le vin le rouge la chine

www.levinlerougelachine.com
Editorial du maire de Bordeaux
Alain Juppé
ancien Premier ministre
« L’histoire de Bordeaux est indéfectiblement liée à celle du vin.
Depuis deux mille ans, le vignoble a dessiné la cité et sculpté les
paysages du Bordelais. Aujourd’hui Bordeaux est au centre du
plus grand vignoble de vins fins du monde : plus de cent vingt
mille hectares, environ 7400 châteaux, 300 maisons de négoce et
60 appellations d’origine contrôlée.
La Chine, quant à elle, en est aux prémices de son histoire avec le vin. De plus en plus de
consommateurs chinois découvrent le vin français et en tombent amoureux.
La Chine vient de prendre la place de 1er marché des vins de Bordeaux à l’export.
Plus de 75 propriétés bordelaises ont été acquises par des investisseurs chinois ces 3
dernières années.
Au-delà de ces relations commerciales se nouent également des relations amicales. C‘est
ainsi que les liens entre Bordeaux et la Chine se sont concrétisés par un jumelage avec
Wuhan en 1998, portant sur des partenariats économiques, éducatifs, et surtout culturels.
Le superbe livre d’entretiens « le Vin, le Rouge, la Chine » de Laurence Lemaire se veut une
référence pour ce qui a trait à notre terroir incomparable, les cépages, les traditions, les
métiers du vin…
Car le vin de Bordeaux demande quelques égards. Il est d’abord le produit d’une rencontre
miraculeuse entre des hommes, une terre et les deux fleuves qui la traversent. Mais ces
éléments conjugués ne suffisaient pas à produire un vin comme celui de Bordeaux : pour
cela, il a fallu la patience, la persévérance et la passion de nombreuses générations de
viticulteurs, qui ont su apprivoiser ce que la nature leur offrait.
Le vin de Bordeaux est le fruit d’une civilisation et d’une culture
spécifique à notre région que nous sommes fiers de faire
découvrir, grâce à Laurence Lemaire, aux amateurs de l’Empire
du Milieu. »
photo © Thomas Sanson
Sommaire
Editorial du Président du Conseil Régional d’Aquitaine, Alain Rousset
Editorial du Maire de Bordeaux Alain Juppé
Préface, présentation, comparatifs de Bordeaux et de la Chine
02
03
04
Le vin en Chine
L’histoire. Pourquoi planter des vignes et boire du vin ?
Ses régions viticoles, ses producteurs, distributeurs et importateurs
Le groupe français Pierre Castel
L’OMC, la publicité et les prix chinois, la politique
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11
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15
Le vin de Bordeaux
L’histoire, l’AOC, l’INAO
Le vignoble bordelais, ses 60 appellations et ses cépages associés
Le Mascaret ou la montée des eaux
Une bouteille de Bordeaux en cadeau
La bataille de Castillon en 1453
Qui est Emilion ?
Les classements des vins du Médoc en 1855, des Pessac-Léognan
et celui des vins de Saint-Emilion.
Les ventes en Primeurs. Le French paradox
Exporter mieux
Le CIVB Conseil Interprofessionnel du Vin de Bordeaux : export et bars à vin
La famille Ginestet
L’Académie du vin de Bordeaux
France Wine : exporter les vins puis vendre ses châteaux
Xavier Carreau : regrouper les producteurs, faciliter le travail pour l’export
Jie Yu, consultante chinoise en vins français
Vendre des châteaux aux Chinois
Invest in France
BGI Bordeaux Gironde Investissement avec Stéphane Garcia
Les titres de séjour
La Chambre de Commerce Internationale Aquitaine : le Chinese desk
et le Club objectif Chine avec Emmanuelle Fragnaud
l’IFL : société spécialisée dans l'acquisition de vignobles et châteaux
La Chine plante ses vignobles
Maxwell Storrie Baynes / Christie’s : agence immobilière
La Safer
Tracfin
L’image
Les étiquettes avec l’agence Exceptio de Stéphanie et Sophie Javel
La forme de la bouteille
Contrefaçon de marques et leur protection avec l’agence Inlex
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Le nez, le goût, le climat
Michel Rolland œnologue
Qu’est-ce qu’un terroir ?
Les systèmes d’irrigation
L’art de la dégustation, apprendre à sentir, à boire
La pollution en Chine et le goût de la baie du raisin avec Guy Boiron
La Tonnellerie bordelaise : le goût du chêne et son influence sur le vin
Le chêne français
Luc Chenard œnologue : un terroir pour un cépage
Le laboratoire de l’œnologie
210 cépages autorisés en France ; et en Chine ? Les porte-greffes
Le vin bouchonné
Gérard Colin œnologue en Chine : château Grace winyard ; château Lafite à
Penglai ; les accords mets-vins de Gérard Colin
Château Lafite : succès et contrefaçons ; l’appellation Pauillac
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Les effets du réchauffement climatique
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Châteaux français à la vente, Pourquoi ?
Concurrence
French paradox
Loi Evin et loi pour la sécurité routière
Taxes diverses, retraite, héritage, patrimoine
72
Description de 100 propriétés viticoles achetées par les Chinois
Comment ont-ils été achetés ? Pourquoi ont-ils été vendus ?
Dans leur chapitre, je développe également :
Le négoce et la Place de Bordeaux
Le jardin à la française
La Commanderie du Bontemps et le Ban des vendanges
Le festival de Dalian
La Cour des comptes de Chine accuse…
Le Vin de glace
Antoine Medeville œnologue
L’UNESCO et les 8 communes de Saint-Émilion
Les coteaux Sud de Saint-Emilion
Le vin de garde
Classement 2012 des Saint-Emilion
La fête de la lune
La grande muraille de Chine
La rose des vignes
Le thé de Pu’Er (Yunnan) jumelée à Libourne ; les tannins
Exposition Le thé et le vin : une passion partagée
Jean-Claude Berrouet et Claude Bourguignon ingénieur agronome
Intronisations de la Jurade de Saint-Emilion
Les Corréziens
Le cépage carménère
Chaptaliser
La limite d’une appellation
Le jardin anglais
La baie de Goji
La Belgique
Appellation Saint-Estèphe
La bouteille de 75 cl
Toulouse-Lautrec
La future AOC chinoise
Accords mets-vins
Tommy et Andy Shan, restaurant Au bonheur du palais
Le rosé
Yu Zhou, écrivain fin gourmet
L’école de restauration ICFA en stage en Chine
Le sommelier Philippe Faure-Brac, François Adamski et Hervé Bizeul
Château Guiraud, Sauternes 1er Grand cru classé 1855 en agriculture biologique
L’agriculture biologique AB
La pourriture noble
L’UGCB et les vendanges de l’aéroport de Bordeaux
Les Sweet Bordeaux
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Art, Culture et Histoire
Bernard Magrez possède 40 châteaux dans le monde et un Institut culturel
Sylvie Cazes raconte la contribution des étrangers au vin de Bordeaux
Roger Dion, écrivain
l’UNESCO
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Tourisme, échanges, les Chinois à Bordeaux
L’Office du Tourisme de Bordeaux avec Stéphan Delaux
Le Manuel de savoir-vivre à l'usage du touriste chinois malpoli
Le Savoir-vivre academy of Etiquette and modern manners
Des étudiants chinois à Bordeaux
Film franco-chinois et film tourné à Bordeaux
Internet : sites de vente de vins et les réseaux sociaux chinois
Tongtong, traductrice, interprète et accompagnatrice touristique
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Ecoles de vin
et les sommeliers
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Musées et caves
Grégory Pecastaing négociant et son Musée du vin et du négoce
La vente du château Gevrey-Chambertin en Bourgogne
Les châteaux de Pauillac et ceux de Bernard Magrez
Château Maucaillou
La Winery et le Domaine de la Grave
Quatre éco musées et Planète Bordeaux
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211
212
212
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Festivals, manifestations
autour du vin en Chine et en France
La région Aquitaine et la Chine
Les Maisons Sud-Ouest France
L’Aapra. La Chambre d’agriculture de la Gironde
Wuhan et la province de Hubei, jumelées à Bordeaux et à l’Aquitaine
PSA Peugeot Citroen
Chengdu, capitale de la province gastronomique du Sichuan
Les + de l’auteur
La cave du Dynastie et l’Association des Chinois du Sud-ouest de la France
Les néo z’arrivants à Bordeaux
Bordeaux Patrimoine Mondial & ses Routes des Vins
Coffrets et étiquettes. Guide à Blaye.
Les Sources de Caudalies
Château de Rouillac
La future Cité des Civilisations du Vin
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218
220
Extraits
Préface
Le 26 janvier 1964, un bref communiqué était publié simultanément à Paris et à Pékin : « Le
gouvernement de la République française du Général de Gaulle et le gouvernement de la
République populaire de Chine ont décidé d'établir des relations diplomatiques. » Depuis
1979, la politique d’ouverture de Deng Xiaoping a renoué le dialogue entre les décideurs
chinois et occidentaux. Quelques années plus tard, le ‘’monde des affaires’’ parle de
marchés, de chiffres et de pourcentages. C’est la course à la productivité.
Les Français, ceux qui ne sont pas des investisseurs, situent la Chine depuis une quinzaine
d’années seulement, grâce aux articles économiques et aux reportages télévisés qui diffusent
des images de sublimes paysages, de tours gigantesques, d’usines du monde, de Droits et de
Devoirs…De nombreux observateurs s’accordent à penser que ce pays sera la 1ère
puissance économique mondiale en 2020. La Chine est devenue un Eldorado mais elle n’est
pas un Paradis. Tout le monde peut s’y installer mais à la condition d’être performant, de
faire valoir de véritables atouts, et surtout d’apprendre le terrain, d’accepter ses procédures
et ses lois, ses codes politiques et sociaux, et de comprendre sa différence culturelle.
Le philosophe Lin Yutang a écrit dans ‘’De l’importance de vivre’’ : « De tous les peuples,
ceux qui ont le plus de points communs, ce sont les Français et les Chinois : sens du
raffinement, goût pour les mots, la peinture, la cuisine, une vénération pour l'éducation,
goût pour l'humour, l'humour pour rien, pour se faire plaisir, pour communiquer.»
Ainsi, sur 7 400 propriétés viticoles que compte le Bordelais, les Chinois ont acheté plus de
100 châteaux depuis 1996.
« le Vin, le Rouge, la Chine » est un livre sur le vin de Bordeaux pour les Chinois, pour
ceux qui visitent nos châteaux, qui souhaitent investir, entreprendre, déguster,
apprendre....100 châteaux achetés par un groupe ou un particulier chinois sont décrits.
J’explique les appellations, le terroir inimitable et les cépages, les investissements
souhaitables, les métiers du vin et l’export, les lois françaises, les raisons des ventes, les
accords mets-vins, le changement climatique....
« En une génération, la politique, l’économie, la transformation des classes sociales, ont
fait en Chine un autre homme de la rue, écrit Henri Michaux en 1967. On ne reconnaît plus
le mien, celui que moi et bien d'autres voyageurs et résidents avions vu en 1932. Il me plaît,
quant à moi, tirant les leçons de ma fâcheuse surprise, de penser que, quoi qu'il arrive, et
quoiqu'elle tende à être, la Chine sera toujours différente. Elle revit. Il faut être heureux de
ne plus la reconnaître, de la connaître autrement toujours, toujours inattendue, toujours
extraordinaire. »
Il faut plus d’un an de recherches pour trouver « le » château à acheter. En règle générale, la
transaction s’opère en toute discrétion. Parmi les acquéreurs chinois de châteaux bordelais,
on trouve des entreprises d’Etat, des patrons de grands groupes présents dans la métallurgie,
le pétrole, l’immobilier, l’agroalimentaire, la mode, la bijouterie, les salles de jeux, le
tourisme, et des représentants de la filière chinoise du vin. Il y a également un architecte et
une star de cinéma. Ces financiers, ces connaisseurs et ces amateurs chevronnés
développent leur réseau en Chine pour commercialiser leur production de vins français.
La Chine compte environ 300 milliardaires et 1 million de millionnaires.
La France produit 70 millions d’hectolitres par an ; la production de la Chine est de 10
millions d’hectolitres et va augmenter ces cinq prochaines années.
Début 2014, les Chinois consomment 1 litre de vin par an, les Américains 20 litres et les
Français 60 litres environ.
Les investissements de la Chine se portent sur la France mais aussi sur l’Australie,
l’Argentine, le Chili, la Californie, la Nouvelle-Zélande et l’Afrique du Sud. Depuis 2011, la
Chine (Hong Kong et Taiwan compris) est le 1er exportateur des vins de Bordeaux, en
volume et en valeur.
Zhonghua Renmin Gongheguo
c’est la République populaire de la splendeur du centre.
‘’Enrichissez-vous’’ disait Deng Xiaoping : le revenu des ménages a quintuplé en un quart
de siècle, les citadins sont passés de la carte du Parti à la carte de crédit. Lors du XVIIIème
Congrès du Parti Communiste du 8 novembre 2012, Hu Jintao avait nommé son successeur
Monsieur Xi Jinping ; il a pris ses fonctions le 14 mars 2013.
Après des années d’embellie, la Chine subit les conséquences de la crise économique et
financière internationale : elle doit rééquilibrer son économie en se concentrant sur la
croissance extérieure et non plus seulement sur l’investissement et les exportations.
Le Cinquantenaire de l’amitié France-Chine - les accords
Le Président de la République française, François Hollande, s’est entretenu avec le Président
de la République populaire de Chine, Xi Jinping, le 25 avril 2013. François Hollande a
déclaré que l’Etat français est prêt à lever tous les obstacles aux investissements chinois, à
condition « qu’ils contribuent à la création d’emplois et à l’activité ».
Il y a 50 ans, le 27 janvier 1964, la France a été le 1er pays de l'Occident à nouer des
relations au rang d'ambassadeur avec la nouvelle Chine. « Le gouvernement de la
République française du Général de Gaulle et le gouvernement de la République populaire
de Chine ont décidé d'établir des relations diplomatiques » écrivaient les médias.
Le Président chinois Xi Jinping était en visite officielle en Europe, en France du 25 au 28
mars 2014, dans le cadre de ce 50ème anniversaire ; il était accompagné de son épouse, la
populaire chanteuse et général de l'armée chinoise Peng Liyuan, et de 200 hommes
d'affaires.
Le 1er juillet 2013, les autorités chinoises avaient lancé une enquête anti-dumping et
antisubventions à l’encontre des vins européens exportés vers la Chine ; les volumes de crus
bordelais exportés avaient alors reculé de 16%. Les Chinois représentés par la CADA
(Chinese Alcohol Drinks Association) et les Européens par le CEEV (Comité Européen des
Entreprises Vins) ont signé un accord le 21 mars 2014 : les Européens apporteront un
soutien technique et financier pour l'implantation en Chine de cépages adaptés, et pour la
formation de leurs viticulteurs. L’industrie chinoise appuiera l'organisation de dégustations
de vins européens en Chine, la formation de ses consommateurs ainsi que la promotion de la
culture vitivinicole européenne.
Maxwell-Storrie-Baynes
Agence immobilière
Karin Maxwell a été négociante en
Angleterre et importatrice de vins de
Bordeaux pendant 17 ans. Près de
Saint-Emilion, elle a créé son agence
immobilière puis elle s’est associée à
Doug Storrie et Michael Baynes en
2009. Ils sont spécialisés dans la
transaction viticole et travaillent pour
les investisseurs chinois.
En 2008, la CCI Chambre de Commerce et d’Industrie de Bordeaux a invité Karin Maxwell
à Hong Kong. Elle a présenté sa société immobilière devant 40 hommes d’affaires chinois,
des avocats et des intermédiaires, et leur a expliqué comment acheter des propriétés viticoles
en France. Elle avait déjà un solide portefeuille de châteaux à la vente car elle travaille
comme agent immobilier dans la région de Bordeaux depuis 1994. « Grâce à mes
connaissances en vin, je m’étais déjà orientée vers l’acquisition de domaines viticoles. Les
vendeurs restaient discrets comme les transactions ; le milieu était fermé mais ils ont
compris que j’ai des relations internationales, m’explique-t-elle. La plupart des vendeurs
n’a plus les moyens d’investir pour une meilleure production ; ils se sont tournés vers les
acheteurs étrangers et je travaille avec les Chinois, entre autres. » Agent immobilier n’est
pas un métier facile : pour bien conseiller ses clients, Karin évalue la qualité de la propriété :
château, chai, vignoble ; elle connaît tous les paramètres économiques, fiscaux,
comptables… « J’analyse la situation. Mes dossiers sont extrêmement techniques et l’audit
est réalisé par un professionnel du vin. » Cet audit informe des qualités comme des défauts :
le nombre de ceps à l’hectare, la conformité du vignoble par rapport à son appellation… « Il
nous faut parfois trois mois pour réunir toutes les données sur le château en vente, car nous
sommes pointus sur la qualité des informations. C’est un bon dossier qui entraîne une bonne
vente. » Quelques vendeurs préfèrent rester discrets par rapport à leur voisinage ; d’autres ne
souhaitent pas de publicité car ils craignent que leurs clients n’achètent plus la production de
leur vignoble s’il est passé aux mains chinoises.
La Safer intervient pour favoriser l’acquisition par un jeune repreneur, un agriculteur ; c’est
son rôle. «La Safer n’est pas un agent immobilier mais elle sait estimer la terre agricole.
Nous nous complétons car je sais évaluer le prix des bâtiments, du château et de ses
pierres.» Karin doit travailler avec la Safer et un notaire. Si le futur propriétaire n’est pas un
professionnel du vin, il doit passer par ‘’le contrôle des structures’’, quel que soit sa
nationalité et ses moyens financiers. « Le seul soucis est que la Safer publie chaque année la
moyenne des prix des transactions effectuées dans la région ; ses chiffres peuvent être
trompeurs : c’est une moyenne entre les parcelles de vignes mal entretenues et les beaux
vignobles, sans distinctions. Elle devrait réaliser une fourchette de prix et non pas une
moyenne de prix. Comme ces chiffres sont mal compris par les Chinois, ils tentent de
négocier à la baisse et ratent parfois une bonne affaire. » C’est le travail de Karin de jouer
et déjouer les subtilités et les paramètres imposés pour une acquisition. « Certaines
personnes s’improvisent agents immobilier ou intermédiaires ; sans expériences, ils font
échouer des transactions et nuisent à ma profession. Les professionnels du vin qui sont
sollicités par des acheteurs potentiels se mettent, eux, en relation avec moi. » Les dossiers
sont trop complexes pour être confiés à des amateurs. Les acheteurs qui pensent gagner de
l’argent en se passant du service et des conseils des experts, risquent d’échouer.
La Safer société d'aménagement foncier et d'établissement rural, examine la candidature de
l’acquéreur ; son projet doit être en conformité avec la politique d'aménagement et de
développement local. Cette entreprise d’Etat dépend des ministères du budget et de
l’agriculture ; cela rassure l’acquéreur étranger. Elle s’assure que celui-ci va poursuivre
l’activité viticole et préserver le patrimoine : ‘’le contrôle des structures’’ est un
questionnaire de 20 pages qui lui accordera la licence pour exploiter les terres. La Safer peut
refuser sa demande d’achat. Si elle lui donne l’agrément, le domaine doit rester une
exploitation agricole pendant 10 ans, et une demande doit être faite pour un bâti
supplémentaire. La Safer prend les risques juridiques : sa commission est mentionnée sur
l’acte de vente et en cas de litige l’acheteur se retournera contre elle. « Le compromis de
vente français est très précis ; les Chinois n’ont pas la culture de l’acte écrit et ils
commentent chaque détail jusqu’à la signature finale, me dit Hervé Olivier, son directeur
régional. « Le plus souvent, les Chinois rachètent des propriétés qui sont à vendre depuis
longtemps et qui n'intéressent pas les gens du coin en raison d'un modèle économique
difficilement tenable. »
Lily a été intronisée par les Hospitaliers de Pomerol
Depuis avril 2013, Li Lijuan (master de vin à l’INSEEC) s’occupe des clients chinois pour
Maxwell-Storrie-Baynes et gère les traductions. Originaire de Chengdu la jeune chanteuse,
installée à Bordeaux depuis 2008, a travaillé au château Grand Mouëys avant d’être
embauchée par Karin Maxwell. Lily parle 4 langues et elle a sa carte professionnelle d’agent
immobilier, gage de qualité et de crédibilité pour les investisseurs chinois.
Tél : + 33 (0) 5 57 84 08 82 [email protected]
Maxwell-Storrie-Baynes est une filiale de la Maison Christie’s. Depuis l’été 2013,
Christie’s International Real Estate est associée à la branche qui vend des vins aux
enchères ; elle a ouvert un bureau à Hong-Kong spécialisé dans l'acquisition de propriétés
viticoles. Li Lijuan est son correspondant à Bordeaux.
Les Français qui vendent…
La génération qui a de 55 à 70 ans pense à vendre son domaine car elle a des enfants qui ne
veulent pas hériter d’un vignoble en indivision, ou qui vivent loin, ou qui ont une autre
profession. « Je constate aussi que les jeunes, à cause du malaise économique français,
préfèrent être salariés d’une entreprise plutôt qu’être leur propre patron, dit Karin. C’est
devenu très compliqué d’être à son compte en France, à cause des contraintes
administratives, de la ‘’paperasse’’, des lois, des charges. Les seniors ont été à leur compte
mais ne peuvent pas transmettre cette envie à leurs enfants car ils croulent sous les papiers
administratifs depuis une dizaine d’années. Aujourd’hui, un vigneron passe autant de temps
à son bureau que dans ses vignes. »
- Mais les Chinois, eux aussi, vont passer autant de temps dans cette paperasse.
« En effet. Lorsque j’organise les visites de châteaux, je fais venir un notaire et un
comptable pour leur expliquer toutes les obligations relatives aux lois françaises. Je pense
être le seul agent à opérer de cette manière. Je leur conseille d’embaucher une personne
pour gérer cette partie administrative et je leur trouve une solution. Le repreneur a
l’obligation de garder le personnel en place ; c’est une bonne chose car l’équipe est la
mémoire de la propriété, elle est précieuse. » Le futur propriétaire chinois ne craint par
notre législation car il ne s’en occupera pas personnellement ; déjà en Chine, il délègue ce
genre de problèmes, de ‘’paperasse’’.
…et ceux qui achètent.
« Les Sud-africains, qui ont des vignobles en Afrique du Sud, craignent leur politique locale
et achètent des petits vignobles ici en vue d’un éventuel déménagement ; leurs deux périodes
de vendanges sont inversées et peuvent être effectuées par la même équipe. Nous sommes
sollicités aussi par des Américains fortunés ; ils aiment les chartreuses du XVIIIème siècle
typiques de la région. Les Chinois préfèrent les bâtiments hauts avec des tours.»
Depuis 2012, l’agence Maxwell-Storrie-Baynes a vendu les châteaux Grand Mouëys,
Milord, Quercy, Birot et Renon à des Chinois (cf leur chapitre respectif).
Début 2013, Karin a vendu à la famille Mottet le château de Seguin, une propriété de 173
hectares à Lignan-de-Bordeaux (à 20 kms à l’Est de Bordeaux) ; Bruno Mottet racontait :
« Pour exporter mon vin en Chine, c’est la Cave du Dynastie installée à Bordeaux qui m’a
le plus aidée : la patronne Leelee Huang a aimé mes vins et m’a fait confiance. Puis, une
scène du film ‘’Jiang Ai’’ a été tournée dans le parc de mon château (cf le chapitre sur le
tourisme) et ça m’a aidé à vendre mon vin lors des manifestations de 2011 : en effet, j’avais
été photographié entre les deux célèbres acteurs et cette photo a eu un impact conséquent. »
Karin Maxwell reprend : « Il faut savoir négocier avec les Chinois, savoir ce qu’il faut dire
et ne pas dire ; ils sont différents des Français et des Anglais : ils vont s’attacher à des
choses que nous trouvons peu importantes et négliger un point fondamental pour nous. La
plupart investit 10 millions d’euros au maximum dans un vignoble ; mais on commence à
avoir des demandes avec des budgets plus importants : ils sont un deuxième, voire un
troisième achat… Avec un dossier bien monté, il peut se passer seulement six mois entre la
1ère visite de l’intermédiaire d’un Chinois et son entrée au château en tant que propriétaire.
Un de nos acquéreurs a été aidé par notre bureau Christie’s de Hong Kong. »
Christie’s International Real Estate a des bureaux dans plus de 100 pays. Son actionnaire
principal est le français François Pinault. « Notre base de données est internationale ;
Christie’s a la clientèle de toutes les banques du monde entier. Notre communication est
mondiale. ‘’Bringing Bordeaux to the world and the world to Bordeaux’’ dit Karin,
Emmener Bordeaux vers le monde et le monde à Bordeaux est le maître-mot de l’agence »
Tél : + 33 (0) 5 57 84 08 82 et www.maxwellstorriebaynes.com
Quais de Bordeaux
Quais de Hong Kong
Contrefaçons de marques
Inlex
Créé en 1995 par Eric Schahl et Franck Soutoul, la société Inlex est aujourd’hui un acteur
majeur de la Propriété Intellectuelle. Une équipe de 70 personnes accompagne les
entreprises dans leur stratégie et gère les contrefaçons.
Avec Céline Baillet, je parle de la Chine et du vin français : le dépôt des marques,
l’opposition à l’enregistrement de marques identiques et les opérations de saisiecontrefaçon. Entre autres problématiques, elle accompagne les vignerons français dans
la protection et la défense de leurs droits :
* Défendent-ils efficacement le nom de leur château ?
* Leur marque est-elle protégée en Chine ?
* Leurs relations contractuelles avec leur distributeur sont-elles sécurisées ?
Le négociant souhaite envoyer un vin en Chine et le propriétaire doit protéger sa marque
avant le départ des bouteilles.
« Pour déposer la marque, je vérifie auprès de l’Office chinois (National) que le nom est
libre, me raconte Céline Baillet. Si c’est le cas je procède au dépôt et l’Office chinois
enregistre la marque. Cela coûte au viticulteur environ 1000 € pour 10 ans.
Malheureusement, dans 95 % des cas, je m’aperçois qu’elle est déjà enregistrée en Chine,
en langue française et chinoise. »
- Un Chinois dépose donc un nom de château sans même le connaitre ?
« Oui, c’est un particulier ou l’importateur-distributeur si le vin a déjà été commercialisé
par lui : en déposant la marque, l’importateur se protège afin que le Château soit obligé de
passer par lui pour vendre son vin sous son nom. Juridiquement c’est lui qui est
propriétaire de la marque et pas le viticulteur français. »
- Le Français peut-il racheter sa marque ?
« Oui. Mais c’est compliqué et c’est très cher. Le Chinois qui travaille dans le vin préfère
faire du business à long terme, rester propriétaire de la marque et continuer de vendre le
vin du Château. D’autres Chinois, qui n’ont rien à voir avec les domaines viticoles,
enregistrent des marques de vins pour les revendre aux propriétaires. Pour nous, Français,
ce sont des dépôts ‘’frauduleux’’ car c’est une forme de racket. Je tente donc d’informer
l’Office chinois qu’un dépôt n’aurait jamais dû être accepté, mais seuls les Grands vins ont
gain de cause. Il faut donc négocier avec le propriétaire de la marque. »
- Le viticulteur peut changer la marque de son vin, la déposer par tes soins en Chine, puis
vendre son vin avec son nouveau nom.
« Si son vin avec son nom d’origine est déjà connu en Chine ce n’est pas une bonne idée.
C’est pourquoi certains vignerons prennent le risque de vendre leur vin sans être
propriétaire du nom de leur Château. Ils sont alors des ‘’contrefacteurs’’, ils attendent
d’être contactés par le détenteur de leur marque pour négocier. En revanche, si le vin d’un
viticulteur n’est pas connu en Chine, je lui conseille de changer son nom et de faire des
étiquettes spécialement pour le marché chinois. »
- Il faut donc faire enregistrer sa marque avant la première exportation.
« Bien sûr. Un dépôt pour la Chine continentale et un dépôt pour Hong Kong.»
- Les vins Français sont-ils les plus touchés par ce ‘’commerce’’ ?
« Oui. Sauf les grands vins français et les grands groupes qui se sont protégés depuis leur
première exportation.»
- Et les étiquettes ?
« Celles qui sont les plus représentatives sont déposées également, comme le galion du
château Beychevelle et celles du château Mouton Rothschild par exemple. »
- Les exportations ralentissent. Les prix baissent.
« Les Chinois apprennent à boire du vin. Si le Français offre du champagne pour une belle
occasion, le Chinois offre une bouteille de Bordeaux. »
La contrefaçon, la ‘’copie du maître’’, est la rançon de la gloire (lire le chapitre de Gérard
Colin et château Lafite).
Le gouvernement chinois est très actif pour retirer du marché des produits illicites et
condamner les contrefacteurs. En avril 2014, la Chine a lancé une procédure de
reconnaissance de l'indication géographique "Bordeaux" : une protection pour les bouteilles
françaises victimes de contrefaçons à l'étranger.
Inlex Céline Baillet Conseil en propriété industrielle
16 rue Danjou 33000 Bordeaux [email protected]
Tél : + 33 (0) 5 67 80 10 88 Fax : + 33 (0) 5 17 02 22 65 www.inlex.com
Jean-Baptiste Thial de Bordenave, avocat collaborateur de Inlex, me disait que le premier
indice pour constater une contrefaçon c’est le prix peu élevé d’une bouteille qui affiche
pourtant l’étiquette d’un château prestigieux. Tél : + 33 (0) 5 56 52 12 46
Office chinois des marques www.chinatrademarkoffice.com
Extraits
Œnologue français en Chine
Gérard Colin
Dans les années 1990 en Chine, 15 millions de quintaux de céréales étaient utilisés pour
produire de l’alcool : le jiu. Pour restituer à cette céréale sa fonction première : être
consommée au lieu d’être bue, le Gouvernement a relancé la culture de la vigne en
1987. 600 vignobles pour 400 000 hectares de vignes ont été plantés mais sans véritable
notion de terroir ou de qualité : juste pour faire du vin, le désinhibant qui préserve le
lien social.
Gérard Colin, œnologue bordelais, a amélioré Grace Vinyard, le vignoble de Monsieur
CK Chan, chinois de Hong Kong et de sa fille Judy Leissner qui préside l’exploitation.
Susan Johanna Jakes, la correspondante du Time (célèbre hebdomadaire américain), arrive
de Pékin pour interviewer Gérard. « J’aimerais créer un vin 100% chinois, avec une variété
de raisins chinois, lui dit-il. Greatwall, Dynasty, Dragon seal sont des vins issus du
cabernet mêlé à d’autres cépages. Moi, je préfère travailler sur des petits vignobles, comme
un produit de luxe, l’artisanat d’art. Chaque œnologue fait un vin différent et on ne fait pas
du vin pour soi ; on s’adapte à l’évolution des goûts.»
Il est midi. Pour l'apéritif, Gérard propose du vin de noix…le fromage nous manque.
« J’adore le fromage de chèvre mais avec du vin blanc, du sancerre ou du pouilly fumé, me
dit Gérard Colin, du munster avec un vin d’alsace, du camembert avec du cidre, du
roquefort avec un porto…Je crois très moyennement à l’association mets-vins ; c’est du
snobisme. Lorsque je fais du vin, je pense à son goût à lui et pas aux nouilles ou au tofu que
mangent les Chinois. Je cherche à faire du bon en priorité. La cuisine chinoise s’associe
mal au vin, car avec 18 plats servis au centre de la table et picorés à tout va, les seules
boissons qui s’adaptent sont l’alcool, le thé ou la bière ; le seul vin qui peut passer c’est le
blanc, un muscat proche du vin jaune chinois, un vin oxydatif… acide et sucré : ils vont
parfaitement avec ces mélanges de plats. Mais la couleur rouge étant le symbole de fortune
et du bonheur en Chine, elle produit peu de vins blancs. Je propose des associations metsvins à certains restaurants qui servent à l’assiette. »
Gérard poursuit : « Un litre de Bai Jiu c’était les 1 000 calories indispensables aux ouvriers
chinois, leur carburant ; ils ne mangeaient pas de viande tous les jours mais ils étaient
ivrognes. Et là où les travaux de force n’existent plus, ce vin n’a plus de raison d’être. Le
Français est passé de 150 litres de consommation de vin par an, à 50 litres en l’espace de
30 ans. Aujourd’hui, le Chinois boit 33 litres de bière par an, zéro il y a 20 ans parce qu’il
buvait du Bai Jiu ; le thé est délaissé au profit des soft drinks etc… Nous sommes dans des
produits de mode plus que de culture ou de tradition. Pour apprécier le vin, il vaut mieux
être servi à l’assiette. Et ça n’empêche pas la convivialité.»
Château Lafite Rothschild en Chine extraits :
Gérard Colin est un ‘’architecte paysagiste concepteur de vignobles’’. Les Domaines Barons
de Rothschild cherchaient le meilleur emplacement pour développer un vignoble de qualité
en Chine. En 2006, Christophe Salin, directeur général de DBR, confia cette étude à Gérard
Colin : il a trouvé un vignoble de 25 hectares extensibles à 50 dans la péninsule de Penglai
(province du Shandong). Pendant 7 ans, il a dirigé son élaboration en partenariat avec le
groupe national chinois CITIC.
Dans cette province, la viticulture est en plein essor grâce à une combinaison entre les
terroirs en altitude et ceux qui sont à proximité de la mer : sa production de vin a doublé
entre 2005 et 2011, et les plus grandes marques du vin en Chine y sont implantées.
Dans cette zone concurrentielle et convoitée, les équipes françaises de Lafite ont déployé les
grands moyens : un partenariat avec le groupe chinois d’investissement Citic et un
investissement de 100 millions de yuans (environ 12,5 millions d’euros) pour faire pousser
des vignes à partir de zéro, bâtir des installations techniques et un château de 1600 m2 qui
réconciliera les cultures européenne et asiatique.
« Penglai est une station balnéaire célèbre ; la ville est desservie par d’excellentes
infrastructures routières, portuaires et aéroportuaires, m’explique Gérard Colin. La
péninsule offre également des atouts climatique et géologique et nous croyons fortement
dans le potentiel de ce vignoble. Cependant, en choisissant Penglai, nous savions que les
travaux à entreprendre seraient très importants. En effet, les équipes ont aménagé 30
hectares de collines. 40 000 tonnes de pierres ont été extraites et plus de 9 kilomètres de
murs de pierres sèches ont été construits autour des parcelles. Le vignoble regroupe 30
parcelles et plus de 200 terrasses. Au mois de mai 2011, 12 hectares ont été plantés. Les
cépages seront le Cabernet Sauvignon en majorité mais également la Syrah, le Cabernet
Franc, le Merlot, le Petit Verdot et le Marselan. Tout en Chine est pharaonique : un
vignoble chinois a généralement 200 à 1 000 hectares et comprend toutes les
infrastructures comme les complexes réceptifs, touristiques, projets immobiliers… Ce ne
sont pas du tout les mêmes proportions que dans le Bordelais… En comparaison à de telles
dimensions, notre vignoble de Penglai est bien modeste, mais c’est une conception
bordelaise appliquée à un terroir chinois. La sélection pour la qualité passe par le choix des
cépages et également par une réduction des rendements. Cette recherche de l’excellence est
la caractéristique première du groupe DBR. Le vin rentre progressivement dans les
habitudes de consommation des Chinois mais on ne peut pas encore parler d’une culture du
vin comme en France. C’est un apprentissage qui se fera au fil du temps et auquel nous
espérons contribuer. »
Olivier Richaud a remplacé Gérard Colin en février 2013.
Gérard travaille sur un nouveau vignoble dans le Xin Jiang à Turpan, sur la route de la soie.
Je rencontre Michel Négrier à Bordeaux. Il est directeur commercial international pour DBR
Lafite. « Ces dernières années la Chine a surenchérie sur les Grands crus, me dit-il. Depuis
2012, un vin comme Lafite est vendu au plus proche de sa vraie valeur, et il reste toujours le
plus demandé. Sous l’influence des Occidentaux, cette marque est présente depuis 25 ans à
Hong Kong. Aujourd’hui, une dizaine de ville chinoise a la taille de Hong Kong, avec un
petit pourcentage de connaisseurs en vins qui ont voyagé et visité des châteaux, qui
connaissent les millésimes et les cépages. Pour les autres, ceux qui ont gagné de l’argent
vite, le vin est un élément de style de vie, comme la belle voiture ; ils ont 35 ans, des moyens
financiers et se constituent une belle cave rapidement. ‘’Rapidement ‘’ car ils disent « on
ne sait pas ce qui peut se passer demain » : ils connaissent l’histoire et la révolution
culturelle chinoise. Cette génération d’enfant unique n’a pas de temps à perdre. Le marché
change très vite, au rythme de leurs envies, voire de leur frénésie. C’est pourquoi il est
indispensable que DBR travaille avec ‘’la Place de Bordeaux’’ (courtiers et négociants cf
chapitre Chine / Diva Bordeaux) et non pas en direct avec eux, car ils seraient capables de
nous acheter toute la production de Lafite, là, tout de suite. »
Succès et Contrefaçons
L’offre des vins du Château Lafite n’est pas extensible : la production est limitée. Hormis
les commandes des familles royales à travers le monde, les investisseurs s'emparent d'une
grande partie de sa production. Il y a donc peu de vrais Château Lafite sur le marché chinois.
Il est aisé pour les fabricants de vin frelaté de duper les consommateurs car devant une
contrefaçon, ils préfèrent garder le silence pour ne pas perdre la face. La contrefaçon est un
mal qui touche les marques à forte notoriété. Château Lafite est concerné car il est la marque
phare en Chine. Mais DBR a mis beaucoup de moyens pour se défendre : les juges réagissent
vite et le groupe gagne ses procès, ce qui fait reculer les copieurs. Leur site web en chinois
communique sur ces actions. « On peut dire que la contrefaçon est la rançon du succès, me
dit Michel Négrier. Ce succès est dû à plusieurs facteurs : nous avons 25 ans de présence en
Chine, avant les autres ; le nom ‘’Lafite’’ est facile à prononcer pour un chinois, le son est
agréable ; les sitcoms, ces feuilletons réalisés par la télévision de Hong Kong dans les
années 80, mentionnaient notre vin comme un symbole de réussite, sans même que le groupe
DBR soit au courant. L’étiquette est reconnaissable car elle est la même depuis longtemps.
Et surtout, Château Lafite est un vin facile à boire et on en reboit ; son gout est
remarquable. Notre notoriété est mondiale car la diaspora chinoise internationale distribue
notre marque ; elle veut du DBR. »
Face à la forte croissance de la demande, le Groupe Rothschild a acheté plusieurs
vignobles ces dernières années, afin d'augmenter sa production :
« Le Baron Eric de de Rothschild et Monsieur Salin ont visité au Chili des dizaines
d’exploitations avant le coup de cœur pour le site de Los Vascos : quand le lieu est beau,
une magie s’opère dans le vignoble. En Argentine, le Bodegas Caro est un vin élégant ; le
sol de ce vignoble est aride, l’altitude bloque la maturation et donne un vin complexe »,
explique Michel Négrier. Fin 2012, DBR a acquis 26 hectares de vignes dans la région de
Malborough en Nouvelle Zélande. Dans le Languedoc (Sud de la France) un site ancien et
traditionnel a charmé le Baron en 1999 ; de nouvelles vignes ont été replantées ; 10 ans
après, « parce qu’il faut être patient » château d’Aussières est un très bon vin.
« En Chine dans le Shandong, il y a une colline, un lac, des cultures en terrasses… Nous
associons un beau site et son sol à notre savoir-faire. Si les Chinois sont impatients et
veulent avoir du vin vite, nous, le Groupe Rothschild, avons le temps, ce qui nous permet
d’être sélectifs. Quel que soit le pays, les consommateurs sont toujours ravis de boire le vin
local. Quand des grandes structures comme la nôtre, aident les Chinois à faire du bon vin,
ça leur plait, ils sont fiers. En Chine nous ne faisons pas ‘’le Château Lafite’’ ; nous faisons
un vin chinois sur un vignoble exploité par DBR. Le seul ‘’Château Lafite’’ 1 er Grand Cru
classé, est produit à Pauillac dans le Médoc. Notre vin chinois sera issu des raisins du
Shandong avec nos compétences. Il y a d’autres projets français, d’exploitation de vignes
en Chine, un projet philippin également… Mais c’est compliqué d’avoir un partenariat
chinois car vous n’êtes pas propriétaire du vignoble mais locataire pour 99 ans ; c’est
pourquoi certains grands groupes hésitent à investir. »
Extraits
Quelques châteaux appartenant à la
Famille Qu
Lamont vins, filiale du groupe Haichang
Il y a 20 ans environ, Monsieur Qu a fondé le groupe Haichang, un conglomérat présent
dans le transport maritime, le pétrole, le tourisme et l'immobilier, basé à Dalian. Son
directeur général, Li Hengrui, ancien capitaine de marine marchande, expose la logique du
Groupe dans la diversification du vin : « Haichang veut se développer dans le haut de
gamme ; c'est l'avenir pour la Chine, et de la ville de Dalian qui se veut en pointe dans le
domaine de la mode et du luxe. Nous sommes à un stade où les Chinois aspirent à une plus
grande satisfaction matérielle et spirituelle. Le vin, la culture française, le romantisme, cela
correspond parfaitement à ce qu'ils cherchent, explique-t-il. Acquérir des châteaux français
est une manière de produire des vins authentiques. » La famille Qu est aujourd’hui
propriétaire d’une vingtaine de vignobles bordelais dotés de maisons prestigieuses.
Avec ses acquisitions, le groupe Haichang a créé sa filiale Lamont vins.
Château Branda (photos ci-dessus) et son vignoble de 36 hectares ont été vendus en 2011
par la société Leda de la famille Lesgourgues, connue pour ses Armagnacs, ses vins de
Bordeaux et de Madiran. Le château médiéval de Branda fut construit à la fin du XIIIème
siècle sur les vestiges d'une villa gallo-romaine. Les armées d'Edouard III d'Angleterre
l'occupèrent en 1360 pendant la guerre de Cent Ans. Le temps et les ans avaient
considérablement endommagé ces vestiges, transformés en bâtiments agricoles. En juin
1997 un chantier de restauration avait duré 3 ans : il est repris aujourd’hui par le groupe
Haichang. Le vignoble est en appellation Puisseguin Saint-Emilion. Il est situé à 30 kms au
Nord-est de la ville de Bordeaux. 13 chemin Freyche 33240 Cadillac-en-Fronsadais
Les meilleurs ‘’retraités’’ au service de la famille Qu
Ancien négociant pour la maison de négoce Ginestet et ancien président du CIVB (Conseil
Interprofessionnel des Vins de Bordeaux), Christian Delpeuch a créé une structure de
conseils. Pour représenter les nombreux vignobles bordelais de Monsieur Qu, ce
professionnel reconnu m’expliquait : « Nous restructurons les propriétés pour obtenir une
qualité de vin irréprochable. Nous souhaitons nous fondre dans le paysage existant, avec un
comportement exemplaire de nos équipes sur le terrain. »
Christian Delpeuch s’était bien entouré….
Pourquoi les propriétaires ont-ils vendus les domaines, et pourquoi Lamont vins les
achète-t-il ?
Les anciens propriétaires du château Bertranon ont fait un mauvais calcul financier en
l’achetant sept ans auparavant, car ils n’ont pas eu les moyens de le restaurer. Christian
Delpeuch me confirme : « il est dans un état lamentable même si l’ensemble parait magique,
le toit s’écroule à cause des termites, et les vignes sont dans un état déplorable. Lamont vins
l’achète parce qu’il est splendide et le Groupe a les moyens de le restaurer. Pour le
moment, le programme du Groupe Haichang est d’investir pour restaurer, pas pour
revendre. Je m’occupe des restaurations des bâtiments avec des équipes françaises mais les
plus gros investissements portent sur les vignobles. » Le bureau de Christian Delpeuch
domine les vignes du château Branda. Il me montre une parcelle de vignes en friche : « nous
avons arraché les mauvais pieds de vignes ; nous remettons tout à niveau, les vignobles
comme les chais de tous les châteaux du Groupe. » Haichang a contacté Christian pour
accompagner son projet sur plusieurs années ; ce dernier a souhaité connaître les intentions
de Monsieur Qu : « Il m’a expliqué qu’il voulait investir dans la pierre, remettre tous ces
châteaux en bon état ; il considère que le niveau d’investissement, aux vues de la beauté des
bâtiments, n’est pas énorme. En plus de ça, il est intéressé par l’appellation « Bordeaux »
qu’il pourra commercialiser en Chine. Mais pour ça, il faut restaurer les vignes pour
qu’elles produisent des vins de qualité. Et depuis que je travaille avec Monsieur Qu,
j’investi, je restaure. » Il est évident que le retour sur investissement sera long, sur 20 ans
sans doute, mais le Groupe a les moyens et le désir. Dans un premier temps, les châteaux
recevront ses amis et ses financiers. Les ouvertures des domaines au public, les
réhabilitations en chambres d’hôtes et l’oenotourisme interviendront plus tard. « Monsieur
Qu travaille avec plusieurs agents immobiliers et choisit ses acquisitions au coup de cœur. »
Sur l’ordinateur de Christian, je regarde les photos des châteaux prises par un drone (avion
miniature commandé à distance et supportant un appareil photos) ; à part la bâtisse du
château Millaud-Montlabert, toutes les propriétés sont sublimes. « En France, le Groupe est
axé sur l’immobilier viticole de Bordeaux. Il est possible qu’il investisse en Bourgogne ces
prochaines années. S’il n’est pas intéressé par la Napa valley (vignobles de Californie) c’est
parce qu’il n’y a pas de bâtiments de prestige, pas d’histoire. Pour l’instant, le prestige
c’est la France et c’est Bordeaux. »
- Le terroir de Bordeaux est donc inimitable ?
« ‘’Un’’ terroir c’est l’association du sol, du climat, des hommes et de la technique. S’il
manque un de ces quatre éléments, ce n’est pas ‘’Un’’ terroir. Les Chinois boivent de plus
en plus de vin, pour notre plus grand plaisir et le leur. La production locale augmente et
c’est une bonne chose. Mais l’idée n’est pas de copier un terroir et les différentes parcelles
d’une appellation. Chaque terroir a sa place. Chaque terroir a ses limites aussi. Le
Bordelais a la chance de son terroir. Pour moi, le seul pays qui a un terroir viticole
d’exception et qui n’est pas encore très exploité c’est l’Argentine, avec ses vignobles de
‘’Mendoza’’ et de ‘’Salta’’. Il manque peut-être un des quatre éléments.»
La Cour des comptes de Chine
Elle a délivré le mercredi 25 juin 2014 son rapport sur l’année 2013, et suspecte 314 cas de
« violations majeures de la loi et de la discipline ».
La campagne anti-corruption lancée par Pékin accuse la firme d’investissement Ruiyang et
le Groupe Haichang d’avoir acquis des vignobles français avec des fonds publics chinois,
d’avoir acheté des vignes et 14 châteaux à la place de technologies étrangères, d’avoir donc
détourné quelque 32 millions d'euros alloués par l'État.
Le quotidien Sud-Ouest et ses deux journalistes César Compadre et Éric Meyer, ont publié
le 26 juin 2014 : « Dans le cadre d’une vaste opération anti-corruption, la Cour des
comptes de Pékin révèle que le groupe Haichang a détourné des fonds publics pour payer
certains de ses 23 châteaux girondins. » Le groupe Ruiyang accusé ne serait pas le
propriétaire de château Les Brettes. « Des ondes négatives virevoltent au-dessus de certains
des 90 châteaux bordelais acquis à la vitesse grand V, ces dernières années, par nombre
d'investisseurs chinois. Salariés laissés à l'abandon, gestion ‘’sportive’’, incompréhension
des règles françaises, tentation de louvoyer, doutes sur les motivations réelles des achats,
voire sur l'origine des fonds…(…) Le grand nettoyage a été lancé en septembre 2013 par Xi
Jinping, premier secrétaire du Parti communiste chinois. Afin de consolider son pouvoir et
de remettre sur les rails un pays en train de sombrer dans les détournements, Xi a lancé ses
organes de contrôle, la Cour des comptes et la Commission centrale de discipline (la police
interne du PCC) dans toutes les directions (…) De façon insolite, l'État chinois va sans
doute se retrouver propriétaire de ces biens sans l'avoir voulu, ni pouvoir récupérer son
argent avant longtemps. »
Châteaux de Bordeaux à la vente, pourquoi ?
La concurrence
Le vignoble bordelais s’est trop agrandi ces dernières années : de 75 000 hectares en 1970 il
est passé à 117 000 puis à 112 000 hectares en 2014. Des vignes en AOC ont été plantées à
la place des ‘’vins de table’’. Les charges des viticulteurs ont augmenté.
Dans le monde, en 1980, on plantait à tour de bras, en particulier dans les nouveaux pays
viticoles : Californie, Argentine, Chili...Leur production a doublé en 10 ans. Les
consommateurs voyagent de plus en plus et découvrent de nouveaux vins. La concurrence et
la mondialisation ont fait baisser les prix du vin du Bordelais. La France n'est plus le centre
incontournable pour les acheteurs étrangers. En 1990, l’Angleterre s’est tournée vers les vins
du ‘’nouveaux monde’’ et néo-zélandais, et la grande distribution française s’est effondrée.
Les effets du French paradox
Les effets bienfaiteurs du vin pour la santé ont été diffusés en 1991. En 1998, le pic de vente
dans le monde des vins français, et en particulier des Bordeaux, a été atteint. 6,2 millions
d’hectolitres de vins de Bordeaux ont été vendus. Les conditions économiques étaient
favorables. « A cette époque, certains négociants achetaient, sans goûter parfois, le tonneau
de Bordeaux à 10 000 francs (1 600 €). La hausse des prix a été trop rapide et trop élevée.
Le marché n’était pas maîtrisé et ces tarifs n’ont plus jamais été atteints. A partir de l’année
2000, la crise économique a contribué à sa chute. On s’est réveillé un matin avec la gueule
de bois ! » m’expliquait Xavier Carreau, un ami proche du scientifique Serge Renaud,
l’inventeur du terme french paradox.
Ces vers célèbres sont passés de mode : « Aimer est le grand point, qu'importe la maîtresse.
Qu'importe le flacon, pourvu qu'on ait l'ivresse.» La coupe et les lèvres, écrit en 1830 par
Alfred de Musset (1810-1857).
La loi Évin et la Sécurité routière
La loi Evin, votée le 10 janvier 1991, lutte contre le tabagisme : elle interdit la publicité sur
le tabac et sa vente aux moins de 18 ans ; elle imposait également des lieux publics réservés
aux fumeurs.
Concernant l'alcool, elle déclare que « Toutes les boissons de plus de 1,2% d'alcool par
volume sont considérés comme des boissons alcoolisées ». La loi interdit la publicité pour
ces boissons à la télévision afin de ‘’protéger les jeunes’’. Une tranche horaire bien précisée
à la radio, et la presse spécialisée peuvent faire de la publicité avec le message sanitaire
obligatoire : « L'abus d'alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération ».
En fait, tout ce qui n’est pas autorisé par son texte est interdit. C’est un casse-tête pour les
publicitaires. En mars 2004, l’affiche du CIVB qui présente une femme avec le slogan
‘’Buvons moins buvons meilleur’’ est interdite car elle est trop conviviale ! Lorsque le Valde-Loire parle de la ‘’jeunesse de ses vins’’ cela peut inciter les adolescents à boire =
interdit. Interdit aussi le slogan ‘’la nuit est rose’’ pour le champagne rosé de Moët-etChandon : ses bulles risquent de faire apparaître quelques éléphants ! Mon livre même
devrait être frappé d’interdit pour incitation à la débauche. Le slogan ‘’Bordeaux, des vins,
un style’’ sur fond de table (photo de droite) est accepté par la loi, enfin !…L’ANPAA,
Association Nationale de Prévention en Alcoologie et Addictologie est la plus répressive.
© CIVB
Le 25 juillet 2014, le CIVB a obtenu gain de cause dans le conflit qui l'opposait à l’ANPAA
au sujet de sa publicité "Portraits de vignerons" : après 9 ans de bras de fer, elle est enfin
acceptée par la loi Evin. C’est une victoire pour le CIVB mais Bernard Farges, son président,
demandait encore le 13 octobre 2014 « la clarification du cadre dans lequel on peut parler
du vin en France ». En effet, la campagne ‘’Il y a tant à découvrir’’ propose 5 visuels ; l’un
d’eux représente des papillons ; que va en penser l’ANPAA ? « Nous déplorons l’absence de
dialogue constructif avec les pouvoirs publics dans notre pays, en particulier avec le
ministère de la Santé » disait Joël Forgeau, président de Vin & Société.
En France, la consommation de vins et d’alcool a baissé de moitié en 10 ans.
Le 5 mai 2002, Jacques Chirac a été réélu Président de la République. Son ministre de
l’Intérieur Nicolas Sarkozy a fait de la ‘’sécurité routière’’ son fer de lance. Entre autres
mesures, il réduit le taux d’alcool autorisé au volant. « A la télévision, un spot publicitaire
contre l’alcool au volant montrait un autocollant représentant une bouteille de vin avec un
château, symbole de Bordeaux. » me dit Xavier Carreau. « Ce n’était pas tolérable. »
L'association Vin &Société, qu’il présidait alors, a réuni plusieurs organisations
professionnelles viticoles pour défendre le vin face aux attaques des pouvoirs publics. Enfin,
le 25 février 2004, le 1er ministre Jean-Pierre Raffarin, indiqua clairement que « l'interdit
n'est pas l'avenir du vin en France » et il accepta d'adapter la loi Evin à la promotion
collective des vins de qualité.
Le sénateur girondin Gérard César disait en janvier 2014 : « Nous sommes en alerte
notamment sur les mesures relatives à la taxation du vin pour raison de santé ou fiscalité
‘’comportementale’’ et à l’augmentation des droits d’accises. Autant de mesures
pénalisantes pour la filière. » Suite à sa proposition de loi déposée en 2012, un amendement
reconnaissant le vin comme partie du patrimoine culturel, gastronomique et paysager
français a été adopté le 12 avril 2014 par le Sénat.
Christophe Château, en charge de la communication au CIVB, ajoute : « La place du vin en
France doit être défendue, parce que nous ne pouvons pas être forts à l’étranger si nous ne
le sommes pas sur notre propre territoire. »
« On est dans le pays des paradoxes, dit Olivier Bernard, Président de l’Union des grands
crus de Bordeaux. La France a une grande culture de la gastronomie et du vin et pourtant
nos gouvernements taxent durement la consommation du vin. Nous ne pouvons pas montrer
une étiquette de vin lors d’un cours de cuisine dans une émission de télévision française ; un
Château n’a pas le droit de sponsoriser un voilier qui fait une régate… Bien sûr, je suis
contre celui qui prend le volant en ayant bu. La prévention est importante et je suis content
que les jeunes soient sensibilisés à ça. Mais le ‘’binge drinking’’ boire à l’excès, pratiqué
par les jeunes, ce n’est pas avec le vin, mais avec les alcools forts..»
Il est interdit de conduire avec une alcoolémie supérieure à 0,5 gramme d’alcool par litre de
sang ; cela correspond à 25cl de vin. En Chine, la tolérance d’alcool au volant est de Zéro !
L’héritage
Depuis 2010, la France a durci considérablement sa politique d’imposition sur les
successions. Aucun grand pays d'Europe ou d'Amérique du Nord ne ponctionne aussi
durement le patrimoine des personnes décédées. La législation française donne à tous les
enfants des héritiers des parts égales : de nombreux vignobles ont été divisés en petites
parcelles, ainsi sans intérêts de production. Des héritiers vendent les biens pour payer les
droits de succession. D’autres châteaux sont vendus à cause des mésententes familiales
après l’héritage. Les avantages liés aux donations ont été supprimés, à l'exception de ceux
prévus en faveur des donations d'entreprise.
Etre classé au Patrimoine
Un château ‘’classé au Patrimoine’’ est préservé de l’abandon ou de la destruction. Il
bénéficie des aides publiques du Ministère de la culture. Il se soumet à un cahier des charges
stricte, sauvegarde le lieu et l’entretient. Mais les aides de l’Etat français se sont réduites les
derniers mois de l’année 2013. Pourtant la végétation ronge les vieilles pierres et les
tempêtes continuent d’emporter les ardoises… Un artisan qualifié pour la restauration de ces
bâtiments protégés coûte 40 € / heure et il met une heure pour changer 5 tuiles d’ardoise de
la toiture pentue d’un château vieux de 300 ans.
C’est pourquoi, avant de vendre, les propriétaires tentent une restauration pour proposer des
chambres d’hôtes, recevoir des séminaires et des mariages, aménager un espace en résidence
d’artistes, louer le parc pour des spectacles d’été en espérant le soleil contre la pluie… Le
vigneron passe de la vigne à l’oenotourisme ! Dans l’attente des aides de l’Etat, le châtelain
cultive son potager et vend ses fraises.
Tous ces facteurs favorisent l’achat des terres viticoles par des étrangers, dont les
Chinois.
Pourtant, les complexités administratives françaises devraient freiner leurs
investissements : je pensais que certains Chinois seraient effarés par les normes françaises,
ses procédures, son droit social ; les salaires ne sont pas les mêmes qu’en Chine, le code du
travail français a doublé de volume ces dernières années ; l’inspection du travail et des
fraudes se manifeste régulièrement ; les taxes et les impôts ont augmenté… Mais non. Les
secrétaires chinoises traitent les problèmes administratifs, en France comme en Chine.
Bien entendu, le Chinois propriétaire est taxé au même titre qu’un français pour l’export du
vin vers leur pays. De plus sa propriété ne lui donne pas un visa d’entrée systématique.
En octobre 2014, environ 230 domaines viticoles bordelais appartiennent aux
investisseurs étrangers : ils sont Chinois (une centaine), Belges (environ 50), Allemands et
Britanniques, Américains, Sud-Africains et Japonais, Italiens et Russes.
La moitié des Chinois propriétaires en bordelais exporte 100% de sa production en Chine.
Aujourd’hui, des vignobles à la vente aux appellations plus prestigieuses sont recherchés.
La Chine plante énormément sur son territoire ; on peut supposer que dans une dizaine
d’année, leur vin sera aussi bon que les appellations Bordeaux ou Bordeaux Supérieurs.
Sylvie Cazes
Histoire et Saveurs de Bordeaux
Sylvie Cazes est conseillère municipale pour l'œnotourisme à la Mairie de Bordeaux ;
elle a créé Bordeaux Saveurs, une agence de réceptif pour les groupes de touristes et
elle préside le fond de dotation de la Cité des Civilisations du vin (cf son chapitre).
Sylvie Cazes a présidé l’Union des Grands Crus de Bordeaux. Elle a travaillé pendant
20 ans avec son frère Jean-Michel Cazes, l'un des grands ambassadeurs du monde du
vin, puis elle a dirigé les châteaux du groupe Louis Roederer dans le Médoc. Sylvie
Cazes connait l’histoire de Bordeaux et des étrangers qui ont améliorés son vin.
« En premier lieu, je me réjouis que les Chinois consomment du vin ; c’est proche de leur
culture, ça leur convient, me dit Sylvie Cazes. Notre approche française de l’art de vivre est
associée au vin. Les Chinois aiment s’amuser, ils aiment partager, ils aiment la convivialité
et les joies de la vie. Ils ont une gastronomie qui est extrêmement différenciée, très riche, et
qui correspond bien à la diversité de nos vins ; et ce n’est pas parce que la Chine est un
vaste pays : la grande Russie n’a pas de diversité gastronomique. Les Chinois s’intéressent
aux vins bordelais. Ils achètent des vignobles dans diverses appellations, majoritairement
en Bordeaux et Bordeaux Supérieur ; ils leur donnent des outils plus modernes pour mieux
produire, et jusqu’à présent on se félicite de leurs investissements.»
Dans son histoire, le vignoble de Bordeaux a toujours connu de tels achats par des étrangers,
qui ont fait sa notoriété internationale.
Le XIIème siècle et les Anglais
En 1152, Aliénor Duchesse d'Aquitaine, divorcée du roi de France Louis VII, épouse Henri
Plantagenêt qui devint roi d'Angleterre en 1154. Dès lors, la ville de Bordeaux est rattachée
à la couronne d’Angleterre ainsi que la région d’Aquitaine. Des échanges commerciaux très
importants naissent : les Anglais exportent leurs aliments, textiles et métaux, et importent le
vin de Bordeaux par l’estuaire de la Gironde. Ils le nomment Claret en raison de sa couleur
claire. Le vignoble bordelais s’étend entre la Garonne et la Dordogne.
« Il faut se rappeler l’histoire de Bordeaux, reprend Sylvie Cazes. Les vagues
d’immigrants : les Anglais, les Irlandais, les Hollandais, l’Europe du Nord puis les
Américains…Ils ont toujours apportées des idées neuves et une amélioration à la culture de
ses vins. Aujourd’hui ce sont les Chinois, capables d’investir, de prendre des risques ; ils
ont une énorme force de distribution et c’est un atout pour notre vin. »
- Ce ne sont pas les propos des Bourguignons.
« Si ça pose un problème à la région de Bourgogne, c’est parce qu’elle n’a pas cette
tradition d’immigration. L’histoire de Bordeaux a été faite par des immigrants, d’abord par
Aliénor d’Aquitaine qui a exportés ses vins en Angleterre, puis par ces vagues d’étrangers
qui ont dynamisé les terroirs. Plus récemment, les Espagnols et les Portugais viticulteurs
sont venus travailler en Gironde, et ont apporté du sang neuf et de nouvelles idées ; lorsque
des Japonais ont acheté des propriétés bordelaises il y a eu des inquiétudes infondées ; ça
ne gêne plus personne aujourd’hui. Tant que les Chinois achètent des vignobles pour
augmenter leur qualité c’est très bien. »
Le XVIIème siècle et les Hollandais
Les Hollandais achetaient du vin qu'ils distillaient dans leurs entrepôts pour faire de l’eaude-vie. En plus des traditionnels Clarets, les Bordelais leur fournissaient des vins blancs
secs et doux destinés à leur distillation.
En 1599, le roi de France Henri IV fit venir des techniciens des Pays-Bas pour drainer les
zones marécageuses du royaume, afin d'accroitre la surface agricole. Ce travail fut réalisé
dans le marais de la région des Charentes (au Nord de la Gironde), et dans le Médoc
jusqu’aux zones humides qui entouraient Bordeaux. Le financement de ces grands travaux
n'étant pas finalisé, les Néerlandais achetèrent des terrains à bas prix ; ils ont planté un vin
plus à leur goût, comme des vins noirs (le vin rouge d’aujourd'hui) dans le Bordelais, mais
aussi à Cahors et au Portugal.
Les Hollandais apportèrent de nombreuses innovations comme le méchage, appelé aussi
l’allumette hollandaise : pour les voyages en bateaux vers leurs colonies lointaines, une
mèche trempée dans du soufre est mise à brûler dans les barriques vides pour aseptiser
l'intérieur et éviter une altération bactérienne ; ce procédé permet de conserver les vins dans
les fûts ; ainsi, les Hollandais ont transformé un vin à boire rapidement en vin de garde : ils
ont découvert les bienfaits du vieillissement du vin.
Au XVIIIème siècle, Bordeaux exporte ses vins vers ses colonies, les Iles d’Amérique,
Saint-Domingue et les Petites-Antilles. Lors de son passage à Bordeaux en 1787, Thomas
Jefferson futur président des Etats-Unis, approuva le premier classement des vins, établi par
les courtiers et les négociants ; lors de son premier mandat, il dépensa 7597 dollars en vins.
Au milieu du XIXème siècle, le vignoble girondin entre dans une ère de prospérité dont
témoigne le fameux classement de 1855, recensant une partie de ses crus de la Gironde (cf le
chapitre sur le vin de Bordeaux). La hausse de sa production permet une augmentation des
exportations vers l'Allemagne, la Scandinavie, la Belgique, les Pays-Bas et l'Angleterre.
Mais de 1875 à 1892, la maladie du phylloxéra ruina tout le vignoble ; il sera sauvé par le
greffage des cépages bordelais à des pieds américains de leur côte Est, résistants à la
maladie ; aujourd’hui encore les plants américains sont utilisés comme porte-greffes. Plus
tard, une autre maladie, le mildiou d’origine américaine, fut traitée avec une préparation à
base de cuivre appelée la bouillie bordelaise, qui est toujours utilisée dans le monde entier.
Les Irlandais du XVIIIème siècle
En 1723, le ressortissant irlandais naturalisé Pierre Mitchell, propriétaire du château du
Tertre, a ouvert la 1ère verrerie à Eysines (banlieue de Bordeaux) ; la bouteille devient le
nouveau mode de conditionnement du vin. Dès la fin du XVIème siècle, les persécutions
exercées sur les catholiques irlandais les poussèrent à s’exiler. Bon nombre d’entre eux
créèrent des domaines viticoles dans le Médoc. Les familles Barton, Lynch, Mac Carthy,
Walsh, O’Byrne…ont contribué à révéler aux locaux la valeur et le potentiel de leur terroir.
Roger Dion, écrivain
Dans son livre : Une histoire de la vigne et du vin en France (édité en 1959), Roger Dion
(1896 -1981) explique que la qualité des vins de France ne tient pas seulement à son terroir ;
elle dépend aussi des marchés, des goûts et des attentes des clients. Ainsi, les Crus classés
de Bordeaux doivent leur renommée au désir des Anglais d’acheter ces produits de qualité
pour un marché de Princes. Les grandes appellations de Bourgogne sont nées grâce aux
exigences de la cour des ducs de Bourgogne à Dijon. L’originalité du Côtes-du-Rhône,
dominée par de subtiles notes épicées, a été connue car elle était appréciée de la bourgeoisie
lyonnaise. Le succès du Champagne résulte de son estime dans la haute société britannique
et française. « Les vins de Bordeaux étaient vendus en Angleterre et les vins de Bourgogne à
Paris, dit Sylvie Cazes. Ces deux terroirs ont progressé en qualité et se sont développés
grâce à l’apport financier de leurs acheteurs. »
Roger Dion remarque que le vin du Languedoc a connu des difficultés à l’export car ses
péniches qui remontaient le Canal du Midi étaient bloquées par les boues de la Garonne
avant Bordeaux. D’où l’importance des voies navigables : les vignobles proches du Golfe de
Gascogne ont profité de leur avantage maritime pour développer des vins d’exportation vers
les ports de l’Aquitaine et les ports flamands ; les Hollandais amateurs de vin blanc ont
remonté la Loire pour apprécier et acheter les crus de Vouvray…
Bien que le marketing et les facilités d’accès aux vignobles soient indispensables, nous
savons que le terroir est inimitable. « A la base, le potentiel est dans le sol. »
Les Américains et les autres
Napa valley est le cœur du vin californien depuis 1966. Robert Mondavi apporta les
traditions viticoles européennes, les cépages français, améliora les techniques et le
marketing.
Christophe Château, directeur de la communication du CIVB, raconte : « en 1985, un certain
nombre d’anglais achetaient et s’installaient en Dordogne. Les locaux s’affolaient, criaient
à l’envahisseur. Pourtant, ces anglais restauraient les toitures, embellissaient les bâtiments
et redonnaient vie au village. Lorsqu’ils sont partis à cause de la crise économique, ces
mêmes locaux qui râlaient de leurs arrivées, pestaient contre leurs départs. J’aime raconter
cette anecdote de ma vie. Je veux rappeler que le terroir n’est pas dé localisable, et que les
Chinois du XXIème siècle sont les bienvenus. »
Le vin chinois devient très bon. Est-ce un danger pour le bordelais ?
« Dans les années 1970, le marché américain s’est ouvert. Le vin de Californie s’est
développé et plus il s’améliorait, plus les Américains achetaient des vins de Bordeaux. Je ne
pense pas que la qualité grandissante des vins chinois freine leur consommation de vin de
Bordeaux. Je ne suis pas inquiète ; le marché va se réguler, devenir mature et mieux
structuré, avec des acteurs sérieux qui feront un travail régulier. Les riches Chinois qui ne
boivent pas encore de vin vont s’y mettre, pour l’art de vivre. La consommation chinoise se
développe plus vite que leur production locale. Nos vins et même nos petits vins
continueront à s’exporter là-bas. Il y a de la place pour tout le monde.»
Certains propriétaires chinois envoient la totalité de leur production en Chine.
« Il y a plus de 7000 exploitations à Bordeaux, on a encore de quoi boire ! Connaissiez-vous
ces châteaux avant de vous pencher sur les acquisitions chinoises ? Nous devons renforcer
nos ouvertures à l’export. Nous avons un volume de consommation qui s’est
considérablement réduit ces dernières années. Les Français ont un gout éclectique, ils
boivent du vin étranger par curiosité. Aujourd’hui, ici, on produit trop et on ne boit pas
assez. Nos Grands Crus partent pour 80% à l’export. Mais l’essentiel c’est que la
consommation de vin dans le monde augmente, et c’est le cas. »
Pour les groupes et les particuliers, Bordeaux Saveurs compose
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Copropriétaire du château Lynch-Bages (5ème Grand Cru classé 1855, à Pauillac), Sylvie
Cazes a acheté, en mai 2014, le château Chauvin, Grand Cru classé de Saint-Emilion.
L’UNESCO - Organisation des Nations Unies pour l'Education, la Science et la Culture, a
été créée le 16 novembre 1945.
Fin 2013, 981 Biens de 160 Etats, culturels et naturels, exceptionnels et de valeur
universelle, étaient inscrits au Patrimoine de l’Humanité par l’UNESCO.
Depuis le 28 juin 2007, la zone classée de la ville de Bordeaux correspond à l’intérieur des
boulevards jusqu’à la Garonne incluse : c’est à dire 1 810 hectares, soit un petit tiers de la
superficie de la ville de 4 455 hectares. Tous les 5 ans, l’UNESCO revoit les valeurs du
Bien, afin de le garder ou de le rayer de la liste.
L’inscription au Patrimoine mondial a un effet bénéfique sur la fréquentation touristique.
C’est un atout majeur pour l’attractivité culturelle et économique de la ville.
En 1967 André Malraux avait déjà délimité un secteur à sauvegarder, soit 147 hectares de la
« vieille ville ».
La juridiction de Saint-Emilion est
inscrite au Patrimoine mondial
depuis 1999 (cf le chapitre du
château Côte de la Mouleyre).
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Laurence Lemaire
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l’Hebdo est l’actualité du vin et de la Chine
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