dossier Soins en situation d’exception formation La préparation opérationnelle des infirmiers militaires à la projection JEAN-FRANÇOIS RINGEVALa Référent pédagogie simulation, CeSimMO VALÉRIE BELLIARDb Cadre supérieur de santé, formatrice RÉGIS MELAINEb,* Médecin urgentiste, référent technique HUGUES LEFORTc Médecin urgentiste, service médical d’urgence, Brigade de sapeurs-pompiers de Paris z En opération extérieure, les infirmiers et médecins du service de santé des armées sont confrontés à des situations exceptionnelles, avec un environnement tactique et géographique particulier et des pathologies complexes à prendre en charge z Un cycle de formation initiale et continue, s’appuyant sur la simulation en immersion, est nécessaire pour prendre en charge un blessé de guerre dans ces conditions. © 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés Mots clés – blessé de guerre ; formation ; infirmier ; opération extérieure ; simulation Preparing army nurses for deployment. When on overseas operations, the nurses and doctors of the French army health service are confronted with exceptional situations, with a specific tactical and geographical environment and complex pathologies to treat. Initial and continuing training based on immersion simulation is essential in order to be able to treat a war casualty in these conditions. © 2014 Elsevier Masson SAS. All rights reserved a Ilôt Saint Anne Est, CSMN, CeSimMO, Antenne Toulon, Boulevard Sainte-Anne, 83800 Toulon cedex 9, France b Service d’accueil des urgences, Hôpital d’instruction des armées Desgenettes, 108, boulevard Pinel, 69275 Lyon, France c Service médical d’urgence, Brigade de sapeurs-pompiers de Paris, 3, rue Darmesteter 75013 Paris, France Keywords – nurse; overseas operation; simulation; training; war casualty L e Service de santé des armées (SSA) a pour mission première le soutien opérationnel des Forces : sa raison d’être, son cœur de métier. Cette mission s’étend de la préparation opérationnelle médicale du combattant à la réhabilitation du personnel blessé ou malade en vue d’une réinsertion professionnelle et sociale précoce. Cette chaîne de santé s’appuie sur cinq composantes cohérentes : médecine des Forces, médecine hospitalière, recherche, ravitaillement sanitaire et formation. Les soins dispensés, souvent en situation d’exception, nécessitent l’acquisition de compétences spécifiques pour prévenir, maintenir et sauvegarder la santé des militaires [1]. La politique de formation du SSA a évolué ces dernières années, s’adaptant aux spécificités d’emploi des Forces grâce à des outils pédagogiques modernes. Au cœur de la prise en charge du blessé de guerre, en métropole ou sur les théâtres d’opérations extérieures, au sein d’une équipe médicale ou de façon isolée [2], ces infirmiers ont un parcours de formation valorisant, dense et dynamique tout au long de leur carrière [3]. RECRUTEMENT *Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (R. Melaine). 26 z Les infirmiers affectés au sein des hôpitaux d’instruction des Armées (HIA) [4] obtiennent leur diplôme d’État (DEI) dans les instituts de formation en soins infirmiers (Ifsi) civils. Ils sont © 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés http://dx.doi.org/10.1016/j.soin.2014.06.009 © 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. - Document téléchargé le 07/10/2014 par HUGUES LEFORT (635991) engagés sur titre. La formation militaire initiale dure quatre semaines pour une acculturation aux spécificités militaires et hospitalières dans une pratique quotidienne ouverte aux patients civils. z Les futurs infirmiers des forces doivent passer deux concours : celui des écoles de formation des sous-officiers (terre-air-mer), lieux de la formation militaire initiale, puis celui de l’École du personnel paramédical des Armées (EPPA – Ifsi du SSA, à Toulon – 83). Titulaires du DEI, ils reçoivent une formation en milieu opérationnel (FMO), formation initiale complémentaire sur la prise en charge d’un blessé en milieu isolé avec délivrance du certificat de sauvetage au combat de niveau 2 (SC2). NIVEAUX DE COMPÉTENCES POUR LE SAUVETAGE AU COMBAT La réintégration de la France dans l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (Otan), l’augmentation des missions en coopération avec des armées étrangères, le durcissement des engagements lors des conflits récents, sont autant de paramètres ayant nourri une réflexion sur la prise en charge des blessés de guerre [1]. Trois niveaux de sauvetage au combat (SC) ont été créés répondant aux exigences de sécurité attendues par et pour les Forces armées, premiers maillons de prise en charge jusqu’à l’avis médical [2,5,6] : SOiNS - no 788 - septembre 2014 dossier Soins en situation d’exception NOTES ENCADRÉ 1 La méthode SAFE-MARCHE-RYAN La méthode SAFE-MARCHE-RYAN est dédiée aux actions à mener avant de s’occuper du blessé le plus grave. • Stop the burning process : éteindre la menace. • Assess the scene : évaluation globale de la situation. • Free of danger for you : ne pas s’exposer. • Evaluate : Si plusieurs blessés, réaliser un tri et un traitement simple sans s’occuper des patients qui marchent, pour évaluer rapidement : respiration, saignement et état de conscience. Si blessé unique, prise en charge suivant l’acronyme MARCHE RYAN : • Massive bleeding control : recherche systématique d’hémorragies à contrôler ; • Airways : assurer la libération des voies aériennes ; PRÉPARATION OPÉRATIONNELLE AVANT PROJECTION z La préparation opérationnelle du personnel du SSA avant projection2 est placée sous l’autorité du “département de la préparation milieux et opérationnelle” et particulièrement du Centre d’enseignement par simulation à la médecine opérationnelle (CeSimMO) de l’École du Val-deGrâce3, accompagnant les soignants désignés pour soutenir les Forces au sein des différentes structures de soins en opération [4,9]. Les enseignements par simulation, notamment sur mannequin, et par immersion4 se sont imposés comme les outils pédagogiques les plus adaptés pour se former à la RÉFÉRENCES © DICOD/JJChatard • SC 1 : le militaire doit être en mesure d’assurer les gestes de survie de son camarade blessé en attendant que la situation tactique permette la réalisation de soins d’un niveau plus élevé ; • SC 2 : premiers gestes techniques de sauvetage, conformes aux référentiels de compétence, pouvant être assurés par des brancardiers secouristes ou des infirmiers en poste isolé soutenant les Forces au combat [7,8] : évaluer rapidement et de façon systématique la situation tactique (parfois extrême) et clinique du blessé pour optimiser les délais de prise en charge, dont dépendent la survie du blessé (encadré 1, figure 1) ; • SC 3 : niveau de prise en charge médicalisée ou paramédicalisée de l’avant, assuré au mieux par le binôme médecin-infirmier, au poste de secours ou au “nid de blessés” [8]1 : techniques élémentaires de réanimation de l’avant, conditionnement pour l’évacuation après demande des vecteurs d’évacuation appropriés. • Respiration : évaluation de la qualité de la ventilation. • Choc : état de choc hémodynamique (pouls radial…) ; • Head / hypothermia : état (conscience, anisocorie, paralysie), prévention de l’hypothermie ; • Évacuer : la prise en charge initiale étant réalisée, demande d’évacuation sur la structure chirurgicale. • Réévaluer : surveillance du patient donc MARCHE. • Yeux et ORL : sauvegarde du pronostic fonctionnel en protégeant les blessures, notamment les yeux. • Analgésie : limiter les effets néfastes de la douleur sur l’hémodynamique du patient en la contrôlant. • Nettoyer et prévenir l’infection : lavage à l’eau propre des plaies, antibioprophylaxie éventuelle. 1 Équivalent d’un point de regroupement de victimes en médecine de catastrophe. 2 La projection est le déplacement d’un personnel militaire exerçant en métropole sur un théâtre d’opération extérieure, c’està-dire en dehors du territoire national. 3 Ces structures s’appuient en région sur les centres satellites du CeSimMO à Paris (75), Lyon (69), Toulon (83) et Bordeaux (33) et le centre de formation opérationnelle santé (CeFOS) situé à La Valbonne (01). 4 La simulation par immersion est une méthode d’enseignement qui permet de travailler la situation d’exception (lors de stage de médicalisation en milieux hostiles, par exemple). Figure 1. Le Centre de formation opérationnelle de santé (CeFOS), à La Valbonne (01), regroupe les formations de secours au combat. Ici un exercice de simulation SC2 pour des élèves infirmiers. prise en charge du blessé de guerre tout au long de la chaîne de secours [10,11]. z Les infirmiers affectés en structure médicochirurgicale sur le théâtre d’opération sont formés plus spécifiquement au management d’équipe en situation de crise [4,9]. En revanche, les infirmiers désignés pour soutenir une unité en opération suivent une préparation médico-militaire dont la finalité est l’obtention du SC3. Durant plusieurs mois, l’infirmier acquiert des compétences techniques particulières : soins d’urgence, gestion du stress, évolution en milieu hostile [11,12], etc. Des périodes d’immersion au sein des services d’urgence, de réanimation, de traitement des brûlés et au bloc opératoire sont réalisées. Deux stages majeurs permettent de valider l’acquisition de ces savoir-faire et savoir-être en situation d’exercice dégradé : • la formation de mise en condition de survie de blessé de guerre (MCSBG) apporte les compétences théoriques et techniques indispensables SOiNS - no 788 - septembre 2014 © 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. - Document téléchargé le 07/10/2014 par HUGUES LEFORT (635991) [1] Service de santé des armées. École du Val-de-Grâce : Enseignement du Sauvetage au Combat. Référentiel de formation n°0309/EVDG/DPMO; 2012. [2] De Saint-Maurice G. La prise en charge des blessés de guerre aujourd’hui. Rev Infirm. 2012; 186:16-8. [3] Le métier d’infirmier militaire. http://www.eppa.sante.defense. gouv.fr/ecole/index.htm [4] Guérot F, Saliou H, Lefort H, De Rudnicki S. L’infirmier militaire, de l’hôpital à l’opération extérieure. Soins. 2014;788:29-30. [5] Czerniak E, Causse Le Dorze P, Hersan O, Pohl JB, Angot E. L’évacuation médicalisée par voie aérienne. Soins. 2014;788:19-21. [6] Beaume S, Andries L. La chaîne de santé au secours du blessé en Afghanistan. Rev Infirm. 2012; 186:19-21. [7] Daban JL, Falzone E, Boutonnet M, Peigne V, Lenoir B. Blessés au combat, dix minutes en platine, une heure en or. Soins. 2014;788:14-5 [8] Planchet M, Delbart C, Thomas A, Chenais L, Cazes N, Puidupin A. Prise en charge d’un afflux saturant de blessés de guerre français en Afghanistan. Méd Armées. 2013;41:175-82. [9] Le Bec M, Serre V, Rondier P, De Montleau F. Cadre de santé à l’hôpital militaire de Kaboul. Soins. 2014;788:31-3. 27 dossier Soins en situation d’exception ENCADRÉ 2 L’airsoft, un serious game dans le sauvetage au combat de niveau 2 z L’airsoft est, à l’origine, un jeu entre équipes se défiant en utilisant des répliques d’armes à feu propulsant des billes de plastique à l’aide d’un moyen électrique ou gazeux. De nombreuses unités d’intervention opérationnelles, civiles ou militaires, utilisent cet outil pour s’aguerrir en situation tactique, à l’instar du sauvetage au combat de niveau 2 (SC2), qui s’inscrit dans la logique globale de la prise en charge à l’avant d’un blessé de guerre. z La méthodologie et les techniques permettant d’assurer la mise en condition de survie de ce dernier ont pu être ainsi transmises aux élèves infirmiers de l’École du personnel RÉFÉRENCES [10] Von Tersch R, Birch H, Gupta R, Tyner CF. Examining technologies to control hemorrhage by using modeling and simulation to simulate casualties and treatment. Mil Med. 2009;174:109-18. [11] McGraw LK, Out D, Hammermeister JJ, Ohlson CJ, Pickering MA, Granger DA. Nature, correlates, and consequences of stress-related biological reactivity and regulation in Army nurses during combat casualty simulation. Psychoneuroendocrinology. 2013;38:135-44. [12] De Montleau F, Panagas S, Catleau M, Granier C, Daudin M. Les états de stress aigu du militaire en situation opérationnelle. Soins. 2014;788:22-5. paramédical des armées (EPPA) via un enseignement mêlant théorie, démonstration et simulation. Durant trois jours, l’airsoft a été utilisé comme outil de réalité augmentée, à la fois ludique et pédagogique, pour recréer un environnement tactique permettant la mise en œuvre des connaissances acquises dans le domaine du sauvetage au combat par des scénarii évolutifs. Encadrés par des formateurs référents dans le domaine, les futurs infirmiers ont pu s’essayer à cette pratique exceptionnelle. À l’issue du débriefing, tous ont pris conscience de la difficulté de réaliser le bon geste au bon moment. à la prise en charge d’un blessé de guerre à l’avant, basées sur le référentiel pédagogique d’enseignement du sauvetage au combat ; • le stage de médicalisation en milieux hostiles (MedicHos) établit la synthèse de ce parcours de formation au sein de l’unité militaire que le soignant sera amené à soutenir. Les équipements, sacs, armes, protections balistiques, radios sont portés par tous, renforçant le réalisme de situations déclenchées inopinément jour et nuit afin de réaliser le bon geste au bon moment, gérer les moyens présents ou demander ceux nécessaires, anticiper les évacuations, s’adapter aux impératifs tactiques et aux conditions du terrain ou encore à la fatigue [11]. Comme sur le théâtre d’opération, l’infirmier peut se trouver isolé avec une section de combat et doit, en cas de blessés multiples, prendre des décisions : négocier, prioriser, organiser, déléguer, évacuer, transmettre. Ce stage permet aux équipes de se découvrir et, par ces simulations, d’anticiper leurs réactions face à l’imprévu, augmentant leur efficience. Les cours, les ateliers techniques et les simulations permettent d’immerger le soignant dans des situations hyperréalistes. Fondamental, le débriefing à l’issue de chaque exercice parfait l’apprentissage et asseoit la notion d’expérience : prise de conscience, Les points à retenir Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article. • La complexité de la prise en charge d’un blessé de guerre en milieu contraint nécessite un apprentissage en aval. • L’infirmier militaire doit appréhender des contraintes tactiques, opérationnelles et des techniques de soins spécifiques. • Le Centre d’enseignement par simulation à la médecine opérationnelle (CeSimMO) permet d’acquérir ces compétences en immersion. 28 © 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. - Document téléchargé le 07/10/2014 par HUGUES LEFORT (635991) échange et ajustements qui dynamisent la progression d’apprentissage. Infirmiers ou médecins apprennent ainsi à contrôler leurs réactions en situation de stress intense et exceptionnel en dehors des prises en charge de blessés de guerre. z Depuis sa mise en place, ce cycle de formation a permis la survie et la sauvegarde fonctionnelle d’un grand nombre de nos blessés de guerre. CONCLUSION L’évolution contextuelle des dernières opérations extérieures est à l’origine de cette refonte de la formation initiale et continue des équipes médicales militaires (médecins et infirmiers). Celle-ci est réalisée au sein des centres d’instruction des techniques de réanimation de l’avant (Citera) plus récemment regroupés au sein du CeSimMO. S’appuyant sur des savoir-faire théoriques et pratiques bien codifiés selon un acronyme de prise en charge du blessé de guerre (SAFE MARCHE RYAN – encadré 1), ce parcours d’enseignement utilise des outils modernes (e-learning, task-trainer, crisis resource management, mannequins d’apprentissage, patients simulés, etc.) renforçant le réalisme des prises en charge. L’appréhension tactique du terrain n’est pas oubliée grâce à l’utilisation de “serious games” (encadré 2) pour une immersion dans une réalité contextuelle quasitotale. Au même titre que l’apprentissage initial “Jamais la première fois sur le patient”, le SSA a développé un apprentissage par immersion dans des centres spécialisés avec des formateurs dédiés, garantie d’un développement professionnel continu (DPC) valide à même d’améliorer significativement la survie de blessés de guerre autrefois condamnés. n SOiNS - no 788 - septembre 2014
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