230 Rôle N° 12/14422 SARL BAR DES SPORTS

COUR D’APPEL D’AIX EN PROVENCE
2e Chambre
ARRÊT AU FOND
DU 15 MAI 2014
N° 2014/ 230
Rôle N° 12/14422
SARL BAR DES SPORTS
C/
S.A.R.L. FERLAC
Grosse délivrée
le :
à:
HENTZIEN
MAYNARD
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Grande Instance de MARSEILLE en date du 5 avril 2012 enregistré
au répertoire général sous le n° 10/00089.
APPELANTE
SARL BAR DES SPORTS inscrite au RCS de CANNES
demeurant 79 Avenue FRANCIS TONNER - 06150 CANNES LA BOCCA, représentée par
Me Yannick HENTZIEN, avocat postulant au barreau de GRASSE
INTIMEE
S.A.R.L. FERLAC, inscrite au RCS de NICE sous le n°B 444 407 118, demeurant PORT
DE PLAISANCE - 06310 BEAULIEU SUR MER
représentée par Me Sylvie MAYNARD, avocat postulant au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
plaidant par Me Maryvon MILON de la SELARL RAYNEL-MILON, avocat au barreau de
NICE
substituée par Me Alexandre ZAGO, avocat au barreau de DRAGUIGNAN,
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L’affaire a été débattue le 20 mars 2014 en audience publique. Conformément à l'article 785
du Code de Procédure Civile, Monsieur FOHLEN, conseiller a fait un rapport oral de l'affaire
à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Madame Christine AUBRY-CAMOIN, Président
Monsieur Baudouin FOHLEN, Conseiller
Monsieur Jean-Pierre PRIEUR, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Viviane BALLESTER.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à
disposition au greffe le 15 mai 2014
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 15 mai 2014,
Signé par Madame Christine AUBRY-CAMOIN, Président et Madame Viviane
BALLESTER, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
FAITS-PROCEDURE-DEMANDES:
Depuis mars 1995 la S.A.R.L. BAR DES SPORTS ayant pour gérant Monsieur Marc
BUONALANA exploite à CANNES un fonds de commerce de restaurant à l'enseigne
<AFRICA [en réalité AFRICAN] QUEEN>.
La marque semi-figurative <AFRICAN QUEEN> a été déposée par la société DYG le 30 août
1999 sous le numéro 99 809708 en classe 42.
Le 23 décembre 2002 cette société a notifié au BAR DES SPORTS d’avoir à cesser sans délai
l'exploitation de l'enseigne AFRICAN QUEEN, et celui-ci a répondu ignorer que ce nom était
protégé et utilisé, et s'est engagé à modifier son enseigne.
Depuis le 1er janvier 2003 la S.A.R.L. FERLAC ayant pour gérante Madame Annie
VISSIANINART exploite sous l'enseigne AFRICAN QUEEN un fonds de commerce de
restaurant à BEAULIEU SUR MER en qualité de locataire-gérant de la société DAVISCA,
dans des locaux appartenant à la société DYG.
La marque ci-dessus a été cédée par cette dernière au prix de 122 000 € 00, par acte des 7 et
15 février 2008 inscrit le 15 juillet au Registre National des Marques, à la S.A.R.L. FERLAC
qui l’a renouvelée en 2009.
Autorisée par ordonnance du 18 juillet 2008, la société FERLAC a fait constater le 24 par
Huissier de Justice que le restaurant du BAR DES SPORTS affiche l’expression AFRICAN
QUEEN tant à l’extérieur qu'à l’intérieur, et utilise le motif du dessin de la peau de félin pour
les dossiers de ses chaises et pour ses cartes de visite. Le 30 celle-là a sommé celui-ci d'avoir
à cesser toute utilisation de la marque AFRICAN QUEEN, ce à quoi il a répondu qu'il lui
avait été indiqué qu'il pouvait utiliser son enseigne AFRICAN QUEEN.
L'assignation en référé le 28 septembre 2008 du BAR DES SPORTS par la société FERLAC
a abouti à une ordonnance de rejet du 1er avril 2009.
Des constats d'Huissier de Justice établis à la demande du BAR DES SPORTS précisent que
son restaurant a pour enseigne <AFRICAN> le 2 juillet 2010, et <El Bodega del Havana> le
19 août 2011.
Le 11 décembre 2009 la société FERLAC a assigné le BAR DES SPORTS en contrefaçon
ainsi qu'en concurrence déloyale et parasitaire devant le Tribunal de Grande Instance de
MARSEILLE, qui par jugement du 5 avril 2012 a :
* rejeté la fin de non-recevoir tirée de la forclusion par tolérance présentée par le BAR DES
SPORTS;
* rejeté les irrecevabilités tirées de la prescription triennale et de la qualité à agir présentées
par le même sur le fondement de l'article L. 716-5 du Code de la Propriété Intellectuelle;
* déclaré recevable l'action de la société FERLAC;
* dit que le BAR DES SPORTS s'est rendu coupable de fait de contrefaçon de la marque n°
99 809708 déposée le 30 août 1999;
* ordonné l'interdiction de l'utilisation de cette marque par le BAR DES SPORTS sous
astreinte de 500 € 00 par jour de retard;
* ordonné la publication aux frais du BAR DES SPORTS du jugement dans journaux ou
revues professionnelles au choix de la société FERLAC sans que ses frais excèdent la somme
de 4 500 € 00;
* condamné le BAR DES SPORTS à payer à cette société les sommes de :
- 25 000 € 00 pour les agissements de contrefaçon de marque,
- 25 000 € 00 pour ceux de concurrence déloyale parasitaire;
* condamné le même au versement de la somme de 2 500 € 00 au titre de l'article 700 du
Code de Procédure Civile;
* ordonné l'exécution provisoire.
La S.A.R.L. BAR DES SPORTS a régulièrement interjeté appel le 25-26 juillet 2012. Par
conclusions du 17 septembre 2012 elle soutient notamment que :
- elle n'utilise plus la marque AFRICAN QUEEN depuis le constat d'Huissier de Justice du 2
juillet 2010;
- elle utilisait l'enseigne AFRICAN QUEEN depuis mars 1995 soit bien avant le dépôt de
cette marque; cette dernière n'a été connue d'elle qu'en décembre 2002 par une sommation
émanant de la société DYG qui n'a jamais agi contre elle; or la société FERLAC a attendu
septembre 2008 pour agir ;
- la société FERLAC ne produit pas le contrat de 2002 par lequel la société DYG lui concède
la licence de la marque, ni la mise en demeure d'agir en contrefaçon adressée à cette société,
laquelle a été informée le 5 août 2003 de sa possibilité d'agir en contrefaçon par Maître
EZAVIN alors commissaire à l'exécution du plan de continuation d'elle-même;
- la confusion entre les 2 restaurants est impossible, le sien étant de quartier et populaire alors
que celui de la société FERLAC est réputé et gastronomique;
-cette société n'a nullement le monopole de l'utilisation des tissus arborant des tâches
représentant la peau d'un félin;
-il n'existe aucun risque de confusion entre les 2 restaurants;
-la même ne démontre pas l'existence du moindre préjudice.
L'appelante demande à la Cour, vu les articles 4 et 5 du Code de Procédure Civile, 1382 du
Code civil, de :
- constater l'absence d'utilisation de la marque AFRICAN QUEEN par elle;
- statuant sur l'action en contrefaçon la dire irrecevable, à tout le moins mal fondée;
- statuant sur l'action en concurrence déloyale et parasitaire la dire irrecevable, à tout le moins
mal fondée;
- infirmer le jugement;
- débouter la société FERLAC;
- condamner celle-ci au paiement de la somme de 5 000 € 00 en application des dispositions
de l'article 700 du Code de procédure civile.
Concluant le 12 novembre 2012 la S.A.R.L. FERLAC répond notamment que :
- l'enseigne AFRICAN QUEEN de son restaurant existe depuis 1969, lequel est notoirement
connu, y compris sur le plan international; en 2002 elle-même était licenciée exclusive de la
société DYG; le 9 novembre 2012 le BAR DES SPORTS a sur son extrait K Bis toujours
pour enseigne AFRICA QUEEN;
- la tolérance de l'article L. 716-5 du Code de la Propriété Intellectuelle ne s'applique pas
puisque le BAR DES SPORTS n'a pas déposé de marque; l'intéressé créé en 1995 est bien
postérieur à l'enseigne AFRICAN QUEEN; depuis son contrat de location gérance du 12
février 2003 elle a le droit d'user de cette enseigne; auparavant elle n'a jamais eu la qualité de
licencié exclusif et ne pouvait donc agir en contrefaçon de marque avant cette date;
- l'enseigne du BAR DES SPORTS et sa marque sont identiques aux plans phonétique,
visuelle et intellectuelle d'où une confusion dans l'esprit du consommateur, laquelle n'est pas
supprimée par le terme AFRICAN;
- le préjudice perdure depuis 10 ans; sa clientèle peut croire que le restaurant du BAR DES
SPORTS est une déclinaison du sien;
- son adversaire a utilisé un décor évoquant l'Afrique et l'ambiance AFRICAN QUEEN, les
menus et dos de sièges dans les 2 restaurants arborant des tâches représentant la peau d'un
félin; des clients et fournisseurs ont confondu les 2; tous deux sont situés sur la Côte d'Azur à
proximité de la mer.
L'intimée demande à la Cour, vu les articles L. 716-1 et suivants du Code de la propriété
intellectuelle, 1382 du Code civil, de :
- confirmer le jugement sauf pour le quantum des sommes allouées à elle;
- réformer le jugement sur ce point et :
- ordonner l'interdiction de l'utilisation de la marque AFRICAN QUEEN par le BAR DES
SPORTS sous astreinte de 5 000 € 00 par jour de retard;
-ordonner la publication aux frais du BAR DES SPORTS du jugement dans 3 journaux ou
revues professionnelles au choix d'elle-même sans que ces frais n'excèdent la somme de
4 500 € 00;
-condamner le BAR DES SPORTS à lui payer les sommes de 100 000 € 00 pour les
agissements de contrefaçon de marque, et de 100 000 € 00 pour ceux de concurrence déloyale
parasitaire;
- condamner le même au versement de la somme de 5 000 € 00 au titre de l'article 700 du
Code de procédure civile
L'ordonnance de clôture a été rendue le 24 février 2014.
---------------------MOTIFSDEL'ARRET:
Sur la contrefaçon de la marque AFRICAN QUEEN :
L'irrecevabilité de l'action en contrefaçon d'une marque postérieure pour usage tolérée
pendant cinq ans (article L. 716-5 alinéa 4 du Code de la Propriété Intellectuelle) nécessite
l'existence d'une marque antérieure; or le BAR DES SPORTS, s'il utilise l'enseigne
AFRICAN QUEEN, n'a jamais déposé cette expression à titre de marque, ce qui l'empêche de
soutenir l'irrecevabilité de l'action de la société FERLAC.
L'utilisation prolongée d'une enseigne avant le dépôt d'une marque identique n'empêche pas le
titulaire de celle-ci d'agir en contrefaçon contre le titulaire de celle-là.
La société FERLAC, qui avait acheté la marque AFRICAN QUEEN à la société DYG les 7 et
15 février 2008, a fait constater le 24 juillet par Huissier de Justice l'utilisation de cette
expression par le BAR DES SPORTS, puis a assigné ce dernier en référé le 28 septembre et
au fond le 11 décembre 2009; elle a donc respecté le délai de prescription de 3 ans fixé par
l'alinéa 3 de l'article précité, peu important que cette société ait été en 2002 licenciée
exclusive de la société DYG d'autant que le contrat de licence n'a pas été communiqué.
L'enseigne AFRICAN QUEEN du BAR DES SPORTS est à l'évidence la reproduction
intégrale de la marque AFRICAN QUEEN dont est titulaire la société FERLAC qui n'a pas
donné son consentement; toutes deux sont utilisées pour désigner un restaurant, et le fait que
cette société gère un restaurant réputé et gastronomique, tandis que le BAR DES SPORTS est
un restaurant de quartier et populaire, n'est pas de nature à écarter la contrefaçon de marque
retenue à juste titre par le Tribunal.
Mais la faible durée de cette contrefaçon, qui a commencé à l'acquisition de la marque par la
société FERLAC en février 2008 et qui a cessé au constat d'Huissier de Justice de juillet 2010
au sein du BAR DES SPORTS, justifie une réduction des dommages et intérêts à la somme de
15 000 € 00 au lieu de celle de 25 000 € 00 retenus par le jugement. Pour le même motif il
n'est pas fondé de porter le montant de l'astreinte journalière de la somme de 500 € 00 selon
ce jugement à celle de 5 000 € 00 comme demandé par la société FERLAC, ni d'ordonner la
publication du présent arrêt.
Sur la concurrence déloyale parasitaire :
Cette notion double nécessite des actes distincts de ceux de la contrefaçon de marque c'est-àdire de l'identité des marques de la société FERLAC et de l'enseigne du BAR DES SPORTS;
la concurrence déloyale consiste dans l'emploi de procédés visant délibérément à détourner à
son profit la clientèle d'un concurrent au moyen du risque de confusion, et la concurrence
parasitaire a pour but de s'immiscer dans le sillage de ce concurrent afin de tirer profit, sans
rien dépenser, de ses efforts, investissements, réputation et savoir-faire.
Le seul élément commun à la société FERLAC et au BAR DES SPORTS qui soit distinct de
l'identité précitée est l'emploi du motif de la peau de félin sur le dossier des chaises ainsi que
sur les cartes de visite; cependant la première ne démontre pas avoir fait usage de ce motif
antérieurement au second, et surtout celui-ci est banal dans les restaurants voulant donner une
touche africaine à leur établissement; en outre les 2 parties, par la grande différence de niveau
de leurs restaurants respectifs, ne s'adressent aucunement à la même clientèle.
C'est donc à tort que le Tribunal de Grande Instance a condamné le BAR DES SPORTS pour
concurrence déloyale parasitaire, et sur ce point le jugement est infirmé.
Enfin l'équité fait obstacle à toute demande faite au titre des frais irrépétibles d'appel.
--------------------DECISION
La Cour, statuant en dernier ressort et par arrêt contradictoire.
Infirme le jugement du 5 avril 2012 pour avoir condamné la S.A.R.L. BAR DES SPORTS à
la somme de 25 000 € 00 pour les agissements de concurrence déloyale parasitaire.
Confirme le reste du jugement mais en réduisant à la somme de 15 000 € 00 le montant de la
condamnation de la S.A.R.L. BAR DES SPORTS pour les agissements de contrefaçon de
marque.
Rejette toutes autres demandes.
Condamne la S.A.R.L. BAR DES SPORTS aux dépens d'appel, avec application de l'article
699 du Code de procédure civile.
LE GREFFIER. Le PRÉSIDENT.