Préemption et réserves foncières Peut-on revenir sur une préemption au motif que la DIA serait incomplète ou entachée d’une erreur substantielle ? Droit de préemption urbain n Déclaration d’intention d’aliéner incomplète ou entachée d’une erreur substantielle n Conséquences n 1) Possibilité pour le titulaire du droit de préemption de proroger le délai de deux mois par une demande de précisions complé mentaires n Existence n Oui n 2) Illégalité de la décision de préemption n Non n 3) Faculté pour le juge judiciaire de prendre en compte ces vices pour apprécier la validité de la vente n Existence n Oui. CE (1/6 SSR) 12 février 2014, Société Ham Investissement, req. n° 361741 – M. Decout-Paolini, Rapp. – Mme Vialettes, Rapp. public. Décision qui sera mentionnée dans les tables du Recueil Lebon. Résumé ➥➥La circonstance que la déclaration d’intention d’aliéner (DIA) serait incomplète ou entachée d’une erreur substantielle portant sur la consistance du bien objet de la vente, son prix ou les conditions de son aliénation est, par elle-même, et hors le cas de fraude, sans incidence sur la légalité de la décision de préemption prise à la suite de cette déclaration. L’article L. 213-2 du code de l’urbanisme ne s’oppose toutefois pas à ce que le juge judiciaire prenne ces éléments en considération, pour apprécier la validité de la vente. Conclusions MAUD VIALETTES, rapporteur public La société Ham Investissement est propriétaire d’une unité foncière située sur le territoire de la commune de Cergy (Val d’Oise), qui a fait l’objet d’une décision de préemption du maire de Cergy le 13 juin 2005 prise en application de l’article L. 213-1 du code de l’urbanisme. La commune ayant par la suite refusé de régulariser la vente, au motif qu’elle n’avait pas été informée de ce que le bien était grevé de servitudes, la société Ham Investissement l’a assignée devant le tribunal de grande instance de Pontoise aux fins qu’il statue sur le transfert de propriété. Par un jugement du 6 décembre 2010, le tribunal a sursis à statuer dans l’attente que soit soumise au juge administratif, à titre préjudiciel, la question « de la validité de la procédure de préemption ». Le tribunal administratif de Cergy-Pontoise, saisi par la commune, a alors déclaré que la décision de préemption était entachée d’illégalité, au motif qu’elle était fondée sur une déclaration d’intention d’aliéner entachée d’une irrégularité substantielle, dès lors qu’elle ne mentionnait pas les servitudes attachées au bien. Vous êtes régulièrement saisis, par la voie de l’appel, d’un recours de la société Ham Investissement. Tout le 122 débat porte sur la question de savoir si la circonstance qu’une déclaration d’intention d’aliéner (DIA ci-après) puisse être regardée comme incomplète est de nature à affecter la légalité de la décision de préemption. Vices de la DIA Votre jurisprudence est fortement engagée dans le sens de considérer que les vices susceptibles d’entacher la DIA sont sans influence sur la légalité de la décision prise. Ainsi avez-vous jugé récemment que la circonstance qu’une DIA soit entachée d’une erreur matérielle sur le prix, aussi conséquente soit-elle, est sans incidence sur la légalité de la décision de préemption 1. 1 Cf. CE 26 juillet 2011, SCI du Belvédère, req. n° 324767 : aux Tables ; P. Soler-Couteaux, BJDU 5/11, p. 383, RDI 2011, p. 585 ; Jean-François Struillou, AJCT 2011, p. 579 ; Laetitia Santoni, Construction-urbanisme n° 11, novembre 2011 ; comm. 156. bulletin de jurisprudence de droit de l’urbanisme – 2/2014 PRÉEMPTION ET RÉSERVES FONCIÈRES De même, avez-vous retenu que la réception d’une DIA ouvre au titulaire du droit de préemption la possibilité d’exercer légalement ce droit, quand bien même la DIA succéderait à une précédente DIA, au même prix, qui n’avait pas été suivie d’une décision de préemption et qu’elle pourrait, de ce fait, apparaître comme juridiquement redondante 2. Au fondement de ces jurisprudences, il y a l’idée que le juge judiciaire est le juge de la DIA. C’est pour cela qu’à notre sens, la circonstance qu’une DIA puisse être regardée comme incomplète ne doit pas davantage être de nature à affecter la légalité de la décision de préemption prise à la suite de sa transmission. Effet sur le délai de préemption Certes, vous avez jugé par votre décision du 24 juillet 2009, Finadev 3, qu’il résulte de l’article L. 213-2 du code de l’urbanisme qui prévoit la formalité de la DIA et qui fixe le délai dans lequel à compter de sa transmission, le titulaire du droit de préemption doit se prononcer, que ce délai, s’il constitue une garantie pour le propriétaire qui doit savoir dans les délais les plus brefs s’il peut disposer librement de son bien, peut être prorogé par une demande de précisions complémentaires si la déclaration initiale s’avère incomplète ou entachée d’une erreur substantielle portant sur la consistance du bien objet de la vente, son prix ou les conditions de son aliénation et que, dans ce cas, le délai de deux mois court à compter de la réception par l’administration d’une déclaration complétée ou rectifiée 4. avoir été prise à l’issue d’une procédure irrégulière. La DIA ne peut plus en effet être contestée que dans le cadre d’un litige relevant de l’ordre judiciaire. C’est ainsi d’ailleurs que le juge judiciaire a été conduit à juger de ce que des conditions de vente ne figurant pas dans la déclaration d’aliéner sont inopposables à l’autorité ayant exercé le droit de préemption 5 ou inversement qu’une commune qui exerce son droit de préemption ne peut se prévaloir d’une réticence dolosive ni de l’existence d’un vice caché en raison d’une pollution du terrain préempté, dès lors que l’acquéreur initial avait été informé de l’existence de cette pollution par un rapport annexé à l’acte sous seing privé de vente, qu’aucune obligation n’imposait aux venderesses d’annexer ce « compromis » à la déclaration d’intention d’aliéner et que la commune disposait de services spécialisés et de l’assistance des services de l’État 6. Nous vous invitons donc à juger, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens d’appel, que la société Ham Investissement est fondée à soutenir que c’est à tort que le tribunal a, en accueillant l’unique moyen dont il était saisi, déclaré la décision de préemption illégale au motif que la DIA pouvait être regardée comme incomplète, ce qui conduit à annuler le jugement déféré et à rejeter la demande de la commune de Cergy, qui, y compris devant le Conseil d’État, n’a pas présenté d’autres moyens. S’agissant, enfin, des conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 et de l’article R. 761-1 du code de justice administrative, vous mettrez à la charge de la commune de Cergy la somme de 4 500 € et vous rejetterez les conclusions présentées au même titre pour la commune. n Légalité de la décision de préemption Mais une fois ce délai expiré, sans que le vendeur n’ait fait savoir qu’il entendait compléter sa DIA ou que l’autorité titulaire du droit de préemption lui ait fait part de ce qu’elle sollicitait des éléments complémentaires, il ne saurait être argué, par qui que ce soit, l’acheteur évincé, voire, comme au cas d’espèce, la commune elle-même, de ce que la DIA aurait été incomplète pour soutenir que la décision de préemption est illégale pour 2 Cf. CE 5 juillet 2013, M. Loire, req. n° 349664 : aux Tables ; BJDU 5/13, p. 388, Pierre Soler-Couteaux RDI 2013, p. 494. 3 Req. n° 316158 : aux Tables, concl. A. Courrèges ; BJDU 4/2009, p. 289. 4 Cf. a contrario, pour une demande de précisions complémentaires insusceptible de proroger le délai, CE 30 avril 1975, Association Promo-Nature, req. n° 95179 : Rec., p. 267. bulletin de jurisprudence de droit de l’urbanisme – 2/2014 Cf. Cass. civ. (3e ch.) 27 mai 1998 : Bull. 1998 III n° 115. Cass. civ. (3e ch.) 7 novembre 2012, Commune d’Amiens : Bull. 2012 III n° 165 ; BJDU 1/13, p. 55, obs. Élise Carpentier. 5 6 123 PRÉEMPTION ET RÉSERVES FONCIÈRES Décision Vu la requête, enregistrée le 8 août 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d’État, présentée par la société Ham Investissement […] représentée par son gérant ; la société demande au Conseil d’État : 1°) d’annuler le jugement n° 1100784 du 19 juin 2012 par lequel le tribunal administratif de Cergy-Pontoise, appréciant, à la demande de la commune de Cergy agissant sur renvoi préjudiciel du tribunal de grande instance de Pontoise, la légalité de la décision du 13 juin 2005 par laquelle le maire de Cergy a décidé de préempter les parcelles AM 529 et 531, a déclaré que cette décision était entachée d’illégalité ; 2°) de rejeter la demande présentée par la commune de Cergy devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise ; 3°) de mettre à la charge de la commune de Cergy la somme de 5 000 € au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que la contribution pour l’aide juridique mentionnée à l’article R. 761-1 du même code ; […] 1. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Ham Investissement a déposé une déclaration d’intention d’aliéner concernant les parcelles cadastrées section AM 529 et 531 situées 5, chemin de la Féculerie à Cergy (Val-d’Oise) ; qu’à la suite de la réception, le 15 avril 2005, de cette déclaration, le maire de Cergy a, par une décision du 13 juin 2005, décidé de préempter ce bien au nom de la commune aux prix et conditions proposés par la société ; qu’en raison du refus de la commune de Cergy de signer l’acte authentique constatant le transfert de propriété, la société Ham Investissement a assigné cette dernière devant le tribunal de grande instance de Pontoise aux fins de procéder par voie juridictionnelle à la constatation de cette vente ; que, par jugement du 6 décembre 2010, le tribunal de grande instance de Pontoise a estimé qu’il y avait lieu de faire trancher à titre préjudiciel par la juridiction de l’ordre administratif la question de la validité de la décision de préemption du 13 juin 2005 ; que la société Ham Investissement relève appel du jugement du 19 juin 2012 par lequel le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a déclaré, à la demande de la commune de Cergy, que la décision de préemption du 13 juin 2005 était entachée d’illégalité ; 2. Considérant qu’aux termes de l’article L. 213-2 du code de l’urbanisme, dans sa rédaction applicable au litige : « Toute aliénation visée à l’article L. 213-1 est subordonnée, à peine de nullité, à une déclaration préalable faite par le propriétaire à la mairie de la commune où se trouve situé le bien. Cette déclaration, dont le maire transmet copie au directeur des services fiscaux, comporte obligatoirement l’indication du prix et des conditions de l’aliénation projetée […] / Le silence du titulaire du droit de préemption pendant deux mois à compter de la réception de la déclaration d’intention d’aliéner […] vaut renonciation à l’exercice du droit de préemption […] » ; qu’il résulte de ces dispositions que le titulaire du droit de préemption dispose, pour exercer ce droit, d’un délai de deux mois qui court à compter de la réception de la déclaration d’intention d’aliéner et que ce délai, qui constitue une garantie pour le propriétaire, ne peut être prorogé par une demande de précisions complémentaires que si la 124 déclaration initiale est incomplète ou entachée d’une erreur substantielle portant sur la consistance du bien objet de la vente, son prix ou les conditions de son aliénation ; qu’en revanche, la circonstance que la déclaration d’intention d’aliéner serait entachée de tels vices est, par elle-même, et hors le cas de fraude, non invoqué dans le présent litige, sans incidence sur la légalité de la décision de préemption prise à la suite de cette déclaration ; que les dispositions précitées de l’article L. 213-2 du code de l’urbanisme ne font cependant pas obstacle à ce que le juge judiciaire prenne en considération, au titre de son office, pour apprécier la validité de la vente résultant d’une décision légale de préemption, les indications figurant dans la déclaration d’intention d’aliéner à l’origine de cette décision ; 3. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que c’est à tort que le tribunal s’est fondé sur l’irrégularité substantielle de la déclaration d’intention d’aliéner déposée par la société Ham Investissement pour déclarer que la décision de préemption du 13 juin 2005 était entachée d’illégalité ; 4. Considérant que, pour contester la légalité de cette décision de préemption du 13 juin 2005, la commune de Cergy n’a soulevé devant le tribunal administratif et le Conseil d’État aucun moyen autre que ceux tirés des vices entachant la déclaration d’intention d’aliéner ; que, par suite, la société Ham Investissement est fondée à soutenir, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de son appel, que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a déclaré que la décision du 13 juin 2005 était entachée d’illégalité ; 5. Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge de la société Ham Investissement qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante ; qu’il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la commune de Cergy une somme globale de 4 500 € à verser à la société Ham Investissement au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, pour les frais exposés par elle tant en première instance qu’en appel, et de celles de l’article R. 761-1 du même code relatives au remboursement de la contribution pour l’aide juridique ; […] DÉCIDE : Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de CergyPontoise du 19 juin 2012 est annulé. Article 2 : La demande présentée par la commune de Cergy devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise est rejetée. Article 3 : La commune de Cergy versera à la société Ham Investissement une somme globale de 4 500 € au titre des articles L. 761-1 et R. 761-1 du code de justice administrative. Article 4 : Les conclusions de la commune de Cergy présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées. […] n bulletin de jurisprudence de droit de l’urbanisme – 2/2014 PRÉEMPTION ET RÉSERVES FONCIÈRES Observations La décision commentée vient préciser le statut de la décision de préempter un bien et sa relation avec la déclaration préalable que son propriétaire doit faire à la mairie de la commune où le bien se trouve situé. Relation complexe car la déclaration d’intention d’aliéner peut s’analyser en droit privé comme une pollicitation, c’est-à-dire une proposition ferme de conclure, à des conditions déterminées, un contrat, dont l’acceptation suffit à la formation de celui-ci 7. Mais elle constitue aussi un élément préparatoire de la décision administrative de préempter, qui ne peut intervenir, juridiquement mais aussi pratiquement, que si la collectivité titulaire du droit de préemption est informée de l’aliénation envisagée. C’est pourquoi le Conseil d’État a admis qu’un vice affectant la déclaration d’intention pouvait affecter le délai dans lequel la collectivité pouvait prendre la décision d’aliéner : c’est la décision du 24 juillet 2009, Finadev 8 : le délai de préemption, fixé à deux mois par l’article L. 213-2 du code de l’urbanisme, est ainsi prorogé par une demande de précisions complémentaires si la déclaration initiale s’avère incomplète ou entachée d’une erreur substantielle portant sur la consistance du bien objet de la vente, son prix ou les conditions de son aliénation (en l’espèce une erreur portant sur la surface habitable du bien). 26 juillet 2011, SCI du Belvédère 9, s’agissant d’une erreur matérielle sur le prix. C’est cette solution que confirme la décision commentée, dans le cas où la collectivité n’avait pas été informée de ce que le bien était grevé de servitudes. Comme l’expliquent les conclusions de ces deux affaires, cette solution a une double justification : théorique, car l’on ne peut considérer que la déclaration d’aliéner soit un acte préparatoire de la décision d’aliéner, dès lors qu’elle émane d’une autre personne que celle investie du droit de préemption et surtout qu’elle a pour objet, certes de permettre la préemption, mais également de permettre la vente initialement envisagée ; pratique, enfin, la collectivité devant se comporter comme un acquéreur normal, ce qui doit la conduire à prendre connaissance des documents annexés à l’acte sous seing privé de vente, alors même qu’ils ne sont pas joints à la déclaration d’intention. Le juge administratif rappelle cependant que les dispositions de l’article L. 213-2 du code de l’urbanisme ne font cependant pas obstacle à ce que le juge judiciaire prenne en considération, au titre de son office, les indications figurant dans la déclaration d’intention d’aliéner à l’origine de cette décision pour apprécier la validité de la vente résultant d’une décision légale de préemption. n En revanche, un même vice n’affecte pas la légalité de la décision prise par l’autorité administrative : c’est ce qui a déjà été jugé par la décision du Cf. Cass. civ. (3e ch.) 16 juin 1982 : Bull. civ. 1982 n° 162 et les conclusions de C. Maugüe sur la décision CE du 22 février 1995, Commune du Veyrier-du-Lac, req. n° 123421 : Rec., T., p. 1082. 8 Req. n° 316158 : aux Tables. X.-D. L. 7 bulletin de jurisprudence de droit de l’urbanisme – 2/2014 9 Req. n° 324767 : aux Tables. 125
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