Situation du secteur électrique au Liban : Etat

Situation du secteur électrique au Liban :
Etat actuel et projets prévus
Antoine Amatoury
20 Janvier 2014
Bonjour,
Je commence par remercier le Rotary de Beyrouth et Rosy Boulos qui me donnent l’occasion de
m’exprimer devant une assemblée aussi distinguée que la votre. Je me propose de vous brosser
en quelques minutes un tableau de la situation du secteur électrique au Liban. Je dois souligner
avant de commencer qu’en tant que conseiller représentant d’EDF au Liban, je me dois un
minimum de réserve car EDF est, depuis le début des années 90, un des consultants de divers
organismes de l’état libanais.
Le Passé et la situation actuelle
Historique et situation présente
Jusqu’en 1975, l’Electricité du Liban (EDL) produisait assez d’énergie pour pouvoir en revendre à
la Syrie. En 1975, la situation change avec la destruction d’équipements, le vol de courant et la
difficulté de collecter les factures. Le déficit s’accumule d’année en année. En 1990, la capacité de
production d’électricité du Liban se réduit à environ 600 MW. D’où le rationnement subi par la
population libanaise.
Au début des années 90,
L’Etat libanais lance un vaste programme de construction et de réhabilitation des centrales et des
lignes électriques :
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Pour la Production EDL a procédé à la réhabilitation des centrales de Zouk et de Jieh, la
construction des centrales à Cycle Combiné de Zahrani et de Beddawi, et de Cycle ouvert à
Tyr et à Baalbek,
Pour le Transport : EDL a assuré la construction de plusieurs sous-stations et d’un réseau de
lignes HT qui couvre le pays,
Pour la Distribution : EDL a procédé à la réhabilitation et l’extension des réseaux
La situation en 2010
De 1998 à 2010, donc pendant 12 ans, aucun investissement majeur n’a été fait dans le domaine
de la production. Nous nous trouvions en 2010 avec les mêmes sept centrales thermiques qu’en
1998.
Quelques chiffres simples à retenir pour caractériser le déficit de la production :
La capacité installée était en 2010 d’environ 2000 MW avec une capacité effective de 1500 MW.
La demande étant de 2100 à 2500 MW. Le déficit était donc de 600 MW en moyenne et de 1000
MW à la pointe. Ce qui correspond à 60% de la demande pendant les pics de consommation et
amène à des coupures quotidiennes de 3 à 9h en moyenne.
En 2010 la répartition de la production était comme suit :
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Centrales thermiques : (88 % de la production) avec les sept centrales citées précédemment
à savoir : Jieh (construite en 1970), Hrayche, Zouk, Beddawi, Zahrani, (construites en 1998),
Baalbeck et Tyr. La plus veille de ces centrales, Jieh a 44 ans et les plus jeunes Zahrani et
Beddawi ont 16 ans sachant que la durée de vie normale d’une centrale thermique est de 25
à 30 ans
Centrales Hydrauliques : (4.5% de la production) avec les trois centrales du Litani, de Nahr
Ibrahim et du Bared.
Energie importée de Syrie et d’Egypte : (7,5% de la production). Cette importation a cessé
depuis.
A part le déficit de 600 à 1000 MW dans la production, deux problèmes majeurs existaient :
 L’entretien et la gestion de ces centrales ;
 Le choix de leur combustible.
Concernant le transport, la boucle 220KV très importante pour l’évacuation de l’Energie produite
était toujours bloquée à Mkalles …Elle l’est toujours. Et pour la Distribution, le réseau est vétuste
avec de pertes techniques et non techniques de 40% dont 15% techniques et 25% non
techniques (20% Vol et 5 % Factures non payées).
Ce qui est prévu à ce jour et est encours d’exécution
Plan de Juin 2010
Devant cette situation et ce déficit, plusieurs consultants dont EDF et la BM se sont penchés, à la
demande des autorités compétentes, sur le problème et ont proposé des solutions pour y
remédier. En Juin 2010, le Ministère de l’Energie a proposé un plan qui a été approuvé en
Conseil des ministres et par le Parlement. Ce plan visait à rétablir le courant 24 heures sur 24 à
l’horizon 2014, moyennant des investissements par l’Etat de 1.2 milliards de dollars Le secteur
privé devait être mis par la suite à contribution. L’objectif était notamment de porter la capacité de
production totale actuelle de 2000 MW (1600 MW réelle) à 4 000 MW en 2014 et à 5 000 MW
après 2015. Le plan s’étalait sur trois phases : Court terme (2010-2012), moyen terme (20122014) et long terme (2015 et au-delà). Il prévoyait à court terme de réhabiliter les centrales
existantes et proposait la construction de nouvelles unités de production de 600-700 MW pour
atteindre un équilibre production/consommation. La situation politique qu’ont connue le Liban et la
région depuis 2010, a retardé l’exécution de ce programme. Malgré cela, plusieurs contrats
prévus dans le plan à court terme pour les trois domaines de la production, transport et
distribution ont été attribués en 2013 avec deux ans de retard.
Le Plan à court terme
Quels ont été les contrats du Plan court terme attribués en 2013 ?
L’Installation de deux Centrales flottantes à Zouk et à Jieh : Apres des problèmes au
démarrage, la société turque Karadeniz a bien fourni les deux barges qui produisent pour
Fatmagul 188MW (4 avril 2013) et pour Orhan Bey (mi Aout) 82 MW. Ils devraient produire
pendant trois ans l’énergie de remplacement pour permettre la réhabilitation des centrales
existantes.
L’installation d’une centrale à CC de 450 MW à Beddaoui (Deir Ammar 2) : Cette centrale a
été adjugée en avril 2013 pour 470 MUSD à la société grecque-chypriote J&P Avax avec des
turbines GE. Elle peut être alimentée par du fuel lourd ou du fuel léger et même par du gaz naturel.
L’installation de deux centrales diesel (HFO) à Zouk et à Jieh : En février dernier, Le Ministère
de l’Energie a signé un contrat de 348 millions de dollars avec le consortium danois allemand
BWSC -MAN pour la construction de deux centrales Diesel (Reciprocating Engines) : la première à
Zouk de 194 MW et la seconde de 80 MW à Jieh prés des centrales actuelles. Ces groupes
pourront fonctionner au gaz naturel en plus du fuel.
On peut donc dire aujourd’hui que prés de 750 MW sont en cours de construction et
espérer atteindre un équilibre production consommation en 2015/2016
Le Plan à court terme comprend aussi :
La Réhabilitation des Centrales Thermiques existantes de Zouk et Jieh. Construite en 1984,
l’ancienne centrale de Zouk est censée produire 600 MW, elle n’en fournit aujourd’hui que 350. Sa
réhabilitation devrait augmenter sa capacité de production à 550 MW. Un AO, financé par le
Kuwaiti Fund, a été lancé. L’évaluation technique est en cours. Le groupement Ansaldo/Metca
pourrait être attributaire. Il en est de même pour la centrale de Jieh ou le groupement
Kharafi /National serait favori.
Le Plan à moyen terme
A moyen terme le plan prévoit :
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Une deuxième centrale à CC de 450 MW à Beddaoui ;
Une centrale à CC de 450 MW à Jieh ;
La Réhabilitation du Parc Hydraulique. Le plan prévoit de réhabiliter les centrales existantes
pour augmenter leur capacité globale de 190 MW à 245 MW ;
Des Fermes Eoliennes. Un AO a été lancé et d’autres pourraient être prévues pour des
fermes éoliennes de 40 a 60 MW a Kolayat, Marjeyoun et Hrayche.
Le Plan à long terme
La production
Le Plan à long terme prévoit aussi par la suite une deuxième centrale à CC à Jieh, une troisième
à Beddaoui et d’associer le secteur privé par la construction en IPP d’une Centrale pouvant aller
jusqu’a 1500 MW dans l’horizon 2020. L’étude de faisabilité de cette centrale est en cours
Le transport
L’augmentation de la production nécessite au préalable le renforcement du réseau de transport.
En effet, le réseau actuel ne peut évacuer aucune addition dans la production surtout pas avant
d’avoir achevé la boucle de Mkalles. Ce réseau est constitué de 1427 Km de lignes
400/220/150/66 KV Avec des pertes de 40% : 15 Techniques. 20% dues au vol et 5 % de factures
non payées. Le Plan prévoit donc :
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d’achever la boucle de 220KV de Mansourieh : Il manque 1.2 KM pour terminer cette boucle
qui est essentielle pour le réseau ;
de passer du 150 KV au 220 KV chaque fois que c’est possible ;
de construire de nouvelles lignes 220 KV pour évacuer la nouvelle production et pour
commencer l’évacuation de Beddaoui ;
de construire de nouveaux postes de transformation notamment à Dahye, Achrafieh, Bahsas
et Marina de Dbaye. La société libanaise Matelec vient d’ailleurs de signer début janvier le
contrat pour les trois premiers de ces postes 220 KV blindés ;
de renforcer les lignes et postes existants ;
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de construire plusieurs sous-stations régionales ;
de mettre en service la deuxième boucle 220 KV de Beyrouth
La Distribution
Aujourd’hui la problématique pour la Distribution est masquée par le déficit de production. En fait,
plusieurs problèmes techniques sont à résoudre. Ils sont dus principalement à l’insuffisance des
investissements et de la maintenance. Ces problèmes englobent les goulots d’étranglement, la
vétusté d’une partie du matériel, l’absence d’un contrôle efficace des compteurs et la difficulté
d’empêcher le vol de courant. C’est en partie pour cela qu’en Avril 2012 et en application du Plan
du Ministère de l’Energie de 2010, la gestion de la Distribution Electrique a été confiée à trois
operateurs privés (DSP Distribution Service Provider) pour une période de quatre ans. C’est ainsi
que :
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BUS (Avec des experts d’ERDF) s’est vue confiée le Nord ;
KVA (Avec des experts d’ERDF) : Beyrouth et la Bekaa ;
NEUC (Avec la STEG) : le Sud, le Chouf et la Banlieue Sud.
Ces trois sociétés sont chargées de :
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Effectuer un relevé et un recensement complet du réseau existant.
Proposer un plan d’investissement pour sa réhabilitation.
Connecter et d’assurer l’alimentation des nouveaux abonnés.
Installer des compteurs intelligents.
Collecter les factures.
Créer un centre de control des compteurs automatiques.
Introduire les cartes de prépaiement.
Introduire le « feed-in tariff » permettant de produire l’électricité et de la connecter au réseau.
CE QUI RESTE ENCORE A FAIRE
Restructuration Tarifaire
L’électricité produite aujourd’hui par Électricité du Liban lui coûte 255 livres le kilowatt/heure (0.17
$) dont 10% de fuel, alors qu’elle la vend entre 35 et 200 LL le kWh avec une moyenne de 127
livres le kWh (0.08 $). Ce tarif de vente réglementé ne couvre que 56% des couts de production A
se demander d’ailleurs si ce n’est pas par faute de pouvoir résoudre cette inéquation que l’Etat n’a
pas depuis 20 ans construit de nouvelles centrales. Il est donc urgent d’assurer une restructuration
tarifaire amenant à un équilibre financier graduel dans le budget fiscal d’EDL Les différents avis
d’expert amènent à penser à :
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Augmenter graduellement le tarif au fur et à mesure de l’amélioration de la fourniture
d’électricité, jusqu’à atteindre un service continu et durable 24 heures sur 24 qui permettra aux
usagers de renoncer aux générateurs privés. Actuellement, la facture d’électricité payée par
les Libanais s’élève à près de 2,37 milliards de dollars, dont 700 millions à l’EDL et 1,67
milliard aux propriétaires de générateurs ;
Proposer des tarifs spéciaux et des abonnements pour les consommateurs à bas revenus et
les industriels ;
Moduler les tarifs en fonction de la durée d’utilisation.
Le Combustible
Les combustibles utilisés aujourd’hui sont le HFO, le Diesel (gasoil).Le Gaz naturel en provenance
de Syrie a été utilisé pendant une très courte période. En effet, en 2005, la construction du
gazoduc qui relie la centrale électrique de Beddawi au réseau de gaz syrien a été achevée mais le
gaz syrien s’est très vite arrêté. Or il est indispensable pour baisser la facture énergétique avec un
impact environnemental minimum de passer en grande proportion au Gaz Naturel. Les études de
faisabilités ont montré que l’idéal serait que l’approvisionnement en combustible des centrales de
production soit composé aux deux tiers de gaz naturel et le tiers restant réparti entre énergies
renouvelables et autres sources de combustibles. Une étude faisabilité a été faite pour un gazoduc
le long du tracé du chemin de fer sur le littoral, avec une boucle maritime pour contourner
Beyrouth. Ce gazoduc sera branché à une ou plusieurs stations maritimes de regazéification. En
plus un AO est en cours pour un projet qui consiste à avoir un ou deux FSRU (c’est des bateaux
qui ont a bord des stations de transformation du Gaz Liquide en Gaz naturel) amarrés à Beddaoui
et/ou Jieh pour alimenter les centrales du Nord et du Sud. Une rotation de bateaux spécialisés
alimentera ces FSRU en Gaz Liquide LNG.
L’Autorité de Régulation
Bien qu’une loi pour établir une Autorité de régulateur ait été votée, les décrets d’application n’ont
pas encore été établis. Le Gouvernement actuel a jugé que la loi actuelle devait être amendée et
ce n’est que lorsque EDL sera devenu société anonyme, que le secteur privé aura été impliqué
dans le secteur avec succès, que la libéralisation pourra être envisagée.
Réformer EDL
Il est urgent et reconnu par tous qu’il faut reformer et transformer EDL Les salariés d’EDL ont
une moyenne d’âge qui se situe aux alentours de 58 ans. Ses structures de fonctionnement n’ont
pas évoluées depuis sa création et sa politique tarifaire est structurellement déficitaire. Jusqu'à
l’année dernière, EDL ne pouvait pas, de par la réglementation en vigueur, engager de nouveaux
fonctionnaires… ceci a amené la direction à faire appel depuis des années à plus de 2500
journaliers dont la situation n’est toujours pas régularisée. Il est donc crucial de doter EDL de
ressources humaines en mesure d’accompagner les changements programmés. Ceci reste
toutefois insuffisant. Des études sont en cours pour transformer EDL en société anonyme opérant
selon le code du commerce.
Conclusion
Malgré le contexte géopolitique tendu, l’amélioration du secteur électrique peut être rapide. En
effet un plan approuvé existe, il a commencé à être exécuté avec un certain retard à cause de
circonstances que tout le monde connait… Il ne reste plus qu’ à espérer qu’il puisse continuer à
être appliqué pour que le Liban puisse finalement sortir de l’obscurité.
Merci.
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