ENQUÊTE Pièces de rechange ©SABENA TECHNICS PIÈCES DE RECHANGE Des stocks à ajuster Plus question de négliger la gestion des pièces de rechange. Vendues aux particuliers comme aux professionnels, souvent intégrées dans un contrat de service, elles constituent une source de revenu substantielle. Pourtant le poids du stock sur les comptes de l’entreprise, comme celui de l’obsolescence des pièces, en fait un sujet épineux. D’où le paradoxe : comment assurer un service maximal avec un stock minimal ? Les experts du métier tentent de répondre à cette question. 38 N°86 ■ SUPPLY CHAIN MAGAZINE - JUILLET-AOÛT 2014 nieur Maintenance chez Cofely Endel (groupe GDF Suez), partagent ce sentiment : « La demande pour les services d’optimisation de stock est forte, tous secteurs confondus, déclare ce dernier, nous avons des projets dans le nucléaire, notamment dans la gestion des déchets, dans l’aéronautique, la chimie… La prise de conscience est réelle et générale, mais la maturité est encore faible ». ©CAPGEMINI Principal, Capgemini Gilles Alais, ©BARLOWORLD SCS Country Manager France Barloworld Supply Chain Patrick Brzezinski, ©COFELY Ingénieur Maintenance, Cofely Endel Eric Cabaillé, Président de Transport Cabaillé (Groupement Astre) ©ASTRE S elon une étude réalisée en 2013 par Aberdeen Group auprès de 167 entreprises de service et manufacturières, 45 % des sondés indiquent s’être davantage focalisés sur la question de la gestion de la pièce de rechange, ou en V.O. le « service part management » sur l’année 2012. Problème, seuls 20 %, les « best in class », sont parvenus à optimiser leur stock avec une réduction moyenne de 5 %, contre une augmentation de 2 % pour les 50 % suivants et de 8 % pour 30 % restants. Si baisser les stocks intéresse bon nombre d’entreprises, gérer la pièce détachée ne semble pas être une problématique totalement mature. « La Supply Chain des pièces de rechange est généralement moins mature que celle des produits neufs car les enjeux business et le niveau d’investissement ont longtemps été moins importants. Nous observons néanmoins un basculement depuis cinq à dix ans du fait d’une lecture stratégique différente des activités d’après-vente et de services. Les groupes ont repositionné ces activités au cœur de leur stratégie avec de fortes attentes de revenus et surtout de marge » déclare Laurent Perea, Principal chez Capgemini Consulting. Gilles Alais Country Manager France chez Barloworld et Patrick Brzezinski, Ingé- Des niveaux de maturité inégaux Pour Thierry Bur, Senior Manager chez Cereza, si le sujet est relativement bien maîtrisé chez les grands groupes, il reste « un fort potentiel d’amélioration pour les PME-PMI ainsi que chez les concessionnaires, soit au travers de l’amélioration de leur système d’information ou de démarches GPA (gestion partagée des approvisionnements) s’ils sont partenaires de grands groupes. Le caractère erratique de la demande de pièces de rechanges nécessite généralement des modèles de prévision et de dimensionnement de stock et des politiques de stockage particulières ». « L’industrie automobile et les fabricants d’équipements de construction ont une réflexion avancée sur ce sujet, l’aéronautique un peu moins, et le reste du marché est loin du compte », avise Tony Abouzolof, Managing Director de Syncron UK. Eric Cabaillé, Président de Transport Cabaillé (Groupement Astre) n’est guère plus optimiste : « Nous avons souvent à faire à des acheteurs purs, leur seule préoccupation est de faire baisser les coûts. Quand nous parlons de performance, de productivité, ils répondent « économies », c’est une dérive. Parfois nous échangeons avec les directeurs Supply Chain ou Logistique, ils sont plus sensibles aux performances écologiques et logistiques. Cela dépend de l’enjeu du dossier et de l’expertise de l’interlocuteur », rapporte-t-il. « Il existe des écarts de maturité très importants, concède Luc Baetens, Managing Director chez Möbius France. Le secteur de l’automobile est avancé, mais ce n’est pas la même problématique que dans d’autres domaines. La fréquence de consommation rend la chose « plus simple », les parcs installés sont massifs donc on consomme des centaines de pièces, Laurent Perea, JUILLET-AOÛT 2014 - SUPPLY CHAIN MAGAZINE ■ N°86 39 ENQUÊTE Pièces de rechange Une problématique vaste et complexe On serait tenté de dire que la pièce détachée, ce n’est pas une problématique mais des problématiques tant les contraintes sont nombreuses et le sujet, vaste. Les prestataires sont de plus en plus sollicités. « La pièce de rechange est un élément de service stratégique. Il peut avoir un impact fort sur le bilan. Un niveau de stock est déterminé par une consommation, un délai et un niveau de service », résume Patrick Jeanroy, Directeur Logistique et Service chez Daher Aéronautique. Pour Olivier Jean-Baptiste, Directeur d’XP LOG, logisticien spécialisé dans l’automobile, la complexité réside dans l’extrême variété des références : « Cela va du boulon au châssis, de la carrosserie au consommable… Nous stockons même des motos complètes ». La faible rotation des pièces est un autre problème majeur, source de stocks morts et d’obsolescence. « Chez un fabricant de machines agricoles, nous avons réduit ©SABENA TECHNICS même rares, par mois. Dans l’aéronautique, les ordres de grandeur ne sont pas les mêmes, EADS ne fabrique « que » 42 Airbus A320 par mois. » les stocks de 30 % en deux ans, avec un impact significatif sur les stocks dormants. Pour ce client, une pièce commandée quatre fois par an était considérée comme ayant une forte demande », témoigne Thierry Bur (Cereza). « Une mauvaise décision sur le calcul des stocks peut amener à un taux d’obsolescence faramineux qui peut coûter des millions d’euros », souligne un logisticien spécialisé dans la pièce de rechange pour les engins de chantier et l’automobile. Le problème ? « Il faut maintenir les équi- pements jusqu’au dernier jour, mais le jour où leur exploitation s’arrête, tout le stock de pièces de rechange devient obsolète », rappelle Laurent Perea (Capgemini). Une difficulté également rencontrée dans la haute technologie, comme nous l’explique Frédéric Doutriaux SLM Strategic Accounts, PTC : « Les fabricants achètent des pièces pour les trois ans à venir et doivent prévoir « le last time buy », donc acheter un stock de pièces une dernière fois à la fin de la vie des composants pour prévoir la maintenance et les réparations tout le long du cycle de service du produit final ». Sans compter que les références dans le high tech changent à une vitesse folle. Pour Patrick Brzezinski Demain, l’impression 3D 40 N°86 ■ SUPPLY CHAIN MAGAZINE - JUILLET-AOÛT 2014 duire les pièces à la demande, durablement et en s’affranchissant des contraintes de maintien de l’outil de production, poursuit Laurent Perea. C’est par le sujet de la pièce détachée que l’impression 3D va percer, car cela répond à la question de la disponibilité : avoir la pièce au bon endroit et au bon moment, et à la question du maintien des capacités de production dans le temps. Quand cela va-t-il arriver ? C’est déjà une réalité mais on le verra de manière significative dans quelques années. Cette technologie a d’autre part une capacité à réduire le transport, donc l’engorgement dans les grandes métropoles. L’un des grands sujets est le rôle du distributeur, devient-il imprimeur, one stop shop ? » Attendez-vous donc à voir naître très bientôt des prestataires spécialisés dans l’impression 3D, prêts à reproduire à la demande, près des grands centres de consommation, toute une variété d’objets avec un outil de production industriel et performant. ■ PM ©FUSIA S’il est bien une innovation qui pourrait bouleverser en profondeur le monde de la pièce de rechange, c’est l’impression 3D. « L’additive manufacturing est l’innovation de rupture qui va probablement transformer radicalement la Supply Chain des pièces de rechange dans les 10 prochaines années », estime Laurent Perea, Principal chez Capgemini Consulting. En effet, en phase de fin de vie d’un produit, il est difficile de maîtriser les sources d’approvisionnement, les fournisseurs de rang 2 ayant parfois disparu et les outils de production n’étant plus en état de fonctionnement. Les remettre en marche coûte d’autant plus cher que les fournisseurs ont alors tendance à facturer les batchs de test et à exiger des quantités minimum bien au-delà des besoins des clients à l’instant T. Compte-tenu du faible volume et de la grande erraticité des commandes, la fin de vie est la phase la plus problématique. Dès lors, comment ne pas songer sérieusement à l’impression 3D ? « Il s’agit de pouvoir pro- Une question de criticité de la pièce Pour Luc Baetens (Möbius), le problème est ailleurs. « On peut se poser la question du coût du transport par rapport au coût du stockage, mais la question géographique est axée sur la criticité de la pièce. Si la pièce est critique, on la rapproche du client, le coût de trans- ©DAHER Vincent Baudry, Responsable du Pôle Services Wilo Salmson France ©WILO SALMON De la pièce au service Un grand nombre de prestataires s’engagent à présent sur des taux de service. « Avant le prestataire vendait juste de la pièce de rechange. Aujourd’hui, il vend du kilomètre », confirme Frédéric Doutriaux (PTC). C’est en effet le lot quotidien de la société Daher : « Le client nous confie son stock et nous nous engageons sur des taux de service. Nous pouvons être soumis à des pénalités en cas de manquement, révèle Patrick Jeanroy. C’est une problématique d’urgence, on ne laisse pas sur le tarmac un avion en panne. Nous travaillons très fortement avec nos clients le positionnement géographique des stocks AOG (Aircraft On Ground) pour être capable de mettre à disposition les pièces sur place le plus rapidement possible. » Ce qui requiert de pouvoir suivre les pièces en question : « Le cycle de vie d’une pièce de rechange est complexe et nécessite un système d’informations performant pour son suivi, notamment dans la boucle de réparation où la pièce peut connaître plusieurs états (à livrer, à scraper…). Dans nos secteurs, c’est un process qui nécessite des qualifications spécifiques, la quasi-totalité des pièces pouvant être avionnables », poursuit Patrick Jeanroy. Un bon SI est également nécessaire pour mettre à jour les inventaires, notamment au moment de Directeur Logistique et Service, Daher Aéronautique Luc Baetens, Managing Director chez Möbius France ©MÖBIUS (Cofely Endel), réduire les stocks, et donc les stocks morts, est la demande la plus pressante « parce qu’il y a trop de pièces dormantes, trop d’obsolescence. Tout cela coûte trop cher. La deuxième exigence porte sur le taux de service ». Un compromis entre géographie et transport La répartition géographique du stock semble être une piste de réflexion privilégiée. Elle s’articule souvent autour d’un arbitrage entre le coût du stock (pièces, entreposage, inventaires, dépréciation), la disponibilité des pièces et le coût du transport. Et la tendance est clairement à la centralisation. Ainsi, Wilo Salmson France, fabricant de pompes industrielles utilisées notamment dans le bâtiment, a décidé en 2013 de recentrer l’entreposage de ses pièces de rechange (et composants de production) sur une seule et même plate-forme à Louverné (53) afin de gagner en efficacité et en visibilité, tout en minimisant la redondance des pièces. « Sous 24 h, nous pouvons livrer toute la France. Avec l’ERP SAP, nous avons une visibilité en temps réel sur l’ensemble des stocks, sur tous les composants, de tous les sites de production en Europe », garantit Vincent Baudry, Responsable du Pôle Services. D’autres utilisent le transport comme composant actif dans la réflexion globale d’optimisation. « Selon les besoins du client et sa carte d’expéditions, nous déterminons avec lui où placer une plate-forme logistique en fonction de la provenance et de la destination des marchandises. Nous cherchons le meilleur compromis entre géographie et transport », assure Eric Cabaillé (Transport Cabaillé). Patrick Jeanroy, Frédéric Doutriaux, SLM Strategic Accounts, PTC ©PTC ©ASTRE la substitution d’une référence par une autre afin d’éviter stocks morts et duplications. Il permet enfin, de par la vision transversale qu’il peut donner sur les stocks, d’éviter de coûteuses redondances, une pièce pouvant alors être stockée dans un entrepôt central plutôt que sur de multiples sites, tout en restant accessible en J+1 dans la plupart des cas. JUILLET-AOÛT 2014 - SUPPLY CHAIN MAGAZINE ■ N°86 41 ©CEREZA Senior Manager chez Cereza Olivier JeanBaptiste, ©XP LOG Directeur, XP LOG Lionel Albert, ©C.POLGE Value Chain Sales Development Director chez Oracle Tony Abouzolof, ©SYNCRON Managing Director de Syncron 42 Savoir segmenter Une chose est sûre, réduire son stock de 10 % ne signifie en aucun cas réduire d’autant le nombre d’articles de chaque références, une opération synonyme de ruptures et d’excédents. Il convient alors de segmenter les références, et ce le plus finement possible. Et si chacun a ses méthodes, l’analyse de la nomenclature reste incontournable. « Nous travaillons beaucoup sur les N°86 ■ SUPPLY CHAIN MAGAZINE - JUILLET-AOÛT 2014 référentiels et les données techniques, essentiels pour le MCO (Maintien en Conditions Opérationnelles). Pour ceux qui n’ont pas eu la rigueur de construire ces référentiels dès le départ, leur constitution est une opération lourde, mais nécessaire », prévient Laurent Perea (Capgemini). Sans quoi il est impossible de prendre en compte les évolutions et substitutions de pièces, donc le cycle de vie des produits. Une segmentation par phase du cycle de vie est en effet une première piste d’optimisation. « La plupart des entreprises maîtrisent mal le cycle de vie des produits, juge Tony Abouzolof (Syncron), seuls les meilleurs y parviennent ». Le « lifecycle management », un domaine sur lequel PTC s’est fortement positionné ses 10 dernières années avec les acquisitions de MCA, puis de Servigistics, est en effet éminemment com- ©DAHER Thierry Bur, port est de second ordre. Dans le cas contraire, il est préférable de tout stocker au même endroit », conseille-til. Dans l’automobile, comme dans tout secteur reposant sur un réseau de revendeurs et de concessionnaires, on parle souvent d’optimisation multiéchelon, ou « central + région + concessions ». « Le dimensionnement multi échelon est apparu dans l’aéronautique, c’est là qu’il a le plus de sens compte-tenu du prix unitaire très élevé et de la demande erratique des pièces. Elle conduit à stocker en un point unique (généralement un magasin central) un article qui se vend peu et que les magasins peuvent commander en cas de besoin. Attention, cela ne fonctionne correctement que si le système d’information est performant », nuance Thierry Bur. « Avant les unités de service étaient organisées par pays, la tendance est désormais à la centralisation avec une optimisation de stock en central et une certaine liberté en local », acquiesce Frédéric Doutriaux. Dans tous les cas, une gestion centralisée des stocks est devenue la norme. « Dans le secteur de la pièce détachée automobile notamment, les centres de distribution et leur réseau de concessionnaires doivent stocker des centaines de milliers de pièces dans plusieurs dépôts pour atteindre les niveaux de service demandés. Le besoin de centraliser l’optimisation des stocks et la prise de décision dans ce genre de situation s’impose », reprend Gilles Alais. Barloword SCS est d’ailleurs récemment intervenu en qualité de consultant et d’éditeur auprès de Speedy France pour mettre en place une gestion centralisée des stocks. Le but étant de planifier et réduire son stock de 25 %, grâce au logiciel Optimiza, tout en améliorant la disponibilité immédiate de 15 %. ©BARLOWORLD SCS ENQUÊTE Pièces de rechange ©WILO SALMON greffer le module Service Supply Chain. PTC emprunte le même chemin, son module se nommant Service Part Management. plexe. Et en matière de pièces de rechange, cela signifie faire le tri entre les pièces destinées aux produits en phase de lancement, les produits matures, et ceux en fin de fin. Pour les produits matures, il s’agit essentiellement de comparer les prévisions de vente et de taux de panne avec la réalité et d’ajuster en fonction des différences constatées. Pour les lancements, il n’existe ni données, ni taux de pannes connus, mais les industriels ponctionnent généralement les pièces sur le stock de production. C’est le cas notamment de Wilo Salmson France. Cela minimise la problématique. En revanche, pour les produits en fin de vie, les choses se corsent. Selon Frédéric Doutriaux et Thierry Bur, les donneurs d’ordres auront tendance à passer une dernière grosse commande tant que les pièces sont encore dispo- nibles, en vue d’assurer la fin de vie du produit. Mais si la demande subsiste après épuisement des stocks, il faut parfois remettre en marche d’anciens outils de production, une opération très coûteuse. D’où la nécessité de calculer finement son besoin. La segmentation peut également s’établir selon la typologie de produits et selon leur criticité. Un article jugé critique sera alors gardé en stock, même sur de longues durées. « Encore faut-il pouvoir définir ce qu’est un article critique ! », s’exclame Thierry Bur. « La définition des pièces critiques/stratégiques est en général le résultat d’une collaboration entre des personnes de la maintenance, de la production et de la qualité », répond Patrick Brzezinski. « Les taux de services sont différents pour chaque produit et chaque région, nous optimisons le stock en fonction de la matrice produit-région », conclut un logisticien. Distinguer les flux Si l’on raisonne en termes de flux, Luc Baetens préconise de séparer les flux préventifs (maintenance programmée), des flux correctifs (réparation), ces derniers étant par nature imprévisibles, ce qui n’implique pas de les négliger. Même discours pour Lionel Albert, Value Chain Sales Development Director chez Oracle, qui sépare les « Supply Chains de services liées à la distribution comme celles de Carquest, l’équivalent d’Autodistribution aux USA, de réparation ou « repair centric », qu’elles soient internes ou externes, et celles de gros équipements industriels, dites asset intensive ». Oracle répond à ces problématiques par une plate-forme collaborative, un socle sur lequel vient se Gérer en interne… Mais au fait, à qui incombe la responsabilité d’optimiser les stocks ? Parfois, les sociétés préfèrent garder le contrôle de l’optimisation des stocks et laisser leur prestataire gérer l’opérationnel, comme c’est le cas chez XP Log : « Nous portons la flexibilité sur nos épaules. Le stock appartient au client, qui définit sa stratégie basée sur l’information que lui remontent ses concessions et sur des historiques N-1. Nous lui remontons les états de stock. Ensuite, il recoupe les données prévisionnelles des commerciaux avec nos données logistiques », décrit Olivier Jean-Baptiste. Parfois encore, le client se décharge totalement de la partie pièce détachées et s’en remet à son prestataire, qui lui propose alors un contrat de maintenance, pratique commune notamment dans l’aéronautique. Dans tous les cas de figures, chacun y va de sa touche personnelle : « Il s’agit d’un travail transversal entre les différentes équipes. Il implique l’ensemble des fonctions marketing, production, développement et commercial. C’est une gestion de projet », affirme Vincent Baudry (Wilo Salmson France). « En général, c’est un effort collaboratif, le point commun est que nous suivons toujours une ligne de stratégie donnée par le client », soutient également l’un des experts interrogés. … ou externaliser Si la plupart des entreprises gèrent leurs stocks de pièces de rechange en interne, d’autres préfèrent confier cette tâche à des spécialistes. Dans ce cas les réponses peuvent être légèrement différentes. « Dans cette situation, c’est parfois le Chef de produit qui dicte le taux de service, notamment sur les produits premium », précise un spécialiste. « Nous discutons d’abord avec les acheteurs puis avec la maintenance, sensible à la disponibilité des pièces. Le résultat est souvent un arbitrage entre les acheteurs et les responsables maintenance », révèle Patrick Brzezinski. Qu’en disent les éditeurs ? « Nous JUILLET-AOÛT 2014 - SUPPLY CHAIN MAGAZINE ■ N°86 43 sommes le plus souvent en contact avec les VP Supply Chain et SAV. Ce sont eux qui gèrent les inventaires et le côté opérationnel », partage Tony Abouzolof. « Nos interlocuteurs sont les logisticiens et les responsables du « customer service », la DSI vient après, en validation. Elle est d’ailleurs parfois outsourcée », répond à son tour Frédéric Doutriaux. « Le monde de la pièce détachée, avait historiquement des préoccupations très opérationnelles, avec une tendance à considérer de façon séparée le niveau des stocks et l’optimisation du réseau logistique, analyse Gilles Alais. C’est de moins en moins vrai, avec une demande accrue d’outils d’aide à la décision tactique, voire stratégique afin de répondre aux enjeux de type : agilité, réactivité, capacité d’adaptation aux circuits courts et à la forte croissance du nombre de références... En d’autres termes, l’informatique doit aider le décideur à se positionner sur des questions plus cruciales : Où implanter un entrepôt ? Quelle doit être sa taille ? Comment déployer le stock ? » technologie ». En matière de technologie, il existe divers types de logiciels à l’aise avec la gestion et l’optimisation des stocks de pièces de rechange. Sur le plan fonctionnel, certains sont des généralistes (ERP) et d’autres des spécialistes de l’optimisation de stocks. Les éditeurs de solution d’optimisation de stocks, qui revendiquent une spécialisation en pièces de rechange, ne sont pas nombreux. Ainsi, Slimstock met en avant des installations chez Mister Auto, Fokker Elmo (Câblage aérospatial) et Sotra Seperef. Barloworld SCS a installé ses solutions chez Sabena Technics (MRO), Telstra (télécom) et Volkswagen. Syncron a déployé sa solution chez Toyota, Volvo ou encore Electrolux. Enfin, PTC, plus connu pour ses solutions de PLM (Product Lifecycle Management), a développé ©COFELY ENDEL People, process et technologie Pour l’un de nos spécialistes, maîtriser ses stocks requiert la conjugaison de trois éléments : « people + process + ©DASSAULT ENQUÊTE Pièces de rechange 44 N°86 ■ SUPPLY CHAIN MAGAZINE - JUILLET-AOÛT 2014 des applications de SLM (Service Lifecycle Management) via le rachat de MCA et Servigistics, dédiés à l’optimisation de stocks de pièces détachées. Les solutions spécialisées mettent en avant leur bonne connaissance métier. Selon Tony Abouzolof, les ERP ne sont pas assez pointus en termes de prévisions, n’offrent pas assez de visibilité et ne vont pas assez loin dans l’optimisation. Ils n’offrent pas, au contraire de Syncron ou PTC, par exemple, de module de pricing. Ceci expliquerait l’intérêt grandissant pour les solutions spécifiques. « Notre cœur de métier sont les industriels et opérateurs, les gens qui produisent les pièces et qui les utilisent pour proposer des services. Lorsqu’il y a une forte problématique de réseaux distribués, de nomenclature, de maintenance, réparation et d’analyse détaillée des opérations de service, ils se tournent vers nous. Notre outil sait par exemple calculer combien il faudra de chaque pièce pour atteindre le taux de disponibilité voulu, cela permet d’optimiser le stock » atteste Frédéric Doutriaux. Les clients de PTC se nomment Dell, Honeywell, Dassault et beaucoup d’autres dans le secteur de l’aéronautique. Editeur majeur d’ERP, Oracle se pose en concurrent direct avec son module Service Parts Planning. Celui-ci a trouvé preneur chez Korean Airlines, Virgin Media et également Sun Microsystems, fabricant de serveur récemment passé dans le giron d’Oracle. « Sun expédie chaque année environ un million d’articles. En un an, le stock de pièces a été divisé par deux, de 800 à 400 M$, à taux de service constant (90 %), et le stock de sécurité a baissé de 20 M$ », dévoile Lionel Albert. Enfin, certains préfèrent utiliser une solution « standard », généralement SAP, quitte à développer un module maison d’optimisation. C’est la solution qu’a retenue Wilo Salmson France. « Certaines technologies permettent des choses assez impressionnantes. Service Parts Planning, que nous avons développé conjointement avec Deloitte et Ford, est l’état de l’art de la gestion des stocks. Mais ça ne fait pas tout. C’est un tiers de la performance. Le reste c’est les gens et leurs compétences », insiste ce spécialiste. ■ PIERRE MONCEAUX JMJ Automobile professionnalise son service pièces de rechange Le groupe régional JMJ Automobile a pris la décision de centraliser sa logistique de pièces de rechange, jusque-là éclatée sur plusieurs sites locaux. L’objectif affiché n’est pas la réduction des coûts, mais l’augmentation substantielle de la qualité du service rendu à ses clients, qu’ils soient concessionnaires du groupe ou garagistes indépendants. B ©CARPRO aisser les stocks n’est pas toujours l’obsession N°1 dans le monde de la pièce de rechange. La preuve ? Le projet Carpro (Centre Automobile de Réapprovisionnement de Pièces de Rechange d’Origine) de JMJ Automobile. Cette société familiale, créée en 1957, exploite 24 concessions Peugeot et Citroën dans les régions Bourgogne et FrancheComté. A partir de 1999, lorsque qu’elle se lance dans la commercialisation de la marque au chevron, JMJ Automobile s’appuie d’abord sur sept DOPR (Distributeur Officiel de Pièces de Rechange), des stocks gérés séparément les uns des autres et livrés chaque semaine par le centre principal de pièces détachées de PSA, à Vesoul. Une première rationalisation conduit d’abord à réduire à quatre le nombre de DOPR, puis JMJ Automobile se décide à tout centraliser sur un unique centre logistique de 6.000 m2 de pièces de rechange pour Citroën. Carpro ouvre en juillet 2013 à Tavaux, dans le Doubs, pratiquement à l’épicentre de l’ensemble des activités du groupe. « Ce projet ne s’inscrit pas tant dans une optique d’économie ou de rentabilité, mais davantage dans une logique de rationalisation, d’optimisation et de professionnalisation accrue. Notre objectif est d’offrir à nos clients une qualité de service optimale, une plus grande disponibilité des pièces et une meilleure efficacité », insiste Jacques Dubois, Directeur Général de JMJ Automobile. Directeur Général de JMJ Automobile Objectif 90 % de taux de service L’organisation va s’en trouver modifiée et le métier va se professionnaliser. Trois nouveaux postes sont créés sur le site Carpro (38 personnes), doté d’un call center de quatre personnes : un poste de responsable des achats, un de responsable des ventes et un de responsable logistique. Mais c’est sur le plan du service que le changement est le plus spectaculaire. Le nombre de réfé- ©CARPRO Jacques Dubois, rences disponibles, qui était de 5.000 à 6.000 du temps des DOPR, passe à 14.000 (extensible à 18.000, voire 25.000 références à terme). Comptetenu de l’effet d’échelle, les réapprovisionnements depuis le site PSA de Vesoul sont désormais effectués toutes les nuits, par semi-remorque complet, et non plus une fois par semaine dans les concessions. Quant au taux de service, compris entre 60 et 70 % auparavant, il atteint désormais les 86 %, avec l’objectif de passer la barre des 90 % à la fin de l’année. Les clients, qu’ils soient concessionnaires du groupe ou réparateurs indépendants, peuvent commander par téléphone ou par fax (de 8 h à 12 h et 13 h 30 à 18 h), mais également par internet jusqu’à 23h pour une livraison le lendemain avant 9h30 (deux livraisons par jour). Tout cela est orchestré par un nouveau système d’informations exploitant au maximum les synergies entre un DMS (Dealer Management System), le système de gestion commerciale pour les concessionnaires, et un WMS, le logiciel de gestion d’entrepôt Geode de l’éditeur Sage. L’idée de coupler ces deux outils a été initiée par l’éditeur britannique pour le groupe PSA en 2007, lorsque le constructeur avait décidé de créer sept platesformes logistiques régionales de pièces de rechanges pour ses propres concessionnaires intégrés. C’est le succès de cette mise en œuvre qui a incité JMJ Automobile à choisir la même solution informatique. Mais si le WMS (Geode) est toujours dans le giron de Sage, l’activité DMS (I’Car DMS) est désormais rattachée depuis 2013 à un nouvel éditeur indépendant, I’Car Systems, qui continue JUILLET-AOÛT 2014 - SUPPLY CHAIN MAGAZINE ■ N°86 45 ENQUÊTE Pièces de rechange de commercialiser cette offre couplée DMS+WMS sous le nom de Plateforme PR. 46 Des effets positifs sur le business En effet, la centralisation des stocks génèrera à terme quelques économies intéressantes : moins de ressources dans les concessions (dont un certain nombre sont en cours de modernisation), mais également moins de surface, car les magasins de pièces de rechange n’auront plus besoin d’autant de place. Par ailleurs, l’effet de masse critique fait bénéficier de meilleures conditions avec PSA, avec des camions complets et beaucoup moins de recours aux livraisons en urgence. Le fait de disposer d’une zone de stockage importante (24.000 emplacements) permet également de constituer des stocks sur palettier en profitant astucieusement des promotions constructeurs pour acheter aux meilleurs prix. Mais le principal bénéfice attendu de l’opération est que cela va contribuer à développer l’activité auprès des garagistes indépendants. « Grâce à la qualité de notre stock, nous gagnons des parts de marché au quotidien auprès de garagistes qui s’adressaient jusque-là plutôt à un grossiste parce qu’ils pensaient y trouver une meilleure disponibilité que chez le concessionnaire », reconnaît Jacques Dubois. ■ JEAN-LUC ROGNON ©CARPRO ©CARPRO ©CARPRO Un stock globalement moins important « Nous avons repris l’historique des ventes de toutes les concessions du groupe, ce qui nous a permis de définir le stock de départ de Carpro, avec 14.000 références qui représentent environ 80% de nos ventes, explique Noël Pétaud, Directeur de Carpro. Nous avons une qualité de stock complètement différente par rapport à celle d’un concessionnaire : on peut se permettre d’avoir des références pour des pièces à faible rotation, fait-il remarquer. Et même si nous n’avons pas encore tiré le premier bilan, il apparaît que notre immobilisation financière est moindre. Le stock aujourd’hui sur Carpro est valorisé à 2,5 M€ alors que des gros sites comme ceux de Besançon ou de Dijon avaient déjà à eux seuls 1 M€ de stock de pièces de rechange, tandis que les autres concessions étaient à plus de 500.000 € de stock », ajoute-t-il. La centralisation a notamment un effet positif sur le stock mort, qui tend à diminuer. Reste que le projet a nécessité un investissement total de plus de 3 M€, incluant le terrain, la construction du bâtiment et les infrastructures à l’intérieur de l’entrepôt. « Nous considérons Carpro comme un centre de besoins, ce n’est pas un centre de rentabilité. Si nous finissons à zéro par rapport au périmètre de départ, cela nous va bien », précise Jacques Dubois, qui indique que le projet est « globalement à l’équilibre ». N°86 ■ SUPPLY CHAIN MAGAZINE - JUILLET-AOÛT 2014
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