Varangéville : un hiver qui ne manque pas de sel

Lundi Investigation
Lundi 20 Janvier 2014
LES MOTS DU DROIT
1
TTE
6
EN IMMERSION
Loi
Règle de droit écrite, de portée générale et impersonnelle. Elle s’applique à tous sans exception et nul
n’est censé l’ignorer. Elle est délibérée, rédigée,
amendée et votée par le Parlement (Assemblée nationale et Sénat) en termes identiques. Elle est promulguée – signée – par le président de la République
et publiée au Journal officiel (JO).
LA JUSTICE ORDINAIRE
Ségolène
et Nicolas
Le sel transporté à vitesse grand V au fond de la mine.
Demander le renvoi d’un dos- tère public – 3 mois avec sursis
sier. Un art pour les avocats, et des amendes –, Me Koehl met
une obligation pour les préve- en avant la bonne personnalité
nus qui débarquent à l’audience de son client.
sans être préparés. Cette quin- « Il est boursier et élève
qua, convoquée devant le tribu- modèle jusque-là. Bon, il est en
nal correctionnel de Nancy première année de droit et on ne
pour des violences et dégrada- fait pas de droit pénal avant la
tions, bredouille : « Euh, j’suis deuxième année. Là, il aura eu
pas souvent chez moi. J’ai pas une formation accélérée… Faut
relevé le courrier ». Son avocate, lui laisser sa chance. Et puis, il y
Me Chollet, est dans ses petits a bien des criminels dangereux
souliers devant le président Pas- qui sont devenus avocats par la
cal Bridey, déjà agacé par ces suite, non ? » Sourire du présirendez-vous manqués en série. dent et gloussements dans la
« Elle m’a contactée hier. J’ai à salle.
peine lu le dossier, j’ai pas eu le
Autre absente du jour : une
temps de faire de demande apprentie de la boulangerie void’aide juridictionnelle. Voilà… » sine du tribunal en conflit avec
Son confrère, qui défend la son employeur et qui a piqué
victime, n’est pas plus à l’aise. 200€ dans la caisse. « C’est bien
« Je l’ai survolé. Je ne suis pas la boulangerie Ségolène et Nicoprêt non
l a s ? » ,
plus », souffle
Un étudiant en droit : s’enquiert le
Me Nicolas
président Bri« Je suis victime,
Litaize, en
dey, qui
m’dame mais je reste
affectant un
ajoute : « Je
pas, j’ai trop peur
sourire aussi
crois qu’elle a
de mon agresseur. »
gêné que plein
changé de
d’espoirs… de
nom depuis.
renvoi. La substitut du procu- Bon, de toute façon, ce n’était
reur Nora N’Hari, cinglante : plus d’actualité (en référence à
« La convocation a plusieurs l’ex-candidate à la présidentielle
mois. Vous aviez le temps pour de 2007 et à l’ancien président
prendre vos dispositions. Il faut Nicolas Sarkozy, NDLR) ».
retenir l’affaire. » Le suspens Jugement : 2 mois avec sursis et
dure quelques (longues) secon- trois amendes.
des mais le président se laisse
Plus douloureux, le cas de cet
convaincre. Renvoi au 24 avril. étudiant en thèse d’histoire du
En sortant de la salle, Me Litaize droit qui se précipite vers l’huiscommente : « Ce n’est jamais sier, paniqué : « Je suis victime,
un moment très agréable. Il faut m’dame mais je reste pas, j’ai
y mettre les formes. »
trop peur de mon agresseur. » Et
Autre figure obligée en cor- le voilà qui sort de la salle
rectionnelle : excuser son client d’audience en jetant des regards
qui est absent à l’audience et inquiets de tous les côtés, de
que l’avocat représente lors de peur de croiser celui qui l’a basson procès. Le juge Pascal Bri- tonné. À la barre, une heure
dey ironise : « Là, en plus, il est plus tard, son agresseur, grand,
étudiant en droit. Il aurait cheveux ras, est impressionquand même pu se déplacer, nant. Toxico, interné, puis traité
non ? Bon, j’imagine qu’à cette en psychiatrie à Laxou. La vich e u re - c i , i l d o i t ê t re e n time lui a écrasé par mégarde
cours… » Le jeune homme doit son paquet de clopes posées sur
répondre du vol d’une paire de les marches de l’escalier dans le
lunettes dans une voiture, le hall de leur immeuble.
bris de plusieurs rétroviseurs et
- « J’ai pété un câble. J’étais
consommation de cannabis.
dans une mauvaise passe.
- Me François-Xavier Koehl, Parano. Depuis, je consomme
défenseur du prévenu : « Il avait plus de drogue, je suis en fortrop bu. Bon, pour le cannabis, mation. Même ma famille, ils ne
il n’y a pas eu d’analyse donc me reconnaissent plus. »
pas de preuve qu’il s’agisse de
cette substance. » Face aux
Une chronique
réquisitions (limitées) du minisd’Alain MORVAN.
AUX LECTEURS
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Sur le front de taille, Sylvain règle sa haveuse.
Varangéville : un hiver
qui ne manque pas de sel
I
l faut moins d’une minute
pour parcourir les 160 m qui
séparent la terre ferme de la
couche de sel. À bord de « la
cage », l’étroit ascenseur rustique du puits principal par lequel
transite chaque jour la cinquantaine de salariés de la mine du
groupe Salins ainsi que 300 tonnes de sel à l’heure, les lampes
frontales assurent un éclairage
minimal. En bas, « au fond », le
bruit des engins de chantiers et
des convoyeurs qui charrient l’or
blanc lorrain monte un peu à la
tête alors que l’on s’habitue petit
à petit aux immenses galeries de
4 m 50 de haut d’une cathédrale
souterraine, aux murs noircis par
le temps et au sol glissant nappé
de poussière blanchâtre. « Nous
sommes dans le même horizon,
la même couche de sel gemme
qu’à l’ouverture de la mine, en
1853. Le toit, le plafond minier,
est sécurisé par des piliers de sel,
ce qui évite d’avoir recours à un
soutènement complexe qui
serait économiquement très coûteux », raconte Didier Casanova,
le responsable de la mine. Il est
comme chez lui dans le dédale
obscur des kilomètres de chemins souterrains qui mènent au
front de taille. Du noir intense
émergent de temps en temps les
yeux brillants des engins XXL
aux godets chargés du précieux
minerai. Ils vident leurs cargaisons dans les convoyeurs, ce
réseau de tapis roulants qui
ramènent le sel à l’air libre.
« Pas d’eau
pas de grisou »
Il est 16h et l’artificier prépare
son explosion du jour sur un des
chantiers du front. « Vers 20h,
nous faisons sauter à l’explosif,
du nitrate-fuel, l’équivalent de
500 tonnes de sel avec des charges positionnées dans 42
trous », explique le quadra de
Varangéville qui a longtemps travaillé dans le bâtiment avant de
«E
LA PAROLE À LA DÉFENSE
« La première fois que j’ai plaidé
c’était devant la cour d’appel
de Pau. Il n’y avait pas
de public mais c’est comme
si je plaidais aux assises.
Une fraction de seconde, j’ai eu
comme un vertige identitaire. »
Le témoignage est celui de Rémi Barousse, avocat parisien, qui se souvient qu’il a été magistrat.
« Un peu plus et j’allais repasser de l’autre côté
de la table, là où j’avais toujours l’habitude de siéger
en tant que magistrat. Il fallait que je m’habitue ».
n réalité, la mine travaille normalement
même si, c’est vrai,
nous attendons la neige », tranche Thierry Chevrier, le directeur
du site lorrain du groupe Salins.
Avec ses équipes, il garde
donc les yeux rivés sur la météo
au cœur d’un hiver exceptionnellement doux. « En fait, on
prépare toute l’année une phase
de consommation de sel qui
peut être très courte et très
dense au cours de laquelle la
demande explose », remarque
Didier Casanova. Alors que la
production journalière se situe
en période haute entre 2 500 et
3 000 tonnes par jour, les
besoins en sel après un épisode
de neige grimpent jusqu’à
12 000 tonnes par jour ! « A certains moments, 500 camions se
pressent sur le site. Le stock,
c’est le nerf de la guerre », précise Thierry Chevrier.
Jeudi dernier, à peine une
dizaine de véhicules ont chargé
leur cargaison de sel. « Là, c’est
sûr, les stocks des conseils généraux, des services de l’Équipement, des villes… sont reconstitués et il n’y a pas la moindre
consommation pour l’instant.
Notre filiale de distribution, qui
possède ses propres dépôts au
plus près des besoins, est elle
« Travailler dans
une mine de sel,
c’est presque
la vie de château
par rapport
au charbon
ou au fer. »
C’est l’avis de Daniel Tribout, qui achève sa carrière à Varangéville.
Il a été chef d’exploitation
dans les mines de fer
de Moselle, de Roncourt
à Aumetz.
« Pas d’eau, pas de grisou, 15° en permanence,
pas d’humidité, les conditions sont meilleures ici »,
promet le futur retraité,
qui a quarante années
d’expérience dans
le métier.
le chiffre
80
Didier Casanova dirige la mine de sel de Varangéville (Meurthe-et-Moselle) pour le compte du groupe Salins.
Photos Anthony PICORÉ
venir à la mine. Sur le chantier de
la galerie voisine, Sylvain, 42
ans, prépare sa haveuse. « C’est
une sorte de tronçonneuse
géante qui effectue une saignée
de 13 m de large au ras du sol sur
20 cm de haut et 4,5 m de
profondeur », explique son
pilote. Le ballet des chargeurs,
qui déposent avec leur godet les
blocs de sel à l’entrée des convoyeurs où il est concassé, est
incessant.
L’air pulsé ronronne dans les
galeries alors que l’atmosphère
iodée chatouille la langue. À
l’entrée de leur camp de base,
une dizaine de mineurs cassent
la croûte dans un container aménagé.
500 000 t par an
On y croise Daniel Tribout, de
Saint-Nicolas-en-Forêt, ancien
chef d’exploitation dans les
mines de fer de Moselle, de Roncourt à Aumetz. « Pas d’eau, pas
de grisou, je ne peux pas dire que
c’est la vie de château ici, en
comparaison, mais presque »,
promet le futur retraité.
Au sortir des colossales cham-
bres de stockage souterraines, le
chemin du retour vers la surface
se fait au rythme des tapis roulants qui remontent l’or blanc
vers le puits principal après
l’étape de criblage. « Le sel de
déneigement, il doit faire
5 mm », explique Didier Casanova, l’ancien des mines de
potasse d’Alsace, qui fut responsable d’exploitation chez le
géant de la photo Kodak avant
que le numérique n’achève la
pellicule argentique. À l’extérieur, faute de neige, le gigantesque tas de sel, baromètre de la
l faut imaginer que tous
«I
les engins, des plus petits
au plus gros, sont passés par
À l’entrée
du convoyeur,
les blocs de sel
sont
concassés.
2010 - 2011
année noire
A. M.
Alain MORVAN.
Tous les engins qui assurent la production ont été
découpés pour être acheminés par l’unique puits
de la mine.
aussi dans les starting-blocks.
Pour que le sel soit là, lorsque la
neige tombe », constate le directeur du site.
La météo reste le baromètre
d’une activité très cyclique.
2012-2013 ? « Une année
moyenne haute », se rappelle
Didier Casanova. 2011-2012 fut
a contrario très faible quand
2010-2011 restera gravée dans
les mémoires pour sa rudesse.
« En 2010 - 2011, on s’est même
retrouvé dans l’incapacité de
fournir tant la demande était
importante et la neige présente
en plaine un peu partout en
France lors d’un épisode atmosphérique qui a duré », se souvient Thierry Chevrier.
Cette année, peu probable
qu’une telle situation se reproduise, avec des stocks largement
reconstitués. « Nous avons
connu des mois de février très
rigoureux, donc on se dit que
tout est encore possible », analyse Didier Casanova. Quoi qu’il
en soit, près de Nancy, la
méthode du célèbre docteur
Coué est évidemment autorisée…
production,, est à son plus haut,
« Il représente environ 80 000
tonnes et, là, sous le hangar,
nous en avons encore 20 000.
On est prêts pour les intempéries… quand elles viendront »,
explique Didier Casanova.
Chaque année, Varangéville,
qui possède la dernière mine de
France, produit 500 000 tonnes
de sel de déneigement, à destination des départements du GrandEst (Franche-Comté, Alsace, Lorraine, Champagne-Ardenne).
Comme l’âge du sel
« La Baleine ».
La Compagnie des Salins
du Midi exploite le plus
grand salin d’Europe à
Aigues-Mortes,
sur un territoire de
10 000 ha dont il est le
propriétaire et vient
d’obtenir une
récompense pour la mise
en place d’actions concrètes en matière
de biodiversité.
Le salin d’Aigues-Mortes
est connu pour produire
« la marque de sel préférée des Français,
La Baleine », qui fête
en 2014 ses 80 ans.
280 000 tonnes de sel
y sont récoltées
tous les ans.
Engins découpés
à la disqueuse
L’hiver tarde à s’installer pour Salins, qui
jouera sa saison sur le seul mois de février.
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suivante : [email protected]
la phrase
La dernière mine de France produit, près de Nancy, le sel de déneigement pour le quart nord-est de l’hexagone. Elle
attend désespérément la neige en cet hiver trop doux. Descente à 160 m sous terre, au cœur de l’or blanc lorrain.
Thierry Chevrier, directeur de site :
« On attend la neige »
Photo RL
La « cage » permet de rejoindre la couche de production.
Les mineurs
du poste
de l’aprèsmidi, jeudi.
l’unique puits de la mine par
où nous sommes passés tout
à l’heure », rappelle Didier
Casanova, son responsable.
C’est vrai, le décalage est
bluffant, à regarder les monstres de métal sur roues, qui
transportent le sel.
Les étranges bestioles aux
longues mandibules, comme
la haveuse ou la purgeuse,
servent à couper la roche
avant d’en détacher les blocs
de sel ou à creuser les trous
où seront posées les charges
nécessaires pour abattre des
blocs de sel. « Les pneus ont
été dégonflés, réduits à leur
plus simple expression, les
engins démontés en morceaux, à la disqueuse puis
remontés. »
Chambres cathédrale
Le sel passe
au criblage.
Bref, un mécano géant. Une
grande partie de la maintenance est également installée
à 160 m sous terre.
Parmi les éléments les plus
spectaculaires du sous-sol, il
y a les chambres: ces lieux où
le sel est stocké en attendant
que la demande et la consommation fassent fondre le tas
géant en surface. 16 mètres de
Le chevalement au-dessus
du puits de la mine.
haut, 16 mètres de large et 90
mètres de long.
Semblable à un terril mais
de couleur gris blanc.« Elles
contiennent chacune 11 000
tonnes. En ce moment, on a
même des réserves dans les
galeries », commente Didier
Casanova
A. M.