ÉDOUARD PARMENTIER – La Grande Guerre à Nivelles du 29

ÉDOUARD PARMENTIER – La Grande Guerre à Nivelles du 29-12-1914 au 04-01-1915
Mârdi 29 dè décembe 1914 1914-12-29 (1)1914-122631
L’èscadron qui stoût à Baulez èy’à Thines vint s’èrmète al vile.
L’escadron qui était à Baulers et à Thines revient à Nivelles.
Mèrcrèdi 30 dè décembe 1914 1914-12-30 (1)1914-122631
Les vwètur´ pou ’l tram nè povont pus passer pal rûwe dè Bruxelles ni pal ciène dè Namur.
On dit què Guillaume èsst´ arivé du costé d’ l’Yser pask’i straproût doûlà.
À Bruxelles, on dit qu’les Russes foutont dèl ploume à tout skèter à les Autrichiens.
Les voitures pour l’arrêt du tram ne peuvent plus passer par la rue de Bruxelles ni par la rue de
Namur.
On dit que Guillaume est arrivé du côté de l’Yser parce que cela se passait mal de ce côté.
À Bruxelles, on dit que les Russes infligent défaite sur défaite aux Autrichiens.
Djeúdi 31 d’décembe 1914 1914-12-31 (1)1914-122631
’L canon buche toudi. On anonce què les saudârds belges ârine infoncé l´z Allemands èy’ ârine
fét deûs mile prijonîs.
Audjoûrdu, pon d’èrtrète maugré qu’les cabarèts sont vûdes à wit eûres. I n’a qu’les saudârds qui
d’in profitont pou dmorer dins les cabarèts du martchi.
I couminche à straper pou ’l farine èy’on pâle dè diminuwer ’l racion d’amitan.
Comint ç’qu’on est cî lodjî au trinte èt yun décembe dèl promière anéye dèl guêre : pupon d’train
pou les vwèyajeûrs, on n’a qu’èl tram qui va sk’à l’Èspinète.
Èl posse nè marche pus. Les lètes dè moûrts sont poûrtéyes à les mézos pau cyin qui vût bi n fé
’s posse-là.
D´z autos passont toufêr, mès èles nè bèzassont què d´z Allemands. In gayârd à vélo èsst´ aussi
râle qu’in bleû tchin.
Les pavéyes sont gardéyes pa des saudârds. On a leû mézo in.nindjéye pa des saxons. On n’a pus
pon d’pètrole, dins les mézos d’ouvrîs c’est des tchandèles qui lumont ou bi n on fét ’l lumière avè
dèl grésse dè bœuf qui brûle dins in crassèt.
Èl pangn´ est gris èyè l’èstoumak s’d’in rsint ’l coup d’in démon. Èl sé dvi nt râle èyè les déréyes
n’sont pus à aprochî.
Les clokes des èglîjes nè soûnont pus qu’pou in trépas èyè pou l´z intèrmints.
L’èstâcion, l’Èscole lormale èy’èl ciène des grènadiers dèsboûrdont d’saudârds èyè d’puces.
L’oûrlodje dèl vile marke toudi l’eûre du payi des boches èyè d´z afiches dins toutes soûrtes dè
langues sonsst´aplakéyes dsu les mur´pou anoncî qu’les Allemads avançont sans lachî d’in crin.
Dèl guêre, on n’sét tout djusse què çu qu’on pût lire dins La Belgique, Le Bruxellois, l’Écho de
la Presse èyè l’Ami de l’Ordre. S’on vût avwêr ène aute gazète qui a ’l chance dè passer ’l frontière,
i faut l’payî ’l gros prix, çu qui vût dire deûs, twès èyè pacoû cîk francs. Maugré ça, on n’est ni n
rtcheû èyè on èsst´ asseûré qu’in djoû ou l’aute on l´z âra pal gaye.
Doûcî, in ratindant, c’est Tony qu’est mésse.
Édouard Parmentier,
Nivèle, èl trinte èy yun du mwès d’décembe 1914.
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ÉDOUARD PARMENTIER – La Grande Guerre à Nivelles du 29-12-1914 au 04-01-1915
Le canon tire toujours. On annonce que les soldats belges auraient enfoncé les lignes
allemandes et fait 2000 prisonniers.
Aujourd’hui, pas de couvre-feu bien que les cafés soient vides à huit heures; Il n’y a que les
soldats qui en profitent pour rester dans les établissements du marché.
La farine commence à devenir rare et on parle de diminuer la ration de moitié.
Voici comment on vit le 31 décembre de la première année de la guerre : plus aucun train pour
les voyageurs, on n’a que le tram qui va jusqu’à l’Espinette.
La poste ne fonctionne plus. Les lettres mortuaires sont portées aux maisons par celui qui veut
bien faire ce travail-là.
Les autos passent sans arrêt, mais elles ne transportent que des Allemands, quelqu’un sur un
vélo est aussi rare qu’un chien bleu.
Les routes sont gardées par les soldats. Nos maisons infestées par des Saxons. On n’a plus de
pétrole ; dans les maisons d’ouvriers ce sont des bougies qui éclairent ou on fait de la lumière avec
de la graisse de bœuf qui brûle dans une lampe à l’huile.
Le pain est gris et notre estomac s’en ressent durement. Le sel devient rare et les denrées sont
hors prix.
Les cloches des églises ne sonnent plus que pour un décès ou pour les enterrements.
La gare, l’École normale et celle des grenadiers sont pleines de soldats et de puces.
L’horloge de la ville marque toujours l’heure du pays boche et des affiches dans toutes sortes de
langues sont collées sur les murs pour annoncer que les Allemands avancent sans reculer d’un pas.
De la guerre, on n’est juste au courant de ce qu’on peut lire dans « La Belgique », « Le
Bruxellois », « l’Écho de la Presse » et « l’Ami de l’Ordre ». Si on a un autre journal qui a la
chance de passer la frontière, il faut le payer au gros prix : 2, 3, et parfois 5 francs.
Malgré cela on n’est pas découragé et on est assuré qu’un jour ou l’autre on leur tordra le cou.
À Nivelles, en attendant, c’est Tony qui est maître.
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Les notes en français du dossier n°2 qui suit, proviennent de L’Armonak des vrais Aclots de 1924.
Elles ont été complétées avec les notes manuscrites de l’agenda du dossier n°5 des archives. Les
notes sont de nouveau manuscrites en wallon à partir 2 juin 1915 jusqu’au 13 janvier 1916. Elles se
poursuivent en français jusqu’en décembre 1917.
Vendredi 1er janvier 1915 1915-01-01 (2)1915-010102 (5)1915-010100a
Sombre journée de Nouvel An. Les visites officielles sont supprimées en signe de deuil, celles que
l’on fait ordinairement aux parents et amis sont considérablement réduites.
Affluence de pauvres aux portes des maisons bourgeoises.
Les Allemands menacent d’infliger une amende de 10.000 F à la ville si les six soldats belges
réformés ne se présentent plus à l’appel. Violente canonnade dans la direction du sud-ouest.
Voitures (*) les plus disparates au tram , une est un corbillard de Manage que l’on a transformé en
diligence, une autre est une ancienne charrette de marchand de meubles devant la portière de
laquelle on place une chaise pour les voyageurs se hisser à l’intérieur ; une autre porte comme
inscription : « Transport de voyageurs pour Jumet, spécialité de veau, mouton et porc ».
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ÉDOUARD PARMENTIER – La Grande Guerre à Nivelles du 29-12-1914 au 04-01-1915
Certains jours, cette file de voitures partait de la rue de Bruxelles et se prolongeait jusqu’au
boulevard des Arbalétriers. Plusieurs Nivellois avaient abandonné leur commerce ou leur métier
pour entreprendre un service de transport de voyageurs. Comme chevaux, on n’aurait pas pu
rencontrer plus belle collection de haridelles.
Des gens s’improvisèrent colporteurs de toutes espèces de denrées, Van Loo café, charbon détail...
etc.
Le manque de pétrole fit faire une grande consommation de carbure et de bougies et comme l’usine
électrique n’avait pas cessé un seul jour de livrer le courant, quantité de maisons se raccordèrent au
fil.
(*) Parmentier parle ici de véhicule hippomobile attendant les voyageurs à l'arrêt du tram au carrefour du
boulevard et du faubourg de Bruxelles (NDLR).
Samedi 2 janvier 1915 1915-01-02 (2)1915-010102 (5)1915-010204a
Les Allemands arrêtent des parents des soldats belges réformés qui se sont enfuis ou cachés. Vive
émotion en ville. Le soir, les personnes arrêtées sont transférées à la prison et une sentinelle est
placée devant chacune des cellules qu’elles occupent.
La nuit du désarmement de la garde civique, le major, qui savait depuis huit heures du soir que ce
désarmement devait avoir lieu, fit transporter chez son frère, chaussée de Hal, deux énormes valises.
Le frère ne fit entrer chez lui comme c’était son habitude, les gardes de service au passage à niveau
que lorsque ces valises furent bien cachées.
Au tunnel de Braine-le-Comte, on oublie un jour à son poste le garde Carion qui fit un service de 24
heures sans arrêt.
Dimanche 3 janvier 1915 1915-01-03 (2)1915-010306
On lit dans les églises une lettre du Cardinal Mercier qui relate les atrocités de la soldatesque
allemande lors de l’envahissement de notre territoire. Cette lettre produit une vive impression.
Les Allemands arrêtent des personnes qui habitent dans le voisinage des maisons des soldats belges
réformés.
Lundi 4 janvier 1915 1915-01-04 (2)1915-010306
La canonnade est toujours très violente. À l’église Notre-Dame, service solennel pour le repos de
l’âme de Louis de Bondtridder, tué le 5 août dans les environs de Liège.
On annonce l’arrestation du Cardinal Mercier. On recherche toujours les soldats belges réformés.
Le fils Hernalsteen ainsi que Fievez se rendent, délivrant le premier son père, le second son voisin
Corbisier. Le père Pauwels se constitue prisonnier pour son fils, ce qui fait mettre en liberté
Delvaille.
Visite des membres du comité hispano-américain sous la conduite de MM. Meere et du baron de
Stenault. Réunion à l’Hôtel de Ville et constitution du comité régional de secours et d’alimentation.
Ils décident d’installer un magasin dans toutes les communes comprises dans le rayon d’action de
ce comité. Le magasin régional qui desservira tous ceux des communes, aura son siège chez
MM. Diesbecq frères, rue du Géant (l’ancien moulin Diesbecq, à traction électrique, 2-4 rue du
Géant, NDLR).
On annonce que la ration de pain sera sous peu diminuée de 75 grammes (donc 325 g de pain) et
que la ration de farine sera de 250 g.
Dans la soirée, on annonce la mort du soldat Louis Duchateau, qui aurait été tué, le 29 septembre, à
Thisselt.
Al sèmin.ne qui vint.
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