www.levinlerougelachine.com Editorial du maire de Bordeaux Alain Juppé ancien Premier ministre « L’histoire de Bordeaux est indéfectiblement liée à celle du vin. Depuis deux mille ans, le vignoble a dessiné la cité et sculpté les paysages du Bordelais. Aujourd’hui Bordeaux est au centre du plus grand vignoble de vins fins du monde : plus de cent vingt mille hectares, environ 7400 châteaux, 300 maisons de négoce et 60 appellations d’origine contrôlée. La Chine, quant à elle, en est aux prémices de son histoire avec le vin. De plus en plus de consommateurs chinois découvrent le vin français et en tombent amoureux. La Chine vient de prendre la place de 1er marché des vins de Bordeaux à l’export. Plus de 75 propriétés bordelaises ont été acquises par des investisseurs chinois ces 3 dernières années. Au-delà de ces relations commerciales se nouent également des relations amicales. C‘est ainsi que les liens entre Bordeaux et la Chine se sont concrétisés par un jumelage avec Wuhan en 1998, portant sur des partenariats économiques, éducatifs, et surtout culturels. Le superbe livre d’entretiens « le Vin, le Rouge, la Chine » de Laurence Lemaire se veut une référence pour ce qui a trait à notre terroir incomparable, les cépages, les traditions, les métiers du vin… Car le vin de Bordeaux demande quelques égards. Il est d’abord le produit d’une rencontre miraculeuse entre des hommes, une terre et les deux fleuves qui la traversent. Mais ces éléments conjugués ne suffisaient pas à produire un vin comme celui de Bordeaux : pour cela, il a fallu la patience, la persévérance et la passion de nombreuses générations de viticulteurs, qui ont su apprivoiser ce que la nature leur offrait. Le vin de Bordeaux est le fruit d’une civilisation et d’une culture spécifique à notre région que nous sommes fiers de faire découvrir, grâce à Laurence Lemaire, aux amateurs de l’Empire du Milieu. » photo © Thomas Sanson Sommaire Editorial du Président du Conseil Régional d’Aquitaine, Alain Rousset Editorial du Maire de Bordeaux Alain Juppé Préface, présentation, comparatifs de Bordeaux et de la Chine 02 03 04 Le vin en Chine L’histoire. Pourquoi planter des vignes et boire du vin ? Ses régions viticoles, ses producteurs, distributeurs et importateurs Le groupe français Pierre Castel L’OMC, la publicité et les prix chinois, la politique 10 11 14 15 Le vin de Bordeaux L’histoire, l’AOC, l’INAO Le vignoble bordelais, ses 60 appellations et ses cépages associés Le Mascaret ou la montée des eaux Une bouteille de Bordeaux en cadeau La bataille de Castillon en 1453 Qui est Emilion ? Les classements des vins du Médoc en 1855, des Pessac-Léognan et celui des vins de Saint-Emilion. Les ventes en Primeurs. Le French paradox Exporter mieux Le CIVB Conseil Interprofessionnel du Vin de Bordeaux : export et bars à vin La famille Ginestet L’Académie du vin de Bordeaux France Wine : exporter les vins puis vendre ses châteaux Xavier Carreau : regrouper les producteurs, faciliter le travail pour l’export Jie Yu, consultante chinoise en vins français Vendre des châteaux aux Chinois Invest in France BGI Bordeaux Gironde Investissement avec Stéphane Garcia Les titres de séjour La Chambre de Commerce Internationale Aquitaine : le Chinese desk et le Club objectif Chine avec Emmanuelle Fragnaud l’IFL : société spécialisée dans l'acquisition de vignobles et châteaux La Chine plante ses vignobles Maxwell Storrie Baynes / Christie’s : agence immobilière La Safer Tracfin L’image Les étiquettes avec l’agence Exceptio de Stéphanie et Sophie Javel La forme de la bouteille Contrefaçon de marques et leur protection avec l’agence Inlex 17 18 19 19 21 22 23 25 26 28 30 31 32 33 34 36 39 40 41 42 44 48 49 Le nez, le goût, le climat Michel Rolland œnologue Qu’est-ce qu’un terroir ? Les systèmes d’irrigation L’art de la dégustation, apprendre à sentir, à boire La pollution en Chine et le goût de la baie du raisin avec Guy Boiron La Tonnellerie bordelaise : le goût du chêne et son influence sur le vin Le chêne français Luc Chenard œnologue : un terroir pour un cépage Le laboratoire de l’œnologie 210 cépages autorisés en France ; et en Chine ? Les porte-greffes Le vin bouchonné Gérard Colin œnologue en Chine : château Grace winyard ; château Lafite à Penglai ; les accords mets-vins de Gérard Colin Château Lafite : succès et contrefaçons ; l’appellation Pauillac 52 52 53 54 55 56 57 59 61 62 64 65 Les effets du réchauffement climatique 68 Châteaux français à la vente, Pourquoi ? Concurrence French paradox Loi Evin et loi pour la sécurité routière Taxes diverses, retraite, héritage, patrimoine 72 Description de 100 propriétés viticoles achetées par les Chinois Comment ont-ils été achetés ? Pourquoi ont-ils été vendus ? Dans leur chapitre, je développe également : Le négoce et la Place de Bordeaux Le jardin à la française La Commanderie du Bontemps et le Ban des vendanges Le festival de Dalian La Cour des comptes de Chine accuse… Le Vin de glace Antoine Medeville œnologue L’UNESCO et les 8 communes de Saint-Émilion Les coteaux Sud de Saint-Emilion Le vin de garde Classement 2012 des Saint-Emilion La fête de la lune La grande muraille de Chine La rose des vignes Le thé de Pu’Er (Yunnan) jumelée à Libourne ; les tannins Exposition Le thé et le vin : une passion partagée Jean-Claude Berrouet et Claude Bourguignon ingénieur agronome Intronisations de la Jurade de Saint-Emilion Les Corréziens Le cépage carménère Chaptaliser La limite d’une appellation Le jardin anglais La baie de Goji La Belgique Appellation Saint-Estèphe La bouteille de 75 cl Toulouse-Lautrec La future AOC chinoise Accords mets-vins Tommy et Andy Shan, restaurant Au bonheur du palais Le rosé Yu Zhou, écrivain fin gourmet L’école de restauration ICFA en stage en Chine Le sommelier Philippe Faure-Brac, François Adamski et Hervé Bizeul Château Guiraud, Sauternes 1er Grand cru classé 1855 en agriculture biologique L’agriculture biologique AB La pourriture noble L’UGCB et les vendanges de l’aéroport de Bordeaux Les Sweet Bordeaux 176 179 179 180 180 181 182 183 184 185 Art, Culture et Histoire Bernard Magrez possède 40 châteaux dans le monde et un Institut culturel Sylvie Cazes raconte la contribution des étrangers au vin de Bordeaux Roger Dion, écrivain l’UNESCO 186 192 194 195 Tourisme, échanges, les Chinois à Bordeaux L’Office du Tourisme de Bordeaux avec Stéphan Delaux Le Manuel de savoir-vivre à l'usage du touriste chinois malpoli Le Savoir-vivre academy of Etiquette and modern manners Des étudiants chinois à Bordeaux Film franco-chinois et film tourné à Bordeaux Internet : sites de vente de vins et les réseaux sociaux chinois Tongtong, traductrice, interprète et accompagnatrice touristique 196 197 198 199 201 201 202 Ecoles de vin et les sommeliers 204 207 Musées et caves Grégory Pecastaing négociant et son Musée du vin et du négoce La vente du château Gevrey-Chambertin en Bourgogne Les châteaux de Pauillac et ceux de Bernard Magrez Château Maucaillou La Winery et le Domaine de la Grave Quatre éco musées et Planète Bordeaux 209 211 211 212 212 213 Festivals, manifestations autour du vin en Chine et en France La région Aquitaine et la Chine Les Maisons Sud-Ouest France L’Aapra. La Chambre d’agriculture de la Gironde Wuhan et la province de Hubei, jumelées à Bordeaux et à l’Aquitaine PSA Peugeot Citroen Chengdu, capitale de la province gastronomique du Sichuan Les + de l’auteur La cave du Dynastie et l’Association des Chinois du Sud-ouest de la France Les néo z’arrivants à Bordeaux Bordeaux Patrimoine Mondial & ses Routes des Vins Coffrets et étiquettes. Guide à Blaye. Les Sources de Caudalies Château de Rouillac La future Cité des Civilisations du Vin 214 216 217 218 218 220 Extraits Préface Le 26 janvier 1964, un bref communiqué était publié simultanément à Paris et à Pékin : « Le gouvernement de la République française du Général de Gaulle et le gouvernement de la République populaire de Chine ont décidé d'établir des relations diplomatiques. » Depuis 1979, la politique d’ouverture de Deng Xiaoping a renoué le dialogue entre les décideurs chinois et occidentaux. Quelques années plus tard, le ‘’monde des affaires’’ parle de marchés, de chiffres et de pourcentages. C’est la course à la productivité. Les Français, ceux qui ne sont pas des investisseurs, situent la Chine depuis une quinzaine d’années seulement, grâce aux articles économiques et aux reportages télévisés qui diffusent des images de sublimes paysages, de tours gigantesques, d’usines du monde, de Droits et de Devoirs…De nombreux observateurs s’accordent à penser que ce pays sera la 1ère puissance économique mondiale en 2020. La Chine est devenue un Eldorado mais elle n’est pas un Paradis. Tout le monde peut s’y installer mais à la condition d’être performant, de faire valoir de véritables atouts, et surtout d’apprendre le terrain, d’accepter ses procédures et ses lois, ses codes politiques et sociaux, et de comprendre sa différence culturelle. Le philosophe Lin Yutang a écrit dans ‘’De l’importance de vivre’’ : « De tous les peuples, ceux qui ont le plus de points communs, ce sont les Français et les Chinois : sens du raffinement, goût pour les mots, la peinture, la cuisine, une vénération pour l'éducation, goût pour l'humour, l'humour pour rien, pour se faire plaisir, pour communiquer.» Ainsi, sur 7 400 propriétés viticoles que compte le Bordelais, les Chinois ont acheté plus de 100 châteaux depuis 1996. « le Vin, le Rouge, la Chine » est un livre sur le vin de Bordeaux pour les Chinois, pour ceux qui visitent nos châteaux, qui souhaitent investir, entreprendre, déguster, apprendre....100 châteaux achetés par un groupe ou un particulier chinois sont décrits. J’explique les appellations, le terroir inimitable et les cépages, les investissements souhaitables, les métiers du vin et l’export, les lois françaises, les raisons des ventes, les accords mets-vins, le changement climatique.... « En une génération, la politique, l’économie, la transformation des classes sociales, ont fait en Chine un autre homme de la rue, écrit Henri Michaux en 1967. On ne reconnaît plus le mien, celui que moi et bien d'autres voyageurs et résidents avions vu en 1932. Il me plaît, quant à moi, tirant les leçons de ma fâcheuse surprise, de penser que, quoi qu'il arrive, et quoiqu'elle tende à être, la Chine sera toujours différente. Elle revit. Il faut être heureux de ne plus la reconnaître, de la connaître autrement toujours, toujours inattendue, toujours extraordinaire. » Il faut plus d’un an de recherches pour trouver « le » château à acheter. En règle générale, la transaction s’opère en toute discrétion. Parmi les acquéreurs chinois de châteaux bordelais, on trouve des entreprises d’Etat, des patrons de grands groupes présents dans la métallurgie, le pétrole, l’immobilier, l’agroalimentaire, la mode, la bijouterie, les salles de jeux, le tourisme, et des représentants de la filière chinoise du vin. Il y a également un architecte et une star de cinéma. Ces financiers, ces connaisseurs et ces amateurs chevronnés développent leur réseau en Chine pour commercialiser leur production de vins français. La Chine compte environ 300 milliardaires et 1 million de millionnaires. La France produit 70 millions d’hectolitres par an ; la production de la Chine est de 10 millions d’hectolitres et va augmenter ces cinq prochaines années. Début 2014, les Chinois consomment 1 litre de vin par an, les Américains 20 litres et les Français 60 litres environ. Les investissements de la Chine se portent sur la France mais aussi sur l’Australie, l’Argentine, le Chili, la Californie, la Nouvelle-Zélande et l’Afrique du Sud. Depuis 2011, la Chine (Hong Kong et Taiwan compris) est le 1er exportateur des vins de Bordeaux, en volume et en valeur. Zhonghua Renmin Gongheguo c’est la République populaire de la splendeur du centre. ‘’Enrichissez-vous’’ disait Deng Xiaoping : le revenu des ménages a quintuplé en un quart de siècle, les citadins sont passés de la carte du Parti à la carte de crédit. Lors du XVIIIème Congrès du Parti Communiste du 8 novembre 2012, Hu Jintao avait nommé son successeur Monsieur Xi Jinping ; il a pris ses fonctions le 14 mars 2013. Après des années d’embellie, la Chine subit les conséquences de la crise économique et financière internationale : elle doit rééquilibrer son économie en se concentrant sur la croissance extérieure et non plus seulement sur l’investissement et les exportations. Le Cinquantenaire de l’amitié France-Chine - les accords Le Président de la République française, François Hollande, s’est entretenu avec le Président de la République populaire de Chine, Xi Jinping, le 25 avril 2013. François Hollande a déclaré que l’Etat français est prêt à lever tous les obstacles aux investissements chinois, à condition « qu’ils contribuent à la création d’emplois et à l’activité ». Il y a 50 ans, le 27 janvier 1964, la France a été le 1er pays de l'Occident à nouer des relations au rang d'ambassadeur avec la nouvelle Chine. « Le gouvernement de la République française du Général de Gaulle et le gouvernement de la République populaire de Chine ont décidé d'établir des relations diplomatiques » écrivaient les médias. Le Président chinois Xi Jinping était en visite officielle en Europe, en France du 25 au 28 mars 2014, dans le cadre de ce 50ème anniversaire ; il était accompagné de son épouse, la populaire chanteuse et général de l'armée chinoise Peng Liyuan, et de 200 hommes d'affaires. Le 1er juillet 2013, les autorités chinoises avaient lancé une enquête anti-dumping et antisubventions à l’encontre des vins européens exportés vers la Chine ; les volumes de crus bordelais exportés avaient alors reculé de 16%. Les Chinois représentés par la CADA (Chinese Alcohol Drinks Association) et les Européens par le CEEV (Comité Européen des Entreprises Vins) ont signé un accord le 21 mars 2014 : les Européens apporteront un soutien technique et financier pour l'implantation en Chine de cépages adaptés, et pour la formation de leurs viticulteurs. L’industrie chinoise appuiera l'organisation de dégustations de vins européens en Chine, la formation de ses consommateurs ainsi que la promotion de la culture vitivinicole européenne. Maxwell-Storrie-Baynes Agence immobilière Karin Maxwell a été négociante en Angleterre et importatrice de vins de Bordeaux pendant 17 ans. Près de Saint-Emilion, elle a créé son agence immobilière puis elle s’est associée à Doug Storrie et Michael Baynes en 2009. Ils sont spécialisés dans la transaction viticole et travaillent pour les investisseurs chinois. En 2008, la CCI Chambre de Commerce et d’Industrie de Bordeaux a invité Karin Maxwell à Hong Kong. Elle a présenté sa société immobilière devant 40 hommes d’affaires chinois, des avocats et des intermédiaires, et leur a expliqué comment acheter des propriétés viticoles en France. Elle avait déjà un solide portefeuille de châteaux à la vente car elle travaille comme agent immobilier dans la région de Bordeaux depuis 1994. « Grâce à mes connaissances en vin, je m’étais déjà orientée vers l’acquisition de domaines viticoles. Les vendeurs restaient discrets comme les transactions ; le milieu était fermé mais ils ont compris que j’ai des relations internationales, m’explique-t-elle. La plupart des vendeurs n’a plus les moyens d’investir pour une meilleure production ; ils se sont tournés vers les acheteurs étrangers et je travaille avec les Chinois, entre autres. » Agent immobilier n’est pas un métier facile : pour bien conseiller ses clients, Karin évalue la qualité de la propriété : château, chai, vignoble ; elle connaît tous les paramètres économiques, fiscaux, comptables… « J’analyse la situation. Mes dossiers sont extrêmement techniques et l’audit est réalisé par un professionnel du vin. » Cet audit informe des qualités comme des défauts : le nombre de ceps à l’hectare, la conformité du vignoble par rapport à son appellation… « Il nous faut parfois trois mois pour réunir toutes les données sur le château en vente, car nous sommes pointus sur la qualité des informations. C’est un bon dossier qui entraîne une bonne vente. » Quelques vendeurs préfèrent rester discrets par rapport à leur voisinage ; d’autres ne souhaitent pas de publicité car ils craignent que leurs clients n’achètent plus la production de leur vignoble s’il est passé aux mains chinoises. La Safer intervient pour favoriser l’acquisition par un jeune repreneur, un agriculteur ; c’est son rôle. «La Safer n’est pas un agent immobilier mais elle sait estimer la terre agricole. Nous nous complétons car je sais évaluer le prix des bâtiments, du château et de ses pierres.» Karin doit travailler avec la Safer et un notaire. Si le futur propriétaire n’est pas un professionnel du vin, il doit passer par ‘’le contrôle des structures’’, quel que soit sa nationalité et ses moyens financiers. « Le seul soucis est que la Safer publie chaque année la moyenne des prix des transactions effectuées dans la région ; ses chiffres peuvent être trompeurs : c’est une moyenne entre les parcelles de vignes mal entretenues et les beaux vignobles, sans distinctions. Elle devrait réaliser une fourchette de prix et non pas une moyenne de prix. Comme ces chiffres sont mal compris par les Chinois, ils tentent de négocier à la baisse et ratent parfois une bonne affaire. » C’est le travail de Karin de jouer et déjouer les subtilités et les paramètres imposés pour une acquisition. « Certaines personnes s’improvisent agents immobilier ou intermédiaires ; sans expériences, ils font échouer des transactions et nuisent à ma profession. Les professionnels du vin qui sont sollicités par des acheteurs potentiels se mettent, eux, en relation avec moi. » Les dossiers sont trop complexes pour être confiés à des amateurs. Les acheteurs qui pensent gagner de l’argent en se passant du service et des conseils des experts, risquent d’échouer. La Safer société d'aménagement foncier et d'établissement rural, examine la candidature de l’acquéreur ; son projet doit être en conformité avec la politique d'aménagement et de développement local. Cette entreprise d’Etat dépend des ministères du budget et de l’agriculture ; cela rassure l’acquéreur étranger. Elle s’assure que celui-ci va poursuivre l’activité viticole et préserver le patrimoine : ‘’le contrôle des structures’’ est un questionnaire de 20 pages qui lui accordera la licence pour exploiter les terres. La Safer peut refuser sa demande d’achat. Si elle lui donne l’agrément, le domaine doit rester une exploitation agricole pendant 10 ans, et une demande doit être faite pour un bâti supplémentaire. La Safer prend les risques juridiques : sa commission est mentionnée sur l’acte de vente et en cas de litige l’acheteur se retournera contre elle. « Le compromis de vente français est très précis ; les Chinois n’ont pas la culture de l’acte écrit et ils commentent chaque détail jusqu’à la signature finale, me dit Hervé Olivier, son directeur régional. « Le plus souvent, les Chinois rachètent des propriétés qui sont à vendre depuis longtemps et qui n'intéressent pas les gens du coin en raison d'un modèle économique difficilement tenable. » Lily a été intronisée par les Hospitaliers de Pomerol Depuis avril 2013, Li Lijuan (master de vin à l’INSEEC) s’occupe des clients chinois pour Maxwell-Storrie-Baynes et gère les traductions. Originaire de Chengdu la jeune chanteuse, installée à Bordeaux depuis 2008, a travaillé au château Grand Mouëys avant d’être embauchée par Karin Maxwell. Lily parle 4 langues et elle a sa carte professionnelle d’agent immobilier, gage de qualité et de crédibilité pour les investisseurs chinois. Tél : + 33 (0) 5 57 84 08 82 [email protected] Maxwell-Storrie-Baynes est une filiale de la Maison Christie’s. Depuis l’été 2013, Christie’s International Real Estate est associée à la branche qui vend des vins aux enchères ; elle a ouvert un bureau à Hong-Kong spécialisé dans l'acquisition de propriétés viticoles. Li Lijuan est son correspondant à Bordeaux. Les Français qui vendent… La génération qui a de 55 à 70 ans pense à vendre son domaine car elle a des enfants qui ne veulent pas hériter d’un vignoble en indivision, ou qui vivent loin, ou qui ont une autre profession. « Je constate aussi que les jeunes, à cause du malaise économique français, préfèrent être salariés d’une entreprise plutôt qu’être leur propre patron, dit Karin. C’est devenu très compliqué d’être à son compte en France, à cause des contraintes administratives, de la ‘’paperasse’’, des lois, des charges. Les seniors ont été à leur compte mais ne peuvent pas transmettre cette envie à leurs enfants car ils croulent sous les papiers administratifs depuis une dizaine d’années. Aujourd’hui, un vigneron passe autant de temps à son bureau que dans ses vignes. » - Mais les Chinois, eux aussi, vont passer autant de temps dans cette paperasse. « En effet. Lorsque j’organise les visites de châteaux, je fais venir un notaire et un comptable pour leur expliquer toutes les obligations relatives aux lois françaises. Je pense être le seul agent à opérer de cette manière. Je leur conseille d’embaucher une personne pour gérer cette partie administrative et je leur trouve une solution. Le repreneur a l’obligation de garder le personnel en place ; c’est une bonne chose car l’équipe est la mémoire de la propriété, elle est précieuse. » Le futur propriétaire chinois ne craint par notre législation car il ne s’en occupera pas personnellement ; déjà en Chine, il délègue ce genre de problèmes, de ‘’paperasse’’. …et ceux qui achètent. « Les Sud-africains, qui ont des vignobles en Afrique du Sud, craignent leur politique locale et achètent des petits vignobles ici en vue d’un éventuel déménagement ; leurs deux périodes de vendanges sont inversées et peuvent être effectuées par la même équipe. Nous sommes sollicités aussi par des Américains fortunés ; ils aiment les chartreuses du XVIIIème siècle typiques de la région. Les Chinois préfèrent les bâtiments hauts avec des tours.» Depuis 2012, l’agence Maxwell-Storrie-Baynes a vendu les châteaux Grand Mouëys, Milord, Quercy, Birot et Renon à des Chinois (cf leur chapitre respectif). Début 2013, Karin a vendu à la famille Mottet le château de Seguin, une propriété de 173 hectares à Lignan-de-Bordeaux (à 20 kms à l’Est de Bordeaux) ; Bruno Mottet racontait : « Pour exporter mon vin en Chine, c’est la Cave du Dynastie installée à Bordeaux qui m’a le plus aidée : la patronne Leelee Huang a aimé mes vins et m’a fait confiance. Puis, une scène du film ‘’Jiang Ai’’ a été tournée dans le parc de mon château (cf le chapitre sur le tourisme) et ça m’a aidé à vendre mon vin lors des manifestations de 2011 : en effet, j’avais été photographié entre les deux célèbres acteurs et cette photo a eu un impact conséquent. » Karin Maxwell reprend : « Il faut savoir négocier avec les Chinois, savoir ce qu’il faut dire et ne pas dire ; ils sont différents des Français et des Anglais : ils vont s’attacher à des choses que nous trouvons peu importantes et négliger un point fondamental pour nous. La plupart investit 10 millions d’euros au maximum dans un vignoble ; mais on commence à avoir des demandes avec des budgets plus importants : ils sont un deuxième, voire un troisième achat… Avec un dossier bien monté, il peut se passer seulement six mois entre la 1ère visite de l’intermédiaire d’un Chinois et son entrée au château en tant que propriétaire. Un de nos acquéreurs a été aidé par notre bureau Christie’s de Hong Kong. » Christie’s International Real Estate a des bureaux dans plus de 100 pays. Son actionnaire principal est le français François Pinault. « Notre base de données est internationale ; Christie’s a la clientèle de toutes les banques du monde entier. Notre communication est mondiale. ‘’Bringing Bordeaux to the world and the world to Bordeaux’’ dit Karin, Emmener Bordeaux vers le monde et le monde à Bordeaux est le maître-mot de l’agence » Tél : + 33 (0) 5 57 84 08 82 et www.maxwellstorriebaynes.com Quais de Bordeaux Quais de Hong Kong Contrefaçons de marques Inlex Créé en 1995 par Eric Schahl et Franck Soutoul, la société Inlex est aujourd’hui un acteur majeur de la Propriété Intellectuelle. Une équipe de 70 personnes accompagne les entreprises dans leur stratégie et gère les contrefaçons. Avec Céline Baillet, je parle de la Chine et du vin français : le dépôt des marques, l’opposition à l’enregistrement de marques identiques et les opérations de saisiecontrefaçon. Entre autres problématiques, elle accompagne les vignerons français dans la protection et la défense de leurs droits : * Défendent-ils efficacement le nom de leur château ? * Leur marque est-elle protégée en Chine ? * Leurs relations contractuelles avec leur distributeur sont-elles sécurisées ? Le négociant souhaite envoyer un vin en Chine et le propriétaire doit protéger sa marque avant le départ des bouteilles. « Pour déposer la marque, je vérifie auprès de l’Office chinois (National) que le nom est libre, me raconte Céline Baillet. Si c’est le cas je procède au dépôt et l’Office chinois enregistre la marque. Cela coûte au viticulteur environ 1000 € pour 10 ans. Malheureusement, dans 95 % des cas, je m’aperçois qu’elle est déjà enregistrée en Chine, en langue française et chinoise. » - Un Chinois dépose donc un nom de château sans même le connaitre ? « Oui, c’est un particulier ou l’importateur-distributeur si le vin a déjà été commercialisé par lui : en déposant la marque, l’importateur se protège afin que le Château soit obligé de passer par lui pour vendre son vin sous son nom. Juridiquement c’est lui qui est propriétaire de la marque et pas le viticulteur français. » - Le Français peut-il racheter sa marque ? « Oui. Mais c’est compliqué et c’est très cher. Le Chinois qui travaille dans le vin préfère faire du business à long terme, rester propriétaire de la marque et continuer de vendre le vin du Château. D’autres Chinois, qui n’ont rien à voir avec les domaines viticoles, enregistrent des marques de vins pour les revendre aux propriétaires. Pour nous, Français, ce sont des dépôts ‘’frauduleux’’ car c’est une forme de racket. Je tente donc d’informer l’Office chinois qu’un dépôt n’aurait jamais dû être accepté, mais seuls les Grands vins ont gain de cause. Il faut donc négocier avec le propriétaire de la marque. » - Le viticulteur peut changer la marque de son vin, la déposer par tes soins en Chine, puis vendre son vin avec son nouveau nom. « Si son vin avec son nom d’origine est déjà connu en Chine ce n’est pas une bonne idée. C’est pourquoi certains vignerons prennent le risque de vendre leur vin sans être propriétaire du nom de leur Château. Ils sont alors des ‘’contrefacteurs’’, ils attendent d’être contactés par le détenteur de leur marque pour négocier. En revanche, si le vin d’un viticulteur n’est pas connu en Chine, je lui conseille de changer son nom et de faire des étiquettes spécialement pour le marché chinois. » - Il faut donc faire enregistrer sa marque avant la première exportation. « Bien sûr. Un dépôt pour la Chine continentale et un dépôt pour Hong Kong.» - Les vins Français sont-ils les plus touchés par ce ‘’commerce’’ ? « Oui. Sauf les grands vins français et les grands groupes qui se sont protégés depuis leur première exportation.» - Et les étiquettes ? « Celles qui sont les plus représentatives sont déposées également, comme le galion du château Beychevelle et celles du château Mouton Rothschild par exemple. » - Les exportations ralentissent. Les prix baissent. « Les Chinois apprennent à boire du vin. Si le Français offre du champagne pour une belle occasion, le Chinois offre une bouteille de Bordeaux. » La contrefaçon, la ‘’copie du maître’’, est la rançon de la gloire (lire le chapitre de Gérard Colin et château Lafite). Le gouvernement chinois est très actif pour retirer du marché des produits illicites et condamner les contrefacteurs. En avril 2014, la Chine a lancé une procédure de reconnaissance de l'indication géographique "Bordeaux" : une protection pour les bouteilles françaises victimes de contrefaçons à l'étranger. Inlex Céline Baillet Conseil en propriété industrielle 16 rue Danjou 33000 Bordeaux [email protected] Tél : + 33 (0) 5 67 80 10 88 Fax : + 33 (0) 5 17 02 22 65 www.inlex.com Jean-Baptiste Thial de Bordenave, avocat collaborateur de Inlex, me disait que le premier indice pour constater une contrefaçon c’est le prix peu élevé d’une bouteille qui affiche pourtant l’étiquette d’un château prestigieux. Tél : + 33 (0) 5 56 52 12 46 Office chinois des marques www.chinatrademarkoffice.com Extraits Œnologue français en Chine Gérard Colin Dans les années 1990 en Chine, 15 millions de quintaux de céréales étaient utilisés pour produire de l’alcool : le jiu. Pour restituer à cette céréale sa fonction première : être consommée au lieu d’être bue, le Gouvernement a relancé la culture de la vigne en 1987. 600 vignobles pour 400 000 hectares de vignes ont été plantés mais sans véritable notion de terroir ou de qualité : juste pour faire du vin, le désinhibant qui préserve le lien social. Gérard Colin, œnologue bordelais, a amélioré Grace Vinyard, le vignoble de Monsieur CK Chan, chinois de Hong Kong et de sa fille Judy Leissner qui préside l’exploitation. Susan Johanna Jakes, la correspondante du Time (célèbre hebdomadaire américain), arrive de Pékin pour interviewer Gérard. « J’aimerais créer un vin 100% chinois, avec une variété de raisins chinois, lui dit-il. Greatwall, Dynasty, Dragon seal sont des vins issus du cabernet mêlé à d’autres cépages. Moi, je préfère travailler sur des petits vignobles, comme un produit de luxe, l’artisanat d’art. Chaque œnologue fait un vin différent et on ne fait pas du vin pour soi ; on s’adapte à l’évolution des goûts.» Il est midi. Pour l'apéritif, Gérard propose du vin de noix…le fromage nous manque. « J’adore le fromage de chèvre mais avec du vin blanc, du sancerre ou du pouilly fumé, me dit Gérard Colin, du munster avec un vin d’alsace, du camembert avec du cidre, du roquefort avec un porto…Je crois très moyennement à l’association mets-vins ; c’est du snobisme. Lorsque je fais du vin, je pense à son goût à lui et pas aux nouilles ou au tofu que mangent les Chinois. Je cherche à faire du bon en priorité. La cuisine chinoise s’associe mal au vin, car avec 18 plats servis au centre de la table et picorés à tout va, les seules boissons qui s’adaptent sont l’alcool, le thé ou la bière ; le seul vin qui peut passer c’est le blanc, un muscat proche du vin jaune chinois, un vin oxydatif… acide et sucré : ils vont parfaitement avec ces mélanges de plats. Mais la couleur rouge étant le symbole de fortune et du bonheur en Chine, elle produit peu de vins blancs. Je propose des associations metsvins à certains restaurants qui servent à l’assiette. » Gérard poursuit : « Un litre de Bai Jiu c’était les 1 000 calories indispensables aux ouvriers chinois, leur carburant ; ils ne mangeaient pas de viande tous les jours mais ils étaient ivrognes. Et là où les travaux de force n’existent plus, ce vin n’a plus de raison d’être. Le Français est passé de 150 litres de consommation de vin par an, à 50 litres en l’espace de 30 ans. Aujourd’hui, le Chinois boit 33 litres de bière par an, zéro il y a 20 ans parce qu’il buvait du Bai Jiu ; le thé est délaissé au profit des soft drinks etc… Nous sommes dans des produits de mode plus que de culture ou de tradition. Pour apprécier le vin, il vaut mieux être servi à l’assiette. Et ça n’empêche pas la convivialité.» Château Lafite Rothschild en Chine extraits : Gérard Colin est un ‘’architecte paysagiste concepteur de vignobles’’. Les Domaines Barons de Rothschild cherchaient le meilleur emplacement pour développer un vignoble de qualité en Chine. En 2006, Christophe Salin, directeur général de DBR, confia cette étude à Gérard Colin : il a trouvé un vignoble de 25 hectares extensibles à 50 dans la péninsule de Penglai (province du Shandong). Pendant 7 ans, il a dirigé son élaboration en partenariat avec le groupe national chinois CITIC. Dans cette province, la viticulture est en plein essor grâce à une combinaison entre les terroirs en altitude et ceux qui sont à proximité de la mer : sa production de vin a doublé entre 2005 et 2011, et les plus grandes marques du vin en Chine y sont implantées. Dans cette zone concurrentielle et convoitée, les équipes françaises de Lafite ont déployé les grands moyens : un partenariat avec le groupe chinois d’investissement Citic et un investissement de 100 millions de yuans (environ 12,5 millions d’euros) pour faire pousser des vignes à partir de zéro, bâtir des installations techniques et un château de 1600 m2 qui réconciliera les cultures européenne et asiatique. « Penglai est une station balnéaire célèbre ; la ville est desservie par d’excellentes infrastructures routières, portuaires et aéroportuaires, m’explique Gérard Colin. La péninsule offre également des atouts climatique et géologique et nous croyons fortement dans le potentiel de ce vignoble. Cependant, en choisissant Penglai, nous savions que les travaux à entreprendre seraient très importants. En effet, les équipes ont aménagé 30 hectares de collines. 40 000 tonnes de pierres ont été extraites et plus de 9 kilomètres de murs de pierres sèches ont été construits autour des parcelles. Le vignoble regroupe 30 parcelles et plus de 200 terrasses. Au mois de mai 2011, 12 hectares ont été plantés. Les cépages seront le Cabernet Sauvignon en majorité mais également la Syrah, le Cabernet Franc, le Merlot, le Petit Verdot et le Marselan. Tout en Chine est pharaonique : un vignoble chinois a généralement 200 à 1 000 hectares et comprend toutes les infrastructures comme les complexes réceptifs, touristiques, projets immobiliers… Ce ne sont pas du tout les mêmes proportions que dans le Bordelais… En comparaison à de telles dimensions, notre vignoble de Penglai est bien modeste, mais c’est une conception bordelaise appliquée à un terroir chinois. La sélection pour la qualité passe par le choix des cépages et également par une réduction des rendements. Cette recherche de l’excellence est la caractéristique première du groupe DBR. Le vin rentre progressivement dans les habitudes de consommation des Chinois mais on ne peut pas encore parler d’une culture du vin comme en France. C’est un apprentissage qui se fera au fil du temps et auquel nous espérons contribuer. » Olivier Richaud a remplacé Gérard Colin en février 2013. Gérard travaille sur un nouveau vignoble dans le Xin Jiang à Turpan, sur la route de la soie. Je rencontre Michel Négrier à Bordeaux. Il est directeur commercial international pour DBR Lafite. « Ces dernières années la Chine a surenchérie sur les Grands crus, me dit-il. Depuis 2012, un vin comme Lafite est vendu au plus proche de sa vraie valeur, et il reste toujours le plus demandé. Sous l’influence des Occidentaux, cette marque est présente depuis 25 ans à Hong Kong. Aujourd’hui, une dizaine de ville chinoise a la taille de Hong Kong, avec un petit pourcentage de connaisseurs en vins qui ont voyagé et visité des châteaux, qui connaissent les millésimes et les cépages. Pour les autres, ceux qui ont gagné de l’argent vite, le vin est un élément de style de vie, comme la belle voiture ; ils ont 35 ans, des moyens financiers et se constituent une belle cave rapidement. ‘’Rapidement ‘’ car ils disent « on ne sait pas ce qui peut se passer demain » : ils connaissent l’histoire et la révolution culturelle chinoise. Cette génération d’enfant unique n’a pas de temps à perdre. Le marché change très vite, au rythme de leurs envies, voire de leur frénésie. C’est pourquoi il est indispensable que DBR travaille avec ‘’la Place de Bordeaux’’ (courtiers et négociants cf chapitre Chine / Diva Bordeaux) et non pas en direct avec eux, car ils seraient capables de nous acheter toute la production de Lafite, là, tout de suite. » Succès et Contrefaçons L’offre des vins du Château Lafite n’est pas extensible : la production est limitée. Hormis les commandes des familles royales à travers le monde, les investisseurs s'emparent d'une grande partie de sa production. Il y a donc peu de vrais Château Lafite sur le marché chinois. Il est aisé pour les fabricants de vin frelaté de duper les consommateurs car devant une contrefaçon, ils préfèrent garder le silence pour ne pas perdre la face. La contrefaçon est un mal qui touche les marques à forte notoriété. Château Lafite est concerné car il est la marque phare en Chine. Mais DBR a mis beaucoup de moyens pour se défendre : les juges réagissent vite et le groupe gagne ses procès, ce qui fait reculer les copieurs. Leur site web en chinois communique sur ces actions. « On peut dire que la contrefaçon est la rançon du succès, me dit Michel Négrier. Ce succès est dû à plusieurs facteurs : nous avons 25 ans de présence en Chine, avant les autres ; le nom ‘’Lafite’’ est facile à prononcer pour un chinois, le son est agréable ; les sitcoms, ces feuilletons réalisés par la télévision de Hong Kong dans les années 80, mentionnaient notre vin comme un symbole de réussite, sans même que le groupe DBR soit au courant. L’étiquette est reconnaissable car elle est la même depuis longtemps. Et surtout, Château Lafite est un vin facile à boire et on en reboit ; son gout est remarquable. Notre notoriété est mondiale car la diaspora chinoise internationale distribue notre marque ; elle veut du DBR. » Face à la forte croissance de la demande, le Groupe Rothschild a acheté plusieurs vignobles ces dernières années, afin d'augmenter sa production : « Le Baron Eric de de Rothschild et Monsieur Salin ont visité au Chili des dizaines d’exploitations avant le coup de cœur pour le site de Los Vascos : quand le lieu est beau, une magie s’opère dans le vignoble. En Argentine, le Bodegas Caro est un vin élégant ; le sol de ce vignoble est aride, l’altitude bloque la maturation et donne un vin complexe », explique Michel Négrier. Fin 2012, DBR a acquis 26 hectares de vignes dans la région de Malborough en Nouvelle Zélande. Dans le Languedoc (Sud de la France) un site ancien et traditionnel a charmé le Baron en 1999 ; de nouvelles vignes ont été replantées ; 10 ans après, « parce qu’il faut être patient » château d’Aussières est un très bon vin. « En Chine dans le Shandong, il y a une colline, un lac, des cultures en terrasses… Nous associons un beau site et son sol à notre savoir-faire. Si les Chinois sont impatients et veulent avoir du vin vite, nous, le Groupe Rothschild, avons le temps, ce qui nous permet d’être sélectifs. Quel que soit le pays, les consommateurs sont toujours ravis de boire le vin local. Quand des grandes structures comme la nôtre, aident les Chinois à faire du bon vin, ça leur plait, ils sont fiers. En Chine nous ne faisons pas ‘’le Château Lafite’’ ; nous faisons un vin chinois sur un vignoble exploité par DBR. Le seul ‘’Château Lafite’’ 1 er Grand Cru classé, est produit à Pauillac dans le Médoc. Notre vin chinois sera issu des raisins du Shandong avec nos compétences. Il y a d’autres projets français, d’exploitation de vignes en Chine, un projet philippin également… Mais c’est compliqué d’avoir un partenariat chinois car vous n’êtes pas propriétaire du vignoble mais locataire pour 99 ans ; c’est pourquoi certains grands groupes hésitent à investir. » Extraits Quelques châteaux appartenant à la Famille Qu Lamont vins, filiale du groupe Haichang Il y a 20 ans environ, Monsieur Qu a fondé le groupe Haichang, un conglomérat présent dans le transport maritime, le pétrole, le tourisme et l'immobilier, basé à Dalian. Son directeur général, Li Hengrui, ancien capitaine de marine marchande, expose la logique du Groupe dans la diversification du vin : « Haichang veut se développer dans le haut de gamme ; c'est l'avenir pour la Chine, et de la ville de Dalian qui se veut en pointe dans le domaine de la mode et du luxe. Nous sommes à un stade où les Chinois aspirent à une plus grande satisfaction matérielle et spirituelle. Le vin, la culture française, le romantisme, cela correspond parfaitement à ce qu'ils cherchent, explique-t-il. Acquérir des châteaux français est une manière de produire des vins authentiques. » La famille Qu est aujourd’hui propriétaire d’une vingtaine de vignobles bordelais dotés de maisons prestigieuses. Avec ses acquisitions, le groupe Haichang a créé sa filiale Lamont vins. Château Branda (photos ci-dessus) et son vignoble de 36 hectares ont été vendus en 2011 par la société Leda de la famille Lesgourgues, connue pour ses Armagnacs, ses vins de Bordeaux et de Madiran. Le château médiéval de Branda fut construit à la fin du XIIIème siècle sur les vestiges d'une villa gallo-romaine. Les armées d'Edouard III d'Angleterre l'occupèrent en 1360 pendant la guerre de Cent Ans. Le temps et les ans avaient considérablement endommagé ces vestiges, transformés en bâtiments agricoles. En juin 1997 un chantier de restauration avait duré 3 ans : il est repris aujourd’hui par le groupe Haichang. Le vignoble est en appellation Puisseguin Saint-Emilion. Il est situé à 30 kms au Nord-est de la ville de Bordeaux. 13 chemin Freyche 33240 Cadillac-en-Fronsadais Les meilleurs ‘’retraités’’ au service de la famille Qu Ancien négociant pour la maison de négoce Ginestet et ancien président du CIVB (Conseil Interprofessionnel des Vins de Bordeaux), Christian Delpeuch a créé une structure de conseils. Pour représenter les nombreux vignobles bordelais de Monsieur Qu, ce professionnel reconnu m’expliquait : « Nous restructurons les propriétés pour obtenir une qualité de vin irréprochable. Nous souhaitons nous fondre dans le paysage existant, avec un comportement exemplaire de nos équipes sur le terrain. » Christian Delpeuch s’était bien entouré…. Pourquoi les propriétaires ont-ils vendus les domaines, et pourquoi Lamont vins les achète-t-il ? Les anciens propriétaires du château Bertranon ont fait un mauvais calcul financier en l’achetant sept ans auparavant, car ils n’ont pas eu les moyens de le restaurer. Christian Delpeuch me confirme : « il est dans un état lamentable même si l’ensemble parait magique, le toit s’écroule à cause des termites, et les vignes sont dans un état déplorable. Lamont vins l’achète parce qu’il est splendide et le Groupe a les moyens de le restaurer. Pour le moment, le programme du Groupe Haichang est d’investir pour restaurer, pas pour revendre. Je m’occupe des restaurations des bâtiments avec des équipes françaises mais les plus gros investissements portent sur les vignobles. » Le bureau de Christian Delpeuch domine les vignes du château Branda. Il me montre une parcelle de vignes en friche : « nous avons arraché les mauvais pieds de vignes ; nous remettons tout à niveau, les vignobles comme les chais de tous les châteaux du Groupe. » Haichang a contacté Christian pour accompagner son projet sur plusieurs années ; ce dernier a souhaité connaître les intentions de Monsieur Qu : « Il m’a expliqué qu’il voulait investir dans la pierre, remettre tous ces châteaux en bon état ; il considère que le niveau d’investissement, aux vues de la beauté des bâtiments, n’est pas énorme. En plus de ça, il est intéressé par l’appellation « Bordeaux » qu’il pourra commercialiser en Chine. Mais pour ça, il faut restaurer les vignes pour qu’elles produisent des vins de qualité. Et depuis que je travaille avec Monsieur Qu, j’investi, je restaure. » Il est évident que le retour sur investissement sera long, sur 20 ans sans doute, mais le Groupe a les moyens et le désir. Dans un premier temps, les châteaux recevront ses amis et ses financiers. Les ouvertures des domaines au public, les réhabilitations en chambres d’hôtes et l’oenotourisme interviendront plus tard. « Monsieur Qu travaille avec plusieurs agents immobiliers et choisit ses acquisitions au coup de cœur. » Sur l’ordinateur de Christian, je regarde les photos des châteaux prises par un drone (avion miniature commandé à distance et supportant un appareil photos) ; à part la bâtisse du château Millaud-Montlabert, toutes les propriétés sont sublimes. « En France, le Groupe est axé sur l’immobilier viticole de Bordeaux. Il est possible qu’il investisse en Bourgogne ces prochaines années. S’il n’est pas intéressé par la Napa valley (vignobles de Californie) c’est parce qu’il n’y a pas de bâtiments de prestige, pas d’histoire. Pour l’instant, le prestige c’est la France et c’est Bordeaux. » - Le terroir de Bordeaux est donc inimitable ? « ‘’Un’’ terroir c’est l’association du sol, du climat, des hommes et de la technique. S’il manque un de ces quatre éléments, ce n’est pas ‘’Un’’ terroir. Les Chinois boivent de plus en plus de vin, pour notre plus grand plaisir et le leur. La production locale augmente et c’est une bonne chose. Mais l’idée n’est pas de copier un terroir et les différentes parcelles d’une appellation. Chaque terroir a sa place. Chaque terroir a ses limites aussi. Le Bordelais a la chance de son terroir. Pour moi, le seul pays qui a un terroir viticole d’exception et qui n’est pas encore très exploité c’est l’Argentine, avec ses vignobles de ‘’Mendoza’’ et de ‘’Salta’’. Il manque peut-être un des quatre éléments.» La Cour des comptes de Chine Elle a délivré le mercredi 25 juin 2014 son rapport sur l’année 2013, et suspecte 314 cas de « violations majeures de la loi et de la discipline ». La campagne anti-corruption lancée par Pékin accuse la firme d’investissement Ruiyang et le Groupe Haichang d’avoir acquis des vignobles français avec des fonds publics chinois, d’avoir acheté des vignes et 14 châteaux à la place de technologies étrangères, d’avoir donc détourné quelque 32 millions d'euros alloués par l'État. Le quotidien Sud-Ouest et ses deux journalistes César Compadre et Éric Meyer, ont publié le 26 juin 2014 : « Dans le cadre d’une vaste opération anti-corruption, la Cour des comptes de Pékin révèle que le groupe Haichang a détourné des fonds publics pour payer certains de ses 23 châteaux girondins. » Le groupe Ruiyang accusé ne serait pas le propriétaire de château Les Brettes. « Des ondes négatives virevoltent au-dessus de certains des 90 châteaux bordelais acquis à la vitesse grand V, ces dernières années, par nombre d'investisseurs chinois. Salariés laissés à l'abandon, gestion ‘’sportive’’, incompréhension des règles françaises, tentation de louvoyer, doutes sur les motivations réelles des achats, voire sur l'origine des fonds…(…) Le grand nettoyage a été lancé en septembre 2013 par Xi Jinping, premier secrétaire du Parti communiste chinois. Afin de consolider son pouvoir et de remettre sur les rails un pays en train de sombrer dans les détournements, Xi a lancé ses organes de contrôle, la Cour des comptes et la Commission centrale de discipline (la police interne du PCC) dans toutes les directions (…) De façon insolite, l'État chinois va sans doute se retrouver propriétaire de ces biens sans l'avoir voulu, ni pouvoir récupérer son argent avant longtemps. » Châteaux de Bordeaux à la vente, pourquoi ? La concurrence Le vignoble bordelais s’est trop agrandi ces dernières années : de 75 000 hectares en 1970 il est passé à 117 000 puis à 112 000 hectares en 2014. Des vignes en AOC ont été plantées à la place des ‘’vins de table’’. Les charges des viticulteurs ont augmenté. Dans le monde, en 1980, on plantait à tour de bras, en particulier dans les nouveaux pays viticoles : Californie, Argentine, Chili...Leur production a doublé en 10 ans. Les consommateurs voyagent de plus en plus et découvrent de nouveaux vins. La concurrence et la mondialisation ont fait baisser les prix du vin du Bordelais. La France n'est plus le centre incontournable pour les acheteurs étrangers. En 1990, l’Angleterre s’est tournée vers les vins du ‘’nouveaux monde’’ et néo-zélandais, et la grande distribution française s’est effondrée. Les effets du French paradox Les effets bienfaiteurs du vin pour la santé ont été diffusés en 1991. En 1998, le pic de vente dans le monde des vins français, et en particulier des Bordeaux, a été atteint. 6,2 millions d’hectolitres de vins de Bordeaux ont été vendus. Les conditions économiques étaient favorables. « A cette époque, certains négociants achetaient, sans goûter parfois, le tonneau de Bordeaux à 10 000 francs (1 600 €). La hausse des prix a été trop rapide et trop élevée. Le marché n’était pas maîtrisé et ces tarifs n’ont plus jamais été atteints. A partir de l’année 2000, la crise économique a contribué à sa chute. On s’est réveillé un matin avec la gueule de bois ! » m’expliquait Xavier Carreau, un ami proche du scientifique Serge Renaud, l’inventeur du terme french paradox. Ces vers célèbres sont passés de mode : « Aimer est le grand point, qu'importe la maîtresse. Qu'importe le flacon, pourvu qu'on ait l'ivresse.» La coupe et les lèvres, écrit en 1830 par Alfred de Musset (1810-1857). La loi Évin et la Sécurité routière La loi Evin, votée le 10 janvier 1991, lutte contre le tabagisme : elle interdit la publicité sur le tabac et sa vente aux moins de 18 ans ; elle imposait également des lieux publics réservés aux fumeurs. Concernant l'alcool, elle déclare que « Toutes les boissons de plus de 1,2% d'alcool par volume sont considérés comme des boissons alcoolisées ». La loi interdit la publicité pour ces boissons à la télévision afin de ‘’protéger les jeunes’’. Une tranche horaire bien précisée à la radio, et la presse spécialisée peuvent faire de la publicité avec le message sanitaire obligatoire : « L'abus d'alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération ». En fait, tout ce qui n’est pas autorisé par son texte est interdit. C’est un casse-tête pour les publicitaires. En mars 2004, l’affiche du CIVB qui présente une femme avec le slogan ‘’Buvons moins buvons meilleur’’ est interdite car elle est trop conviviale ! Lorsque le Valde-Loire parle de la ‘’jeunesse de ses vins’’ cela peut inciter les adolescents à boire = interdit. Interdit aussi le slogan ‘’la nuit est rose’’ pour le champagne rosé de Moët-etChandon : ses bulles risquent de faire apparaître quelques éléphants ! Mon livre même devrait être frappé d’interdit pour incitation à la débauche. Le slogan ‘’Bordeaux, des vins, un style’’ sur fond de table (photo de droite) est accepté par la loi, enfin !…L’ANPAA, Association Nationale de Prévention en Alcoologie et Addictologie est la plus répressive. © CIVB Le 25 juillet 2014, le CIVB a obtenu gain de cause dans le conflit qui l'opposait à l’ANPAA au sujet de sa publicité "Portraits de vignerons" : après 9 ans de bras de fer, elle est enfin acceptée par la loi Evin. C’est une victoire pour le CIVB mais Bernard Farges, son président, demandait encore le 13 octobre 2014 « la clarification du cadre dans lequel on peut parler du vin en France ». En effet, la campagne ‘’Il y a tant à découvrir’’ propose 5 visuels ; l’un d’eux représente des papillons ; que va en penser l’ANPAA ? « Nous déplorons l’absence de dialogue constructif avec les pouvoirs publics dans notre pays, en particulier avec le ministère de la Santé » disait Joël Forgeau, président de Vin & Société. En France, la consommation de vins et d’alcool a baissé de moitié en 10 ans. Le 5 mai 2002, Jacques Chirac a été réélu Président de la République. Son ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy a fait de la ‘’sécurité routière’’ son fer de lance. Entre autres mesures, il réduit le taux d’alcool autorisé au volant. « A la télévision, un spot publicitaire contre l’alcool au volant montrait un autocollant représentant une bouteille de vin avec un château, symbole de Bordeaux. » me dit Xavier Carreau. « Ce n’était pas tolérable. » L'association Vin &Société, qu’il présidait alors, a réuni plusieurs organisations professionnelles viticoles pour défendre le vin face aux attaques des pouvoirs publics. Enfin, le 25 février 2004, le 1er ministre Jean-Pierre Raffarin, indiqua clairement que « l'interdit n'est pas l'avenir du vin en France » et il accepta d'adapter la loi Evin à la promotion collective des vins de qualité. Le sénateur girondin Gérard César disait en janvier 2014 : « Nous sommes en alerte notamment sur les mesures relatives à la taxation du vin pour raison de santé ou fiscalité ‘’comportementale’’ et à l’augmentation des droits d’accises. Autant de mesures pénalisantes pour la filière. » Suite à sa proposition de loi déposée en 2012, un amendement reconnaissant le vin comme partie du patrimoine culturel, gastronomique et paysager français a été adopté le 12 avril 2014 par le Sénat. Christophe Château, en charge de la communication au CIVB, ajoute : « La place du vin en France doit être défendue, parce que nous ne pouvons pas être forts à l’étranger si nous ne le sommes pas sur notre propre territoire. » « On est dans le pays des paradoxes, dit Olivier Bernard, Président de l’Union des grands crus de Bordeaux. La France a une grande culture de la gastronomie et du vin et pourtant nos gouvernements taxent durement la consommation du vin. Nous ne pouvons pas montrer une étiquette de vin lors d’un cours de cuisine dans une émission de télévision française ; un Château n’a pas le droit de sponsoriser un voilier qui fait une régate… Bien sûr, je suis contre celui qui prend le volant en ayant bu. La prévention est importante et je suis content que les jeunes soient sensibilisés à ça. Mais le ‘’binge drinking’’ boire à l’excès, pratiqué par les jeunes, ce n’est pas avec le vin, mais avec les alcools forts..» Il est interdit de conduire avec une alcoolémie supérieure à 0,5 gramme d’alcool par litre de sang ; cela correspond à 25cl de vin. En Chine, la tolérance d’alcool au volant est de Zéro ! L’héritage Depuis 2010, la France a durci considérablement sa politique d’imposition sur les successions. Aucun grand pays d'Europe ou d'Amérique du Nord ne ponctionne aussi durement le patrimoine des personnes décédées. La législation française donne à tous les enfants des héritiers des parts égales : de nombreux vignobles ont été divisés en petites parcelles, ainsi sans intérêts de production. Des héritiers vendent les biens pour payer les droits de succession. D’autres châteaux sont vendus à cause des mésententes familiales après l’héritage. Les avantages liés aux donations ont été supprimés, à l'exception de ceux prévus en faveur des donations d'entreprise. Etre classé au Patrimoine Un château ‘’classé au Patrimoine’’ est préservé de l’abandon ou de la destruction. Il bénéficie des aides publiques du Ministère de la culture. Il se soumet à un cahier des charges stricte, sauvegarde le lieu et l’entretient. Mais les aides de l’Etat français se sont réduites les derniers mois de l’année 2013. Pourtant la végétation ronge les vieilles pierres et les tempêtes continuent d’emporter les ardoises… Un artisan qualifié pour la restauration de ces bâtiments protégés coûte 40 € / heure et il met une heure pour changer 5 tuiles d’ardoise de la toiture pentue d’un château vieux de 300 ans. C’est pourquoi, avant de vendre, les propriétaires tentent une restauration pour proposer des chambres d’hôtes, recevoir des séminaires et des mariages, aménager un espace en résidence d’artistes, louer le parc pour des spectacles d’été en espérant le soleil contre la pluie… Le vigneron passe de la vigne à l’oenotourisme ! Dans l’attente des aides de l’Etat, le châtelain cultive son potager et vend ses fraises. Tous ces facteurs favorisent l’achat des terres viticoles par des étrangers, dont les Chinois. Pourtant, les complexités administratives françaises devraient freiner leurs investissements : je pensais que certains Chinois seraient effarés par les normes françaises, ses procédures, son droit social ; les salaires ne sont pas les mêmes qu’en Chine, le code du travail français a doublé de volume ces dernières années ; l’inspection du travail et des fraudes se manifeste régulièrement ; les taxes et les impôts ont augmenté… Mais non. Les secrétaires chinoises traitent les problèmes administratifs, en France comme en Chine. Bien entendu, le Chinois propriétaire est taxé au même titre qu’un français pour l’export du vin vers leur pays. De plus sa propriété ne lui donne pas un visa d’entrée systématique. En octobre 2014, environ 230 domaines viticoles bordelais appartiennent aux investisseurs étrangers : ils sont Chinois (une centaine), Belges (environ 50), Allemands et Britanniques, Américains, Sud-Africains et Japonais, Italiens et Russes. La moitié des Chinois propriétaires en bordelais exporte 100% de sa production en Chine. Aujourd’hui, des vignobles à la vente aux appellations plus prestigieuses sont recherchés. La Chine plante énormément sur son territoire ; on peut supposer que dans une dizaine d’année, leur vin sera aussi bon que les appellations Bordeaux ou Bordeaux Supérieurs. Sylvie Cazes Histoire et Saveurs de Bordeaux Sylvie Cazes est conseillère municipale pour l'œnotourisme à la Mairie de Bordeaux ; elle a créé Bordeaux Saveurs, une agence de réceptif pour les groupes de touristes et elle préside le fond de dotation de la Cité des Civilisations du vin (cf son chapitre). Sylvie Cazes a présidé l’Union des Grands Crus de Bordeaux. Elle a travaillé pendant 20 ans avec son frère Jean-Michel Cazes, l'un des grands ambassadeurs du monde du vin, puis elle a dirigé les châteaux du groupe Louis Roederer dans le Médoc. Sylvie Cazes connait l’histoire de Bordeaux et des étrangers qui ont améliorés son vin. « En premier lieu, je me réjouis que les Chinois consomment du vin ; c’est proche de leur culture, ça leur convient, me dit Sylvie Cazes. Notre approche française de l’art de vivre est associée au vin. Les Chinois aiment s’amuser, ils aiment partager, ils aiment la convivialité et les joies de la vie. Ils ont une gastronomie qui est extrêmement différenciée, très riche, et qui correspond bien à la diversité de nos vins ; et ce n’est pas parce que la Chine est un vaste pays : la grande Russie n’a pas de diversité gastronomique. Les Chinois s’intéressent aux vins bordelais. Ils achètent des vignobles dans diverses appellations, majoritairement en Bordeaux et Bordeaux Supérieur ; ils leur donnent des outils plus modernes pour mieux produire, et jusqu’à présent on se félicite de leurs investissements.» Dans son histoire, le vignoble de Bordeaux a toujours connu de tels achats par des étrangers, qui ont fait sa notoriété internationale. Le XIIème siècle et les Anglais En 1152, Aliénor Duchesse d'Aquitaine, divorcée du roi de France Louis VII, épouse Henri Plantagenêt qui devint roi d'Angleterre en 1154. Dès lors, la ville de Bordeaux est rattachée à la couronne d’Angleterre ainsi que la région d’Aquitaine. Des échanges commerciaux très importants naissent : les Anglais exportent leurs aliments, textiles et métaux, et importent le vin de Bordeaux par l’estuaire de la Gironde. Ils le nomment Claret en raison de sa couleur claire. Le vignoble bordelais s’étend entre la Garonne et la Dordogne. « Il faut se rappeler l’histoire de Bordeaux, reprend Sylvie Cazes. Les vagues d’immigrants : les Anglais, les Irlandais, les Hollandais, l’Europe du Nord puis les Américains…Ils ont toujours apportées des idées neuves et une amélioration à la culture de ses vins. Aujourd’hui ce sont les Chinois, capables d’investir, de prendre des risques ; ils ont une énorme force de distribution et c’est un atout pour notre vin. » - Ce ne sont pas les propos des Bourguignons. « Si ça pose un problème à la région de Bourgogne, c’est parce qu’elle n’a pas cette tradition d’immigration. L’histoire de Bordeaux a été faite par des immigrants, d’abord par Aliénor d’Aquitaine qui a exportés ses vins en Angleterre, puis par ces vagues d’étrangers qui ont dynamisé les terroirs. Plus récemment, les Espagnols et les Portugais viticulteurs sont venus travailler en Gironde, et ont apporté du sang neuf et de nouvelles idées ; lorsque des Japonais ont acheté des propriétés bordelaises il y a eu des inquiétudes infondées ; ça ne gêne plus personne aujourd’hui. Tant que les Chinois achètent des vignobles pour augmenter leur qualité c’est très bien. » Le XVIIème siècle et les Hollandais Les Hollandais achetaient du vin qu'ils distillaient dans leurs entrepôts pour faire de l’eaude-vie. En plus des traditionnels Clarets, les Bordelais leur fournissaient des vins blancs secs et doux destinés à leur distillation. En 1599, le roi de France Henri IV fit venir des techniciens des Pays-Bas pour drainer les zones marécageuses du royaume, afin d'accroitre la surface agricole. Ce travail fut réalisé dans le marais de la région des Charentes (au Nord de la Gironde), et dans le Médoc jusqu’aux zones humides qui entouraient Bordeaux. Le financement de ces grands travaux n'étant pas finalisé, les Néerlandais achetèrent des terrains à bas prix ; ils ont planté un vin plus à leur goût, comme des vins noirs (le vin rouge d’aujourd'hui) dans le Bordelais, mais aussi à Cahors et au Portugal. Les Hollandais apportèrent de nombreuses innovations comme le méchage, appelé aussi l’allumette hollandaise : pour les voyages en bateaux vers leurs colonies lointaines, une mèche trempée dans du soufre est mise à brûler dans les barriques vides pour aseptiser l'intérieur et éviter une altération bactérienne ; ce procédé permet de conserver les vins dans les fûts ; ainsi, les Hollandais ont transformé un vin à boire rapidement en vin de garde : ils ont découvert les bienfaits du vieillissement du vin. Au XVIIIème siècle, Bordeaux exporte ses vins vers ses colonies, les Iles d’Amérique, Saint-Domingue et les Petites-Antilles. Lors de son passage à Bordeaux en 1787, Thomas Jefferson futur président des Etats-Unis, approuva le premier classement des vins, établi par les courtiers et les négociants ; lors de son premier mandat, il dépensa 7597 dollars en vins. Au milieu du XIXème siècle, le vignoble girondin entre dans une ère de prospérité dont témoigne le fameux classement de 1855, recensant une partie de ses crus de la Gironde (cf le chapitre sur le vin de Bordeaux). La hausse de sa production permet une augmentation des exportations vers l'Allemagne, la Scandinavie, la Belgique, les Pays-Bas et l'Angleterre. Mais de 1875 à 1892, la maladie du phylloxéra ruina tout le vignoble ; il sera sauvé par le greffage des cépages bordelais à des pieds américains de leur côte Est, résistants à la maladie ; aujourd’hui encore les plants américains sont utilisés comme porte-greffes. Plus tard, une autre maladie, le mildiou d’origine américaine, fut traitée avec une préparation à base de cuivre appelée la bouillie bordelaise, qui est toujours utilisée dans le monde entier. Les Irlandais du XVIIIème siècle En 1723, le ressortissant irlandais naturalisé Pierre Mitchell, propriétaire du château du Tertre, a ouvert la 1ère verrerie à Eysines (banlieue de Bordeaux) ; la bouteille devient le nouveau mode de conditionnement du vin. Dès la fin du XVIème siècle, les persécutions exercées sur les catholiques irlandais les poussèrent à s’exiler. Bon nombre d’entre eux créèrent des domaines viticoles dans le Médoc. Les familles Barton, Lynch, Mac Carthy, Walsh, O’Byrne…ont contribué à révéler aux locaux la valeur et le potentiel de leur terroir. Roger Dion, écrivain Dans son livre : Une histoire de la vigne et du vin en France (édité en 1959), Roger Dion (1896 -1981) explique que la qualité des vins de France ne tient pas seulement à son terroir ; elle dépend aussi des marchés, des goûts et des attentes des clients. Ainsi, les Crus classés de Bordeaux doivent leur renommée au désir des Anglais d’acheter ces produits de qualité pour un marché de Princes. Les grandes appellations de Bourgogne sont nées grâce aux exigences de la cour des ducs de Bourgogne à Dijon. L’originalité du Côtes-du-Rhône, dominée par de subtiles notes épicées, a été connue car elle était appréciée de la bourgeoisie lyonnaise. Le succès du Champagne résulte de son estime dans la haute société britannique et française. « Les vins de Bordeaux étaient vendus en Angleterre et les vins de Bourgogne à Paris, dit Sylvie Cazes. Ces deux terroirs ont progressé en qualité et se sont développés grâce à l’apport financier de leurs acheteurs. » Roger Dion remarque que le vin du Languedoc a connu des difficultés à l’export car ses péniches qui remontaient le Canal du Midi étaient bloquées par les boues de la Garonne avant Bordeaux. D’où l’importance des voies navigables : les vignobles proches du Golfe de Gascogne ont profité de leur avantage maritime pour développer des vins d’exportation vers les ports de l’Aquitaine et les ports flamands ; les Hollandais amateurs de vin blanc ont remonté la Loire pour apprécier et acheter les crus de Vouvray… Bien que le marketing et les facilités d’accès aux vignobles soient indispensables, nous savons que le terroir est inimitable. « A la base, le potentiel est dans le sol. » Les Américains et les autres Napa valley est le cœur du vin californien depuis 1966. Robert Mondavi apporta les traditions viticoles européennes, les cépages français, améliora les techniques et le marketing. Christophe Château, directeur de la communication du CIVB, raconte : « en 1985, un certain nombre d’anglais achetaient et s’installaient en Dordogne. Les locaux s’affolaient, criaient à l’envahisseur. Pourtant, ces anglais restauraient les toitures, embellissaient les bâtiments et redonnaient vie au village. Lorsqu’ils sont partis à cause de la crise économique, ces mêmes locaux qui râlaient de leurs arrivées, pestaient contre leurs départs. J’aime raconter cette anecdote de ma vie. Je veux rappeler que le terroir n’est pas dé localisable, et que les Chinois du XXIème siècle sont les bienvenus. » Le vin chinois devient très bon. Est-ce un danger pour le bordelais ? « Dans les années 1970, le marché américain s’est ouvert. Le vin de Californie s’est développé et plus il s’améliorait, plus les Américains achetaient des vins de Bordeaux. Je ne pense pas que la qualité grandissante des vins chinois freine leur consommation de vin de Bordeaux. Je ne suis pas inquiète ; le marché va se réguler, devenir mature et mieux structuré, avec des acteurs sérieux qui feront un travail régulier. Les riches Chinois qui ne boivent pas encore de vin vont s’y mettre, pour l’art de vivre. La consommation chinoise se développe plus vite que leur production locale. Nos vins et même nos petits vins continueront à s’exporter là-bas. Il y a de la place pour tout le monde.» Certains propriétaires chinois envoient la totalité de leur production en Chine. « Il y a plus de 7000 exploitations à Bordeaux, on a encore de quoi boire ! Connaissiez-vous ces châteaux avant de vous pencher sur les acquisitions chinoises ? Nous devons renforcer nos ouvertures à l’export. Nous avons un volume de consommation qui s’est considérablement réduit ces dernières années. Les Français ont un gout éclectique, ils boivent du vin étranger par curiosité. Aujourd’hui, ici, on produit trop et on ne boit pas assez. Nos Grands Crus partent pour 80% à l’export. Mais l’essentiel c’est que la consommation de vin dans le monde augmente, et c’est le cas. » Pour les groupes et les particuliers, Bordeaux Saveurs compose un séjour sur mesure (un jour, un week end ou plus). L’agence ouvre les portes des plus grands châteaux, initie à la dégustation, dévoile la cuisine inspirée des meilleurs chefs de la région. 2 rue Michel de Montaigne 33000 Bordeaux Tél : + 33 (0) 5 56 90 91 92 [email protected] www.bordeauxsaveurs.com Copropriétaire du château Lynch-Bages (5ème Grand Cru classé 1855, à Pauillac), Sylvie Cazes a acheté, en mai 2014, le château Chauvin, Grand Cru classé de Saint-Emilion. L’UNESCO - Organisation des Nations Unies pour l'Education, la Science et la Culture, a été créée le 16 novembre 1945. Fin 2013, 981 Biens de 160 Etats, culturels et naturels, exceptionnels et de valeur universelle, étaient inscrits au Patrimoine de l’Humanité par l’UNESCO. Depuis le 28 juin 2007, la zone classée de la ville de Bordeaux correspond à l’intérieur des boulevards jusqu’à la Garonne incluse : c’est à dire 1 810 hectares, soit un petit tiers de la superficie de la ville de 4 455 hectares. Tous les 5 ans, l’UNESCO revoit les valeurs du Bien, afin de le garder ou de le rayer de la liste. L’inscription au Patrimoine mondial a un effet bénéfique sur la fréquentation touristique. C’est un atout majeur pour l’attractivité culturelle et économique de la ville. En 1967 André Malraux avait déjà délimité un secteur à sauvegarder, soit 147 hectares de la « vieille ville ». La juridiction de Saint-Emilion est inscrite au Patrimoine mondial depuis 1999 (cf le chapitre du château Côte de la Mouleyre). PDF 8 € Livre 20 € Laurence Lemaire 0680161657 [email protected] www.levinlerougelachine.com l’Hebdo est l’actualité du vin et de la Chine http://hebdo.levinlerougelachine.com
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