SURE: Shizuoka University REpository http://ir.lib.shizuoka.ac.jp/ Title Author(s) Citation Issue Date URL Version Shibusawa Tatsuhiko et le rôle du traducteur dans la société japonaise d'après-guerre Corbeil, Steve 翻訳の文化/文化の翻訳. 6, p. 31-44 2011-03-31 http://dx.doi.org/10.14945/00005761 publisher Rights This document is downloaded at: 2015-01-31T06:41:34Z Shibusawa Tatsuhiko et le rdle du traducteur dans la societe japonaise d'apris-guerre Steve Corbeil Le pro“ s de Shibusawa Tatsuhiko(澁 澤青巨彦 ,1928-1987)et de sOn ёditeur lshii Kyo両 i(石 井恭 二 ,1928)pour avOir traduit et diffusё une ′ version abrOgOe d'un roman du marquis de Sade intitu10 nts′ θグ ′ θグθ ′ θ ,θ %ル s ノ%J′ θ′ Pγo,″ ガ″Sグ %υ グ ε θl,cOnSidOrO les autOritOs japonaises,est un procё pour colnprendre le Japon d'aprё particuliarernent obscё s littё raire s 1945。 ne par extrOmement important Avec le procё s de la traduction de Zα め ′ α′ θ γ むZο υ ″en 1957(en japonais,『 チャタレイ夫人の恋人』 θ ゎ′ )et 'C力 celui en 1972 d'une nouvene intituloe en japonais lζ σ ο π 力 ′ ノ απ 力πs%%α πο sカ グ ′ αbα ″(1972,『 四畳半襖の下張』 ),il a cont五 buO a fa00nner les rapports entre droit et littё rature au Japon et il a influenc6 1a cOnception de la traduction et du r61e du traducteur dans le paysage intellectuel iaponais. ` La couverture mOdiatique ainsi que la publicatiOn des transcriptions des dё bats2 du prenlier procё s par la maison d'ё dition gθ %グ αた力Jε 力οπs力 α (現 代思潮社)appartenant a lsh五 prё cOdent procё s Kyouji ont contribuё de fagon sans a faire cOnnaitre au Japon l'(Ю uvre du marquis de Sade et le et les Ocrits qui l'entOurent sont devenus une rOfOrence incontournable pour comprendre les mOcanismes de la censure dans le l Cette version,intitulё e■ 力 %′ θ 力%η θsα 力αι(『 悪徳 の栄え』 ),est publiё e en 1959.Ce n'est pas une version intOgrale. Selon Shibusawa, pour des raisons essentiellement colllmerciales, il n'a pu traduire qu'environ un tiers de la totalitO du roman. 1l faut dire que le roman original de Sade est plutOt 10ng et,pour plusieurs lecteurs,trё s repetitif. Cette"pё tition peut Otre vue collnlne un effet de style qui est porteur de sens,mais pour une personne non‐ initiOe la lecture peut Otre un peu rObarbative 2 voir助 グθsα グ ‐ bα ηl‐ 2(『 り ド裁半 メ θ 力θπsん α(現 ltえ た 1』 ),yη 滋 おカ ,朝 7f_), -31- 1963. Japon d'aprё s― gueFe3.La transcription du procё s est encore disponible auiourd'hui et il existe plusieurs travaux de spё cialistes de littOrature iapOnaise au Japon qui y font rOfOrence.R/1alheureusement,ce procё s est encore peu Otudi6 par les iapon019gues travaillant dans des uniVersitOs t il est a peu prё s ignorO par les histOriens de la censure a Otrangёres ё l'extOrieur du JapOno Pourtant,1'Ctude de ce procё s estindispensable a la comprOhension de l'ё volution de la littOrature au Japon et de la place du traducteur dans l'espace socialjaponais.De plus,mOme si ce rapport de causali急 3 est parfois contestable,plusieurs histo五 ens voient un lien entre le procё s de Shibusawa et les manifestations,surtout les manifestations estudiantines,et la libき ation sexuelle qui ont ё bran16 1e Japon durantles annOes soixante(vOir a ce suiet l'essai de Shibusawa Tatsuhiko intitu10 Gθ πααグ%θ E"s%「 現代 のエ ロス」).Par contre,dans cet article,il sera avant tout question de la signification du procё s d'un point de vue littё raire,en particulier de sa signification pour la compr6hension du r61e des traductions et des traducteurs dans les sphё res littOraire et sociale. Les efforts du procureur pour interpr6ter la traduction des 6crits de Sade et de daerminer la responsabilit`de Shibusawa et de son ёditeur,ainsi que les rOponses apportё es par la dOfense permettent de faire le point sur la conception du traducteur de textes littOraires et de sa responsabilitё legale et morale et,par extension,de son inCidence et de son auto五 les textes qu'il traduit dans le contexte de la sociё 6 sur も tO japonaise d'aprё s¨ 3 On ne peut s'empGcher de voir f ironie, eui a 6t6 mentionn6e d'innombrables fois essentiellement par les opposants d la censure, li6e d toute d6nonciatioh publique ou aux procds d'6crits jug6s obscdnes par les autoritEs. La d6nonciation oblige forcEment des explications qui passent par une analyse des 6crits jug6s obscdnes . Cette analyse devient elle-m€me un moyen de diffusion de ces 6crits et de leur contenu idmlogique et elle permet d des textes trds souvent relativement obscures d'acqu6rir une certaine notori6t6 . Dans le cas qui nous concerne, Shibusawa est devenu une figure m6diatique connue endehors des cercles littdraires grdLce d ce procds. MCme s'il a 6t6 d6clar6 coupable par la Cour suprdme aprds plus de neuf ann6es de d6marches judiciaires, I'amende de 70 000 yens (une somme plut$t insignifiante, m6me d 1'6poque) a 6t6 une d6faite coitteuse pour les autorit€s qui ont finalement utilis6 la machine etatique a grands frais pour diffuser malgr6 eux les id6es de Shibusawa et du marquis de Sade. En fait, les procds litt6raires et les d6bats litt6raires sur I'obsc6nit6 donnent souvent I'impression d'une logomachie qui ne peut mener qu'd une plus.grande diffusion sur divers supports des id6es soi-disant r6pr6hensibles. -32- guerre. Une analyse du traducteur en tant que figure qui est a la fois litt6raire, l6gale et sociale A travers un procds sur I'obscenite est d'autant plus importante que les procds litteraires d'aprds-guerre sont presque toujours li6s d la traduction d'euvres litt6raires 6trangdres. Le Japon est sans aucun doute I'un des pays qui traduit le plus de livres en langues etrangeres, mais il ne diffuse pas sa litterature de faEon importante d l'€tranger. Comme l'6crit Takayuki Tatsumi :(As far as literature is concerned, Japan has been a country of excessive importation, not excessive exportation. The kingdom of translation is very good at translating and popularizing foreign cultures, however invisible Japan itself is to other nations, because it does not translate and export many of its own national literary productsa. )De plus, les lois sur la censure visent depuis longtemps A limiter sp6cifiquement la publication de livres etrangers et de traductions. Des l'6poque de Tokugawa (1603-1867), une des premieres lois sur la censure avait pour but d'interdire les textes chr6tiens. Les traductions jouent donc un r61e primordial dans la soci6t6 japonaise et dans l'univers litteraire japonais qui est indgal6 dans le monde occidental. Pour cette raison, le r61e de traducteur est davantage mediatis6 et davantage surveille par les autoritEs. Les oeuvres traduites ont une influence trds importante sur les €uvres des auteurs japonais (dans la p6riode d'aprds-guerre la litterature franEaise avait une influence preponderante sur plusieurs €crivainss). Il est donc important de donner au traducteur la place qui lui revient dans le paysage litt6raire japonais. Dans cet article, il sera donc question du proces de Shibusawa Tatsuhiko et de son dditeur Ishii Kyouji. lrTous ferons d'abord un r6sum6 des circonstances qui entourent le procds, ensuite nous analyserons quelques parties du procds qui font r6f6rence au statut et a la a Takayuki Tatsumi , Fwll Metal Apache: Transactions Betaeen Cyberfwnk Japan and Auant-Pop Aruerica, Duke University Press, 2006, p.777 PostwarJapan and France,2002, Center forJapanese Studies University of Michigan. Bien que le livre s'intitule Confluences il est surtout question, pour des raisons 6videntes, de I'influence des 6crivains franEais sur les 6crivains japonais ;le contraire est plutdt rare. I Voir d ce sujet Conflwences: -33- responsabilit0 16gale et lnorale du traducteur et,finalement,nous ferons un bref retour surla car五 ёre et les(Euvres de Shibusawa a la lunliё re de ce proces. Le procOs de Shibusawa Tatsuhiko, le procOs du lllarquis de Sade Le prerrlier procё s de Shibusawa Tatsuhiko et de son Oditeur commence le 10 aoit 1961 et se terrrline le 2 octobre 1962. Aprё s un peu plus d'une annOe,Shibusawa et son ёditeur sont da31artt nOn coupables. Cependant,apres presque neuf ans de dё marches judiciaires(en inCluant le travail du procureur avant le procas), la cOur suprOme renverse la premiare dё cision et condattne Shibusawa a une amende de 70 000 yens et lshii a payer lo0 000 yens, deux montants dOrisoires, InOme a cette Opoque.Certains 61(inents de ce procё s sont palticuliOrement importants pour colnprendre la conception de ltt littё rature, du droit, de la censure et,ce qui nOus intё resse particuliё rement, de la traduction et du statut du traducteur dans la sociё tё japonaise. Tout d'abord, la police et le bureau du procureur ont cru bon d'essayer d'empOcher la diffusion de l'ouvrage et de poursuivre le traducteur et l'6diteur en se basant sur l'article 175 du code crirninel quiinterdit la diffusion de rna桜 士iel obscё ne, indOpendarnlnent du but, que ce soit pour le profit ou pour d'autres raisons: わ いせつ な文書、図画その他 の物 を頒布 し、 販売 し、又は公然 と陳列 した 者 は、2年 以下 の懲役又は25(0)万 円以下 の罰金若 し くは科料 に処 す る。 販売 の 目的 で これ らの物 を所持 した者 も、同様 とす る 6。 La peine peut anerjusqu'a deux ans de prison et une amende de 2 500 000 yens(en 1961 1'amende pouvait aller jusqu'a250 000 yens)。 En iapOnais,la loi utilise le terrrle"α おθお%(J畏 蒙5)Ou,en frangais,obscOnitO. Elle a donc pour but de liiniterla diffusion de rnamel obscё ne.Le tenne n Un extrait du code p6nal en j aponais qui est expliqu6 dans le texte frangais . - 34- de pornographie, InOme s'il existe, est peu utilisO en japonais;il fait habituellement rOfOrence a des filmS OrOtiques produits par les studios Ⅳ猪力αお%en tOute lё galitё (les roman― porno,日 活 ロマ ン ポ ル ノ ).Comme dans plusieurs pays ot il existe des lois pour contrer l'obscOnit6 ou la pornographie, les lё gislateurs se trouvent constanllnent devant un problё me de taille:d6finir l'obscOnito de fagon objective tout en Ovitant un raisonnement un peu vague qui est souvent associC a la Oョ ёbre phrase Ёtats_unis qui,dans un jugement sur l'obscOnitO dans le film r力 θιoυ θ 賀,avait dё darё ,《 I knOw du juge Potter Stewart de la Cour suprOme des it when l see it》 .Par ailleurs, il est important de remarquer que la loi japonaise vise avant tOut les gens qui diffusent et qui propagent des produits obscё nes. II ne s'agit pas de poursuivre les gens qui cr6ent des produits pornOgraphiques, mais bien ceux qui les vendent ou les distribuent.Un exemple de cette contradiction est la production de films pornographiques. Les maisons de productions peuvent filmer des actes sexuels,rnais elles ne peuvent pas les dist]nbuer si enes ne censurent pas de fa9on olectronique les aspects obscOnes de leurs films(au Japon, les nitales sont considOrOes de fa9on conVentionnene comme otant parties gё obscё nes).De nos jours,la lnaiOritO des accusations qui font rOfё rence a l'article 175 du code crilninel ont pour but d'empOcher la diffusion de filrns,de rnangas et de sites internet pornographiques.La littOrature,en raison sans doute de son statut pOriphOrique,n'intOresse plus les forces de l'ordre. Tout au long du procё s de Shibusawa,le procureur fait constamment rOfOrence a l'article 175;il est question de la prOsence ou non de scё nes obscё nes 彫 s′ dans la traduction abrOgOe du roman du marquis de Sade, ′ グ θι θグ ″ αθル ι ′ θ,θ %′ θ s P知 5″ ガ彪sグ%υ ′ ε θ(selon le procureur,il y aurait 14 endroits obscё nes dans la traduction par Shibusawa).COmlne le dё montre 一彦 )dans SOn article sur le procヽ Sekitani Kazuhiko(関 谷 ― de Shibusawa, le procureur et les avocats de la dOfense tentent de donner leur propre dё finition de l'obscOnitO et de sa place en littё rature7. se10n 7関 谷一彦『「サ ド裁判」 一猥褻 についての法的立場 と文学的立場一』『言語 と文化』第 9号 - 35 - 関西 Sekitani, d'une part, les avocats de la dOfense tentent de montrer l'absence de c五 tё res objectifs liё s a la d6finition de l'obscOnitO ainsi que l'ilnportance du contexte lorsqu'on ёvalue le caractё re obscё ne d'une scё ne d'un roman.En d'autres lnots,il ne faut pas analyser chaque scene de facon iso16e, mais plutOt les considё rer en relation avec la totalitO de l'ceuvre.Ainsi,une scё ne qui est,lorsqu'elle est lue de fagon isol(c,une exploitation obscOne et inutile de la sexualitO peut renfermer un sens politique ou philosophique dans le contexte global du roman.D'ailleurs, les avocats de la dё fense ont tentё de prouver a plusieurs reprises l'iinportance du marquis de Sade pour comprendre la pensOe philosophique et politique et de la France au XVIIIe siё cle ainsi que le rapport cOnflictuel entre certains Ocrivains francais de l'6poque et le christianismeo Ces efforts ont portO fruit puisque, InOme si, lors du prenlier procё s, les juges n'ont pas reconnu l'importance de la valeur philosophique de l'(Ю uvre du marquis de Sade lors de l'ё valuation de l'obscOnitO,un des iugeS de la Cour suprOme,Tanaka JirOu(田 中 二 郎 ), lorsqu'il(crit son opinion dissidente,estime qu'ilfaut prendre en compte la valeur phi10sOphique et artistique d'une(Ю uvre lnOme dans un procё s qui a pour but dejugerl'obscOnitё ,De plus,il prend en compte le travail de Shibusawa en tant que critiquo littё raire etil ne peut que conclure que la censure dans ce cas s'oppose a la libre circulation des idOes. I)'autre part, le procureur, toujours selon Sekitani, a tentё de sortir les scё nes incrilninOes de leur contexte et d'ignorer la dilnension philosophique et l'irnportance intenectuelle de l'ouvrage. Cette analyse serait a nuancer, puisque rnOme S'il tente de prouver le caractOre intrinsё quement obscё ne de certaines scёnes, durant le contre― interrogatoire de Shibusawa, le procureur, pour des raisons stratё giques, rnet les Ocrits de Sade en contexte, fait rOfOrence a d'autres procё s littOraires qui ont eu lieu en France,nOtarninent le prOcё s des FJa%夕ls att Mα ′de Baudelaire qui a lieu 学 院 大 学 言 語 教 育 研 究 セ ン タ ー 2006年 77-94頁 。 Cet article rOsume bien les etteux a du procё s mais il nous semble qu'il est structurO sur une opposition un peu l'intё ricur simple entre la conception 16gale et littё raire de l'obscё nitO. Il existe des recoupements a faire entre ces deux positions afin de donner un portrait un peu plus nuancO des dё entourant l'obscOnit6 Nous avons l'intention d'y revenir dans un article ultO五 - 36 - eur bats il mentionne le fait que Shibusawa a decide de publier une traduction abregee du roman de Sade. Il sous-entend que Shibusawa n'est pas un simple traducteur, mais qu'il a decidd avec Ishii de publier une certaine vision du marquis de Sade. Il en 1857. Dans le chef d'accusation, remet en questions le choix des mots que Shibusawa utilise pour traduire le roman parce qu'ils 6voquent des images inutilement obscdnes pour les lecteurs japonais. Pour toutes ces raisons, les avocats de la defense devront poser de nombreuses questions a Shibusawa au sujet de son travail de traducteur et de sp€cialiste du marquis de Sade. Ils essaient de d6finir le travail du traducteur en rEponse aux attaques du procureur. Comme nous allons le voir dans la prochaine partie de cet article, ce procds peut montrer que Shibusawa en tant que traducteur n'est pas qu'une simple courroie de transmission, un mddiateur qui permet au public japonais d'avoir accds d une Guvre de la litterature mondiale ; les choix de Shibusawa en tant que traducteur influencent de faEon determinante la reception des lecteurs japonais et creent une euvre a part entidre oi la conception du monde et de la litt6rature de Shibusawa cohabitent avec celles du marquis de Sade. Les avocats de la d6fense tentent de r6pondre d certaines accusations et a dissiper ce qui est, d. leurs yeux, un malentendu : bien que Shibusawa a exerce son jugement en tant que traducteur, il l'a fait de faEon responsable, c'est-d-dire qu'il a tout fait pour respecter la pens6e du marquis de Sade et rendre de faEon juste I'esprit du roman m€me s'il n'a pas tout traduit. De fagon ironique, afin de mieux prouver la responsabilite legale de Shibusawa, le procds accentue ie role"et l'importance du traducteur dans la sphdre litteraire et sociale. Shibusawa, quant d lui, en partie pour des raisons strat6giques, tente de minimiser son r6le ainsi que de relativiser I'importance de sa demarche intellectuelle dans son processus de traduction. En fait, le procureur met I'accent sur I'id6e qu'il fait le proces de Shibusawa, de son editeur et de La tradwction d'un roman du marquis de Sade. Tandis que Shibusawa et les avocats de la defense insistent sur le fait que le veritable accusE devrait 6tre, en fait, le marquis de Sade. D'ailleurs, lorsqu'ils ont publie la transcription du procds, ils I'ont - 37- intitu16 Sα απ(『 サ ド景 ″θSα ′ み 表半J』 )ou, en frangais, le prOcё s de Sade. Aujourd'hui, au JapOn, On a conservO cette appellationo Certaines 1'affaire de l'正 ル な′ θ ′ 夕 ηグθノ%ル 診′ 女 %ο % の %悪 %′ ο %π ο Sα 力 α θ ′ 力 ι ″》 徳 栄え事件 々 ). (en japonais 4カ ノ personnes utilisent aussi l'expreSsion《 JaS hψ″形S蒻 "グ Dans les deux cas,on a plutOtl'illlpression que c'est Sade ou son(Duvre qui est en procё s. Bien sar, sans l'oeuvre originale, le procё s est ilnpensable. pe plus, 1'origine Otrangё re des propos obscё nes peut expliquer en partie l'acharnement des autoritOs. Cependant, dans les faits, en partie pour des raisons pratiques(perSOnne ne voulait condamner Sade par contumace!)les aCCusOs sont Shibusawa et son ёditeuro La dё fense et le procureur interrogent longuement Shibusawa sur son travail de traducteur.A/1algrO ces points de vue opposOs,il nous semble plusiustё de parler du procё s de Shibusawa le traducteur que du procё s du marquis de Sade l'6crivain. La respoILSabilit6 16gale du traducteur Collline le dOmontre Theo Hermans dans son article intitu10 《Translation,Ethics,Politics》 publiё dans rみ θRθ %J:θ は Cθ π夕%gtttθ %′ ο s,mOme sile phOnomё ne n'est pas nouveau,il y a de グ θπS′ %グ ル r21α %s′ α′ plus en plus de cas ot la traduction de certains textes suscite certaines questions 6thiques ainsi qu'un dё sir de comprendrё le r61e social du traducteur(il rnentiOnne la traduction de textes antisarlites en allemand, par exemple).L'6tude deS pratiques de traduction se doit de prendre en compte certaines questions Othiques et leurs rarrlifications autant au niveau social qu'au niveau de notre conception du traducteur(et par exteision,de linterprё te)。 ЁVidemment,cela influence directement le travail du traducteur lorsqu'il pense son rapport au texte et le degrO d'influence qu'il a sur celui¨ ci.Le positionnement vis― a_vis du texte ne peut pas(光 re ignon3,mOmes'il s'exprime sousla fome d'un refus de tout ′ positionnemento Selo■ rheo Herl.lans I The examples(from Kruger 1997 and Pym 1997)are real enough,and - 38 - they involve, apart from legal issues , moral and political choices that translators and interpreters make. While translators and interpreters have always had to make such choices, sustained reflection about this aspect of their work is of relatively recent date. It has come as a result of a growing interest in such things as the political and ideological role of translation, the figure of the translator as a mediator, and various disciplinary agendas that have injected their particular concerns into translation studiess. Certaines pratiques disciplinaires sont donc d l'origine de I'int6r0t envers le travail du traducteur d'un point de vue dthique. Comme dans le cas du procds de Shibusawa, les autorites ont parfois tendance d vouloir punir Ie traducteur d'une reuvre faute de pouvoir mettre la main sur le veritable auteur tout simplement parce qu'il est hors de leur juridiction. Le d6sir de trouver un coupable est trop souvent ce qui motive les autorites d donner une plus grande importance au travail du traducteur. Cependant, bien que les motifs soient loin d'etre altruistes, il n'en demeure pas moins qu'a travers ce type de mesures disciplinaires le traducteur peut aspirer d un meilleur statut social. I1 y a tout de m6me un peu de vrai dans I'idee que des droits entrainent des responsabilitEs et vice-versa. On pense au cas des 6crivains qui sont devenus des auteurs tout d'abord pour que les autorit6s aient des personnes qui prennent la responsabilite de leurs ecrits. Cette responsabilite a men6 d un droit trds important, le droit d'auteur. D'ailleurs, plusieurs th6oriciens de la traduction, qui ne sont pas guid€s par des motifs disciplinaires, considdrent que les traducteurs ne peuvent faire autrement que de prendre position. Comme I'ecrit Theo Hermans : The idea of translators as not so much hemmed in by norms as actively negotiating their way through them and taking up a position in the process, is helped along when the translator is seen as 8 The Routledge Companion to Translation Stwdies, p.93 -39- re‐ enunciatOr(MOSSOp 1983 and especially Folkart 1991).In thiS View translators do not just redirect pre― existing messages but, giving voice to new texts,they cannot help butintervene in thenl and,in so doing,establish a subject― position in the discourse they shape.As a result, translation is ineヤ itably coloured by the translator's subjectivity,generating a complex rnessage in which several speaking voices and perspectives interrlingle9. Pourtant, de nos jours, la majoritO des traducteurs tente habituellement de s'effacer complて■ement de leur traduction,de cRttr une illusion d'invisibili10.Bien sar,le butici n'est pas de contoumer certaines mesures disciplinaires;les traducteurs veulent crOer l'inusion que les lecteurs ont devant eux un texte qui est pratiquement identique a l'o五 ginal,qu'il n'y a aucun filtre entre eux etla pensё e de l'auteur,qu'ils ont un acces direct.Le but des traducteurs contemporains semble(■ re de rendre le texte original tout en donnant un texte qui est facile a lire10. Colrline nous l'avons rrlentionnO, durant le procё s de Shibusawa, les avocats de la dё fense, afin de rOpondre aux accusations du procureur, mettent a plusieurs reprises l'accent sur le fait que la traduction de li″ ′ ″ sわ グ ι θ,ο %Jas Pγ o,夕 ″″彪Sグ %υたθest le rOsultat d'une longue αθυ 磁″ι′ dOmarche intellectuelle de la part du traducteur et de son 6diteur, rnais que cette dOmarche est justifi6e et ёthique. Lors de l'interrogatoire de Shibusawa,un des avocats de la ddense demande pourquoiil a choisi de グ ´ぶグ%υ グ Jπ α θコ ι′ ″,θ %Jas Pり ,夕 ι″′ traduire tts′ ο ル′ : “ e t0 The Routledge Companion to Translation Studies, p.96-97 En fait cette question est extrdmement complexe. Le d6sir d'€tre invisible est, selon certains auteurs, loin d'etre une solution id6ale. Par exemple, seion Lawrence Venuti dans son ouvrage intitul6 The Translator's Inuisibility : A history of translatioz (Routledge, 2008), I'invisibilit6 du traducteur peut mener d une domestication des textes traduits. Les lecteurs n'ont pas I'impression de lire un texte 6tranger une traduction. La traduction qui devrait 6tre un moyen de s'ouvrir d I'autre n'est plus qu'une faEon d'affirrner sa propre sup6riorit6 culturelle. - 40 - それ はサ ドの作 品 の 中で は も っ とも 中心的 な一番 面 白い … また、一 番 サ ドの思 想 がそ の ま ま の形 で 出 てい る …や っ ぱ リー 番 中心 にな る面 白 い 作 品 を訳 す の が必 要 だ と考 えた わ けで す 11。 Shibusawa n'est donc pas un simple traducteur qui rOpond a des commandes d'6diteur. II connait l'histoire des textes et la rё ception que les romans de Sade ont eu en France.Il a dOcidO de traduire les textes du marquis de Sade en japonais dans le but de les faire connaitre au public nippon, lnais avec un but philosophique qui est trё s loin de la pornographieo Ce choix de traduction mOntre que la subiectiVitO du traducteur est prOsente dans le texte traduit. Bien que Shibusawa rOponde qu'il aurait vOulu traduire et publier la totalitё du roman,qu'une traduction incomp10te Otait inOvitable dans le contexte de l'6dition japonaise de l'ё poque, il doit pr6ciser dans un cadre 16gal comment il a choisi les extraits qu'il a publios. 訳 者 の 主観 とい うこ とにな つ て しまいます けれ ども、全体 の構 成 を こわ さな い よ うに、そ して また哲学議 論 の場 面 と、それ か ら具体 的 な行動 の 場 面 との結 局 か ね合 い とい うこ とにな ります けれ ども、そ こをパ ーセ ン テ ー ジ を出 して あ る ので す けれ どもり。 Shibusawa nond qu'1l a voulu dOnner un ape“界l de la totalitё du roman. Pour cette raison, 1l a gardo un tiers de chaque aspect du roman (1'hiStoire, les dObats philosophiques, les Obats sexuels)afin que les lecteurs aient l'illlpression d'avOir accё s a la tOtalitO de la pensOe du marquis de Sade. Finalement, il dOit expliquer pourquoi il a chOisi certains mots pour traduire des expressions frangaises a caractё re sexuel. Les mots qu'il a choisis sOnt difficiles a lire pOur le commun des lecteurs,ils ne sont plus utilisOs dans le langage courant.En fait,ils(■ aient surtout utilisё s,selon 1l Sα ノθsα グ ι αz 2(『 ヴ‐ド裁半J』 下⊃, 1963,p.111 ∫ αあαη2(『 サ ド霧 夫半J』 F), 1963,p.111 12s′ ぁ -41- Shibusawa, dans la langue japonaise A 1'6poque des Tokugawa (1603186n 大体僕 が ここに使 った言葉 はまあ、隠語 とい うふ うにも言 われ ます けれ ども、僕 の考 えで は隠 語 とい うよ りも、む しろ雅 語 だ と思 うので す。それ で 日本 には大体 た とえば、僕 が菊 座 だ とか、千 鳥 だ とか い う言葉 を使 い ま した けれ ども、それ を指す普通 の非常 に一 般 の言葉 とい うもの がない わ けで、それ はた とえば、だか らわれわれ が使 うの は、ドイ ツの 医学 が 輸 入 されて、それ を 日本語 に翻訳語 として 出て きた医学用 語 なん てい うも の が一 つ の種 類 として あ つて …13 Ces IIlots qui pourraient Otre considOrOs par plusieurs cornine`tant OsotOriques rOpondent au besoin de rendre la langue de Sade dans toute sa complexitOo Shibusawa veut eviter d'utiliser des termes modernes, souvent empruntOs de l'allemand, qui, en raison de leur lien avec le lexique mOdical, sont totalement dOnuOs de sens poOtique. Selon Shibusawa, ces mots ne seraient plus utilis6s par des gens dans une conversation Orotique;ils appartiennent au langage scientifique. Shibusawa:le traducteur et l'intenectuel En r6pondant aux obiectiOns implicites ou explicites des autoritOs afin de mettre en place une dOfense crOdible, Shibusawa situe le travail de traducteur a l'intё rieur d'une d6marche intellectuelle qui se veut aluerle contenu obscane du rOman de Sade ou de cohё rente.1l refuse d'て ヽ″ sa traduction,Inais il donne tout de lll10me un apergu de son Othique de traducteuro Les choix qui ontjalonnё sa dё marche intellectuelle ne sont pas issus d'un d“ ir d'affirmer ses propres idOesl sa suttect市 i“ ,voir son besoin de propager des obscё nit6s, ils sOnt plutOt l'aboutissement d'un raisonnement critique qui a pour but de rnettre en lunliё re la pensOe du marquis de Sade. Les passages qu'il a dOcidё 13 Sα tt sα ttα π2(『 表半J』 サ ド惑 T⊃ , 1963, p.115‐ 116 - 42 - de ne pas traduire, lcs mots japonais relativement rares qu'il utilise ont pour but de rendre compte, de la faEon la plus naturelle possible, des idees et de la prose du marquis de Sade. L'importance du marquis de Sade pour comprendre la pensEe occidentale justifie la traduction totale ou partielle de ses Guvres. Le principe de la libre circuiation des savoirs devient plus important, d'un point de vue ethique, qu'une hypothetique atteinte i la pudeur. Bien qu'il presente ses choix comme etant naturels, qu'il tente de montrer qu'il n'est pas le vdritable accus6, eu€ Sade et sa pens6e sont remis en cause ir travers sa traduction, on ne peut s'empdcher de penser qu'il n'est pas un des ces traducteurs invisibles que ddcrit Venuti. La lecture de sa traduction est loin d'0tre fluide pour le commun des lecteurs : elle fait bien ressentir, avec a-propos, I'etranget6 du texte. Les explications qu'il donne a propos de sa traduction dans la postface d la premidre Edition permettent de comprendre sa demarche inteliectuelle et, par extension, sa conception de l'Guvre de Sade. Cependant, sa responsabilite ethique en tant que traducteur ne se limite-t-elle pas d rendre compte le plus fiddlement possible d'une pens6e, certes trds controvers6e, mais essentielle pour I'histoire des idees? Finalement, grace i. ce procds, la notorietd de Shibusawa a Et€, d6cuplee. Meme si lors du proces il donnait I'impression qu'il se desintdressait totalement de cette procEdure judiciaire (ses avocats se plaignaient souvent, par exemple, qu'il etait en retard aux audiences , mais cela faisait probablement partie de sa performance) il a profitd de la publicit6 que luiaapport6e ce procds. Le proces a et€ une importante tribune pour faire connaitre ses idees et se faire connaitre du grand public. Il est encore aujourd'hui un des traducteurs et des specialistes les plus connus de la litterature franEaise au Japon, m€me Si, en raison de Ia nature de ses champs d'int6r6t, sa d6marche intellectuelle n'est presque jamais enseign6e de faEon formelle. De plus, mOme s'il a ecrit plusieurs romans, I'histoire litteraire semble vouloir le prendre en compte essentiellement pour son travail de traducteur et de critique litt6raire. En ce sens, on peut dire qu'il est I'un des traducteurs les plus -43- visibles dans I'histoire litteraire japonaise. -44-
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