Le Père Goriot de Balzac Développement des clefs de lecture Par Yves Bomati Petits Classiques Larousse - 1 – Le Père Goriot de Balzac Madame Vauquer, une femme qui a eu des malheurs Première partie, Une pension bourgeoise. De « Cette pièce… » à « … ce qu’il était possible de souffrir », p. 26-27. Compréhension La présentation d’un personnage • Observer la continuité entre ce texte et le précédent (temps, décor, atmosphère…). La continuité entre ce texte et le précédent est manifeste puisqu’il s’agit de sa suite immédiate. Le temps des verbes est aussi le présent de narration (« est, précède, saute, flaire … »). On remarquera cependant qu’à partir de la ligne 210, le récit change de temps : le passé s’impose avec l’imparfait (« expliquait, répondait, disait, s’empressait »). Ce passage du présent au passé est important car il est définitif pour le reste du récit. Il semblerait que Balzac ait voulu décrire l’immuable Maison-Vauquer assortie de son immuable propriétaire, Mme Vauquer, constituant ainsi la toile de fond de son roman. Il s’intéresse alors à un moment de la vie de cette espace et de cette femme, renvoyant au passé, à 1819, alors qu’il écrit de nombreuses années après. Cette particularité de la composition balzacienne est assez remarquable pour être soulignée : elle se ménage sans tapage, à l’intérieur du roman, à l’insu presque du lecteur. Le décor et l’atmosphère sont inaltérables – la pièce est dans tout son lustre, note avec ironie Balzac –, seuls changent les pensionnaires. • Dégager les champs lexicaux dominants de ce portrait. Les champs lexicaux dominants de ce portrait sont ceux de : - l’animalité : « nez à bec de perroquet », « rat d’église » ; - la maladie : « embonpoint blafard », typhus », « exhalaisons d’un hôpital », « œil vitreux », « « geindre », « tousser » ; - l’argent : « spéculation », « escompteur », « payer plus cher », « fortune » (exprimé deux fois) ; - la pauvreté « tour de faux cheveux mal mis », « pantoufles grimacées », « malheur » (exprimé trois fois), « vieille robe », étoffe lézardée », « entremetteuse », « les yeux pour pleurer », ne compatir à aucune infortune », « souffert ». Petits Classiques Larousse - 2 – Le Père Goriot de Balzac Les allusions aux pensionnaires • Énoncer les premiers éléments caractérisant les pensionnaires de Mme Vauquer. La phrase capitale est « fait pressentir les pensionnaires » (l. 202). Si Balzac fait un parallèle entre la pension et Mme Vauquer, il en fait aussi un entre la pension, Mme Vauquer et les pensionnaires. Une deuxième phrase renvoie aux pensionnaires dans le jugement qu’ils portent sur Mme Vauquer : « Elle est bonne femme au fond » (l. 209). Ils sont présentés comme assez crédules pour croire en la pauvreté de la propriétaire. Balzac, au passage, souligne l’état d’insalubrité de la pension, écrivant que Mme Vauquer tousse comme eux, ce qui revient à dire qu’ils ne se portent pas très bien et que leur séjour dans cette pension miteuse n’arrange rien. Réflexion Les correspondances • Relever puis analyser les images animales. Préciser leur fonction. L’animalité, comme on l’a constaté plus haut, s’exprime par les expressions : « nez à bec de perroquet », « rat d’église ». Elle introduit à un monde fantastique qui va renforcer quelque peu dans la suite du Père Goriot la perspective sociologique dans laquelle s’inscrit le projet de Balzac. En effet, Balzac (voir p. 14 les références à Saint-Hilaire, dédicataire de l’œuvre) veut appliquer aux espèces sociales les principes que Saint-Hilaire a dévoilés pour les espèces animales. Les correspondances à l’animalité ont donc valeur plus que métaphorique : elles ont valeur argumentative et pédagogique. • Étudier les correspondances entre la pension et sa propriétaire, puis commenter l’idée balzacienne selon laquelle l’environnement explique le personnage. Le deuxième axe argumentatif et démonstratif de Balzac est celui de la physiognomonie (voir p. 15). On y détecte l’influence que Lavater exerce aussi sur lui. D’où cette nécessaire correspondance entre la pension et son âme, Mme Vauquer. Entre deux mondes, entre le haut et le bas, le présent glauque et un passé peut-être plus brillant, se situe résolument la propriétaire. De même pour la pension qui présente les aspects d’une maison bourgeoise qui a dû connaître des heures meilleures : son jardin, son allée de tilleuls, ses cheminées rarement allumées certes mais présentes, son salon aux allures de boudoir, en seraient les restes profanés. Ainsi Mme Vauquer est présentée comme une « veuve », « attifée », avec de « faux cheveux », « vieillotte », « ridée », « sourire prescrit », débordant de graisse (« corsage trop plein », mains potelées »)… Elle est en correspondance parfaite avec la salle qui « suinte le malheur… la spéculation ». Se dégage de l’ensemble une odeur « fétide », écœurante, une Petits Classiques Larousse - 3 – Le Père Goriot de Balzac idée de fausseté (fausse amabilité, fausse opulence…). Comme l’écrit Balzac : « Le bagne ne va pas sans l’argousin. » L’art du portrait et l’ironie balzacienne • Caractériser l’art de la caricature à partir de ce portrait (figures de style, ordre…). Balzac procède de l’extérieur vers l’intérieur pour caractériser Mme Vauquer, de son allure générale à ses traits les plus marquants. Il recourt à des descriptions réalistes en nommant des parties précises du portrait (tête, cheveux, mains, pantoufles…), puis passe à des métaphores (« nez en bec de lièvre »), des comparaisons (« comme un rat d’église ». Il passe ensuite à la caricature ironique en évoquant ses seins (« corsage trop plein et qui flotte »), sa physionomie en jouant sur les contrastes (« air chaudement fétide » / « figure fraîche »), sur les oppositions (« figure fraîche / yeux ridés », « danseuses » / « escompteurs »), des rapprochements rapides (« embonpoint » / « typhus »). Il en vient ensuite à ses habits : la jupe tricotée qui renvoie au salon bricolée. Il conclut son portrait en revenant à une vision d’ensemble du personnage : son âge, alourdi par le poids des « malheurs » qu’il a soin de mettre en italique, avant de résumer une dernière fois son personnage par son œil vitreux, son air d’entremetteuse sans foi ni loi, et son aspect « bonne femme au fond », reprenant les paroles des pensionnaires abusés par les apparences. On parlera donc de caricature globale car il montre surtout, en les grossissant, les défauts physiques (révélateur d’une psychologie particulière – égoïsme, mensonge, avarice) du personnage en tentant de les faire voir ou sentir par son lecteur. On peut également avancer que le portrait chez Balzac se développe par touches successives, tantôt réaliste, tantôt impressionniste. Il brosse le portrait d’une femme dans son environnement sans que d’autres personnes en constituent les toiles de fond. Il y oscille entre une volonté de décrire avec méthode et un savant désordre, comme si un œil étranger découvrait Mme Vauquer, sans idée préétablie de la décrire dans son détail. C’est un portrait général, tout aussi physique que psychologique qu’il nous livre, dans un sourire grinçant. Ce faisant, il campe un personnage métaphorique de la pension elle-même (voir les termes « le produit, la conséquence, résume, annonce, fait pressentir »), avec un humour cruel, dévoilant ainsi la cruauté pécuniaire d’une femme commerçante et calculatrice. • Énoncer les pensées implicites planant sur l’attitude morale de Mme Vauquer et sur son passé. Nombreuses sont les pensées implicites planant sur l’attitude morale de « la veuve » : on imagine un passé douloureux qui sera révoqué par « une femme qui a eu des malheurs » et par la dernière phrase du texte (« Dans les malheurs… souffrir »). Plus loin, « l’air innocent d’une entremetteuse » appelle, par une comparaison peu innocente, à un passé mystérieux, voire moralement trouble, Petits Classiques Larousse - 4 – Le Père Goriot de Balzac cependant que « prête à tout pour adoucir son sort », voire à la délation, montre l’égoïsme de ce personnage. - elle est précédée de son « chat », ce qui renvoie dans l’imaginaire du lecteur à l’image du diable ou au moins de la sorcière (voir le chat noir dans les Mémoires d’outre-tombe de Chateaubriand). - « traînassant ses pantoufles » : tout semble lourd et vieux dans ce personnage défraîchi. - « sans être écœurée » : renvoie à une femme qui porte sur elle cette « odeur de pension ». - « sourire prescrit » : la fausseté du personnage apparaît en filigrane. - « le bagne ne va pas sans l’argousin » : l’image qui vient spontanément à l’esprit de Balzac est celle du bagne et de l’argousin, miroir peu engageant de la Pension Vauquer et de Mme Vauquer, de même que les métaphores qui renvoient à la maladie « typhus, hôpital ». - « qui la croit sans fortune » : l’expression suggère que Mme Vauquer n’est pas si démunie qu’elle le prétend et que les pensionnaires le croient. Balzac ne laisserait-il pas croire par cette allusion qu’au fond, Mme Vauquer est pingre et moins démunie qu’elle le dit ? On peut aussi avancer que ce portrait annonce une partie du dénouement : l’arrestation sur dénonciation de Vautrin et la mort du père Goriot dans le plus complet dénuement, enveloppé bientôt dans de vieux draps par manque de générosité de Mme Vauquer. • Discuter à partir de ce portrait l’opinion de Robbe-Grillet : « [dans le roman de type balzacien], il faut que le personnage soit unique et qu’il se hausse à la hauteur d’une catégorie. Il lui faut assez de particularité pour demeurer irremplaçable, et assez de généralité pour devenir universel. » La remarque de Robbe-Grillet est donc parfaitement justifiée. Mme Vauquer est un type : celui de la courtisane déchue qui se cramponne à la survie dans un univers qui lui renvoie sa propre image : l’idée d’une épave qui pourtant nage mieux que certaines personnes partageant avec elle une déchéance inéluctable, physique et pécuniaire (par exemple, le père Goriot). Elle n’a pas de concurrence dans le roman lui-même : elle incarne un lieu, une catégorie sociale, une psychologie particulière liée à une gêne, peut-être à une misère, qui se bat pour survivre et garder les apparences. Elle incarne à la ville la classe intermédiaire entre les ouvriers et la petite bourgeoisie. Elle est enfermée dans sa pension (elle n’évolue nulle part ailleurs), rivée à un lieu, lieu elle-même, personnification de la Pension telle qu’elle existait à Paris durant la Restauration. Petits Classiques Larousse - 5 – Le Père Goriot de Balzac
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