne prend pas de majuscule, contrairement au gentilé Parisien. Un pistolet : quand il ne s’agit pas d’une arme à feu, un pistolet peut désigner un individu bizarre, probablement d’un gros… calibre ! Accusait d’intelligences avec : dans cette locution, intelligences est toujours au pluriel. Le mot signifie alors « complicités secrètes entre personnes de camps opposés ». Les candidats qui ont su éviter l’écueil ont fait clairement preuve d’intelligence ! 3
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