Du Col du Mont-Cenis à Susa - Via-Alta

24,7 km
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Du Col du Mont-Cenis
à Susa
Cette étape est particulièrement riche en beautés naturelles alpines ainsi qu’en traces historiques de toutes
les époques qui ont marqué ce lieu de traversée des
Alpes.
Un des points cruciaux est le grand lac artificiel du
Mont-Cenis, ouvrage franco-italien complété dans
les années 1960 dans ses dimensions actuelles et qui
occupe toute la « plaine du Cenis », où existait déjà un
petit lac naturel.
Les virages de la « Grande Echelle » rappellent l’importance stratégique de la route, à tel point qu’afin de
faciliter le passage, Napoléon décida de réaliser cet
ouvrage énorme et encore bien conservé. Dans la descente vers Susa, on remarquera les traces d’une vieille
voie ferrée, antérieure au tunnel ferroviaire du Fréjus,
construite dans la deuxième moitié des années 1800
afin de relier le chemin de fer italien qui était à ses débuts avec le chemin de fer français (la première partie
qui longe la route est encore praticable !). Cet ouvrage,
réalisé par une société anglaise, tandis que dans la
Méditerranée on creusait le canal de Suez, avait entre
Le col et la digue du Mont-Cenis.
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autres pour but de faciliter le parcours de la route des
Indes aux Anglais et d’éviter la circumnavigation de
l’Afrique.
La descente vers Ferrera Cenisio et Novalesa se fait en
marchant sur le pavé de l’antique « Route royale » qui,
grâce à sa pente régulière, nous laisse le temps de penser à tous les voyageurs qui empruntèrent ce chemin :
pèlerins, mais aussi marchands, étudiants, nobles ou
pauvres montagnards qui vivaient en fonction des
ressources que leur procurait un petit trafic de contrebandier transfrontalier de subsistance.
En traversant Ferrera, on pourra admirer un cadran
solaire qui semble vouloir passer un message à celui
qui marche lentement en se fondant dans le paysage et
dans l’histoire et en lançant sa maxime : « Souviens-toi
de vivre ».
À Novalesa, la via Maestra, avec ses petites rues et ses
auberges, nous replonge dans un passé toujours aussi
présent. En effet, l’économie de Novalesa, comme
pour Lanslebourg en Savoie, pendant des siècles s’articula autour du passage de la frontière par le Mont-Ce-
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Du Col du Mont-Cenis à Susa
nis. Le passage du col, à une certaine époque, imposait
le démontage des carrosses, le transport du matériel et
des passagers à dos d’hommes ou à dos de mulets pour
ensuite tout remonter avant de poursuivre le chemin.
Cette économie florissante avec ses échanges culturels
vivaces cessèrent brusquement avec la construction de
la route napoléonienne au début des années 1800. La
24,7 km
magnifique abbaye de Novalesa, un peu isolée au pied
de la montagne immergée dans la nature, revit car,
de nos jours, elle est habitée par des moines bénédictins, ordre fondateur au temps de Charlemagne. Elle
se trouve à 1 km du chemin principal, mais c’est une
déviation qui mérite vraiment d’être faite même pour
ceux qui se déplacent à pied. (M.D.)
DISTANCE
24,7 km
TEMPS DE PARCOURS
7 h 20
DÉNIVELÉ
1580 m
CENTRES D’INTÉRÊT CULTUREL
Ecomusée des Terres
Frontières
via Trento, 9 - località Ferrera
10050 Moncenisio (TO)
Infos : Mairie de Moncenisio,
piazza Municipio, 1
10050 Moncenisio (TO)
Tél + 39 0122 653222
[email protected].
Centre Culturel Diocésain
via Mazzini, 1, 10059 Susa (TO)
Tél et Fax + 39 0122 622640,
[email protected].
Ouvert : tous les jours sauf le
mardi, 9h 30 - 18h 30 ; entrée
gratuite, accès facilité pour les
personnes à mobilité réduite.
Musée archéologique de l’abbaye de Novalesa, borgata San
Pietro, 4 – 10050 Novalesa,
ouvert : 1er juillet - 15 septembre : tous les jours sauf le
jeudi, 9h 30 - 12h 30, 14h 30
- 17h 30 ;
16 septembre - 30 juin : samedi-dimanche 9h 00 - 12h 30,
14h 00 - 16h 00. Sur réservation pour les groupes tous les
mercredis et vendredis.
Infos : [email protected], www.abbazianovalesa.org.
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LE COL DU MONT-CENIS ET SES FORTIFICATIONS
Les fortifications qui, encore aujourd’hui dominent
le vaste espace dans lequel se louvoie le lac artificiel
du Mont-Cenis, ainsi que la montagne en amont de
Ferrera Cenisio, jouèrent un rôle très important lors
du déploiement des forces alpines anti-françaises organisé entre le moment de l’adhésion de l’Italie à la
Triple-Alliance (1882) et les années de guerre sous
le gouvernement du Duce.
Ces bastions, qui furent érigés entre la fin des années
1800 et le premier quart des années 1900, furent tous
détruits après le second conflit mondial, bien qu’ils
continuent d’imposer leur architecture sur les pentes
herbeuses qui recouvrent les montagnes alentours.
On observant ce haut plateau depuis la grande digue
élément de barrage sur le col. La structure à plan
polygonale est entourée par un ample fossé et possédait de nombreuses embrasures pour canons ainsi
que des casemates disposées sur plusieurs niveaux.
Au niveau supérieur se trouvaient les canons de 9
AR/Ret (calibre en cm 9 ; Acier-Rayé/Rétro-chargé),
tandis que sur les côtés nord, est et ouest s’ouvraient
non moins de 27 embrasures pour obusiers et des
rangées de créneaux de fusillade.
Ce fort fut désarmé en 1900, après seulement 20
ans de service, car il n’aurait manifestement plus pu
résister à la force de feu des obus modernes et il fut
même utilisé comme cible pour les tirs d’artillerie
d’entraînement, puis comme entrepôt.
Le Fort Varisello.
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située à l’extrémité méridionale du lac, réalisée en
terre battue dans les années 1950, on distingue clairement trois grosses places fortifiées sur la gauche
et sur la droite des eaux. Sur la gauche, les structures puissantes du Fort Varisello et la batterie du
Malamot couronnent le sommet de la montagne du
même nom ; à droite, il est impossible d’ignorer la
masse imposante du Fort Roncia. Jadis, à l’endroit
même où se dresse la grande digue qui retient le lac
artificiel, se trouvait le Fort Cassa, démoli dans les
années 1950 pour laisser la place à la construction
du barrage.
Fort Cassa
Il fut construit à la même époque que le Varisello et
se trouve sur le versant méridional du lac naturel qui,
alors, occupait une partie du plateau du Mont-Cenis.
Il était doté de 24 embrasures, armé de canons de 9
AR/Ret, qui prenaient d’enfilade le plateau jusqu’à
une distance d’environ 5 km. L’ouvrage fut démantelé
en 1900 et reconverti en logement pour les troupes.
Dans les années 1950, étant donné qu’il se trouvait
sur le terrain destiné à la construction de la nouvelle
digue, une partie fut démolie, tandis que l’autre intégra la structure même du barrage.
Fort Varisello
Construit entre 1880 et 1887, le Fort Varisello du
haut de ses 2106 m d’altitude domine l’actuel lac
artificiel du Mont-Cenis. Avec le Fort Cassa qui fut
détruit et le Fort Roncia, réalisé de façon symétrique
sur l’autre versant du lac, ils constituaient un sérieux
Fort Roncia
Le Fort Roncia, symétrique par rapport au Fort Varisello, est beaucoup plus petit que ce dernier et se
trouve à 2294 m d’altitude sur le vaste haut plateau
connu sous le nom de « piano delle Cavalle », « plateau des Juments ». L’ouvrage de construction était
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Du Col du Mont-Cenis à Susa
identique aux deux ouvrages précédents, a un plan
circulaire, entouré par un ample fossé ; il était armé
de 6 canons de 9 AR/Ret qui prenaient de mire le
Col du Petit Mont-Cenis. Désarmé en 1915, le Fort
Roncia, à partir de 1937, fut utilisé uniquement en
tant que casernement. Ses fonctions furent transférées à la batterie moderne B4 juste à côté, construite
en caverne dans les années 1930.
Caserne défensive et batterie Malamot
Située à 2914 m d’altitude au sommet du Mont
Malamot, la caserne était desservie par une route
en terre carrossable, dont la seule réalisation fut
une véritable entreprise. Entre la fin des années
1880 et les premières années 1890, sur ce versant
de nombreux ouvrages furent construits bien que
de nos jours peu restent encore visibles : les batteries Fusere Alte et les abris du Giaset ; plus haut la
caserne défensive, édifiée en 1889 derrière la ligne
24,7 km
frontière, apte à loger 200 hommes et 4 officiers, et
armée de 4 mitrailleuses Gardner très puissantes.
Un peu plus bas, au Petit Col Malamot on aperçoit
encore les restes de la batterie Malamot, réalisée en
barbette, elle aussi en 1889, et armée de 12 canons
149 G (calibre 149 en fonte).
Dans les années 1930, avec la construction du
Vallo Alpino, toutes ces structures fortifiées furent
remplacées par des ouvrages en caverne bien plus
efficaces. On remarquera la coupole en acier bien
visible au sommet du Malamot, dotée de 4 créneaux pour mitrailleuses et reliée à une casemate
en partie creusée dans la roche et en partie en béton,
qui pouvait loger 30 hommes. En 1944 les positions
du Malamot furent occupées par des troupes allemandes qui les armèrent avec des pièces antichars.
En avril 1945, avec ces mêmes armes, les nazis
réussirent à repousser l’attaque française qui visait
à prendre ces positions.
Le Fort Roncia.
ITINÉRAIRE
Du Col du Mont-Cenis (2083 m) parcourir le grand plateau en côtoyant le
lac et les infrastructures touristiques tout le long de la route, sans oublier
la très caractéristique église en forme de grande pyramide en ciment. Continuer jusqu’à un grand virage sur la droite qui amorce la descente en nous
ramenant vers la base de la digue en terre, à la hauteur de laquelle se trouve
l’ancien poste de douanes françaises, avant d’amorcer la descente avec les
virages de la Grande Echelle. Au pied de ces virages, nous arrivons sur le
long Plan de San Nicolao, au bout duquel, sur la droite, nous pouvons encore
voir certaines des galeries de l’ancien chemin de fer Fell.
Dépassé le Plan, à environ 1 km, lorsque la route recommence à descendre
vers Suse, nous pouvons voir sur la gauche les restes d’une maison de cantonnier ; juste derrière l’édifice, toujours à gauche, prendre le sentier pavé,
avant la Route de Napoléon.
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LE CHEMIN DE FER SUSE - SAINT-MICHEL-DE-MAURIENNE (« FELL »)
Suite à la construction de la Route de Napoléon au
début du XIXe siècle, le Col du Mont-Cenis pris une
très grande importance, certes d’un point de vue stratégique et militaire, mais surtout en ce qui concerne
les échanges et le commerce. Très rapidement, la
nouvelle route carrossable devint très fréquentée à
tel point, qu’entre 1806 et 1810, le transit des voyageurs doubla tandis que les échanges de marchandises
furent multipliés par quatre. Cependant, malgré tous
les ouvrages de protection réalisés tout le long de la
route, le cheminement qui menait au col restait particulièrement compliqué, surtout en hiver, à cause des
congères de neige provoquées par les tempêtes, et du
vent parfois violent qui peut balayer le Mont-Cenis,
pénalisant encore les échanges commerciaux, qui en
ces temps-là progressaient à un rythme vertigineux.
La solution trouvée pour résoudre une bonne fois pour
toutes ces problèmes fut le projet de construction de
la ligne de chemin de fer reliant Suse à Modane via le
tunnel du Fréjus. Le projet fut adopté en 1857. Cette
construction toutefois, on le savait, aurait pris du
temps, c’est alors que l’on envisagea de pourvoir également l’ancien itinéraire d’un chemin de fer. Ce fut
une société privée, la Mont Cenis Railway, qui réalisa
en seulement 16 mois la liaison entre Suse et SaintJean-de-Maurienne. Le tracé de la route préexistante
fut réutilisé dans sa majeure partie mais, pour les sections les plus délicates, il fallut réaliser des galeries
dont certaines sont encore visibles aujourd’hui. La
ligne était à écartement réduit et utilisait le système
inventé par l’anglais J.B. Fell qui permettait d’augmenter l’adhérence entre les roues et les rails, et ceci
même en faisant des virages très serrés et sans risque
de déraillement, grâce auquel on pouvait affronter
les fortes pentes qui séparent Suse du col sur 1600
m de dénivelé. En outre, un troisième rail, avec profil à double champignon et accroché à deux couples
de roues motrices, permettait au machiniste d’augmenter l’adhérence selon la nécessité. Le trajet durait
cinq heures et la société garantissait au moins quatre
courses par jour (deux à l’aller - deux au retour).
Le train Fell fonctionna de 1868 au 1er novembre
1871, date à laquelle le tunnel du Fréjus fut inauguré,
déplaçant le flux des voyageurs vers le nouveau parcours, ce qui eut pour conséquence l’abandon de cette
ligne.
Une photo d’époque du chemin
de fer Fell assurant les transports.
LE MURIANENGO, UN FROMAGE AVEC LA MOISISSURE
Le murianengo (également appelé à tort bleu du
Mont-Cenis) est un fromage affiné gras ou semigras à la pâte persillée, il est relativement rare à
trouver et il est produit par un très petit nombre de
bergers. Son nom vient du fait qu’il soit produit
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dans la vallée de la Maurienne et, plus précisément,
dans sa partie la plus élevée, sur le haut plateau qui
accueille le lac du Mont-Cenis. Le murianengo est
le fromage produit sur le versant italien du col ; tandis que sur le versant français, avec les mêmes pro-
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Du Col du Mont-Cenis à Susa
cédés, les bergers confectionnent un produit similaire qui est vendu sous le nom
de « bleu », bleu de Bonneval. Le fromage est produit pendant la période d’estivage dans les alpages en utilisant du lait
de vache et du lait de chèvre, selon des
pourcentages qui peuvent varier (dans le
bleu français par contre, on met le 10%
de lait de brebis). Après avoir légèrement
fait chauffer le lait, le fromager ajoute de
la présure qui permet au lait de coaguler
en formant une masse compacte. Cette
pâte est travaillée avec la technique du
brassage de façon très similaire au castelmagno, elle est découpée et tranchée
plusieurs fois pour « coiffer le grain »
avant de placer ce caillé dans des moules.
Enfin, pour obtenir une pâte persillée, à
son entrée à la cave, le fromage est piqué
à l’aide d’une aiguille en cuivre à intervalles réguliers. Le piquage permet une
aération jusqu’au cœur du fromage, ce
qui contribue au développement de la
moisissure, identique à celle du gorgonzola ou du roquefort, afin d’obtenir un
développement homogène du bleu dans
la forme. Ce procédé confère un goût et
un parfum très particuliers au fromage.
Le procédé d’affinage est très long et
se poursuit dans les alpages pendant au
moins 4 à 5 mois. Il est travaillé en début de saison et, étant donnée la maigre
quantité produite, le murianengo est
vendu aux enchères au début du mois
d’octobre.
Le fromage est de forme ronde, de couleur brunâtre et, au toucher, il est rugueux ; il pèse entre 8 et 10 kg, avec un
diamètre de 30 à 35 cm. Sa pâte est de
couleur jaunâtre, friable, il est fondant en
bouche et a un goût assez aromatisé.
24,7 km
Ce sentier muletier constituait ladite « Route Royale »
du Mont-Cenis qui, grâce à quelques virages à la pente
régulière, nous accompagne dans un mélézin dense
pour rejoindre assez rapidement un ruisseau que traverse un pont en bois. Après ce pont, tourner à droite
et descendre en suivant le sentier muletier (connu
comme « Sentier Paradis »), qui rejoint rapidement
une petite route goudronnée et nous conduit au petit
village concentré et très gracieux de Ferrera Cenisio
(1438 m). Le village, entouré de très hauts sommets
et partagé en deux quartiers par le cours d’eau du
Cenischia, présente de très beaux modèles d’architecture alpine de maisons restaurées.
La paroisse de Ferrera Cenisio.
37
FERRERA CENISIO ET L’ÉCOMUSÉE DES TERRITOIRES DE FRONTIÈRE
L’histoire de Ferrera Cenisio est celle d’une petite
commune de montagne avec une cinquantaine d’habitants (moins de la moitié y résident à l’année),
dont le destin a été marqué par deux routes. En effet,
le village se trouve à mi-chemin entre le Mont-Cenis et le village de Novalesa qui était la première
étape de la Via Francigena. Ce tracé voyait passer
les échanges commerciaux, les troupes armées, les
voyageurs et les pèlerins. Autour de cette importante
voie de communication, c’était organisé un véritable
commerce qui, de nos jours, serait défini secteur tertiaire, avec une myriade de personnes qui louaient
toutes sortes de services, allant de la sécurité à la
logistique. Nous savons que, pendant la période la
plus florissante, entre Novalesa et Ferrera Cenisio on
dénombrait pas moins de 78 restaurants, auberges,
écuries et hôtels, dont le fameux Écu de France, souvent nommé dans de nombreux récits de voyages.
Chaque village avait ses particularités et la spécialisation des habitants de Ferrera Cenisio et de Novalesa était le transport de personnes et de biens le long
du sentier muletier étroit et raide qui conduit aux
2083 m du col. De là l’origine du métier des marrons, ainsi étaient nommés les sherpas du Mont-Cenis. Les voyageurs étaient transportés sur des sièges,
protégés par des peaux tannées et des toiles imperméables, tandis que les personnages les plus imporLe Grand Lac de Ferrera Cenisio.
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tants et aisés voyageaient dans des chaises à porteurs
couvertes, fermées par des rideaux ou parfois même
avec des vitres, ainsi que le fit le roi de France.
En hiver, la descente se faisait en utilisant des ramasses, genres de traineaux à fond plat que le marron conduisait avec une grande dextérité en manœuvrant les deux lèves à l’arrière. La descente était
très rapide et les plus experts mettaient seulement
dix minutes pour rejoindre Lanslebourg depuis le
col. C’était une expérience très excitante à tel point
que, à la fin des années 1700, un anglais excentrique
décida de rester une semaine sur place, afin de pouvoir répéter l’expérience tous les jours : et ce ne fut
pas le seul !
C’est à Novalesa que la route carrossable se terminait pour laisser la place à un sentier muletier et
c’est justement là que les carrosses étaient démontés pour passer le col à dos d’hommes ou de mulets,
que l’on organisait les transports et que l’on décidait de combien de marrons on avait besoin pour
porter les charges. Les tarifs étaient établis chaque
année alternativement par le maire de Lanslebourg
et le maire de Novalesa, tandis que le nombre de
porteurs dépendait du poids à porter : ils pouvaient
être jusqu’à douze hommes pour les personnes particulièrement corpulentes. De très nombreux personnages illustres transitèrent par le col. Parmi eux, le
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Du Col du Mont-Cenis à Susa
24,7 km
portail d’entrée tandis qu’il transperce le démon.
L’église fut reconstruite en 1659 en remplacement
d’un édifice préexistant du XVe siècle.
A côté de la paroisse se trouve un frêne âgé de plus
de trois cents ans avec une circonférence de presque
six mètres, inscrit au catalogue des Arbres Monumentaux du Piémont. La légende raconte que les
nouveaux nés étaient pendus à une des branches de
l’arbre qui s’avançaient sur le torrent Chisola. Ceux
qui restaient accrochés à la branche étaient reconnus
comme étant de vrais ferouglién (du nom des habitants de Ferrera Cenisio), si par contre ils tombaient,
ils étaient reconnus comme étant des novalicensi
– habitants de Novalesa. Ce n’est qu’une légende,
mais elle illustre bien la ténacité de ces gens des territoires aux frontières.
Le frêne sur le torrent Cenischia à Ferrera Cenisio.
Ferrera Cenisio : le moulin.
pape Pie VI fut de l’aventure le 30 avril 1799. Il fut
parmi les derniers à avoir besoin des services des
marrons puisque, au début du XIXe siècle, Napoléon fit construire une route qui permit de faciliter
le voyage. Son tracé, qui passait à environ 5 km
de Ferrera Cenisio, correspondait pratiquement au
tracé de l’actuelle SS 25 (RN), ce qui détermina la
fin du travail des marrons. Pour ce petit village, ce
fut un désastre ; une après l’autre, les six auberges
durent fermer et ceux qui ne surent pas s’inventer un
nouveau métier s’expatrièrent, tandis que ceux qui
prirent la décision de rester durent s’adapter à une
vie réduite à sa plus simple expression.
Et pourtant, ainsi que l’Écomusée l’illustre si bien,
Ferrera Cenisio fut une véritable communauté :
preuve en est le lavoir, le four banal et le moulin,
éléments essentiels que l’on retrouve dans tous les
villages de montagne. Les trois structures restaurées
peuvent se visiter et se trouvent à quelques mètres
l’une de l’autre sur la gauche orographique du torrent Cenischia. Dans l’édifice qui accueille l’écomusée, et qui est celui du four et du lavoir, on découvre
une exposition permanente sur le col frontière, deux
diaporamas qui illustrent la faune typique de la vallée et un petit espace dédié à la culture matérielle de
Ferrera Cenisio.
Les édifices religieux ne manquent pas dans le village, comme les chapelles de Saint-Joseph, SaintAntoine et Sainte-Barbe, outre la paroisse de SaintGeorges martyre représenté sur un bas-relief du
39
En tournant à gauche, à la sortie du village, suivre le tracé de l’antique Route
Royale qui, avec son parcours tortueux, descend vers Novalesa en restant
sur la droite orographique de la vallée et en traversant de vastes forêts de
résineux dans la partie haute et de feuillus un peu plus bas. Après avoir
traversé le torrent Cenischia, un faux plat nous accompagne jusqu’aux habitations de Novalesa (819 m), une ancienne station de poste et de change
sur la route du Cenis, mais aussi un centre historique et artistique notoire,
qui vit le jour en complément de l’abbaye bénédictine non loin et qui mérite
le détour.
NOVALESA, LE VILLAGE DES MOINES BÉNÉDICTINS
Paroisse de Novalesa : retable du XVIe siècle.
La visite concerne essentiellement
le village et l’abbaye située non
loin, à environ 1 km. Dans le centre
habité se trouve la paroisse de SaintStéphane. On peut y voir certaines
toiles remontant au XVe et XVIe
siècles, dont un précieux polyptyque provenant de l’abbaye, œuvre
du bourguignon Antoine de Lohny,
une Déposition attribuée à Giulio
Campi, l’Adoration des Pasteurs
de François Lemoyne et une copie
de qualité du XVIIe siècle de la
Crucifixion de Saint-Pierre, œuvre
du Caravaggio de grande valeur,
donnée par Napoléon à l’abbé Gabet, prieur de l’antique hospice du
Novalesa : ancienne fontaine.
40
Mont-Cenis. Dans la chapelle de la Confraternité du
Très-Saint-Sacrement adjacente, se trouve le Musée
d’Art Religieux Alpin qui abrite la très belle arche
de Saint-Eldrade (abbé du monastère voisin datant
du IXe siècle), une importante œuvre d’argenterie
de style rhénan-mosellan qui remonte au XIIe siècle.
Sur le mur extérieur de la paroisse et sur celui de la
maison voisine, se trouve un cycle de fresques du
XVIe siècle très intéressant, représentant la Chevauchée des vices et des vertus et certaines des Scènes
de la passion du Christ. Sur la droite, certains tableaux singuliers reportent les peines à infliger aux
vicieux.
En restant dans le thème de l’architecture religieuse,
remarquables les chapelles de Saint-Antoine-Abbé,
Saint-Antoine-de-Padoue (Fraita), Saint-Venanzio (Baciassi), SaintRoc (dans le hameau du
même nom), Saint-Anne
(hameau Saint-Anne), de
Nôtre-Dame-des-Neiges
(Traverse), de NôtreDame-des-Sept-Douleurs
(Borgetto), de NôtreDame-de-Rochemelon
(Bellavarda) et de SaintSébastien. Ce dernier petit
temple, dédié au saint qui
avec saint-Roc est invoqué
par les pestiférés, fut édifié pendant la terrible épidémie de 1630-32, en tant
qu’oratoire du lazaret. Une
curiosité, dans le hameau
Santa Maria, dans une
maison fermière on peut
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Du Col du Mont-Cenis à Susa
encore distinguer les formes de l’antique église de
Sainte-Marie-ad-Radicem-Montis. Outre ceux déjà
cités la commune comprend également les hameaux
de Ronelle et Villaretto. Des cascades pittoresques
dévalent les parois des montagnes qui encerclent le
24,7 km
chef-lieu, mettant en évidence le travail d’érosion
qu’effectue l’eau sur la roche.
Novalesa : à gauche, fresques dans la via Maestra ; à droite,
la Chevauchée des vices et des vertus, sur les parois externes
du presbytère.
L’ABBAYE DE NOVALESA
Ce monastère très important dédié aux Saints
Pierre et André, fut érigé sur un territoire déjà
peuplé à l’âge du fer sur le chemin qui conduit
au Mont-Cenis, alors guère fréquenté faut-il
dire. L’abbaye, le plus ancien des couvents
bénédictins du Piémont (le second en Italie
après celui de Montecassino, où fut établi la
règle de l’ordre) tire son nom du latin Nova
Lux (selon certains Nova Lex). Il doit son origine au notable franc Abbon, recteur de Suse
et de Maurienne qui, le 30 janvier 726, non
loin de Suse, fit édifier une cellule dédiée
aux Saints Pierre et André, laissée aux soins
de l’abbé Godone. C’est cependant dans le
testament de ce notable, datant du 5 janvier
739, que l’on retrouve la liste des avantages
qui furent alloués à Novalesa, c’est-à-dire
la vallée du torrent Cenischia toute entière,
une partie de la vallée de la Maurienne (Savoie), plusieurs villages de la basse et de la
haute vallée de la Doire et certaines localités
côtières situées aux alentours d’Arles et de
Marseille. Selon la tradition, qui n’est cependant pas documentée, quelques années après
sa fondation, le monastère avait déjà une
nommée notoire au point d’accueillir Charlemagne en marche pour les Chiuse d’Italia dans le but de combattre la bataille qui
allait signifier la défaite définitive de Didier Abbaye de Novalesa, chapelle de Saint-Eldrade : Christus pantokrator.
41
de Lombardie ; à ce moment-là, le souverain, qui
était venu en aide au pape Adrien Ier, aurait établi
son quartier général dans l’enceinte de l’abbaye et
aurait été aidé par un moine local (pour certain un
traite bouffon) pour trouver le chemin le plus approprié afin de prendre l’adversaire par surprise (celui
qui, de nos jours, est le « Sentier des Francs »).
Grâce aux legs et donations toujours plus généreux et à la gestion clairvoyante de certains abbés
– Giuseppe, Ingellelmo, Gislado, Frodoino et surtout Eldrado (par la suite sanctifié : il gouverna 500
bénédictins) – les possessions du monastère continuèrent d’augmenter, mais il fut saccagé par une
horde de Sarrasins. Les bénédictins furent obligés
de fuir et d’aller se mettre à l’abri à Turin, où il
s’établirent dans l’église de Saint-André qui aujourd’hui intègre le sanctuaire de la Consolata. La
reconstruction du monastère eut lieu au XIe siècle
sous les auspices de l’abbé Gezzone ; par la suite,
l’empereur Henri IV y séjourna, ainsi que Frédéric
Ier (Barberousse), le pape Eugène VII, ainsi que la
dépouille de Saint-Louis, roi de France, mort de la
peste en Tunisie au cours d’une croisade.
Le convent fut confié en commanderie en 1480. En
1646 les derniers bénédictins qui restaient furent
remplacés par des cisterciens ; tandis qu’en 1710,
d’après les dessins de l’architecte militaire Antonio
Bertola, Amédée II de Savoie fit reconstruire certains des édifices de l’abbaye, ce qui modifia radicalement la structure primaire. Napoléon Ier rendit
plusieurs fois visite à la communauté. Le monastère
fut fermé en 1855 suite à la loi Siccardi ; en 1861
Novalesa,
chapelle de
Saint-Eldrade.
42
et 1884, tous les biens lui appartenant furent vendus et il fut transformé en établissement de soins
par les eaux. Après toutes ses adversités, l’abbaye
connut un regain en 1973, lorsque l’administration
de la province, propriétaire des édifices, en confia la
gestion à la communauté bénédictine de San Giorgio
Maggiore de Venise. C’est alors que des travaux de
recherche archéologique et de restauration importants furent entamés et ne sont toujours pas terminés.
D’un point de vue artistique, la structure est composée d’un couvent, d’une église principale, de différents édifices et surtout de quatre chapelles qui
existaient déjà en époque préromane et qui peuvent
être rapportées au VIIIe - XIe siècle : Saint-Eldrade,
Saint-Michel, Saint-Salvator et Sainte-Marie-Madeleine. La première recèle un précieux cycle de
peintures romaines (XIe siècle) qui illustre la vie du
saint auquel elle est dédiée ; dans l’église abbatiale
se trouvent des fresques romaines également très
importantes (lapidation de Stéphane, XIe siècle).
D’autres fresques encore, toujours d’époque romaine, se trouvent dans le cloître et dans l’antique
réfectoire, où est aussi conservé un antique tissu en
voile du XVe siècle.
La bibliothèque, qui jadis accueillait 6000 volumes,
fut dispersée, mais depuis 1973 on travaille à sa
reconstitution ; de nombreux manuscrits y sont également conservés, mais le Chronicon Novalicense,
dans lequel la création de l’abbaye, dans un mixte
de légende et d’histoire, était racontée depuis ses
débuts à l’époque romaine, n’en est plus, puisqu’il
est désormais aux Archives d’État de Turin.
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Du Col du Mont-Cenis à Susa
24,7 km
À la sortie du village, laisser le croisement pour l’abbaye sur la droite (à
environ 1 km) et descendre le long de la route jusqu’au village de Venaus
(595 m), bien connu pour son groupe folklorique des « Spadonari » –
Sabreurs – qui pratiquent le Bal dâ Sabre, c’est-à-dire le bal des sabres.
À Venaus, abandonner la route principale qui court au fond de la vallée
pour prendre une route secondaire qui part sur la gauche et poursuit son
chemin en traversant des prés et des vignes délimités par des murets en
pierres, avant de rejoindre San Giuseppe (567 m), hameau de la commune de Mompantero situé au pied du Mont Rochemelon qu’il domine
exactement de 3000 m.
Depuis San Giuseppe, sur route facile, on atteint assez rapidement Passeggeri di Susa, situé légèrement en hauteur par rapport à la ville. On y
pénètre en arrivant à l’antique Place Savoia.
Suse et le Rochemelon.
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LOU BAL DÂ SABRE (LA DANSE DES SABRES) ET LES SABREURS DE VENAUS
L’origine de la Dance des Sabres (Lou Bal dâ Sabre)
remonte sans nul doute à des temps
très anciens, certainement médiévaux.
Pendant de très nombreuses années,
ce bal a accompagné la fête de SaintBlaise et Agathe qui se déroule à Venaus chaque année du 3 au 5 février.
Les sabreurs, au nombre de 4 et vêtus
de leur costume si particulier, dansent
vêtus d’une chemise et de gants blancs,
pantalons et chaussures bleus, gilets de
couleur différente pour chacun orné de
décorations et de bouffettes, couvrechef couvert de fleurs en soie et de
longs rubans colorés qui descendent
dans le dos, attaché sous le menton
à l’aide d’un ruban rouge pour deux
sabreurs et vert pour les deux autres.
Les danseurs, entre autres, ont des
sabres qui dépassent le mètre de longueur avec une lame incurvée à double
tranchant, une garde mobile et une poignée finie en cuir avec des broquettes
métalliques. Six prieurs accompagnent
les danseurs (deux filles célibataires,
deux mariées, deux plus âgées), vêtues
du costume savoyard qui se compose
d’un habit noir long, d’un châle en soie
brodé et orné de franges, différent pour
chacune, d’un collier cache-cou fait
d’un ruban de velours noir qui supporte une grosse croix en or travaillée
en relief, une coiffe noire attachée sous
le menton ornée, à l’arrière, d’un gros nœud coloré
duquel partent de longs rubans en soie.
Outre les figurants, des hommes et des femmes appartenant à la Confrérie du Saint-Rosaire animent la
fête : les femmes vêtues d’un long voile blanc (les
trois plus jeunes, les « lanternières », portent deux
lanternes et la croix ; celles plus âgées portent les
cierges) ; les hommes vêtus du costume avec un
béret blanc.
Les origines de la danse des sabreurs, que l’on pratique aussi à Giaglione dans la vallée de Suse, à Bagnasco dans la vallée du Tanaro et à Fenestrelle dans
la vallée Chisone, se réfèrent peut-être à l’évènement
qui permit de chasser les Sarrasins des vallées alpines
piémontaises (comme pour la Bahio dans la vallée
Varaita), mais elle pourrait aussi dériver de cérémonies préchrétiennes de propitiation pour invoquer la
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Photos d’époque et d’aujourd’hui des sabreurs à Venàus.
fécondité du printemps et l’abondance des récoltes,
ou de la tradition belligérante des Celtes.
La fête de Saint-Blaise commence à 9h 30 le matin
du 3 février avec une réunion dans la maison du
sabreur dont l’habitation est la plus proche de la
paroisse. Après avoir offert du vin brulé et de la fougasse à tous les invités, le sabreur intègre la procession qui part depuis chez lui pour aller rencontrer un
cortège en tous points similaire à celui-ci, mais qui
part depuis la maison de la prieure la plus âgée.
Dans la procession, les conscrits portent sur leurs
épaules la statue de Saint-Blaise et les conscrites
portent celle d’Agathe, elles sont escortées par les
sabreurs, les pompiers et par la fanfare du village.
Puis, sur le parvis de l’église, les sabreurs effectuent
leurs différentes danses communément nommées :
Pointe, Carré, Cœur et Saut.
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Du Col du Mont-Cenis à Susa
24,7 km
SUSE ET SON HISTOIRE
Suse, l’antique Ségusium, est une petite ville située
à la confluence de la Doire et du Cenischia, de
laquelle dépendent de nombreux hameaux et faubourgs, parmi lesquels San Giuliano, Coldimosso,
Traduerivi (Torduri) et Castelpietra. Suse, aux origines très antiques, fut habitée par des populations
ligures et celtes, ainsi qu’en témoignent certaines
trouvailles archéologiques plus ou moins récentes.
Au Ier siècle av. J.-C., elle devint capitale d’un vaste
royaume alpin qui s’étendait du Piémont occidental à la Vallée d’Aoste, sur lequel régnèrent Donno,
Cottius Ier et Cottius II.
Après la mort de Jules César, Cottius Ier réussit à
trouver un accord de non belligérance avec Auguste, ce qui lui consentit de régner de façon pacifique, avec une organisation économique efficace
pour son État. Lorsqu’en 63 apr. J.-C. Segusium fut
réunie à l’empire de Néron, elle fut enrichie par la
construction de monuments grandioses comme
l’arc d’Auguste, arc à une seule arche qui fut
construit sur ordre de Cottius en l’honneur de son
bienfaiteur, le théâtre, la galerie, les termes et, plus
tard, les murs puissants dans lesquels s’ouvraient
d’énormes portes entourées de tours, ainsi qu’en
témoigne encore la porte Savoia.
En 312 la ville fut détruite par Constantin qui ne
lui pardonna pas de s’être ralliée à Maxence, puis
par les Goths, les Sarrasins et encore par Frédé-
ric Barberousse qui, en 1147, punit les habitants
car ils avaient osé se rebeller contre lui quelques
années auparavant. Propriété de Olderico Manfredi et de la comtesse Adelaïde (mieux connue
comme Adelaïde de Suse), la ville fut donnée en
dot à Olderico par Odon, père d’Adelaïde. En fait
elle appartint longtemps aux Savoia, excepté pendant deux périodes brèves d’occupation française
(1536-1559 et 1796-1814) ; en effet, bien qu’ayant
toutes les caractéristiques d’une ville frontière,
puisque jusqu’en 1713 la frontière entre la France
et le duché de Savoie se situait entre Gravere et
Chiomonte, Suse fut le berceau de la dynastie des
Savoia, sinon parmi les premières possessions que
la famille eut en Italie.
Sous le profil religieux, une bonne partie de la
basse vallée de la Doire, ainsi que les églises qui
dépendaient de la prévôté Saint-Laurent d’Oulx
et qui, au départ, dépendaient des abbayes de la
vallée de Suse de Saint-Just et Sainte-Marie-Maggiore, en 1748, passèrent sous l’égide du diocèse
de Pinerolo. Celui-ci, en pleine création, eut pour
évêque monseigneur G.B. d’Orlié, justement le
dernier abbé d’Oulx. En 1771, Suse devint siège
épiscopal et, avec elle, toutes les paroisses de la vallée se séparèrent de l’organisme qu’elles venaient
à peine d’intégrer. La séparation devint effective
seulement en 1794.
L’arc d’Auguste à Suse.
La porta Savoia à Suse.
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