La préparation opérationnelle des infirmiers

dossier
Soins en situation d’exception
formation
La préparation opérationnelle des
infirmiers militaires à la projection
JEAN-FRANÇOIS RINGEVALa
Référent pédagogie simulation,
CeSimMO
VALÉRIE BELLIARDb
Cadre supérieur de santé,
formatrice
RÉGIS MELAINEb,*
Médecin urgentiste,
référent technique
HUGUES LEFORTc
Médecin urgentiste, service
médical d’urgence, Brigade de
sapeurs-pompiers de Paris
z En opération extérieure, les infirmiers et médecins du service de santé des armées sont confrontés
à des situations exceptionnelles, avec un environnement tactique et géographique particulier
et des pathologies complexes à prendre en charge z Un cycle de formation initiale et continue,
s’appuyant sur la simulation en immersion, est nécessaire pour prendre en charge un blessé de
guerre dans ces conditions.
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Mots clés – blessé de guerre ; formation ; infirmier ; opération extérieure ; simulation
Preparing army nurses for deployment. When on overseas operations, the nurses and doctors
of the French army health service are confronted with exceptional situations, with a specific tactical
and geographical environment and complex pathologies to treat. Initial and continuing training based
on immersion simulation is essential in order to be able to treat a war casualty in these conditions.
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a
Ilôt Saint Anne Est, CSMN,
CeSimMO, Antenne Toulon,
Boulevard Sainte-Anne, 83800
Toulon cedex 9, France
b
Service d’accueil des
urgences, Hôpital d’instruction
des armées Desgenettes,
108, boulevard Pinel,
69275 Lyon, France
c
Service médical d’urgence,
Brigade de sapeurs-pompiers
de Paris, 3, rue Darmesteter
75013 Paris, France
Keywords – nurse; overseas operation; simulation; training; war casualty
L
e Service de santé des armées (SSA) a pour
mission première le soutien opérationnel des
Forces : sa raison d’être, son cœur de métier. Cette
mission s’étend de la préparation opérationnelle
médicale du combattant à la réhabilitation du
personnel blessé ou malade en vue d’une réinsertion professionnelle et sociale précoce. Cette
chaîne de santé s’appuie sur cinq composantes
cohérentes : médecine des Forces, médecine hospitalière, recherche, ravitaillement sanitaire et
formation. Les soins dispensés, souvent en situation d’exception, nécessitent l’acquisition de
compétences spécifiques pour prévenir, maintenir et sauvegarder la santé des militaires [1]. La
politique de formation du SSA a évolué ces dernières années, s’adaptant aux spécificités d’emploi des Forces grâce à des outils pédagogiques
modernes. Au cœur de la prise en charge du
blessé de guerre, en métropole ou sur les théâtres
d’opérations extérieures, au sein d’une équipe
médicale ou de façon isolée [2], ces infirmiers ont
un parcours de formation valorisant, dense et
dynamique tout au long de leur carrière [3].
RECRUTEMENT
*Auteur correspondant.
Adresse e-mail :
[email protected]
(R. Melaine).
26
z Les infirmiers affectés au sein des hôpitaux
d’instruction des Armées (HIA) [4] obtiennent
leur diplôme d’État (DEI) dans les instituts de
formation en soins infirmiers (Ifsi) civils. Ils sont
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http://dx.doi.org/10.1016/j.soin.2014.06.009
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engagés sur titre. La formation militaire initiale
dure quatre semaines pour une acculturation aux
spécificités militaires et hospitalières dans une
pratique quotidienne ouverte aux patients civils.
z Les futurs infirmiers des forces doivent passer deux concours : celui des écoles de formation
des sous-officiers (terre-air-mer), lieux de la formation militaire initiale, puis celui de l’École du
personnel paramédical des Armées (EPPA – Ifsi
du SSA, à Toulon – 83). Titulaires du DEI, ils
reçoivent une formation en milieu opérationnel
(FMO), formation initiale complémentaire sur la
prise en charge d’un blessé en milieu isolé avec
délivrance du certificat de sauvetage au combat
de niveau 2 (SC2).
NIVEAUX DE COMPÉTENCES
POUR LE SAUVETAGE AU COMBAT
La réintégration de la France dans l’Organisation
du traité de l’Atlantique Nord (Otan), l’augmentation des missions en coopération avec des
armées étrangères, le durcissement des engagements lors des conflits récents, sont autant de
paramètres ayant nourri une réflexion sur la prise
en charge des blessés de guerre [1]. Trois niveaux
de sauvetage au combat (SC) ont été créés répondant aux exigences de sécurité attendues par et
pour les Forces armées, premiers maillons de
prise en charge jusqu’à l’avis médical [2,5,6] :
SOiNS - no 788 - septembre 2014
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Soins en situation d’exception
NOTES
ENCADRÉ 1
La méthode SAFE-MARCHE-RYAN
La méthode SAFE-MARCHE-RYAN est dédiée aux actions
à mener avant de s’occuper du blessé le plus grave.
• Stop the burning process : éteindre la menace.
• Assess the scene : évaluation globale de la situation.
• Free of danger for you : ne pas s’exposer.
• Evaluate : Si plusieurs blessés, réaliser un tri et un
traitement simple sans s’occuper des patients qui
marchent, pour évaluer rapidement : respiration,
saignement et état de conscience. Si blessé unique, prise
en charge suivant l’acronyme MARCHE RYAN :
• Massive bleeding control : recherche systématique
d’hémorragies à contrôler ;
• Airways : assurer la libération des voies aériennes ;
PRÉPARATION OPÉRATIONNELLE AVANT
PROJECTION
z La préparation opérationnelle du personnel
du SSA avant projection2 est placée sous l’autorité
du “département de la préparation milieux et opérationnelle” et particulièrement du Centre d’enseignement par simulation à la médecine
opérationnelle (CeSimMO) de l’École du Val-deGrâce3, accompagnant les soignants désignés pour
soutenir les Forces au sein des différentes structures de soins en opération [4,9]. Les enseignements par simulation, notamment sur mannequin,
et par immersion4 se sont imposés comme les outils
pédagogiques les plus adaptés pour se former à la
RÉFÉRENCES
© DICOD/JJChatard
• SC 1 : le militaire doit être en mesure d’assurer
les gestes de survie de son camarade blessé en
attendant que la situation tactique permette la
réalisation de soins d’un niveau plus élevé ;
• SC 2 : premiers gestes techniques de sauvetage,
conformes aux référentiels de compétence, pouvant être assurés par des brancardiers secouristes
ou des infirmiers en poste isolé soutenant les
Forces au combat [7,8] : évaluer rapidement et
de façon systématique la situation tactique (parfois extrême) et clinique du blessé pour optimiser les délais de prise en charge, dont dépendent
la survie du blessé (encadré 1, figure 1) ;
• SC 3 : niveau de prise en charge médicalisée ou
paramédicalisée de l’avant, assuré au mieux par
le binôme médecin-infirmier, au poste de
secours ou au “nid de blessés” [8]1 : techniques
élémentaires de réanimation de l’avant, conditionnement pour l’évacuation après demande
des vecteurs d’évacuation appropriés.
• Respiration : évaluation de la qualité de la ventilation.
• Choc : état de choc hémodynamique (pouls radial…) ;
• Head / hypothermia : état (conscience, anisocorie,
paralysie), prévention de l’hypothermie ;
• Évacuer : la prise en charge initiale étant réalisée,
demande d’évacuation sur la structure chirurgicale.
• Réévaluer : surveillance du patient donc MARCHE.
• Yeux et ORL : sauvegarde du pronostic fonctionnel en
protégeant les blessures, notamment les yeux.
• Analgésie : limiter les effets néfastes de la douleur sur
l’hémodynamique du patient en la contrôlant.
• Nettoyer et prévenir l’infection : lavage à l’eau
propre des plaies, antibioprophylaxie éventuelle.
1
Équivalent d’un point de
regroupement de victimes en
médecine de catastrophe.
2
La projection est le déplacement
d’un personnel militaire exerçant
en métropole sur un théâtre
d’opération extérieure, c’està-dire en dehors du territoire
national.
3
Ces structures s’appuient en
région sur les centres satellites
du CeSimMO à Paris (75), Lyon
(69), Toulon (83) et Bordeaux
(33) et le centre de formation
opérationnelle santé (CeFOS)
situé à La Valbonne (01).
4
La simulation par immersion est
une méthode d’enseignement
qui permet de travailler la
situation d’exception (lors de
stage de médicalisation en
milieux hostiles, par exemple).
Figure 1. Le Centre de formation opérationnelle de santé (CeFOS), à
La Valbonne (01), regroupe les formations de secours au combat. Ici
un exercice de simulation SC2 pour des élèves infirmiers.
prise en charge du blessé de guerre tout au long de
la chaîne de secours [10,11].
z Les infirmiers affectés en structure médicochirurgicale sur le théâtre d’opération sont
formés plus spécifiquement au management
d’équipe en situation de crise [4,9]. En revanche,
les infirmiers désignés pour soutenir une unité en
opération suivent une préparation médico-militaire dont la finalité est l’obtention du SC3.
Durant plusieurs mois, l’infirmier acquiert des
compétences techniques particulières : soins d’urgence, gestion du stress, évolution en milieu hostile [11,12], etc. Des périodes d’immersion au
sein des services d’urgence, de réanimation, de
traitement des brûlés et au bloc opératoire sont
réalisées. Deux stages majeurs permettent de valider l’acquisition de ces savoir-faire et savoir-être
en situation d’exercice dégradé :
• la formation de mise en condition de survie de
blessé de guerre (MCSBG) apporte les compétences théoriques et techniques indispensables
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[1] Service de santé des
armées. École du Val-de-Grâce :
Enseignement du Sauvetage au
Combat. Référentiel de formation
n°0309/EVDG/DPMO; 2012.
[2] De Saint-Maurice G. La prise
en charge des blessés de guerre
aujourd’hui. Rev Infirm. 2012;
186:16-8.
[3] Le métier d’infirmier militaire.
http://www.eppa.sante.defense.
gouv.fr/ecole/index.htm
[4] Guérot F, Saliou H, Lefort H, De
Rudnicki S. L’infirmier militaire, de
l’hôpital à l’opération extérieure.
Soins. 2014;788:29-30.
[5] Czerniak E, Causse Le Dorze
P, Hersan O, Pohl JB, Angot E.
L’évacuation médicalisée par voie
aérienne. Soins. 2014;788:19-21.
[6] Beaume S, Andries L. La chaîne
de santé au secours du blessé
en Afghanistan. Rev Infirm. 2012;
186:19-21.
[7] Daban JL, Falzone E, Boutonnet
M, Peigne V, Lenoir B. Blessés au
combat, dix minutes en platine, une
heure en or. Soins. 2014;788:14-5
[8] Planchet M, Delbart C, Thomas
A, Chenais L, Cazes N, Puidupin A.
Prise en charge d’un afflux saturant
de blessés de guerre français
en Afghanistan. Méd Armées.
2013;41:175-82.
[9] Le Bec M, Serre V, Rondier P,
De Montleau F. Cadre de santé à
l’hôpital militaire de Kaboul. Soins.
2014;788:31-3.
27
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Soins en situation d’exception
ENCADRÉ 2
L’airsoft, un serious game dans le sauvetage au combat de niveau 2
z
L’airsoft est, à l’origine, un jeu entre équipes se défiant
en utilisant des répliques d’armes à feu propulsant des billes de
plastique à l’aide d’un moyen électrique ou gazeux. De nombreuses
unités d’intervention opérationnelles, civiles ou militaires, utilisent cet
outil pour s’aguerrir en situation tactique, à l’instar du sauvetage au
combat de niveau 2 (SC2), qui s’inscrit dans la logique globale de la
prise en charge à l’avant d’un blessé de guerre.
z La méthodologie et les techniques permettant d’assurer
la mise en condition de survie de ce dernier ont pu être
ainsi transmises aux élèves infirmiers de l’École du personnel
RÉFÉRENCES
[10] Von Tersch R, Birch H, Gupta R,
Tyner CF. Examining technologies
to control hemorrhage by using
modeling and simulation to
simulate casualties and treatment.
Mil Med. 2009;174:109-18.
[11] McGraw LK, Out D,
Hammermeister JJ, Ohlson CJ,
Pickering MA, Granger DA. Nature,
correlates, and consequences of
stress-related biological reactivity
and regulation in Army nurses
during combat casualty simulation.
Psychoneuroendocrinology.
2013;38:135-44.
[12] De Montleau F, Panagas S,
Catleau M, Granier C, Daudin M.
Les états de stress aigu du militaire
en situation opérationnelle. Soins.
2014;788:22-5.
paramédical des armées (EPPA) via un enseignement mêlant théorie,
démonstration et simulation. Durant trois jours, l’airsoft a été utilisé
comme outil de réalité augmentée, à la fois ludique et pédagogique,
pour recréer un environnement tactique permettant la mise en
œuvre des connaissances acquises dans le domaine du sauvetage
au combat par des scénarii évolutifs. Encadrés par des formateurs
référents dans le domaine, les futurs infirmiers ont pu s’essayer à
cette pratique exceptionnelle. À l’issue du débriefing, tous ont pris
conscience de la difficulté de réaliser le bon geste au bon moment.
à la prise en charge d’un blessé de guerre à
l’avant, basées sur le référentiel pédagogique
d’enseignement du sauvetage au combat ;
• le stage de médicalisation en milieux hostiles
(MedicHos) établit la synthèse de ce parcours de
formation au sein de l’unité militaire que le soignant sera amené à soutenir. Les équipements,
sacs, armes, protections balistiques, radios sont
portés par tous, renforçant le réalisme de situations déclenchées inopinément jour et nuit afin
de réaliser le bon geste au bon moment, gérer les
moyens présents ou demander ceux nécessaires,
anticiper les évacuations, s’adapter aux impératifs
tactiques et aux conditions du terrain ou encore
à la fatigue [11]. Comme sur le théâtre d’opération, l’infirmier peut se trouver isolé avec une
section de combat et doit, en cas de blessés multiples, prendre des décisions : négocier, prioriser,
organiser, déléguer, évacuer, transmettre. Ce stage
permet aux équipes de se découvrir et, par ces
simulations, d’anticiper leurs réactions face à l’imprévu, augmentant leur efficience. Les cours, les
ateliers techniques et les simulations permettent
d’immerger le soignant dans des situations hyperréalistes. Fondamental, le débriefing à l’issue de
chaque exercice parfait l’apprentissage et asseoit
la notion d’expérience : prise de conscience,
Les points à retenir
Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent
ne pas avoir de conflits
d’intérêts en relation avec
cet article.
• La complexité de la prise en charge d’un
blessé de guerre en milieu contraint nécessite
un apprentissage en aval.
• L’infirmier militaire doit appréhender
des contraintes tactiques, opérationnelles et
des techniques de soins spécifiques.
• Le Centre d’enseignement par simulation à
la médecine opérationnelle (CeSimMO) permet
d’acquérir ces compétences en immersion.
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échange et ajustements qui dynamisent la progression d’apprentissage. Infirmiers ou médecins
apprennent ainsi à contrôler leurs réactions en
situation de stress intense et exceptionnel en
dehors des prises en charge de blessés de guerre.
z Depuis sa mise en place, ce cycle de formation
a permis la survie et la sauvegarde fonctionnelle
d’un grand nombre de nos blessés de guerre.
CONCLUSION
L’évolution contextuelle des dernières opérations
extérieures est à l’origine de cette refonte de la
formation initiale et continue des équipes médicales militaires (médecins et infirmiers). Celle-ci
est réalisée au sein des centres d’instruction des
techniques de réanimation de l’avant (Citera)
plus récemment regroupés au sein du CeSimMO.
S’appuyant sur des savoir-faire théoriques et pratiques bien codifiés selon un acronyme de prise
en charge du blessé de guerre (SAFE MARCHE
RYAN – encadré 1), ce parcours d’enseignement
utilise des outils modernes (e-learning, task-trainer, crisis resource management, mannequins d’apprentissage, patients simulés, etc.) renforçant le
réalisme des prises en charge. L’appréhension
tactique du terrain n’est pas oubliée grâce à l’utilisation de “serious games” (encadré 2) pour une
immersion dans une réalité contextuelle quasitotale. Au même titre que l’apprentissage initial
“Jamais la première fois sur le patient”, le SSA a
développé un apprentissage par immersion dans
des centres spécialisés avec des formateurs dédiés,
garantie d’un développement professionnel
continu (DPC) valide à même d’améliorer significativement la survie de blessés de guerre autrefois condamnés. n
SOiNS - no 788 - septembre 2014