CANCER et AUTRES TUMEURS - ORL

439 LIVRE X
CANCER et AUTRES TUMEURS
Mal immémorial déjà bien connu des Grecs qui le désignaient sous le vocable « karkinos » (le crabe), dans ses
formes envahissantes, et « skirros » (tumeur dure) dans ses formes fibreuses rétractiles, le Cancer ne commença
à être combattu qu’à la fin du XIXème siècle. Il exista une multitude de formes de combats. Centrés sur la
technique de vision de l’organe (ici le larynx), sur l’examen microscopique de la lésion, sur la chirurgie, sur la
radiothérapie inscrite très tôt dans le sillage de la découverte des R X et sur la radiumthérapie. J’ai retenu sans
doute un peu arbitrairement les noms suivants présentés dans le sens inverse des aiguilles d’une montre,
Manuel GARCIA II (1805-1906) : invention du miroir laryngien en 1855
Ludwig TÜRCK (1810-1868) : utilisation méthodique du miroir laryngien en 1857
Rudolf VIRCHOW (1821-1902) : promoteur de l’histopathologie dès 1858
Theodore BILLROTH (1829-1894) : première laryngectomie totale en 1873.
Wilhelm ROENTGEN (1845-1923) : découverte des Rayons X en 1895
Marie CURIE (1867-1934) : découverte du Radium en 1898
Pierre CURIE (1859-1906) : idem
Isaac BERENBLUM (1903-2000) : chimiothérapie à la moutarde à l’Azote, dérivée de l’Ypérite, en 1929.
Cartouche centrale : gargouille de Notre Dame de Paris symbolisant le mal.
440 X. 1. Fernando SOR
(Barcelone 1778 – Paris 1839)
UNE LESION FATALE DE LA LANGUE
Fig 1. La guitare sur la commode. Tableau naïf de Josabeth Sjöberg (1812-1882), peintre et professeur de
Musique, Stockholm.
Fig 2. Lithographie de Fernando Sor vers 1825, d’après un tableau peint par Goubea
Fernando SOR de son vrai nom Joseph Fernando Macari SORS, est un guitariste et
compositeur Espagnol. Il est surtout célèbre pour sa « méthode pour la guitare » publiée en
1830. Pour le grand public, il est l’auteur de la mélodie utilisée dans le film « Jeux Interdits »
et diffusée par le guitariste Narciso YEPES. Enfin, les fans du fantaisiste belge Raymond
DEVOS se souviennent qu’il joua à la guitare l’Etude no 5 en si mineur de Sor lors d’un de
ses gags « J’ai des doutes » où il évoquait ses déboires conjugaux et implicitement ceux du
guitariste…
Il est difficile de connaître avec certitude la nature de la maladie qui frappa Sor à la fin de sa
vie. En tout cas il éprouvait de grandes difficultés à s’alimenter et à parler. Certains ont
441 déclaré qu’il s’agissait d’un cancer de la langue, d’autres d’un cancer de la « gorge » ;
d’autres, des deux à la fois. Nous ne possédons pas de rapport d’autopsie de Sor et son
certificat de décès ne nous donne pas de renseignements sur les causes de sa mort. De son
vivant, nous ne connaissons pas non plus le nom de ses médecins. Était-il vraiment, à la fin de
sa vie, célèbre et fortuné au point de pouvoir se permettre de consulter les maîtres de la
Médecine Parisienne de l’époque ? Vraiment célèbre, il ne l’était pas. Connu de certains, sans
doute. Par ailleurs, plusieurs auteurs ont déclaré qu’il était mort, sinon dans la misère ou le
dénuement, du moins en ne disposant que de moyens financiers limités. Nous allons donc
devoir nous livrer dans les lignes qui suivent à une sorte de biographie-fiction, alimentée
toutefois par des faits historiques bien réels, faits auxquels notre guitariste aurait pu se trouver
mêlé. La maladie de SOR ne se déclara qu’à partir de 1838, soit d’environ un an avant sa
mort.
Fig 3. Jean Cruveilhier, clinicien et anatomo-pathologiste
Fig 4. Pierre Bretonneau, clinicien, basé à Tours. Il était donc à trois jours de Paris en diligence…
Fig 5a. Armand Trousseau, clinicien, élève de Bretonneau et défenseur de la trachéotomie dans le croup
Fig 5b. Pierre Louis, clinicien phtisiologue et anatomo-pathologiste
Les sommités médicales Parisiennes en 1838 1
Posons-nous d’abord la question de savoir quelles sommités médicales Sor aurait pu
consulter à Paris sous le règne de Louis-Philippe, et plus précisément en 1838, année au
cours de laquelle sa maladie se révéla.
1.
Même si DUPUYTREN, le chirurgien, et LAENNEC, l’inventeur du stéthoscope, étaient
décédés depuis quelques années, même si le fulgurant BICHAT intéressé par l’anatomophysiologie du larynx, s’était éteint depuis 36 ans déjà, d’autres personnalités avaient pris le
relai. CRUVEILHIER l’anatomo-pathologiste (Fig 3) et BRETONNEAU le promoteur de la
trachéotomie (Fig 4) avaient la cinquantaine. TROUSSEAU, le clinicien (Fig 5a) avait 37 ans
et publiait un traité avec BELLOC sur les maladies du larynx et de la voix (1838). LOUIS
(Fig 5b) parachevait l’étude de la phtisie, il était âgé d’une quarantaine d’années.
MAGENDIE, le physiologiste avait 54 ans et il avait publié depuis une bonne vingtaine
d’années déjà un Mémoire sur « L’usage de l’épiglotte dans la déglutition ». En 1833, il
présentait le résultat de ses expériences sur la formation de la voix. MALGAIGNE
s’intéressait également à la voix, de même que BENNATI (1832, voir plus loin).
Mais autre chose était d’observer sur le vivant certaines parties de la langue…
442 I.
Les Moyens de visualiser la Langue dans sa portion postérieure, en 1838 2
1838, c’était encore l’époque des pionniers. GARCIA ne fit sa découverte qu’en 1855.
Nous pouvons résumer l’apport des Pionniers du miroir de Garcia de deux points de vue
différents :
a. La surface réfléchissante, en fait généralement un miroir.
- Avait utilisé une surface réfléchissante sans être un vrai miroir (abaisse-langue):
LEVRET* (1761).
- Avaient utilisé un miroir à nu : CAGNIARD de LATOUR (1825), BABINGTON**
(Mars 1829), SENN (fin 1829), BAUMÈS (1838), LISTON ** (1840), GARCIA**
(1855)
- Avaient utilisé un miroir gainé ou endoscope: BOZZINI (1807), SELLIGUE (1831 ;
mécanicien inventeur), TROUSSEAU et BELLOC (1837), AVERY (1844)
- Avait utilisé un prisme composé de verre optique au Plomb ou flint glass : WARDEN
(1844).
*Le paragraphe consacré à l’appareil de LEVRET se trouve dans le chapitre Joseph HAYDN (b). Le speculum
oris de LEVRET était toutefois inadapté à l’examen de la langue puisque l’appareil prenait appui sur elle !
**Le paragraphe consacré à BABINGTON et à LISTON se trouve dans le chapitre le MIROIR de GARCIA.
b. La source lumineuse, utilisait généralement un type de miroir différent du précédent.
La lumière naturelle sans miroir : LEVRET* (1761), SENN (fin 1829)
La lumière naturelle captée par un miroir : CAGNIARD DE LATOUR (1825),
BABINGTON** (Mars 1829), GARCIA [première manière, historique] ** (1855)
La lumière d’une bougie de cire réfléchie par un miroir: BOZZINI (1807), BENNATI
(1832), AVERY (1844)
La lumière d’une lampe à l’huile (lampe d’Argand) : WARDEN (1844).
Quelques auteurs avaient donc mis au point des instruments dont SOR aurait pu bénéficier.
Nous en retiendrons seulement deux ici dans le présent chapitre consacré à la langue.*
Laissant de côté les Miroirs à nu dont l’usage a été décrit parmi les Pionniers dans notre
chapitre LE MIROIR, nous nous tournerons ici particulièrement vers un promoteur important
de l’Endoscope : BOZZINI. Notons que si son endoscope fut conçu en Allemagne une
trentaine d’années avant le décès de Sor, son usage en France, sous l’impulsion de l’urologue
Desormaux, ne fut connu qu’une quinzaine d’années après son décès.
Enfin, nous dirons aussi quelques mots de BENNATI et de son speculum du pharynx.
*Concernant les techniques de visualisation des cavités pharyngo-laryngées en général, nous recommandons le
remarquable chapitre de Segal et Willemot inclus dans le Chapitre IV du Rapport présenté à notre Société en
1981 par Willemot et Collaborateurs sur l’Histoire de l’ORL.
•
Philippe BOZZINI : (années de la mise au point : 1807- 1853) 3
4 5
Philippe BOZZINI (1773-1809) naquit à Mayence en Allemagne. Il reçut son titre de médecin
en 1797. En 1809 il mourut du typhus à l’âge de 36 ans, après avoir soigné des malades
atteints de cette maladie. Sa veuve mourut dans le dénuement six mois plus tard en laissant
trois petits enfants qui furent recueillis par des amis.
443 Le « Lichtleiter » de Bozzini, son Projecteur de lumière, conçu en 1807 ne fut pratiquement
pas employé par son auteur sur l’être humain. Voici comment et pourquoi. Durant la seconde
guerre de coalition contre Napoléon, Bozzini servait dans l’armée impériale Autrichienne et il
se vit doté de la responsabilité d’un hôpital de campagne de 120 lits à Mayence. Ses grands
mérites le firent connaître par l’Archiduc Charles d’Autriche (Fig 7) qui aurait été
susceptible de promouvoir son invention. Bozzini espérait en effet voir son instrument utilisé
dans les hôpitaux militaires autrichiens. Mais il fallait pour cela envoyer son instrument à
Vienne auprès de l’empereur Franz d’Autriche, afin que les autorités médicales
l’expérimentent. Ce qui fut fait sur des cadavres au niveau de la vessie, du rectum, du vagin,
et aussi de la cavité péritonéale à l’aide de minuscules laparotomies. La seule modification
proposée fut au niveau de l’éclairage. Cela étant fait, les autorités se montrèrent satisfaites de
l’instrument, (à l’exception de son utilisation dans la cavité péritonéale) et en raison du fait
que le procédé était jugé très peu douloureux. Ceci fut en tout cas l’avis de l’Académie
Josephine qui expérimenta l’instrument pendant deux ans. Toutefois, l’Empereur consulta
ensuite son médecin personnel Joseph Andreas STRIFFT qui présidait la Faculté de
Médecine, l’autre autorité scientifique de Vienne. La faculté ne mit que 9 jours pour rendre
son verdict et déclara qu’il ne s’agissait que d’un simple jouet ! Elle mit en plus les autres
médecins en garde afin qu’ils n’achètent pas cet instrument. Enfin, elle réprimanda Bozzini
pour sa curiosité indue. L’Eglise joua également un rôle négatif dans cette décision.
Fig 6. Philippe Bozzini (1773-1809)
Fig 7a. L’Archiduc Charles d’Autriche avait apprécié le comportement de Bozzini durant la guerre et s’était
montré favorable à son invention, mais celle-ci dut franchir d’autres obstacles devant lesquels elle échoua.
Fig 7b. Antoine-Jean Desormaux (1815-1894)
Ce fut le chirurgien et urologue Français Antoine-Jean DESORMAUX qui fut le premier à
introduire chez un patient le Lichtleiter de Bozzini. En 1853, après avoir amélioré l’appareil,
il le présenta en l’appelant « Endoscope ». C’était la première fois que ce terme était employé
dans l’histoire de la Médecine.
Le Lichtleiter de BOZZINI amélioré par DESORMAUX se composait de deux parties : une
fontaine lumineuse verticale et un tube ou speculum horizontal (Fig 8, 9, 10).
444 - La lanterne (Fig 8, 9a, 9b) était en étain, en forme de calice, elle avait 35 cm de haut et La lanterne (Fig 8, 9a, 9b) était en étain, en forme de calice, elle avait 35 cm de haut et était
recouverte de cuir. Elle possédait à chacune de ses faces une ouverture circulaire se faisant
vis-à-vis : une grande et une petite. A la plus grande ouverture sur la face Avant (Fig 8), était
fixé le speculum. La petite sur la face Arrière recevait l’oculaire (Fig 9). La grande ouverture
circulaire était divisée verticalement par un septum. Dans sa moitié gauche se trouvait la
source de lumière (une bougie de cire, flèche verticale) et derrière elle, un miroir (flèche
horizontale) projetait sa lumière vers le speculum. Sa moitié droite était occupée par un
compartiment permettant la transmission de l’image de l’organe examiné éclairé, vers
l’observateur. Le haut de l’appareil était couvert, mais une large ouverture existait sur la
partie supérieure. De même la base de la lanterne était percée de trous. Ces trous assuraient un
certain courant d’air afin de refroidir quelque peu l’appareil et ils permettaient une meilleure
combustion de la bougie
- Le Speculum (Fig 10) consistait en un tube en métal poli en argent ou en étain. Il était
divisé par un septum vertical et à son extrémité incurvée il existait deux petits miroirs. Quand
la chandelle était allumée dans la lanterne, sa lumière était réfléchie vers le speculum et elle
touchait le miroir de droite b. En appliquant l’œil sur l’oculaire, on voyait l’image réfléchie
par le miroir de gauche c situé à l’extrémité du speculum. Les deux courants lumineux
passaient à travers les deux canaux du speculum séparés par le septum vertical. Pour examiner
le cavum, on présentait le speculum ouverture vers le haut ; pour le larynx (et la base de
langue), on le présentait avec l’ouverture tournée vers le bas.
Fig 8. La face antérieure de la lanterne faisait face à l’objet à examiner et donnait attache au Speculum. Une
petite bougie est visible dans le compartiment de gauche (flèche verticale) et derrière elle un miroir réfléchissait
sa lumière vers l’avant dans le speculum qui était fixé perpendiculairement sur cette face. Le compartiment de
droite correspondait à l’oculaire d’observation dont l’accès se trouvait sur l’autre face de la lanterne. Notons les
trous d’aération dans le pied et dans la partie supérieure de la lanterne.
445 Fig 9a. La face arrière de la lanterne faisait face à l’observateur et présentait l’orifice pour l’Oculaire (flèche). Le
corps de la lanterne contenait un cylindre muni d’un ressort schématisé à droite. Il hissait la bougie au niveau de
l’orifice d’attache du spéculum.
Fig 9b. Reconstitution de l’appareil au complet
Fig 10. Speculum de Bozzini. Il se fixait à la face antérieure de la lanterne. Son extrémité est tournée vers le haut
pour l’examen du cavum. Il possédait deux miroirs, l’un b situé à l’extrémité du compartiment inférieur sur cette
figure, recevait le reflet lumineux de la chandelle et l’envoyait dans le cavum. Le miroir situé dans le
compartiment supérieur, c sur cette figure, recevait l’image du cavum éclairé et la renvoyait vers l’oculaire de la
lanterne. Il suffisait d’une rotation de 180 degrés pour visualiser le larynx et la base de langue.
Fig 11. Frontispice de l’ouvrage de Bozzini sur le Lichtleiter, le « Conducteur de Lumière », publié à Weimar en
1807
Fig 12. Sur la plaque mortuaire de Bozzini dans la cathédrale de Francfort, son ami F. FEYERLEIN fit graver
ces mots : « A l’âme pieuse de Philippe Bozzini, docteur en médecine, qui fut le premier à explorer l’intérieur
des organes à travers son ingénieux projecteur de lumière. Il fut capable de combattre avec ténacité la fièvre de
son prochain avec un grand sens du devoir, mais il succomba la nuit du 4 au 5 Avril 1809, dans sa 36ème année.
Son ami fidèle F. Feyerlein ».
•
Francesco BENNATI : 1832
Il mit au point en 1832 un abaisse langue couplé à une source de lumière constituée par la
lueur d’une bougie reflétée par un miroir. L’appareil était donc moins adapté à l’examen de la
langue pour elle-même, que pour juger de sa forme globale dans les différentes notes émises
par divers types de voix (Fig 13, 14, 15).
II.
Le Diagnostic Différentiel clinique des lésions de l’arrière langue était difficile au
début du XIXème siècle 6
446 Même en admettant que l’on ait pu visualiser une lésion linguale chez Sor, le Diagnostic
Clinique comportait beaucoup d’incertitudes. La vision des lésions n’eût pas été capable à
elle seule de faire à coup sûr la différence entre Cancer, Syphilis et Tuberculose ! (Fig 16).
Les lésions présentaient sans doute dans chacune des trois éventualités quelques caractères
spécifiques mais ils n’apportaient qu’une impression, aucune certitude.
L’inexistence d’une biopsie efficace et l’absence d’un examen sérologique se faisaient alors
cruellement sentir. Pour la Syphilis, on pouvait parfois s’appuyer sur la réponse favorable au
traitement d’épreuve au Mercure.
Fig 13. « Recherche du mécanisme de la voix humaine », par BENNATI, chez Baillière, Paris 1832. Fig 2 : état
naturel des parties supérieures du tuyau vocal dans les notes graves chez les basses-tailles ayant une voix très
grave : la pointe de la langue est en forme de crochet. Fig 3 : idem dans les notes aigües. La forme de la
langue, des piliers du voile du palais et de l’ouverture de la bouche est tout à fait différente
Fig 14. Speculum du pharynx, planche extraite de la « Recherche du mécanisme de la voix humaine », par
Bennati, chez Baillière, Paris 1832. (Repris de Segal A, Willemot J. Endoscopie. Acta ORL Belgica. 1981;35
(III):393-630). La largeur de l’abaisse-langue risquait d’entraver la vision de la langue elle-même. Restait à le
positionner correctement…
Fig 15. Francesco Bennati, médecin des chanteurs de l’Opéra Italien de Paris. Il publia sur la physiologie de la
voix (1832)
Fig 16. Jacobi E., Ed. Atlas der Hautkrankheiten, Urban & Schwarzenberg, Berlin, Wien, 1913. De gauche à
droite :
1. Gomme syphilitique ulcérée de la langue : l’ulcération est à bords nets, il existe une induration et une
447 congestion environnantes.
2. Ulcération tuberculeuse de la langue : la pâleur domine et il n’y a pas d’induration.
3. Cancer de la langue au stade d’état : les végétations reposent sur un socle dur.
La première figure provient du musée de L’HÔPITAL ST LOUIS de Paris (Lenormant Ch, « Maladies de la
bouche et du pharynx », 1928) 6. L’Hôpital St Louis de Paris avait été fondé par le bon roi Henri IV à l’intention
des vérolés.
Un traité Clinique des Maladies de la « Gorge » proprement dite paraît en 1838 7 8 9
Coïncidence pour SOR, un traité venait de sortir à Paris en 1838: « le Traité pratique de la
phtisie laryngée, de la laryngite chronique et des maladies de la voix ». Il était présenté par
Armand TROUSSEAU (1801-1867) et Hippolyte BELLOC (1779-1853) et édité chez
Baillière. Mais l’examen se faisait à l’aide d’un speculum peu commode et il était très mal
supporté.
A part cela, rien ! La chirurgie des tumeurs de l’oro-pharynx et du pharyngo-larynx n’existait
pas encore de manière systématisée en 1838, comme nous allons le voir.
III.
IV. Le Diagnostic Histologique des lésions : 1858 10.
Les perfectionnements des microscopes ne furent significatifs qu’à partir de 1830 et ce fut
surtout en dehors de France qu’ils aboutirent à des résultats pratiques. En fait ce ne sera que
bien après le décès de Sor, à partir de 1858, grâce à l’Allemand Rudolf VIRCHOW, que
naîtra le diagnostic microscopique des lésions, avec ses deux ouvrages majeurs
« Zellularpathologie » (Pathologie cellulaire) en 1858 et « Krankhaften Geschwülste »
(Tumeurs liées aux Maladies) en 1862 /63.
V. La Chirurgie de la Langue et du Pharyngo-Larynx pour Cancer au XIXème siècle.
Les techniques présentées ici furent de toute façon créées après la mort de Sor. 11
•
La LANGUE
- Les voies naturelles. Edouard CHASSAIGNAC de Paris (Fig 17a) (1805-1879) 12 doit
d’abord être signalé. Il pratiqua l’ablation de la langue pour cancer par les voies naturelles.
Mais en 1838, Chassaignac, d’origine Nantaise, venait de monter à Paris où il avait été à
peine nommé prosecteur de la Faculté de Médecine. C’est dans les années 1850 seulement
qu’il œuvra à l’hôpital Lariboisière comme chirurgien.
-
L’abord externe. Signalons trois types d’intervention.
1. Une voie mixte en deux temps : cervicale pour les ganglions, puis après cicatrisation,
amputation linguale par voie buccale ou cervicale. Cette méthode fut utilisée par KOCHER
(1841-1917) 13.
2. A la différence de cette opération en deux temps, moins grave dans l’immédiat, mais
aussi moins efficace, Hippolyte MORESTIN (Fig 17b) (1869-1919) 14 préconisa l’opération
monobloc en un temps sacrifiant ganglions, plancher de la bouche et langue. La voie d’entrée
était sus-hyoïdienne (1899).
448 Très tôt Morestin s’était intéressé au traitement chirurgical du cancer de la langue. Il
disséqua beaucoup, étant professeur d’Anatomie à la Faculté de Médecine de Paris. Il
introduisit un système d’aspiration du sang dans la bouche beaucoup plus efficace que la
pompe salivaire des dentistes utilisée jusqu’alors. En 1914, il était chef du service ORL à
l’Hôpital St Louis de Paris et durant la guerre, il passa à l’hôpital des armées du Val de Grâce
où il s’occupa de la chirurgie reconstructive des « Gueules cassées » (Voir le chapitre
XENAKIS)
3. La voie trans-maxillaire avec section temporaire de la mâchoire et abord sus-hyoïdien,
fut préconisée assez tôt par Philibert ROUX* (Fig 18) (1780-1854) 15. Sa technique fut
abandonnée, jugée trop traumatisante. Mais elle fut reprise des années plus tard, en 1889, par
KOCHER.
*En 1802, Roux tout jeune avait tenté en vain avec son maître CORVISART de sauver BICHAT, atteint
vraisemblablement d’une méningite tuberculeuse et qui avait fait une lourde chute.
Fig 17a. Edouard Chassaignac : résection du cancer de la langue par les voies naturelles
Fig 17b. Hippolyte Morestin: résection de la langue et des ganglions en un temps monobloc, voie sus-hyoïdienne
Fig 18. Philibert Roux : résection du cancer de la langue avec interruption du maxillaire
Fig 19. Léon Labbé: première laryngectomie en France
•
Le PHARYNX et le LARYNX
La Bucco-Pharyngectomie transmandibulaire avec par conséquent interruption de la
continuité mandibulaire pour cancer de la région amygdalienne, de la base de langue, ou du
plancher de la bouche à l’arrière vit le jour en 1861 grâce à BILLROTH *.
La première Laryngectomie totale chez l’homme datera de 1873, en Allemagne par
BILLROTH 16 encore lui.
La première Laryngectomie totale eut lieu en 1885 en France par Léon LABBÉ 17 (Fig 19).
La première radiothérapie curative réussie par RX pour un cas de cancer du larynx fut
publiée dans la Revue de Laryngologie (Bordeaux) en 1903 par SCHEPEGRELL18 19. Il
s’agissait d’un avocat qui avait refusé la chirurgie et avait demandé qu’on lui applique « les
nouveaux rayons ».
*BILLROTH était aussi violoniste et ami de BRAHMS avec qui il se brouilla à cause d’un désaccord profond
449 sur la valeur de la musique de MASSENET… (Mme Medrara Lamyae, Thèse 006/11 « Le cancer du larynx »,
Fac Med de Fès, 2011)
La Pharyngectomie Cervicale pour cancer du sinus piriforme, devra attendre 1913
(TROTTER) 19 et pour n’être encore que partielle.
Une consolation : la qualité générale des hôpitaux Parisiens à l’époque de SOR.
Ils étaient en nombre et en qualité. En 1830, ils comptaient 20.000 malades, fréquentés par
5.000 étudiants, dotés d’un personnel médical sévèrement sélectionné et bien hiérarchisé.
« L’hôpital était un centre de soins éclairés, un centre de recherches et un centre
d’enseignement » (Bariety et Coury) 1.
ü
Les témoignages non médicaux de la maladie de SOR.
Tuberculose, Syphilis ou Cancer de la langue ? Cancer de la Langue ou Cancer de la Margelle
Laryngée ? 20 21 22 Les récits de quelques témoins peuvent-ils faire la part des choses?
Les quelques témoignages non médicaux sur les derniers mois de la vie de Sor ne
signalent pas de dyspnée, ni de crachements de sang.
Cela va à l’encontre d’une affection laryngée ou pulmonaire. On ne signale pas non plus chez
lui de commémoratif de syphilis ou de tuberculose pulmonaire. Toutefois la certitude n’en
n’est pas acquise pour autant car l’Auscultation à cette époque n’en était qu’à ses débuts et il
arrivait qu’un médecin peu familiarisé avec cette technique appelât en consultation un
confrère qui lui, l’était. De plus, le miroir de GARCIA n’ayant pas encore fait son apparition
en 1838 (il ne le fera qu’en 1855), la Laryngologie en tant que spécialité n’existait même pas.
ü Il devait bien s’agir en tout cas d’une maladie de la sphère ORL.
Sor présentait une dysphagie et une dyslalie. Cette difficulté de parler pouvait correspondre
soit à une douleur liée à l’articulation de la parole en raison de la tumeur linguale, soit à la
difficulté d’émettre un son au niveau du larynx. On sait que Sor devait recourir à des carnets
de conversation, comme autrefois BEETHOVEN, mais en sens inverse : Sor écrivait ce qu’il
avait à dire tandis que Beethoven y lisait les réponses de ses interlocuteurs. La dysphagie de
Sor était telle qu’il n’avalait que quelques cuillerées, prodiguées par une vieille femme qui
veillait sur lui. Une sialorrhée n’est toutefois pas signalée.
A mon humble avis, une affection de la langue est bien l’hypothèse la plus probable. Une
lésion de la margelle laryngé aurait d’avantage associé une dyspnée haute à la dysphagie au
contraire d’un cancer de la langue mobile (mais peut-être pas de la base de la langue). En
effet, une dyspnée n’apparaît pas dans le récit des rares visiteurs de Sor à la fin de sa vie.
Enfin, il existe une autre raison qui fait d’avantage penser à une lésion de la langue qu’à une
lésion du pharyngo-larynx. Voici un témoignage en faveur d’une atteinte de la langue, avec
une réserve cependant sur la nature du mal (cancer ou tuberculose ?). Nous savons par une
lettre adressée par Sor à la Reine de France, en Mars 1839, qu’il était malade depuis huit
mois. Cela fait remonter le début clinique de sa maladie à Juin 1838. En Juin 1839, soit un
an après le début de sa maladie, un journaliste espagnol, Font y Moresco, accompagné du
450 peintre Jaime Battle rendirent visite à Sor dans son appartement situé Marché St Honoré à
Paris, un agréable square garni d’un jardin, et qui a bien changé aujourd’hui… Il raconta : «
Lorsque nous lui rendîmes visite, le malheureux Sor bien qu’il ne fût pas très âgé, était déjà
attaqué par la maladie mortelle qui allait le conduire au tombeau. Néanmoins, nous le
trouvâmes debout et son visage portait les marques de la douceur et de la noblesse qui lui
étaient caractéristiques. Cependant, les ulcères présents dans sa poitrine et dans sa gorge lui
rendaient la parole pénible (ceci semble d’avantage en faveur d’une tuberculose que d’un
cancer) Après une brève conversation très inconfortable et douloureuse pour lui, en raison du
fait qu’il ne pouvait articuler les mots (ce témoignage semble accuser en tout cas la langue), il
nous raconta combien il était peiné, particulièrement ce jour là, qui marquait le premier
anniversaire de la mort de sa fille… Il était en train de nous raconter ces tristes évènements
lorsqu’une vieille femme, qui prenait soin de lui, lui apporta un peu de soupe. C’était la seule
nourriture, légère, capable de soutenir son corps. En vain elle insista pour qu’il en prenne un
peu. Il en prit deux à trois cuillerées, puis il quitta sa chaise… » .
Sor n’allait plus vivre que quelques semaines. Il mourut le 10 Juillet 1839.
Fig 19. L’une des œuvres les plus connues de Sor est ses Variations brillantes sur un air favori de Mozart de
l’opéra la Flûte enchantée dont voici le frontispice, Op. 9, publié à Paris en 1821
Fig 20. Tombe de Sor dans son état actuel, au cimetière de Montmartre à Paris.
Fig 21. Préfecture du Département de la Seine, Acte de décès daté du 10 Juillet de l’année 1839: « Sor Ferdinand
Professeur de Musique âgé de 60 ans, demeurant Marché St Honoré Nos 34 et 36 »
• Sor fut enterré anonymement à côté de sa fille Caroline morte deux ans avant lui, au
cimetière de Montmartre à Paris, côté Ouest, avenue Samson, 24ème division. Dans les années
1930, sa tombe à peine reconnaissable fut redécouverte par André Verdier, Président des
Amis de la Guitare de Paris et le guitariste Espagnol Emilio PUJOL. Après restauration de la
pierre tombale, une cérémonie se tint en Juillet 1936, au cours de laquelle Emilio Pujol
prononça un hommage. Comme la guerre menaçait, on avait cru bon d’avancer la
commémoration du centenaire de sa mort… En 1975, l’endroit redevenu en piteux état
poussa le musicologue Américain Brian Jeffery à faire lui-même des réparations d’urgence
451 Depuis Février 1978, à l’occasion du 200ème anniversaire de la naissance du musicien, s’élève
sur sa tombe une œuvre du sculpteur Angel Peres, né aux Canaries en 1929, et représentant un
guitariste.
REFERENCES
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452 IX. 2. Giacomo PUCCINI
(1858 Lucca – 1924 Bruxelles)
TURANDOT, L’OPÉRA SANS FIN
A Gilbert Chantrain
Fig 1a. Affiche de la première de l’opéra Turandot de Giacomo Puccini, datant de 1926, donnée à la Scala de
Milan après la mort de Puccini et dirigée par Toscanini (Artiste inconnu). De chaque côté, têtes de paon en
verre, manufacture Lalique, vers 1925.
Fig 1b. « Le Maître Puccini sur son lit de mort à l’Institut du Radium de Bruxelles ». Dessin de M. François dans
la Libre Belgique, première page du No du 2 Décembre 1924.
453 Deux lettres parmi les dernières de Puccini concernant sa tumeur.
Durant la première moitié de Novembre 1924, Giacomo Puccini, venant de Viareggio via
Milan, fut hospitalisé à l’Institut du Radium situé Avenue de la Couronne à Ixelles
(Bruxelles, Belgique) (Fig 9, 10). Il écrivit à un ami, un voisin de Viareggio nommé
Magrini : « Me voici crucifié tel le Christ ! J’ai autour du cou un collier de torture. Pour
le moment : traitement externe – radiothérapie - puis aiguilles de cristal dans mon cou
avec un trou pour respirer. N’en dites rien à Elvira (sa compagne) ni à qui que ce soit. La
pensée de ce trou, avec, dedans, un tube en caoutchouc - ou en argent : je ne sais pas
encore – me terrifie. Ils disent que je ne souffrirai pas et que je dois m’y résigner pour
huit jours afin de laisser en repos l’endroit de ma gorge qui subit le traitement : respirer
par la voie normale le perturberait. Et il me faudra respirer à travers ce tube ! Mon Dieu,
quelle horreur ! Je me souviens d’un oncle qui dut circuler toute sa vie avec un tube.
Après huit jours, je respirerai de nouveau par la bouche. Quelle calamité ! Que Dieu me
vienne en aide. Ce sera un long traitement – six semaines – très pénible. Mais ils
m’assurent que je serai guéri. Je suis cependant un peu sceptique sur ce point et je me
prépare au pire. Je pense à ma famille, à ma pauvre Elvira. Depuis le jour de mon départ
(il était parti pour Bruxelles le 4 novembre), la maladie a empiré. Le matin je crache une
grande quantité de sang noir. Mais le docteur dit que ça n’a rien de grave et qu’il faut
que je me rassure, maintenant que le traitement est commencé ».
Quelques jours après, le 17 Novembre 1924 (la lettre est datée cette fois), il envoya une
deuxième lettre : « Les choses sont comme avant. Traitement externe, mais il semble que
j’aille mieux. Ici aussi nous avons un froid sibérien, très sec. Aujourd’hui, je suis sorti
déjeuner et en traversant le marché j’ai vu aux étalages, d’énormes quantités de gibier à
plume. Quel dommage ! Cela ne me fait plus le moindre effet ! Même lorsque je serai
guéri, je ne pourrai pas aller en Maremme (vaste région de Toscane où Puccini aimait
chasser) à cause de ce sacré opéra (Turandot). Je ne sais pas ce que je ferai après. En
attendant, j’espère aller mieux et, en tout cas, je vais essayer…Combien ma vie est triste !
Et d’ici quelques jours, quelle cruelle surprise me réserve-t-on peut-être ! Je parle de
l’application interne des aiguilles de radium
Fig 1c. Statue de Puccini à Torre del Lago, à proximité de sa villa.
Fig 1d. Madame Butterfly conduite par Puccini. Caricaturiste anonyme (Repris de Sandved, 1958)
454 Fig 2. Puccini dans sa villa de Viareggio s’essayant à son opéra Turandot. Il s’agit de sa dernière photogaphie.
Fig 3. La dernière note de Puccini à la Clinique de l’avenue de la Couronne à Bruxelles: “Je vais plus mal… J’ai
l’enfer dans la gorge… je pense que je vais m’évanouir. De l’eau fraiche”
Histoire de sa maladie dans un premier temps.
1 2 3 4 5 6 7 8 9
Jusqu’à présent, les Laryngologistes Belges ne se sont pas particulièrement intéressés au
traitement qu’a donné le Docteur Louis LEDOUX de Bruxelles au célèbre compositeur. En
Novembre 1924, Puccini se rendit en effet à Bruxelles dans l’espoir d’y être guéri de son
cancer du larynx. Et même si son traitement échoua, rien de doit être reproché à son
chirurgien ORL, le Dr Louis Ledoux. J’en donnerai les raisons dans ce qui suit.
Puccini était un fumeur invétéré, ses nombreuses photographies en font foi (Fig 4). Parmi ses
objets favoris, il possédait un étui à cigarette dont le couvercle représentait une scène du
Tableau III de La Bohême (Fig 5) (Puccini n’a pas employé le mot « Acte » pour cet opéra).
Fig 4. Puccini et son éternelle cigarette
Fig 5. Couvercle à cigarette de Puccini représentant une scène du tableau III de La Bohème
455 De fin 1923 à Février 1924, Puccini se plaignit progressivement de maux de gorge, puis de
dysphagie, de raucité, d’une toux persistante et d’une tuméfaction du cou. Au tout début il n’y
prêta pas une attention excessive car il était habitué à avoir mal à la gorge.
En 1903 déjà, il avait consulté un spécialiste de LUCQUES pour un mal de gorge persistant et
il avait même été victime d’un accident d’auto à cette occasion. Celui-ci provoqua des
fractures multiples de la jambe droite, ce qui rendit Puccini légèrement claudicant jusqu’à la
fin de ses jours (Fig 18). De plus, une prise de sang pratiquée dans ce contexte, montra un
diabète, ce qui aurait des conséquences plus tard à l’occasion du choix de l’anesthésie pour
son intervention laryngée. L’anesthésie locale fut préférée pour ne pas déséquilibrer son
diabète.
Autre antécédent à signaler, au cours d’une randonnée en Bavière, à INGOLSTADT en Août
1922, Puccini avala malencontreusement un os de volaille qu’il fallut extraire
chirurgicalement (?!) Certains ont pensé que ce traumatisme aurait pu avoir été un facteur
favorisant l’éclosion de son cancer un an et demi plus tard.
Quoi qu’il en soit, en 1924, devant la rechute de son mal de gorge, ses amis lui conseillèrent
de consulter un spécialiste à MILAN qui diagnostiqua une pharyngite chronique d’origine
rhumatismale. En conséquence, il prescrivit une cure thermale dans la luxueuse station de
SALSOMAGGIORE près de Parme. Malheureusement, sa gorge ne s’améliora pas.
Il écrivit à sa confidente Sybil SELIGMAN : « Ma gorge est exactement pareille, la cure n’a
absolument rien changé. Ils disent que je me sentirai mieux après – nous verrons ».
Comptant sur un changement d’air pour améliorer son état, Puccini voulut voyager mais il
refusa de voir de nouveaux spécialistes, ce que son fils Antonio et ses amis lui conseillaient.
Ils constataient en effet que son état général s’altérait. C’était aussi l’avis du chef d’orchestre
TOSCANINI qui, en Septembre 1924, lui rendit visite pour se rendre compte de l’état
d’avancement de Turandot. Il le trouva très fatigué et très abattu.
Puccini finit par accepter de consulter un nouveau spécialiste, à VIAREGGIO même, cette
fois. La conclusion fut identique mais avec une petite nuance: la consigne absolue de ne plus
fumer (il est impossible de savoir si ce médecin envisageait la suppression du tabac pour de
simples raisons d’hygiène générale ou si c’était pour des raisons plus précises).
Finalement, Puccini commença à s’inquiéter devant l’immobilisme et l’attitude floue des
médecins. Ainsi qu’il le dit, à l’âge de 66 ans « sentant qu’il devenait vieux », il se rendit en
secret à Florence. Là pour la première fois, une « petite tumeur » fut repérée au voisinage
de l’épiglotte dont on espéra officiellement qu’elle n’était pas maligne. Toutefois au fils de
Puccini, Antonio, il fut déclaré que son père souffrait d’un cancer de la gorge à un stade
avancé au point qu’une intervention serait désormais inutile. Antonio fut fortement ébranlé
par cette nouvelle et il sollicita finalement un groupe de trois laryngologistes Italiens qui
pratiquèrent une biopsie. Parmi eux se trouvait GRADENIGO (Fig 7) venu spécialement pour
la circonstance de NAPLES, où il était professeur. Sa renommée, à l’époque, reposait sur sa
tendance à traiter les cancers du larynx par voie endo-laryngée.
Néanmoins à ce moment Puccini ne fut pas traité sur la seule base du résultat de cette biopsie
car on ne se fiait pas trop alors à cette méthode de diagnostic depuis son échec mémorable
dans le diagnostic du cancer du larynx de l’éphémère empereur d’Allemagne Frédéric III.
456 C’est alors que Gradenigo conseilla plutôt de consulter son collègue, le Professeur LEDOUX
de Bruxelles (Fig 6). Ce dernier était connu pour son traitement combiné RadiumChirurgie, au cours duquel le Radium était implanté dans la tumeur en passant à travers le
cartilage thyroïde mais au moyen d’une fenestration préalable de celui-ci pour éviter sa
nécrose.
De plus, Gradenigo et Ledoux se connaissaient : Ledoux était le co-fondateur des
Monographies Internationales d’ORL dans lesquelles Gradenigo avait publié lui-même.
Enfin, Ledoux publiait régulièrement dans la revue Le Cancer dont le siège était situé à
Bruxelles et il était membre de son comité de rédaction.
Selon Ledoux, pas de laryngectomie pour Puccini ! 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19
• Faisons une pause pour voir ce que Ledoux pensait au sujet des options
thérapeutiques qui avaient cours à l’époque (1920-1925) en matière de chirurgie du larynx.
Pour Ledoux, une laryngectomie totale était contrindiquée dans le cas de Puccini. Son cancer
était de type invasif et il était déjà trop étendu. Il s’agissait chez Puccini d’une forme
vestibulaire avec un développement extra laryngé et des ganglions métastatiques (Figure 7).
Le pourcentage élevé d’échecs en cas de cancers débordant le larynx, comme celui de
Puccini, était impressionnant. TAPIA trouvait sur ses 32 échecs de laryngectomie totale, 24
formes extra laryngées. Du reste, en cas de cancer de type vestibulaire, tel celui de Puccini, il
s’agissait d’un adénocarcinome dont le caractère invasif était la règle. De plus, la présence de
métastases ganglionnaires cervicales était également une cause importante d’échec : Tapia
notait même que tous les échecs thérapeutiques de ses formes intra laryngées (et a fortiori des
formes extra laryngées) présentaient des ganglions métastatiques.Tout cela expliquait à cette
époque la remarque désabusée de Chevalier JACKSON : « La Laryngectomie n’a jamais rien
ajouté à la vie humaine : un cancer du larynx opéré vit un an, c’est exactement le même
résultat avec une simple trachéotomie ».
De plus, le diabète de Puccini augmentait le risque d’infection post-opératoire, à savoir une
pneumonie par aspiration des sécrétions, due en partie à un manque temporaire d’étanchéité
entre le tube digestif et les voies aériennes. Rappelons qu’en 1924, l’Insuline sous forme
injectable n’était pas disponible. L’Insuline avait été découverte en 1921 par BANTING et
BEST, mais sa forme purifiée injectable ne fut disponible qu’en 1926 grâce à ABEL. Les
Sulfamides n’existaient pas encore. Ils ne furent introduits qu’en 1935 (chapitre RESPIGHI).
Encore moins les Antibiotiques, apparus en 1944.
Enfin, dernier inconvénient majeur de la laryngectomie : la perte de la voix qui aurait mis un
terme à la vie sociale brillante du maestro.
• Non, au contraire ! Pour d’autres, une laryngectomie était envisageable pour
Puccini. Les défenseurs de la laryngectomie pouvaient arguer du fait que les statistiques
opératoires s’amélioraient (même si elles demeuraient mauvaises). Pour BILLROTH, le
pionnier, le taux de mortalité dû à une pneumonie par aspiration durant la période postopératoire était de 50% en 1873. Mais les statistiques passaient à 14% en 1909 (GLUCK) puis
à 2% en 1920 (idem).
457 Fig 6. Le Prof. Giuseppe Gradenigo de Naples. Il adressa Puccini à Bruxelles plutôt qu’à Berlin parce que
Ledoux avait conçu un traitement combiné Radium-Chirurgie pour le cancer du larynx et que ses résultats
étaient encourageants
Fig 7. Dr Louis Ledoux de Bruxelles (emprunté à Willemot)
Fig 8. Cancer du larynx semblable à celui de Puccini : lésion supra glottique probablement sur la face laryngée
de l’épiglotte et s’étant étendue rapidement en avant, en arrière et latéralement (Repris de BACLESSE F, Ed.
Tumeurs malignes du pharynx et du larynx. Masson, Paris, 1960).
Fig 9. Puccini en 1924, l’année de son décès.
Par ailleurs, pour venir à bout des métastases ganglionnaires, George Washington CRILE de
Cleveland (Ohio) introduisit la dissection radicale du cou avec résection monobloc du larynx
en 1903. Le même introduisit pour la première fois la transfusion sanguine en 1906. Elle se
458 faisait de bras à bras. Ces transfusions entraient de plus en plus dans la pratique. Du reste,
Karl LANDSTEINER de Vienne avait identifié les principaux groupes sanguins dès 1900. Et
depuis 1914, grâce à Albert HUSTIN de Bruxelles, il était possible de conserver le sang sous
la forme d’un dérivé citraté.
Pour pallier la mutilation vocale, Karl GUSSENBAUER de Vienne expérimentait des
prothèses vocales internes depuis 1873 (le patient de Billroth en bénéficia) et depuis 1900,
Nicolas TAPTAS de Constantinople utilisait des prothèses vocales externes.
Malgré ces arguments, cependant, LEDOUX resta opposé à la laryngectomie. Il choisit la
méthode mixte Radium-Chirurgie. Radium et non pas Rayons X, car à cette époque, leur
voltage était trop peu élevé pour être efficace.
• Le Radium
A ses débuts, le Radium ne fut disponible à Bruxelles que dans des institutions privées.
D’abord, à l’Institut du Radium, avenue de la Couronne à Ixelles (Fig 10 et 11) et plus tard
à partir d’Août 1921, à l’Institut de la Croix Rouge situé à la place Georges Brugmann,
également à Ixelles (Fig 12). La Croix Rouge avait acheté 1 gramme de Radium. Le Radium y
était utilisé uniquement dans des indications dermatologiques par le Dr Adrien BAYET (voir
aussi la Fig 15). Malheureusement, en raison de problèmes financiers, la Croix Rouge dut se
résoudre à revendre le Radium en Octobre 1924, c’est-à-dire quelques semaines avant
l’arrivée de Puccini à Bruxelles !
Entretemps cependant, dès Janvier 1923, les quatre Universités Belges s’unirent pour louer à
l’Union Minière du Haut Katanga (Congo Belge) 8 grammes de Radium. En 1925, le Centre
des Tumeurs de l’Université Libre de Bruxelles (ULB) fut créé à l’hôpital Brugmann. Il
comportait un département de Radiumthérapie et un département de Radiothérapie. En 1935
enfin, le roi Léopold III posa la première pierre de l’Institut Bordet de l’ULB.
Le mode d’utilisation du Radium dans des cas analogues à celui de Puccini évolua en
quelques années. En tout premier lieu, ce fut la technique de GRADENIGO qui prévalut. Elle
consistait à placer à l’intérieur de la cavité laryngée les aiguilles de Radium logées dans un
tube en verre. Cette voie était très pénible pour le patient et de plus elle provoquait de
l’œdème laryngé. Dans un deuxième temps, en 1923, LEDOUX introduisit sa méthode
d’implantation des aiguilles dans la paroi laryngée en passant par voie externe chirurgicale.
Plus tard, cette méthode fut améliorée par FINZI et HARMER de Londres (voir plus loin).
Enfin, dans une troisième étape, dans les années 1930, on eut recours à la technique de
Télécuriethérapie dont l’avantage était de localiser les rayonnements avec plus de précision.
Reprenons maintenant le cours des évènements en ce qui concerne Puccini. 1 2 3 4 5 6 7 8 9
Le 4 Novembre 1924, Puccini arriva à Bruxelles, venant de Milan. D’après ses biographes, il
descendit à l’hôtel (?), bien qu’il possédât un luxueux pied-à-terre à la rue Royale (Fig 13). Le
Dr Ledoux vint lui rendre visite pour la première fois. Un rendez-vous fut fixé pour le
lendemain à l’Institut du Radium, avenue de la Couronne (Fig 10, 11). A l’époque, l’Institut
était généralement connu sous le nom de « Clinique du Dr Sluys », en raison de la présence
sur place également d’un Radiothérapeute, le Dr Sluys.
459 Fig 10. L’institut du Radium occupait un immeuble de coin avec une partie de la façade donnant sur l’Avenue
de la Couronne au Numéro 1 (à gauche de la figure) et l’autre partie donnant sur la place Blyckaerts. L’institut
comprenait aussi une maison à droite, marquée d’une flèche. Cette dernière permettait aussi l’entrée à l’Institut
proprement dit et elle est la seule partie de l’ensemble qui est restée intacte aujourd’hui. (Repris d’une carte
postale de 1922, issue de la collection de Jean de Loye et de Guy Vandevelde, que nous remercions au passage)
Fig 11. Place Blyckaerts. Aspect actuel. Puccini et son fils vivaient au deuxième étage dans le bâtiment marqué
d’une flèche et correspondant à la Figure précédente. Ce bâtiment est tout ce qui reste aujourd’hui de l’Institut du
Radium. De sa chambre, Puccini pouvait voir facilement la statue ici à l’avant plan consacrée au peintre Wiertz
et qui avait été inaugurée en 1881. Elle avait été réalisée par le sculpteur Jacques Jacquet. (Cliché pers).
Fig 12. L’Institut de la Croix Rouge, place Georges Brugmann. Etat en 2006. A la différence de l’Institut du
Radium de l’Avenue de la Couronne qui a été abattu er reconstruit, l’immeuble de la Croix Rouge a été en
grande partie conservé au niveau de sa façade tout au moins (2013). Il a conservé sa frise « Art Déco » au
sommet de la partie centrale de sa façade. (Cliché pers).
Fig 13. Pied-à terre de Puccini situé dans un bel immeuble de ville, au 296 rue Royale à Bruxelles. Etat en 2006.
A l’Institut du Radium, Puccini s’installa au deuxième étage avec son fils Antonio. Il avait
emmené les derniers feuillets de la partition de Turandot : 36 pages d’esquisses relatives à la
fin du 3ème acte et au duo d’amour final entre Turandot et Calaf. Il se mit à cracher du sang.
Son fils Antonio lavait ses mouchoirs discrètement. Puccini avait maigri mais son cou était
tuméfié en raison de la présence de ses ganglions. Il avait des difficultés à fermer son col de
chemise (Fig 9). Lors de ce rendez-vous, le Dr Ledoux pratiqua un examen au miroir et
460 probablement une seconde biopsie qui dut être examinée par le Dr STOUPEL qui était
l’Anatomo-pathologiste de l’Institut, par ailleurs le grand père du Dr Stoupel, cardiologue
jusqu’il y a peu à l’hôpital Erasme de Bruxelles (Fig 14)
Fig 14. Le Dr Stoupel, Anatomo-pathologiste qui confirma sans doute le cancer du larynx de Puccini (Document
prêté aimablement par son petit-fils, le Prof Stoupel cardiologue. Qu’il en soit remercié)
Fig 15. Bracelet en forme de papillon, un accessoire porté par le rôle titre de Mme Butterfly. Cet opéra fut le
dernier que Puccini fut en état de revoir. Ce fut pendant sa cure à Bruxelles.
• Premier stade du traitement de Puccini par Ledoux
Ledoux décida de commencer le traitement sans tarder. Il procéda en deux temps. Le 7
Novembre 1924, il lui plaça un collier de Radium semblable à celui de la Fig 16. Les tubes de
Radium étaient placés à la surface externe du collier. Cette technique avait un inconvénient :
celui d’une localisation imprécise des rayons et en plus il n’existait pas d’unités de mesure
standardisée, ce qui empêchait toute comparaison des résultats entre les techniques.
Durant la première phase de son traitement qui dura environ deux semaines, Puccini reçu
encore l’autorisation de sortir. Il se rendit discrètement à l’Opéra de la Monnaie pour assister
à son opéra favori « Mme Butterfly » (Fig 15). Ce fut pour la dernière fois de sa vie.
Durant cette période également, il reçut la visite d’un journaliste Italien, Nino Salvaneschi 1,
qui était employé par une revue publiée à Bruxelles, L’Art Belge. Il décrivit ainsi sa visite à la
Clinique : « La dernière fois que je rendis visite à Puccini, ce fut quelques jours avant sa mort.
Lorsque la bonne sœur m’ouvrit la porte de la chambre No 4, une odeur typique me parvint
aux narines, une odeur qui me sembla donner une teinte grisâtre aux paroles mélancoliques du
Maître » (Extrait des Mémoires d’Ixelles, 1986, 23-24, 6ème année).
Plus tard, la Reine Elisabeth de Belgique déclara qu’elle aurait aimé rendre visite à Puccini et
que ce fut uniquement en raison de l’état de santé de Puccini qu’elle s’en abstint.
• Le 24 Novembre 1924, Ledoux passa au second stade du traitement : l’implantation
des aiguilles de Radium dans la tumeur. C’étaient des aiguilles faites d’un alliage de Platine
et d’Iridium afin d’augmenter leur résistance. Chacune d’elles contenait de 2 à 3 mg de
Radium. Dans ses publications, Ledoux décrivait les deux méthodes qu’il utilisait pour leur
461 implantation. La première impliquait une fenestration unilatérale du cartilage thyroïde. La
seconde, une fenestration des deux côtés. Ce fut la seconde qui fut probablement employée
pour Puccini. L’intervention eut lieu sous anesthésie locale car une anesthésie générale aurait
augmenté les risques cardiaques sans parler des problèmes posés par le diabète qui se serait
déséquilibré. Elle dura trois heures et ¾. Une trachéotomie fut pratiquée et une sonde
alimentaire fut pacée. Ledoux implanta 7 aiguilles, ce qui était beaucoup. Le plan était de les
laisser en place pendant 7 jours, autrement dit jusqu’au 30 Novembre.
Fig 16. Collier de Radium semblable à celui utilisé pour Puccini et publié dans la Revue « Le Cancer » en
Septembre 1924. On distingue nettement les les tubes de radium en surface. La dose totale délivrée durant
l’ensemble du traitement par un collier de Radium était équivalente à 500 mg de Radium !
Fig 17. Quelques collaborateurs de l’Institut du Radium de l’avenue de la Couronne où Puccini fut traité : le Dr
SLUYS, dermatologue et radiothérapeute ; le Dr LEDOUX, chirurgien ORL et le Dr STOUPEL collaboraient au
traitement de Puccini. Quant au Dr BAYET, il était dermatologue et radiothérapeute à l’Institut de la Croix
Rouge (voir aussi la fig 12)
Fig 18. Photographie typique de Puccini à l’époque où il était en bonne santé. La présence d’une canne est sans
doute liée aux suites de son accident d’automobile (voir p 454)
• Dans les jours qui suivirent, l’évolution sembla satisfaisante. Les témoins affirmèrent
pourtant que Puccini souffrait atrocement et que, bien qu’alimenté par le nez, il réclamait sans
cesse à boire. N’ayant pas la possibilité de parler, il communiquait par gestes ou en
griffonnant sur un carnet (Figure 3). La direction de La Monnaie s’inquiétant de sa santé, le
Dr Ledoux répondit : « Puccini s’en sortira ». Le troisième jour post opératoire, le 27
Novembre Ledoux était optimiste et il déclara à la belle-fille de Puccini, Fosca, qui était
arrivée à Bruxelles entretemps : « J’ai vu votre père. Il va si bien que à partir d’aujourd’hui,
nous pourrons commencer à l’alimenter par les voies naturelles ».
462 Le 28 Novembre, Fosca écrivit à une amie de son père, la fidèle Sybil Seligman : « Notre
papa adoré est sauvé. Sauvé ! Comprenez-vous ? Bien sûr, il a énormément souffert, mais à
partir de maintenant, cette partie terrible du traitement est terminée et il va simplement avoir
à accepter l’ennui de la convalescence. Il ne souffre plus physiquement et beaucoup moins
moralement. Ce sont ses nerfs qui ont été ébranlés – nous assurent les médecins – par le
Radium qui fait son effet. Sa gorge n’est plus enflée : le radium a détruit les tumeurs. Je pense
que dimanche ou lundi ils retireront ces aiguilles et cette semaine cauchemardesque sera
terminée. Il est vrai qu’il n’est plus que l’ombre de lui-même, mais les docteurs assurent qu’il
retrouvera bientôt son état normal : il a une forte constitution, son cœur est tout à fait solide
et son diabète n’a suscité aucune inquiétude. Mais comme il est pénible de le voir avec ce
trou dans la gorge et nourri par le nez à l’aide d’une seringue… ».
Fig 19. A gauche, exemple d’implantation de 6 aiguilles de Radium dans une tumeur de la région antérieure des
deux cordes vocales, à travers une fenêtre du cartilage thyroïde. Ledoux publia cette méthode en 1929. Ce fut la
technique qui fut probablement utilisée pour Puccini (7 aiguilles furent implantées dans son cas).
A droite, à titre de comparaison, fenestration unilatérale du cartilage thyroïde pour une tumeur unilatérale avec
trois aiguilles.
• Ce billet écrit dans l’après-midi du 28 Novembre n’eut hélas pas le temps d’être
envoyé. Le même jour, à 18 heures, Puccini perdit subitement conscience alors qu’il était
assis dans son fauteuil, sans doute en raison d’un collapsus circulatoire.
Que fallait-il faire ? A cette époque, l’Electrocardiographie était encore une technique
assez récente (1912). PARDEE avait décrit l’onde typique de l’obstruction aigüe des
coronaires 4 ans avant l’incident de Puccini (1920). Certains traitements n’existaient pas
encore. La Noradrénaline qui avait été découverte en 1904, ne fut toutefois utilisée pour
combattre le choc qu’à partir de 1955. Le Camphre n’existait pas sous sa forme soluble ; le
Solucamphre ou camphosulfonate de Na n’apparut qu’en 1927. Bien entendu, l’huile de
camphre existait depuis 1904, mais son injection était douloureuse et provoquait l’apparition
de nodules sous-cutanés au point d’injection. L’Héparine manquait aussi à l’appel ; elle avait
463 été découverte en 1916 mais son usage clinique ne débuta qu’à partir de 1938. L’Insuline qui
aurait été utile en cas de coma diabétique, ne devint disponible qu’en 1926.
Toutefois, éclaircie dans ce sombre tableau, d’autres traitements avaient cours, pour autant
qu’un diagnostic précis eût été posé. Ledoux pouvait disposer de Morphine (1840), de
Digitaline (1869), de Trinitroglycérine (1879), vasodilatateur malgré ses capacités
explosives, de Caféine (1900) ou d’Ouabaïne (1915).
Que fit Ledoux ? Il vint d’urgence. Il enleva immédiatement les aiguilles de Radium et fit une
injection dont j’ignore la nature exacte mais qui devait sans doute figurer dans la liste que
nous venons de passer en revue. Et Puccini reprit conscience. Mais Ledoux fut tellement
perturbé par l’incident, que l’on raconte qu’en rentrant chez lui en voiture, il heurta et
provoqua la mort d’une infortunée passante (Fig 2)
Fig 20. Extrait du journal Le Soir daté du 29 Novembre 1924 signalant l’accident mais sans nommer le nom de
l’automobiliste responsable. Plusieurs autres journaux reportèrent l’accident dans leurs « Nouvelles brèves » (La
Libre Belgique, La Dernière Heure), mais il semble bien y avoir un désaccord concernant sa date. Ces deux
derniers journaux parlent du Jeudi matin 27 Novembre. Les biographes de Puccini parlent du Vendredi soir 28
Novembre, d’autres du Samedi matin, 29 Novembre, date du décès de Puccini. En tout cas, le lieu de l’accident,
à savoir la rue du Trône, se trouvait à proximité de l’avenue de la Couronne, où était situé l’Institut du Radium ;
la victime était bien une femme ; le conducteur anonyme du véhicule, un homme, aida la piétonne blessée et la
conduisit personnellement à l’hôpital (l’Institut du Radium ?). Tout cela fait penser au Dr Ledoux. Mais le doute
subsiste néanmoins dans cette affaire, le nom de l’automobiliste ne figurant pas dans l’article (convention de
discrétion journalistique ?)
Fig 21. Funérailles de Puccini le 1er Décembre 1924. Le cortège funèbre se rendit à l’Eglise Royale Ste Marie.
La foule était dense. La police de Schaerbeek fut submergée et fut sévèrement blâmée dans les journaux :
« L’ambassadeur d’Italie et Mme Puccini elle-même eurent de grandes difficultés à entrer dans l’église » (La
Libre Belgique du 2 Décembre 1924). Par pure coïncidence, ce cliché fut pris à peu près à hauteur du pied-à-terre
de Puccini situé sur le côté gauche de la rue Royale
Venons-en à l’épilogue malheureux de cette histoire.
Le Samedi matin, 29 Novembre 1924, à 4 Hrs 30 du matin, pour les uns, à 11 Hrs du matin
pour d’autres, Puccini décéda à l’Institut du Radium, avenue de la Couronne. J’ignore si l’on
464 pratiqua une autopsie. Sur le dessin publié par la Libre Belgique, on voit que le col de la
chemise du compositeur est noué haut sous le menton sans doute pour dissimuler l’orifice de
trachéotomie du compositeur qui fit chanter tant de belles voix et mourut lui-même aphone
(Fig 1b)
Les premières funérailles eurent lieu à Bruxelles le 1er Décembre 1924. Dans la rue Royale
Ste Marie, qui occupait un quartier où abondaient les classes laborieuses Italiennes, une
population nombreuse se rassembla (Fig 21). Les obsèques furent célébrées par le Nonce
apostolique.
Le cercueil fut ensuite transporté par chemin de fer à Milan où le 3 Décembre eut lieu une
cérémonie officielle. Le gouvernement de MUSSOLINI ordonna un deuil national.
N’oublions pas que Puccini était sénateur Fasciste ! Sans doute pour éviter toute récupération
Fasciste, Toscanini proposa que Puccini soit provisoirement enterré dans le caveau de sa
propre famille ! Pour le deuxième anniversaire de sa disparition, en 1926, on transporta la
dépouille de Puccini à Torre del Lago où son fils Antonio avait entretemps fait construire un
mausolée face à la maison du bord du lac. MASCAGNI, vieux compagnon (auteur de
Cavaleria Rusticana), prononça un discours. Le 25 Avril 1926, la Scala de Milan donna la
première représentation de TURANDOT (Figure 1). Or, la date coïncidait avec celle d’une
grande fête Fasciste qui se déroulait à Milan et à laquelle Mussolini participait. La Direction
de la Scala l’invita. Mussolini y mit une condition: que Toscanini dirigeât l’Hymne Fasciste
en début de représentation. Toscanini refusa et Mussolini ne vint pas. Par ailleurs, Toscanini
interrompit l’exécution de Turandot là où Puccini l’avait laissé inachevé. Il posa sa baguette
en disant « Je termine l’exécution de l’opéra laissé incomplet par le Maestro parce qu’arrivé
à ce moment de son œuvre, le maître est mort ».
Fig 22. Plaque commémorative située au N° 1 de l’avenue de la Couronne à Ixelles sur la façade de l’immeuble
qui a remplacé le bâtiment principal de l’Institut du Radium. C’est l’œuvre du sculpteur Belge Eugène De
Bremacker. La plaque fut inaugurée le 17 Décembre 1937 par Antonio, le fils de Puccini qui avait accompagné
son père à l’Institut.
Souvenirs de Puccini à Ixelles et à Schaerbeek
Aujourd’hui à Ixelles, on peut voir en plus d’une plaque commémorative au N° 1 de l’avenue
de la Couronne (Fig 22), une représentation de la tête de Puccini (Fig 23) dans une galerie du
premier étage de la Maison communale d’Ixelles, l’ancien hôtel particulier de la cantatrice la
MALIBRAN et de son époux le violoniste Belge de BÉRIOT, fondateur de l’école Belge de
violon.
465 Enfin, les visiteurs de l’église Royale Ste Marie à Schaerbeek peuvent voir une plaque en
terre cuite émaillée sur laquelle figure à droite Puccini en tenue de soirée sur une scène
d’opéra ; l’église est représentée à gauche et le musicologue Belge FÉTIS est assis au piano
au centre (Figure 24)
.
Fig 23. Les années ont passé. A l’occasion du 70ème anniversaire de la mort du compositeur, en 1994, sa petitefille, Simonetta Puccini, vint inaugurer le portrait sculpté de son grand-père dans le hall de la maison communale
d’Ixelles , l’une des 19 communes de Bruxelles-capitale
Fig 24. Terre cuite émaillée réalisée par Max Van der Linden à la demande des Amis de l’église Royale Ste
Marie en 1996, à l’occasion de sa réouverture après l’incendie de 1985. Elle évoque quelques évènements
marquants de l’histoire de l’église, notamment un concert donné par Fétis, le musicologue Belge (au piano au
centre) ainsi que les funérailles de Puccini, représenté sur une scène, à droite
Evolution de la technique de Ledoux 16
Quatre ans après la mort de Puccini en 1928, FINZI et HARMER de Londres améliorèrent la
technique de Ledoux en plaçant les aiguilles de Radium en forme de palissade, c’est-à-dire en
parallèle et non plus perpendiculairement au périchondre interne des ailes thyroïdiennes. Cette
technique permettait d’éviter de ponctionner le périchondre interne en vue de pénétrer dans la
masse tumorale. Elle permettait aussi d’éviter le risque de pénétrer à l’aveugle dans la lumière
de la cavité laryngée après avoir traversé accidentellement la tumeur. Cela permettait ainsi
d’éviter la formation d’une fistule entre la lumière laryngée et la peau du cou. LEDOUX
reconnut honnêtement la supériorité de cette modification et abandonna sa propre technique.
En conclusion, tenant compte des ressources thérapeutiques disponibles en 1924 et
du temps perdu avant l’établissement du diagnostic, le cas de Puccini était quasi désespéré.
L’opinion flatteuse de Gradenigo 14 à propos de Ledoux 10 11 12 13 amena le choix du Belge de
préférence à un médecin Berlinois pour soigner un V.I.P et un fumeur invétéré comme
Puccini. Hélas, ce traitement qui était révolutionnaire au moment où il fut conçu, devint
obsolète quatre ans après de l’aveu même de Ledoux, à partir de l’amélioration introduite par
Finzi et Harmer 16 en 1928 sur le plan du risque de fistulisation. De toute façon, en 1924,
Ledoux représentait le seul espoir pour Puccini. En dépit de son sentiment de culpabilité,
466 Ledoux ne devait pas être tenu pour responsable de la mort de son patient. Même si le décès
d’une malheureuse passante aurait pu lui rester sur la conscience…
Fig 25. Caricature de Puccini par CARUSO
Fig 26. Elsa Triollet et Louis Aragon
♦ A propos de la découverte du RADIUM, je voudrais rappeler ces vers du poète
Louis Aragon extraits de son poème « Les yeux d’Elsa » (1942). On y trouve un alexandrin
qui rappelle les travaux de Pierre et Marie Curie sur le Radium
… J'ai retiré ce radium de la pechblende
Et j'ai brûlé mes doigts à ce feu défendu
Ô paradis cent fois retrouvé reperdu
Tes yeux sont mon Pérou, ma Golconde*, mes Indes…
*Golconde, ancienne cité (XVIIème siècle) du Nord Ouest de l’Inde (Dekkan), célèbre pour ses diamants.
REMERCIEMENTS
Je souhaite exprimer mes remerciement particulièrement à Mr Philippe BOVY, bibliothécaire du Département
de la Culture de la commune d’Ixelles pour son aide constante et sans prix. Il m’a également mis en contact avec
Mrs Jean de Moye et Guy Vandevelde qui m’ont aimablement prêté leurs cartes postales anciennes.
Mes remerciements vont aussi aux Professeurs STOUPEL et RENARD de l’Hôpital Erasme (ULB) qui ont
manifesté leur intérêt pour cette mise au point.
467 REFERENCES
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Piémont. Schott Frères, Bruxelles : 1937.
Seligman V, Ed. Puccini among friends. Macmillan, London: 1938.*
*V. Seligman est le fils de Sybil Seliman.
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Hainaut M. Puccini à Ixelles. Mémoires d’Ixelles. 1986 :23-24.
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468 469 470 471 472 473 474 475 476 477 478 479 480 467 VIII. 3. Jean SIBELIUS
(Hämeenlinna, Finlande 1865 – Järvenpää, Finlande 1957)
UNE TUMEUR DE LA GORGE QUI FINIT BIEN
Fig 1. Romantique puissant et inspiré, Jean Sibelius était un alcoolo-tabagique notoire mais il sut vivre âgé
comme les arbres de son pays, la Finlande (1865-1957).
• Un mal de gorge et des ennuis financiers (1907-1908)
En 1907, durant un séjour à St Petersburg, Sibelius fut fortement incommodé par une violente
douleur à la gorge qui l'avait déjà fait souffrir plus tôt dans l'année, lors d'une tournée en
Finlande. "J'ai badigeonné (la gorge) deux fois hier, et une fois aujourd'hui. J'ai réussi
aujourd'hui à parler sans difficulté. Ma voix est redevenue ce qu'elle était, c'est sûrement dû
au traitement. J'avoue qu'en ce moment je suis en train de fumer un cigare - et un bon! C'est
le premier depuis très longtemps, tournée à Turku (port méridional de Finlande) comprise - et
j'attendrai longtemps avant d'en prendre un autre" (extrait d’une lettre à Aino, son épouse,
Novembre 1907). Quelques mois plus tard, on découvrait qu'il s'agissait d'une tumeur…
468 Le 10 Mai 1908, le baron Carpelan (mécène et ami de Sibelius) reçut de ce dernier une
mauvaise nouvelle: "J'ai beaucoup enduré. Demain je me fera opérer de la gorge". Il s'agissait
de la tumeur apparue l'année précédente. L'opération fut pratiquée le 12 Mai 1908 à Helsinki,
et la tumeur fut partiellement enlevée. Après l'examen de l'échantillon, les médecins
conseillèrent d'aller consulter un célèbre spécialiste Berlinois, le Professeur FRÄNKEL. Le
21 Mai, le Dr Christian Sibelius, frère de Jean, écrivit à un collègue allemand: "Mon frère
Jean Sibelius a une tumeur au larynx*. Une partie de cette tumeur a été enlevée par un
collègue d'ici. Autant que nous puissions en juger, elle ne semble pas maligne, mais il existe
indéniablement une forte possibilité de récidive."
*Un papillome corné de l’adulte nous paraît le plus probable. Signalons à ce propos une belle histoire que m’a
racontée Denis Hennebert. Une patiente qui avait été opérée d’un papillome par un Confrère, avait compris
« papillon » et quelque temps plus tard elle lui avait déclaré avoir été opérée d’une « libellule ». Poétique et
apparemment véridique…
Malheureusement, Sibelius n'avait pas assez d'argent pour le voyage. De Londres, il avait
demandé à Aino d'essayer de s'en procurer avec comme garantie, sa pension d'Etat. "Svanevit"
(« Le Cygne blanc », réalisé en 1908) n'était que la huitième œuvre qu’il avait livrée à Lienau,
son éditeur de musique allemand avec qui il avait un contrat annuel de 8000 DM pour un
certain nombre d’œuvres à fournir. Comme il aurait dû alors en être à la douzième, son
allocation annuelle de 8000 marks ne lui avait pas été versée !
Jean et Aino en furent réduits à faire la tournée des banques d'HELSINKI, Aino restant dehors
tandis que Jean négociait à l'intérieur : sans succès car beaucoup de ses interlocuteurs, ayant
entendu parler de sa maladie, considéraient Sibelius comme perdu. Finalement, "le directeur
d'une compagnie d'assurances vida sans dire un mot la recette de la journée dans sa poche"
(Biographie de Sibelius par Erik Tawaststjerna, d'après une communication orale d'Aino).
Et Sibelius partit pour BERLIN.
Fig 2. Aino Sibelius en 1891, à l’âge de 20 ans. Elle a dit de son mari : « Je suis heureuse d’avoir pu vivre à ses
côtés. J'estime que je n'ai pas vécu pour rien. Je ne dis pas qu'il a toujours été facile – j’ai dû réprimer mes
propres souhaits au profit des siens - mais je fus très heureuse. Je bénis mon destin et je le vois comme un
cadeau du ciel. Pour moi la musique de mon mari est la parole de Dieu - sa source est noble- et il est
merveilleux de vivre auprès d'une telle source. » (Aino Sibelius)
469 Fig 3. Papillome du larynx représenté dans un ouvrage d’ORL de 1908, date à laquelle Sibelius fut opéré.
L’existence de douleurs de gorge, l’issue favorable de la maladie, le degré modéré de raucité plaident pour une
tumeur bénigne du larynx située au niveau de la margelle laryngée, épiglotte éventuellement comprise. Compte
tenu des récidives apparemment rapides et de la grande fréquence du papillome parmi les tumeurs bénignes du
larynx (Un polype est une pseudo tumeur d’origine inflammatoire et n’entre pas en compte ici), il est plausible
de penser à un papillome laryngé de l’adulte chez Sibelius. Toutefois nous n’en avons pas pu en obtenir la
preuve.
Fig 4. Jean Sibelius en 1891, à l’âge de 26 ans.
• L’Hôpital de « La Charité » à Berlin.
Bernard FRÄNKEL pratiquait à l’Hôpital de la Charité à Berlin. Cet hôpital prestigieux avait
été fondé en 1710 et il formait notamment les futurs médecins militaires Prussiens. La
langue Française avait au début du 18e siècle une influence très forte à Berlin, compte tenu
de l’importance du contingent de Huguenots français ayant fui la France après la révocation
de l'Edit de Nantes. Ils représentaient presque un quart de la population ! De plus, le Français
était la langue officielle parlée à la cour. Le roi Frédéric-Guillaume Ier donna dans ce
contexte un nom français à l'hôpital Berlinois qui devint « la Charité ». En 1810, lorsque la
faculté de médecine fut fondée dans la ville, l'institution se transforma en hôpital
Universitaire. Un des premiers services ORL autonomes y fut créé à partir de 1893. Il fut
dirigé conjointement par TRAUTMANN pour l’Otologie (cf. le triangle de Trautmann en
chirurgie de la mastoïde), et FRÄNKEL pour le cou, le larynx et le nez. A partir de 1901, un
nouveau bâtiment fut créé. En 1911, Gustave KILLIAN prit la succession de Fränkel, décédé.
Fig 4. Sibelius vers 1908, époque à laquelle il fut opéré
Fig 5. Bernard Fränkel, le chirurgien ORL de Sibelius
Fig 6. L’Hôpital de la Charité à Berlin aujourd’hui ; fragment de la façade en briques rouges reconstruite après
sa destruction en 1945.
• Les multiples interventions de 1908.
Sibelius arrive à Berlin fin Mai 1908 et après avoir consulté FRÄNKEL, écrit à son frère
Christian, le 26: "Il a examiné ma gorge et l'échantillon [prélevé lors de l’opération
d’Helsinki, le 12 Mai 1908, voir plus haut]. Il n'a pratiquement rien dit, sinon que la tumeur
était toujours là, mais étant donné l'enflure de la gorge, il fallait attendre un peu. Je dois y
470 retourner demain matin. Il m'a demandé si j'avais écrit un opéra".
Puis, le 1 Juin: "Il a encore reporté toute décision jusqu'à mercredi. Il a dit Er is bedeutend
besser wieder ; ich will warten - es kann zurückgehen abar auch nicht (C'est nettement
mieux, je vais attendre - cela peut récidiver ou pas). En ce qui concerne ma voix, il a annoncé
que cela ira mieux. Chaque fois (cinq fois en tout), il a examiné ma gorge à fond, et la
dernière fois, a parlé d'une opération. Il fait effroyablement chaud ici et nous avons la
nostalgie de la maison. Fränkel m'a interdit l'alcool pour le restant de mes jours. "Alcohol
schadet" (L'alcool fait du tort). Quant au tabac, il n'est pas contre "un tout petit peu", mais
apparemment je devrai y renoncer aussi. Il y a un mois que je n'ai touché à rien. Sans ces
stimulants, la vie n'est plus la même. Jamais je n'aurais imaginé qu'une telle chose puisse
m'arriver. "
Fig 7. En 1908, l’année au cours de laquelle Sibelius consultait à Berlin, un précis de pathologie chirurgicale
ORL paraissait en France montrant les deux techniques de laryngoscopie directe qui étaient préconisées (Fig de
gauche et de droite) 3 Au centre, photo de Gustav KILLIAN, futur successeur de Fränkel, pratiquant une
bronchoscopie vers 1900, à Fribourg en Brisgau.
Le 10 Juin 1908, Sibelius écrit à son ami et mécène, le baron Axel Carpelan, dédicataire de sa
deuxième Symphonie: « Ce n'est pas un cancer, come les médecins chez nous l'ont cru ! Ils
m'ont envoyé chez le principal spécialiste Européen, le Geheimrath (conseiller privé)
FRÄNKEL à Berlin. J'ai été le voir neuf fois, mais il n'a pas encore réussi à aller au fond du
problème.... Je suppose qu'il faut bien mourir de quelque chose. Il serait étrange, ce qui
pourtant est probable, que tu me survives. Aino est ici avec moi. Je suis de bonne humeur et je
travaille ».
A Ekman, son biographe, Sibelius devait déclarer :"J'ai dû subir sans le moindre résultat 13
opérations à la gorge. Finalement, le vieil homme (FRÄNKEL) a renoncé et il a confié
l'opération à son assistant, un jeune homme aux traits anguleux et au regard d'acier, la
compétence et l'énergie personnifiées. Il a plongé son instrument dans ma gorge et il a trouvé
l'endroit incriminé. Un coup sec, un cri de triomphe Jetz hab' ich's (ça y est, je l'ai!) - et il a
retiré l'instrument. J'étais délivré de ma torture"
Durant plusieurs semaines après l’opération, Sibelius fut incapable de parler, de plus, la
possibilité d’une récidive de la tumeur n’avait pas été exclue par les médecins.
Dans une lettre du 12 juin 1908 à Eliel Aspelin-Haapkÿlâ (un homme de lettres), Adolf Paul,
écrivain suédois et ami de Jean Sibelius, manifesta son inquiétude : "Gallén (un peintre) est
arrivé de Budapest chargé d'or et couvert de lauriers. Le même jour Sibelius est arrivé venant
du Nord, malade et la mine sombre. Il avait quelque chose à la gorge, il parlait de cancer, et
sa voix était toute rauque. Signe à mon avis particulièrement préoccupant: lui qui s’attend
471 toujours au pire, et à qui la moindre maladie a toujours fait perdre la raison, considère
maintenant la chose avec calme et dignité. C’est donc sérieux."
• Dernière alerte en 1909.
En 1909, Sibelius fit un séjour à Paris du 30 Mars au 6 Avril. De violentes douleurs à la gorge
le poussèrent à regagner précipitamment Berlin le 6 Avril. Il consulta de nouveau le docteur
FRÄNKEL qui le rassura « Alles ist sehr schön in Ordnung. Sie haben auch gar nichts
Gefährliches gehabt (Tout est parfaitement en ordre .Vous n‘avez rien eu de dangereux) m’at-il dit. J’ai devant moi de nombreuses années de travail » (Lettre à Aino, le 9 Avril 1909).
Dans les années qui suivirent, Sibelius vécut donc avec la crainte d'une récidive, voire d'une
mort prochaine, ce qui le fit redoubler d'activité. Surtout, durant 7 ans, jusqu'en 1915, il ne
toucha plus ni au tabac, ni à l'alcool. Or l'absence de ces "stimulants", ne l'empêcha pas de
composer plusieurs de ses plus grandes œuvres. Il mourut à l’âge respectable de 92 ans.
• Ne pouvait-il s’agir d’un Polype ?
La réponse est positive, mais uniquement dans le cadre nosologique de l’époque en raison du
fait que des ouvrages comme celui de Lannois 3 mentionnaient les « polypes » comme un
type particulier de tumeur bénigne du larynx comprenant en leur sein les papillomes ! Mais si
nous considérons que Sibelius fut atteint d’une tumeur bénigne du larynx, dans la nosologie
actuelle, il ne peut s’agir d’un polype et statistiquement le papillome corné de l’adulte est le
plus probable.
Fig 8. Première édition d’une version réduite du poème symphonique « Finlandia » , composé en 1899-1900.
Fig 9. Sibelius à gauche, avec sa sœur et son frère Christian interprétant un concert de musique de chambre au
tout début des années 1890
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2. Tawaststjerna E, Ed. trad Layton R. Sibelius. Faber and Faber, London: 1976.
3. Lannois M, Ed. Précis des maladies de l’oreille, du nez, du pharynx et du larynx. Doin, Paris: 1908.
472 VIII. 4. Dinu LIPATTI
(Bucarest 1917 – Genève 1950)
LA MALADIE DE HODGKIN et
LA QUATORZIEME VALSE
Fig 1. Image en miroir de deux profils de Dinu Lipatti à quelques années d’intervalle. A gauche, la maladie de
Hodgkin ne s’est pas encore manifestée. A droite, l’influence de la cortisone semble évidente. La photo a été
prise durant le dernier récital de Lipatti à Besançon alors qu’il était en phase terminale de sa maladie. Il dut alors
écourter son programme et il remplaça la 14ème valse de CHOPIN qui était prévue en finale, par « Jésus, que ma
joie demeure » de BACH.
Dinu Lipatti est surtout connu comme pianiste mais il fut aussi compositeur (Trois Danses
Roumaines pour deux pianos, une Symphonie concertante pour deux pianos et orchestre à
cordes…). C’est la raison pour laquelle il a été repris dans ce Rapport qui, rappelons le, a
éliminé par convention les interprètes exclusifs. Par ailleurs, nous avons cru bon d’inclure la
maladie de Hodgkin dans notre liste de pathologies ORL, car nous voyons des malades
présentant des ganglions cervicaux et nous savons que la maladie de Hodgkin se manifeste
très souvent au début par de tels ganglions. Tous les cas ne sont pas hélas des mononucléoses.
La découverte de la maladie de HODGKIN et l’acquisition laborieuse de son
autonomie aux dépens de la TUBERCULOSE. 1 2 3 4
473 N’oublions jamais qu’il fallait une certaine persévérance au XIXème siècle pour isoler de la
Tuberculose une maladie qui, comme elle, se manifestait par des adénopathies cervicales, des
poussées de température, une atteinte pulmonaire assez fréquente et au bout du compte, la
mort. Cet exploit fut réalisé par un clinicien Anglais, adepte de la méthode anatomo-clinique :
Thomas HODGKIN (Fig 2). Mais longtemps encore après qu’il eut disparu, les anatomopathologistes eurent fort à faire pour identifier la cellule type qui signait le diagnostic de la
maladie.
Certains auteurs attribuent même la découverte de l’affection à MALPIGHI parce que, en
1661, lors d’une autopsie, il décrivit l’association de ganglions hypertrophiés et de lésions
nodulaires ayant la forme d’une grappe de raisin, au niveau de la rate !
Puis vint Thomas HODGKIN, le clinicien Anglais, (1798-1866). C’était un caractère noble,
partisan d’une médecine sociale, opposé à l’esclavagisme, ce qui lui valut entre autres
l’inimitié de ses collègues du Guy’s Hospital de Londres où il pratiquait. Finalement il remit,
écœuré, sa démission. Il abandonna la médecine, accomplit des œuvres philanthropiques
diverses loin de son pays et mourut en terre lointaine, à Jaffa en Palestine (aujourd’hui
incorporée à Tel Aviv en Israël). En 1832, Hodgkin avait décrit 7 patients ayant en commun
une hypertrophie des ganglions et de la rate, atteints d’une cachexie mortelle, dans un article
intitulé Sur certains aspects pathologiques des ganglions lymphatiques et de la rate : « On
some morbid appearances of the absorbent glands and spleen. Medico-Chirurgical
Transactions, London, 1832; 17: 68-114 » (Fig 3) 4. Une quarantaine d’années plus tard (1878), Samuel WILKS proposa dans une publication de
donner le nom de HODGKIN à cette maladie : « An account of some unpublished papers of
the late Dr. Hodgkin by Samuel Wilks. Guy’s Hospital Reports, London, 1878; XXIII ». En
1865 en effet, le Dr Wilks redécouvrit et décrivit avec plus de précisions encore la maladie
isolée par Hodgkin, mais par déférence pour son prédécesseur, il proposa de laisser le nom de
Hodgkin à l’affection. Un bel exemple de probité scientifique.
474 Fig 2. Thomas Hodgkin, clinicien britannique (1798-1866). Portrait appartenant au Gordon Museum du Guy’s
Hospital, London, où travailla Hodgkin, où il introduisit l’usage du stéthoscope de LAENNEC et où il pratiqua
des centaines d’autopsies
Fig 3. Frontispice de l’article princeps de Hodgkin décrivant en 1832 la maladie qui finit par porter son nom.
• Le diagnostic histologique de la maladie 5 6 7 repose sur l’existence de cellules
géantes, dites cellules de Paltauf - Sternberg dans la littérature francophone. Elles présentent
un cytoplasme abondant et un noyau multilobé, parfois plusieurs noyaux. Mais pour ne rien
arranger, il faut savoir que les lésions tuberculeuses présentent aussi « leur » cellule géante, la
cellule dite de Langhans qui est en fait une fausse cellule, étant en réalité un amas de noyaux
disposés en palissade autour d’un centre cytoplasmique géant.
Carl von STERNBERG (1872-1935) 6 était un anatomo-pathologiste Autrichien qui
pratiquait à Vienne. Avec son Professeur Richard PALTAUF (1858-1924), il aurait démontré
en 1898 la spécificité histologique de la maladie de Hodgkin. Mais des auteurs comme Ole
Daniel Enersen contestent ce fait en déclarant que la publication de Paltauf et Sternberg
comportait des patients porteurs des deux maladies à la fois : une tuberculose active et un
Hodgkin !
Du reste, apparemment Hodgkin, le clinicien, n’avait pas réussi non plus à faire la différence
entre Tuberculose et Hodgkin authentique car sa publication mélangeait aussi les deux
maladies ! En 1926, sur 7 coupes de Hodgkin conservées au Guy’s Hospital de Londres, 3 cas
seulement furent confirmés comme d’authentiques maladies de Hodgkin...
Pour ne rien simplifier non plus, il faut sans doute rendre justice à l’anatomopathologiste
Anglais William Smith Greenfield (1846-1915) 5 car il avait décrit probablement le premier ce
type de cellule dite « de Sternberg », dès 1878, soit 20 ans plus tôt !
Enfin en 1902, aux Etats-Unis, Dorothy REED 7 confirma l’existence de ces cellules géantes
(Fig 4). C’est la raison pour laquelle, dans la littérature de langue anglaise en tout cas, son
nom est associé à celui de Sternberg sous le nom de « cellule de Reed-Sternberg »
Pour conclure, une chose est certaine : le mérite de Hodgkin qui, le premier, attira l’attention
des Cliniciens sur une maladie spécifique présentant une poly adénopathie chronique
conduisant à la mort et d’origine non tuberculeuse! Or, ce fut bien le cas de LIPATTI.
• Cliniquement 3, ce sont les ganglions cervicaux qui sont les premiers atteints.
C’est la raison pour laquelle l’ORL doit s’intéresser particulièrement à la maladie. Il s’agit
d’une hypertrophie indolore. Ensuite et dans l’ordre, ce sont les ganglions axillaires et
inguinaux qui sont entrepris. Ils sont de consistance ferme ou élastique.
Généralement ils sont indolores à moins que leur tuméfaction se soit produite rapidement.
Moins souvent, mais ce n’est pas rare, l’affection débute par une atteinte des ganglions
médiastinaux ou rétro-péritonéaux: il existe alors une douleur sous-sternale, abdominale, une
dyspnée.
Dans un cas de maladie de Hodgkin sur deux, les poumons sont envahis. Il peut s’agir de
lésions nodulaires qui parfois évoluent en formant des cavités, avec épanchement pleural
associé. Chez LIPATTI, on pensa du reste d’abord à une Tuberculose. La localisation
pulmonaire de la maladie associe une dyspnée, de la douleur, une cyanose, de la toux, et
parfois aussi de la dysphagie.
475 Il peut arriver que dans le Hodgkin, les amygdales soient envahies. Personnellement nous
nous souvenons d’avoir détecté un Hodgkin par biopsie d’une lésion qui s’était d’abord
manifesté de manière isolée sous l’aspect d’une masse au niveau du cavum.
Fig 4. Dessin réalisé et signé en 1902 par l’Anatomo-Pathologiste Américaine Dorothy M. REED (1874-1964) 7
qui confirma l’existence dans la maladie de Hodgkin de cellules géantes, représentées ici. Dans la littérature de
langue anglaise, ces cellules sont nommées « cellules de Reed-Sternberg » pour cette raison.
Fig 5. Aquarelle du Dr Carswell représentant le cas N° 7 de la publication de Hodgkin (1838)
La maladie de DINU LIPATTI
8 9 10 11
La maladie qui devait emporter Lipatti fut à l’époque prise d’abord pour une Tuberculose.
L’histoire se répétait… Elle se manifesta pour la première fois en 1943, sous forme d’une
fièvre persistante, alors qu’il était en tournée en Suisse avec son épouse, également pianiste.
On considéra à l’époque que, s’agissant d’une Tuberculose, sa présence dans le pays était une
bonne chose. Il se fixa effectivement en Suisse. Le véritable diagnostic ne fut posé qu’en
1947. Quatre ans étaient perdus. A partir de la date d’apparition des premiers symptômes, la
maladie lui laissa sept années d’une vie pénible, entrecoupée de phases de repos, mais pour
une maladie de Hodgkin à cette époque, cette durée de vie était dans une « bonne » moyenne.
Il reçut divers traitements qui étaient à l’époque la RX thérapie et de la Moutarde Azotée.
Ce traitement entraina un œdème important du bras gauche, à un point tel qu’il fallut lui
confectionner une manche gauche adaptée au calibre de son bras ! Lipatti plaisantait à ce
propos en disant que, nanti d’un bras tellement puissant, du côté gauche du clavier, là où se
trouvent les notes graves, il pourrait produire maintenant des sonorités tellement formidables
dans les basses, que même Mme Musicescu (son ancien professeur de piano, qui à vrai dire
portait un nom prédestiné) aurait été satisfaite.
Durant l’Automne 1949, l’entourage de Lipatti entendit parler des « miracles » réalisés par la
Cortisone aux Etats-Unis. Les médecins Suisses de Lipatti furent consultés et ils marquèrent
leur accord pour ce traitement. Grâce à des admirateurs, on se procura la forme la plus pure du
médicament, mais ce fut à grands frais. Lipatti les remercia en disant : Rien que d’y penser, je
me sens déjà merveilleusement bien. On en profita pour l’enregistrer au piano. Columbia
476 envoya du matériel d’enregistrement à Genève. Cette amélioration de son état général ne fut
malheureusement que de courte durée.
Selon ses dires, il ne disposait que d’un seul poumon qu’il appelait son poumon d’existence.
Ce fut en ambulance qu’il dut se rendre à son dernier concert, le 16 Septembre 1950 au
Festival de Besançon, concert qu’il dut écourter à la fin. Il avait déjà joué 13 des 14 valses de
Chopin qu’il avait programmées. Il se retira un moment de la scène puis il revint, et il conclut
son récital en remplaçant la valse n° 14 de Chopin 11 par une œuvre plus courte, la version
pour piano de « Jésus, que ma joie demeure » de J –S. Bach. Ce concert fut heureusement
enregistré.
Fig 6. Dinu Lipatti
Fig 7. Dinu Lipatti et sa compatriote Roumaine et amie, la pianiste Clara HASKIL. Bien après la mort de Lipatti,
cette dernière, en visite en Belgique en 1960 pour enregistrer avec Arthur Grumiaux, fit une chute fatale dans les
escaliers de la Gare du Midi, à son arrivée à Bruxelles. Elle fut victime d’un hématome cérébral et ne put être
opérée utilement, ayant perdu hélas du temps durant les transferts entre divers hôpitaux et cliniques de la ville…
Lipatti décéda en Décembre de la même année, non de sa maladie de Hodgkin à proprement
parler, mais d’un abcès fulgurant qui se déclara dans son seul poumon restant, à l’insu de son
médecin. Les antibiotiques existaient pourtant à l’époque mais auraient-ils eu le temps
d’agir ?
Quel était le traitement de la maladie de Hodgkin en 1950, à l’époque de LIPATTI ? 3
• Le traitement par les RX était le traitement de choix de la maladie de Hodgkin.
Des rémissions obtenues par ce traitement étaient prouvées et leur durée variait de quelques
semaines à quelques mois, atteignant parfois quelques années. Notons que dans les années
1930, ce traitement était aussi préconisé pour les ganglions cervicaux d’origine tuberculeuse,
477 et il donnait aussi de très bons résultats. Iselin publiait 133 guérisons et 59 améliorations sur
un total de 198 adénites tuberculeuses fistuleuses ou non…
Fig 8. 3 Atteinte du médiastin et du poumon droit par une maladie de Hodgkin chez une femme de 20 ans. La
lésion pulmonaire avait d’abord répondu favorablement à la RX thérapie mais elle devint réfractaire par la suite,
avec toux, dyspnée et température. Une nette amélioration apparut après le traitement à la moutarde azotée
(image de droite).
Fig 9. 3 Réponse de la température, chez un patient atteint de Hodgkin, à l’administration de Moutarde Azotée à
la dose de 0,1 mg par Kg de poids, durant 4 jours consécutifs (flèches du bas)
• La moutarde à l’azote était un traitement adjuvant à l’irradiation RX. Une
cure comportait 0, 4 mg par kg de poids administrée journellement par voie intraveineuse par
fractions de 2 à 4 doses pendant quelques jours successifs. La quantité totale administrée en
une cure ne devait pas dépasser 40 mg. Le médicament était injecté rapidement dans la
tubulure d’un liquide de perfusion saline ou glucosée. Le patient ressentait souvent des
nausées ou vomissait pendant une période variable après l’injection. Il devait recevoir son
injection en position couchée, après avoir reçu au préalable un barbiturique à action rapide
pour atténuer ses symptômes. On observait parfois une amélioration spectaculaire. En
quelques jours, une fièvre qui persistait depuis des jours ou des semaines pouvait disparaître
(Fig 9). De même on pouvait assister à une véritable fonte des ganglions ou de la rate.
Malheureusement la rémission obtenue par la moutarde à l’azote ne durait pas plus de 4 à 6
semaines, et de plus le médicament était toxique pour la moelle osseuse. Une leucopénie
avec chute des plaquettes se manifestait à la fin de la première semaine de la cure et elle
persistait 10 jours à deux semaines. Il pouvait se produire notamment des pétéchies et des
saignements sous-muqueux. Ce traitement était néanmoins efficace en particulier chez les
patients qui ne répondaient plus à la radiothérapie par RX. On pouvait réinjecter le
médicament à plusieurs reprises, en cures espacées de 6 semaines ou plus. Et parfois quand ce
médicament ne donnait plus, il arrivait que le patient redevienne sensible à la RX thérapie !
La moutarde azotée était aussi utile lorsque cliniquement on ne parvenait pas à repérer une
zone précise à irradier.
Il pouvait aussi arriver que la situation des ganglions atteints soit défavorable à l’application
première d’un traitement par RX car il entrainait souvent une réaction œdémateuse,
provoquant, par exemple, une obstruction partielle des voies respiratoires ou une obstruction
478 de la veine cave supérieure. Grâce à la moutarde à l’azote, l’œdème ganglionnaire régressait
suffisamment pour qu’on puisse entreprendre ensuite le traitement par RX sans trop de risque.
ü Au lieu de moutarde azotée, on pouvait donner de la tri-éthylène-mélamine par voie
orale, mais le risque d’anémie aplastique était possible.
ü Parfois on pouvait envisager une splénectomie pour ramener le nombre de globules
rouges ou de plaquettes à la normale.
ü La Cortisone contrôlait occasionnellement les signes généraux de la maladie tels que
la fièvre et l’anorexie pendant des périodes assez courtes, mais elle n’avait pas d’autre effet
sur la maladie elle-même.
ü Les transfusions de sang et les antibiotiques pouvaient être utiles.
ü Pour combattre la fièvre, il fallait se méfier de l’acide acétyl-salicylique qui pouvait
parfois faire tomber la température de manière dramatique, jusqu’à 35 degrés et entrainer un
état de choc !
ü On pouvait parfois, en cas de lésion ganglionnaire très localisée, opter pour un
traitement très agressif (doses massives de RX, chirurgie). Parfois cela donnait des résultats
inespérés.
Le pronostic vital de la maladie était à l’époque de 24 à 30 mois à partir d’un diagnostic posé
à temps. Mais il y avait aussi des variations importantes, les meilleurs cas pouvaient durer une
vingtaine d’années. Les meilleurs cas étaient ceux qui ne présentaient que quelques ganglions
bien localisés et qui étaient pris en charge immédiatement. Le pronostic était moins bon en
cas d’atteinte pulmonaire.
*La Fondation Dr Henri Dubois-Ferrière – Dinu Lipatti a été créée à Genève en
1970 en hommage au Musicien et à son Médecin traitant. Aujourd’hui, elle soutient la
recherche scientifique en matière d’hématologie et cela depuis plus de quarante ans. Nous
savons que la maladie de Hodgkin possède un meilleur pronostic actuellement.
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