introduction La qualité de vie - Presses Universitaires de Rennes

Fabien Bacro et Agnès Florin
Introduction
« La qualité de vie», Fabien Bacro (dir.)
ISBN 978-2-7535-2901-4 Presses universitaires de Rennes, 2014, www.pur-editions.fr
Entre complexité et richesse :
la diversité des défis liés à l’intérêt
des chercheurs et des professionnels
pour la qualité de vie
Cet ouvrage est issu du 32e symposium de l’Association de Psychologie
Scientifique de Langue Française (APSLF), association scientifique
créée en 1951 à l’occasion du congrès international de psychologie de
Stockholm, à l’initiative de Paul Fraisse, et avec le soutien de trois des
plus éminents représentants de la psychologie francophone de l’époque : Henri Piéron en France, Jean Piaget en Suisse, Albert Michotte en
Belgique. Le symposium, organisé tous les deux ans en France ou dans
un autre pays, fait le point sur l’état des connaissances pour chaque
thème, en invitant les meilleurs spécialistes du domaine pour des conférences, publiées ensuite dans un ouvrage synthétique. Le 32e symposium,
organisé à l’université de Nantes, s’était donné pour thème « La qualité
de vie dans tous ses états ».
La qualité de vie est un concept large, qui dépasse celui des conditions de vie et renvoie à l’épanouissement humain, au bonheur, à la santé
environnementale, à la satisfaction de vie et au bien-être général d’une
société, que certains économistes (Commission Stiglitz-Sen-Fitoussi,
2009 1) ont proposé d’intégrer dans la mesure des performances économiques et du progrès social. Qualité de vie et bien-être vont souvent de
pair, comme le démontre une enquête récente de l’INSEE 2 en étudiant
1. Stiglitz, J., Sen, A., Fitoussi, J. P. (2009). Commission sur la mesure des performances
économiques et du progrès social, Rapport au président de la République. Richesse des
nations et bien-être des individus. Paris, Odile Jacob.
2. Amiel, M. H., Godefroy, P., Lollivier, S. (2013). Qualité de vie et bien-être vont sou­­­
vent de pair, INSEE Première, n° 1428, janvier.
7
Fabien Bacro et Agnès Florin
la satisfaction de vie des adultes vivant en France métropolitaine en lien
avec le poids représenté par les revenus, les liens sociaux, la santé, le
logement, l’insécurité physique et économique, le rapport au travail, les
tensions perçues au sein de la société.
Au carrefour de nombreux domaines scientifiques, le concept de
qualité de vie représente plusieurs millions d’entrées à partir d’un moteur
de recherche sur le web. En 1994, l’Organisation Mondiale de la Santé en
a donné la définition suivante :
« La qualité de vie», Fabien Bacro (dir.)
ISBN 978-2-7535-2901-4 Presses universitaires de Rennes, 2014, www.pur-editions.fr
« La perception qu’a un individu de sa place dans l’existence, dans le contexte
de la culture et du système de valeurs dans lesquels il vit, en relation avec
ses objectifs, ses attentes, ses normes et ses inquiétudes. Il s’agit d’un large
champ conceptuel, englobant de manière complexe la santé physique de la
personne, son état psychologique, son niveau d’indépendance, ses relations
sociales, ses croyances personnelles et sa relation avec les spécificités de son
environnement. »
Ce sont principalement les médecins et les psychiatres qui ont contribué à l’explosion des recherches sur la qualité de vie, d’abord étudiée par
des sociologues et des psychologues. Pour eux, l’intérêt de ce concept
réside dans la prise en compte des dimensions psychologiques et sociales
de la santé telle qu’elle est définie au niveau international. Parallèlement
à cette extension de la définition de la santé, celle de la qualité de vie
est passée d’une conception objective, qui renvoie aux conditions de vie
matérielles et à l’absence de maladie, à une conception de plus en plus
subjective intégrant le bien-être physique, économique, psychologique
et social des individus. Toutefois, comme le soulignent de nombreux
auteurs, le caractère multidimensionnel de cette notion la rend particulièrement complexe à opérationnaliser et aucune définition ne semble
faire consensus dans la littérature scientifique. Ainsi, de nombreuses
interrogations demeurent sur la définition de la qualité de vie, les dimensions à évaluer et sur la place accordée à la subjectivité des personnes
interrogées.
Malgré ces difficultés conceptuelles et méthodologiques, les recherches
sur la qualité de vie ont connu un essor considérable ces dernières décennies, aussi bien dans les sciences médicales, économiques et environnementales qu’en sciences humaines et sociales. Comme en témoignent les
différents chapitres réunis dans cet ouvrage, les chercheurs en psychologie s’intéressent plus particulièrement à l’évaluation et à l’application
du concept de qualité de vie dans des domaines aussi variés que ceux
de l’éducation, du travail, du vieillissement, de la santé et du handicap. L’objectif de cet ouvrage est de donner un aperçu aux lecteurs de
8
Introduction
toute la complexité mais aussi et surtout de la richesse de ce concept en
abordant les enjeux à la fois conceptuels, méthodologiques et pratiques
auxquels sont confrontés les chercheurs et les professionnels (médecins,
éducateurs, psychologues etc.) travaillant dans ces différents domaines.
« La qualité de vie», Fabien Bacro (dir.)
ISBN 978-2-7535-2901-4 Presses universitaires de Rennes, 2014, www.pur-editions.fr
L’ouvrage est organisé en trois parties : la première est consacrée aux
questions épistémologiques et méthodologiques, la seconde au bienêtre en contexte scolaire, et la troisième explore plusieurs aspects des
relations entre la qualité de vie et la santé à différents âges de la vie. Les
thèmes abordés et leur traitement relèvent de la psychologie cognitive,
de la psychologie du développement et de l’éducation, de la psychologie
du handicap, de la psychopathologie, de la psychologie de la santé et du
vieillissement. L’ouvrage ne prétend pas à l’exhaustivité des domaines
de la psychologie, et celui la psychologie du travail, par exemple, n’est
abordé ici que de manière incidente, à travers l’activité professionnelle
de personnels d’éducation ou de santé.
La première partie, relative aux questions épistémologiques et méthodologiques, est constituée de deux chapitres. Le premier, proposé par
Alain Leplège, permet non seulement de retracer l’évolution de ce concept
mais également d’expliquer les difficultés rencontrées par les chercheurs
dans la définition et l’évaluation de la qualité de vie. Ce petit détour
épistémologique montre que si le succès et la richesse de ce concept sont
des éléments positifs, ils sont également sources de confusion à travers
la multiplication des termes utilisés et des domaines évalués. Enfin, ce
chapitre permet d’alerter les chercheurs et les professionnels sur le fait
que la clarification du concept de qualité de vie dépend plus largement
d’une redéfinition des objectifs du système de santé et, de manière plus
générale, des dispositifs d’aide proposés aux personnes en difficulté.
La question de la place de la subjectivité dans l’évaluation de la qualité
de vie est ensuite abordée par Franck Zesnani et Marion Botella sous
l’angle des mesures individualisées. En effet, si la majorité des chercheurs
considère que ce sont les individus eux-mêmes qui sont les mieux placés
pour évaluer leur qualité de vie, à l’heure actuelle les instruments de
mesure tenant compte de l’importance qu’ils accordent aux différents
domaines de leur vie sont encore peu nombreux. Ce chapitre permet,
à partir d’une argumentation théorique convaincante et de plusieurs
exemples d’outils existants, de dégager les avantages et les inconvénients
de ce type d’instruments. Par ailleurs, il soulève un certain nombre de
questions d’ordre à la fois théoriques et méthodologiques : quelle impor9
Fabien Bacro et Agnès Florin
« La qualité de vie», Fabien Bacro (dir.)
ISBN 978-2-7535-2901-4 Presses universitaires de Rennes, 2014, www.pur-editions.fr
tance faut-il accorder au point de vue des individus lorsqu’on les interroge sur leur qualité de vie ? Faut-il les laisser nommer eux-mêmes ce
qui est important pour eux dans la vie ou doivent-ils évaluer l’importance d’un ensemble de domaines préalablement choisis en se référant à
un cadre théorique ?
La deuxième partie explore la qualité de vie et le bien-être à l’école.
Le chapitre écrit par Philippe Guimard, Fabien Bacro et Agnès Florin,
illustre l’intérêt croissant des psychologues du développement pour l’évaluation de qualité de vie et ses applications dans le champ de l’éducation.
Le bien-être des élèves constitue en effet une dimension importante de
la qualité de vie des enfants, qui ne peut être réduite à leur niveau de
satisfaction globale à l’égard de l’école. Ainsi, les auteurs présentent les
premiers résultats d’une étude visant à construire et valider un instrument d’évaluation du bien-être subjectif des enfants à l’école et au collège
en explorant différentes dimensions telles que la qualité des relations
avec les enseignants, le niveau de satisfaction à l’égard de la classe, les
activités scolaires, la perception des relations paritaires, le sentiment de
sécurité et l’anxiété à l’égard des évaluations. Ce chapitre pose ainsi la
question de la multidimensionnalité du concept de qualité de vie dans
les différents domaines de la vie des individus et plus particulièrement
à l’école. Faut-il créer des outils de plus en plus spécifiques selon les
domaines d’étude et selon le type de population visée ?
Dans la lignée du chapitre précédent, Pierre André Doudin,
Nicolas Meylan et Denise Curchod-Ruedi se penchent également sur la
qualité de vie des élèves à travers les relations qu’ils entretiennent avec
leurs enseignants. En effet, si le soutien que ces derniers leur prodiguent s’avère prédictif de l’adaptation sociale et scolaire des enfants, la
capacité des enseignants à soutenir leurs élèves dépend de leur propre
santé psychologique. Ainsi, d’après les résultats des études présentées
dans ce chapitre, le burnout des enseignants pourrait être responsable
d’une déshumanisation des relations entretenues avec les élèves, ayant
elle-même des effets négatifs sur leur adaptation sociale, scolaire et
leur qualité de vie. Au-delà de leurs implications, ces travaux soulèvent de nombreuses interrogations sur les relations entre le bien-être
d’un individu et celui des per­­sonnes avec lesquelles il évolue dans ses
différents contextes de vie.
La troisième partie réunit des chapitres relatifs à la santé, la maladie, le
handicap à différents âges de la vie. La contribution de Ghislain Magerotte
10
« La qualité de vie», Fabien Bacro (dir.)
ISBN 978-2-7535-2901-4 Presses universitaires de Rennes, 2014, www.pur-editions.fr
Introduction
montre que l’évolution de la législation sur l’accès aux droits des
personnes en situation de handicap a conduit de nombreux chercheurs
et psychologues francophones à se préoccuper de leur qualité de vie.
Ce chapitre illustre, à l’aide d’exemples de recherches réalisées auprès
d’enfants et d’adultes avec autisme ou présentant une déficience intellectuelle, comment son évaluation peut permettre aux professionnels
d’intervenir de manière efficace pour répondre aux besoins spécifiques
de ces personnes et améliorer ainsi leur qualité de vie. Toutefois, les
outils adaptés à leurs compétences et à leur contexte de vie sont encore
relativement rares. Or, la construction et la validation de tels instruments
s’avère nécessaire afin d’évaluer l’efficacité des différents types de prise
charge qui peuvent être proposés.
Le chapitre suivant, proposé par Florence Cousson-Gélie, porte sur
les facteurs explicatifs de la qualité de vie chez les personnes atteintes
de maladies graves et/ou chroniques et leurs conjoints. En se basant
sur deux modèles théoriques différents dont le modèle transactionnel
du stress, l’auteure présente une synthèse des résultats de la recherche
permettant d’expliquer comment les individus s’adaptent à la maladie et
notamment au cancer pour maintenir un certain état de bien-être. Ainsi,
les processus permettant de conserver une bonne qualité de vie regroupent la recherche de soutien social, la perception du contrôle exercé
sur la maladie ainsi que les stratégies de coping visant à faire face à
la situation. Toutefois, l’auteur souligne la nécessité de poursuivre les
recherches et d’adopter une approche longitudinale afin d’identifier les
facteurs influençant l’évolution de de qualité de vie.
Ensuite, le chapitre de Grégory Ninot, centré sur les patients atteints
de broncho-pneumopathie chronique obstructive, permet de montrer
de manière très détaillée comment l’utilisation de questionnaires très
courts peut permettre aux cliniciens de les administrer fréquemment,
et ainsi de détecter des changements de qualité de vie, d’évaluer l’efficacité d’un traitement et même, dans une visée préventive, de prédire le
comportement et la qualité de vie ultérieure des patients. En outre, ce
chapitre illustre très clairement l’intérêt de ces instruments de mesure
pour favoriser la mise en place d’une alliance thérapeutique, prendre
des décisions en termes de traitement et/ou d’intervention, voire même
pour échanger avec les patients dans le cadre d’un suivi thérapeutique.
Ce chapitre suggère donc une fois de plus qu’une approche développementale tenant compte du caractère évolutif de la qualité de vie constitue
une voie de recherches et d’applications particulièrement prometteuse
pour les années à venir.
11
« La qualité de vie», Fabien Bacro (dir.)
ISBN 978-2-7535-2901-4 Presses universitaires de Rennes, 2014, www.pur-editions.fr
Fabien Bacro et Agnès Florin
Enfin, face au défi que représentent le vieillissement de la population
et l’augmentation de l’espérance de vie, le chapitre de Daniel Alaphilippe
fait le point sur les connaissances actuelles sur les facteurs influençant
la qualité de vie des personnes âgées. Les résultats de différentes études
mettant en évidence l’impact des variables sociodémographiques, des
habitudes de vie et de la représentation du vieillissement sur la durée
de vie, l’état de santé et le bien-être des personnes âgées sont présentés. Contrairement à l’idée communément répandue que le vieillissement est fait de régressions, l’avancée en âge ne semble pas synonyme
d’une moindre qualité de vie. Comme le suggère l’auteur de ce chapitre,
ces recherches nous conduisent à nous interroger plus largement sur
le rôle de notre société dans l’image qu’elle véhicule du vieillissement.
Par ailleurs, ces travaux permettent de dégager de nombreuses pistes
pour améliorer la qualité de vie des personnes âgées tout en soulignant
l’importance du décalage entre les objectifs que les individus se sont fixés
et leur capacité à les atteindre.
à la lecture de ces contributions, on voit combien les chercheurs en
psychologie se trouvent confrontés à de nombreux défis face à l’intérêt
croissant des chercheurs et des professionnels pour la qualité de vie. Au
niveau conceptuel et méthodologique, il apparaît d’abord nécessaire de
clarifier ce concept qui, bien qu’il dépende des conditions de vie objectives des individus, apparaît comme éminemment subjectif. à l’avenir, les
psychologues ont donc un rôle important à jouer dans la mobilisation des
cadres théoriques et dans la construction des outils nécessaires à l’amélioration des connaissances et l’évaluation des pratiques, que ce soit dans
le domaine de l’éducation, du travail, de la santé ou du handicap. Pour
conclure, nous espérons que ces différentes contributions permettront
aux lecteurs non seulement de saisir tout l’intérêt du concept de qualité
de vie, dont l’utilité n’est plus à démontrer, mais également de prendre
toute la mesure des enjeux conceptuels, méthodologiques et pratiques
auxquels sont confrontés les chercheurs et les professionnels qui, au-delà
des soins ou de l’aide apportée aux personnes en difficulté, se soucient
également des répercussions de leurs interventions sur l’évolution de la
qualité de vie de chacun.
12