Territoires, incubateurs de santé ? Les Cahiers de l’IAU îdF n° 170-171 - septembre 2014 Des réponses institutionnelles Pour un Grand Paris favorable à la santé Benjamin Géminel / Plaine Commune Luc Ginot Nicolas Notin Claude Évin(1) ARS Île-de-France Construire des territoires en santé Le Grand Paris invite à réinterroger les enjeux de santé publique. ujourd’hui, les projets de développement de la métropole, regroupés sous le vocable « Grand Paris », augurent de modifications démographiques, urbaines, mais également, en termes d’emplois et de mobilité des Franciliens, pour les décennies à venir. Ce constat appelle des actions coordonnées dans le champ de la santé. Elles exigent une vigilance nécessaire des acteurs du Grand Paris pour ne pas aggraver les logiques de répartition inégalitaire et la mobilisation d’une expertise et d’outils par l’Agence régionale de santé (ARS), ceci au service d’une construction métropolitaine qui s’inscrit dans la continuité de la stratégie régionale d’équité en santé. A Des interfaces multiformes Les interfaces entre la politique régionale en santé et le projet du Grand Paris se situent dans des registres variés : conceptuel, stratégique, réglementaire, opérationnel. Elles se jouent autour d’outils et dans des temporalités contrastées. Certains leviers d’action de l’ARS sont définis dans leurs formes, leurs contraintes (la programmation des équipements, la contractualisation avec les acteurs du système de soins ou de prévention, les avis sanitaires). D’autres se fondent sur des modèles issus des progrès de la connaissance en santé publique, et plus expérimentaux (l’évaluation des impacts sur la santé). Certains, enfin, sont en genèse dans les futurs textes réglementaires (le service territorial de santé au public). L’élaboration du Grand Paris recouvre, pour sa part, des 116 Aborder le Grand Paris en Santé publique semble une évidence. On le sait, la santé des Franciliens est globalement bonne mais, socialement et territorialement très inégalitaire. Ces inégalités sont dues d’abord à des déterminants sociaux et environnementaux, et à une dynamique urbaine les reflétant, voire les amplifiant. Le système de santé lui-même est réparti de façon inéquitable, venant le plus souvent redoubler ces écarts. logiques économiques, sociales, politiques et institutionnelles qui ne sont pas toutes stabilisées. Le projet stratégique Grand Paris de l’ARS Île-de-France Le projet stratégique Grand Paris de l’ARS Îlede-France se veut donc à la fois pragmatique et porteur de transformations: on l’illustrera en sept questions, comme autant de nœuds à démêler. L’approche environnementale : réglementaire et au-delà ? L’ARS contribue, par des avis sanitaires formalisés, à analyser les déterminants environnementaux ayant un impact sur la santé, pour chacun des projets majeurs du Grand Paris (gares, lignes de transports en commun, Contrat de développement territorial…). L’examen de leurs incidences sur la qualité de l’air, les nuisances sonores, etc., et les ajustements de projets afférents visent à réduire les inégalités de santé. Au-delà de ce cadre, comment la prospective en santé environnementale peut-elle, à partir de ces travaux, et en les croisant avec les approches populationnelles de grandes études environnementales, se doter d’outils, toujours plus adaptés aux enjeux émergents des inégalités environnementales en santé, particulièrement prégnantes en petite couronne ? (1) Claude Évin est directeur général de l’ARS Île-de-France, Luc Ginot est adjoint au directeur de la Santé publique, Nicolas Notin est chef de projet Grand Paris. Comment le système de soins tiendra-t-il compte de l’évolution métropolitaine ? L’histoire des « villes nouvelles » prouve que la réponse n’est pas implicite. En outre, plusieurs contraintes fortes pèsent telles que la contrainte financière, l’exigence croissante de sécurité, la démographie professionnelle insuffisante et la montée des pathologies chroniques. Enfin, soulignons que le système de soins, est en grande partie libéral, imposant une régulation de conviction et de négociation. Les encadrés proposent une liste, non exhaustive, de questions auxquelles il faudra répondre. Ces questions se structurent, finalement, en trois grands pôles : accompagner la densification urbaine en termes de services de santé ; tirer parti du développement des transports pour améliorer l’accès aux équipements ; utiliser la mobilisation foncière pour répondre aux besoins sanitaires de tous les segments de la population. Dans une région où la question de l’accessibilité financière des soins – y compris de premiers recours – est posée de façon croissante, les réponses apportées seront d’abord jaugées à l’aune de l’équité. Le Grand Paris peut-il se construire en réduisant les écarts de santé existants, et ce d’une façon concrète ? Grâce aux données anglo-saxonnes, mais aussi à des cohortes franciliennes telles que SIRS(2) ou RECORD(3) , on entrevoit des approches plus pragmatiques, prenant en compte les logiques inégalitaires : la réduction du surpoids chez les catégories défavorisées par une approche adaptée de la mobilité active dès la planification des réseaux ; l’implantation, dans les quartiers défavorisés, d’espaces publics compatibles avec le sentiment de sécurité, donc favorables à la santé mentale. Mais d’autres leviers, articulant point de vue technique et choix politiques, interpellent de façon plus explicite le développement métropolitain : la construction volontariste de logements accessibles à des familles pauvres et de grande taille conditionne l’éradication du saturnisme infantile ou de la tuberculose qui caractérisent la région. La politique métropolitaine de l’hébergement, et sa capacité à stabiliser les familles, pourraient être un levier essentiel pour réduire la morbidité infantile, notamment dans la partie nord. L’exposition au bruit des infrastructures doit cesser de se stratifier socialement. Tout ceci implique de traduire les principes généraux en démarches opérationnelles dont plusieurs outils sont présentés ci-contre. Quelle est la bonne échelle pour agir ? Il n’existe pas de réponse unique. Des Contrats de développement territorial (CDT) ont prouvé qu’ils permettaient d’aborder les trois enjeux de santé cités ci-dessus. L’encadré en donne deux exemples plus aboutis. Il est souhaitable que la mise en place de la métropole aide (sur le plan technique, mais aussi en donnant de la légitimité politique) à l’émergence de démarches de promotion de la santé par des actions locales : l’articulation entre les CDT, les Contrats locaux de Santé (CLS), par exemple, est à bâtir. Mais une bonne part des inégalités en santé est liée à des logiques structurelles (ségrégation urbaine, dysfonctionnement de certains transports publics, expositions environnementales, etc…). Réduire ces inégalités implique donc de conforter l’intervention aux niveaux local et intermédiaire, par une intervention à l’échelle métropolitaine, celle des grandes politiques urbaines. Système de santé et Grand Paris : quelques interrogations concrètes… - Quelle accessibilité physique entre les futures gares et les établissements de santé (hôpitaux) ou médico-sociaux ? - Quelles coopérations inter-hospitalières à la lumière des nouveaux transports ? - Où positionner le futur hôpital Nord en tenant compte des évolutions urbaines ? - Comment accompagner la densification démographique par un maillage de soins de proximité, sans accentuer les déséquilibres et sans pénaliser les zones actuellement déficitaires ? - Comment densifier l’offre médico-sociale (personnes handicapées, personnes âgées) dans le centre de la région, en réservant une partie du foncier mobilisé dans les quartiers des gares ? (2) Programme de recherche pluridisciplinaire « Santé, inégalités et Ruptures sociales ». (3) Voir Basile Chaix, « Quartiers, mobilité et santé, l’Étude RECORD » dans ce numéro des Cahiers, p. 90. Passer au concret : l’inscription de la santé dans les réflexions sur les futurs quartiers de gare du Grand Paris Les quartiers de gares se trouvent en première ligne des mutations urbaines et socio-économiques que connaîtront prochainement les territoires franciliens suite à l’arrivée du réseau de Transports du Grand Paris Express(4). En témoigne la récente création d’un observatoire des quartiers de gares du Grand Paris par la DRIEA, l’APUR et la SGP, destiné à améliorer la compréhension, le suivi dans le temps et à construire les conditions nécessaires pour une juste insertion des gares dans leurs environnements tout en répondant à l’ensemble des besoins des populations. La mise en place d’un cadre de réflexion sur le devenir de ces quartiers induit une collaboration accrue entre l’ARS et la SGP, pour penser l’aménagement à l’aune des enjeux de santé publique et d’un accès du plus grand nombre à l’offre de soins. La santé, dans les quartiers de gares, nous renvoie ainsi à des questions d’aménagement, de densité médicale, de couverture de besoins spécifiques, en lien avec un décloisonnement des pratiques et un partage d’expériences entre les faiseurs de villes et les professionnels de santé, et cela sur trois dimensions. Le traitement des espaces publics, en établissant des cheminements pacifiés, une sécurisation et une lisibilité entre les nœuds de transport et le système de soins hospitalier implanté à proximité, conditionne l’accessibilité concrète des établissements de santé. Il s’agit, à la fois, d’assurer l’accès d’un point à un autre, et de penser les liaisons et espaces publics comme les garants d’un parcours, adapté aussi bien aux habitants qu’aux publics sensibles fréquentant les établissements de santé. Mais ce traitement des espaces publics et des liaisons (les « derniers mètres ») influe aussi sur la promotion des mobilités actives, donc sur la réduction des pathologies chroniques pour l’ensemble de la population avoisinante. Puis, la prise en compte des enjeux fonciers dans des quartiers qui abriteront bientôt – si l’on prend en compte un périmètre de 800 mètres autour des gares – une bonne part des projets de densification urbaine et de construction de logements et d’activités impulsés par le Grand Paris. À ce titre, ils doivent faire face à des prix du foncier de plus en plus difficiles à maîtriser. De son côté, l’ARS souhaite renforcer l’offre médico-sociale dans la zone dense de la métropole, et se heurte déjà, à cette question des coûts induits par le foncier. Comment donc allier stratégie de densification et création d’opportunités foncières pour le secteur médico-social et ses usagers, particulièrement fragiles ? L’exercice est compliqué, mais indispensable. Enfin, la question de l’adaptation nécessaire de l’offre ambulatoire (médecine de ville) en santé pour répondre à la nouvelle démographie du Grand Paris impose une convergence de l’ARS, de la SGP et de l’Observatoire pour construire les conditions facilitant l’installation des professionnels de santé sur des territoires en quête d’attractivité, sans faciliter la désertification des zones autres, en particulier des zones défavorisées déjà déficitaires. Cette juste prise en compte des enjeux d’offre en santé passera, indubitablement, par un volontarisme des élus locaux, mais aussi des grands propriétaires fonciers publics afin de dédier des terrains pour des services non marchands à des tarifs soutenables et d’offrir une réponse adaptée aux besoins des populations. Nicolas Notin, chef de projet Grand Paris, ARS Île-de-France (4) Voir Muriel Dubreuil, Anne Laporte, « EIS Transports à Plaine Commune » dans ce numéro des Cahiers, p 184. 117 Territoires, incubateurs de santé ? Les Cahiers de l’IAU îdF n° 170-171 - septembre 2014 Le Grand Paris, un projet pour déployer des outils innovants en Santé publique L’Évaluation des impacts sur la Santé (EIS) : ensemble de méthodologies, procédures et outils par lesquels les effets d’une politique, programme ou projet développé en dehors du secteur sanitaire peuvent être anticipés quant à leurs effets potentiels, négatifs ou positifs sur la santé d’une population (INPES) L’Évaluation d’impact environnemental : démarche visant à intégrer l’environnement dans l’élaboration d’un projet, d’un document de planification ou d’un plan ou programme et ce, dès les phases amont de réflexions (MEED) Le plaidoyer : ensemble des actions mises en œuvre pour influencer une décision politique en faveur d’une cause […], a sensibilisation, la transmission d’informations incluant les données probantes sur l’impact potentiel de l’action et la mobilisation des acteurs sont les principaux modes d’action du plaidoyer (INPES) La santé dans deux CDT… Le CDT du Territoire de la Culture et de la Création - Plaine commune (CAPC) Réinscrire la lutte contre les inégalités de santé comme enjeu du développement du territoire : telle est l’ambition portée par ce CDT. Dans la continuité des actions menées à l’échelle locale via des Contrats locaux de santé (CLS), l’enjeu de santé est réaffirmé à une échelle plus vaste, en s’appuyant sur un renforcement de l’offre pour un accès de tous aux soins et à la prévention, et une incursion des questions de santé dans les projets d’aménagement du territoire. La participation de la population aux actions fait écho aux logiques d’empowerment en santé. L’évaluation d’impact sur la santé (EIS) menée sur trois projets structurants de transports en commun du territoire, invite les décideurs publics à repenser les politiques publiques non sanitaires et appréhender la santé dans une acception plus large, en lien avec l’environnement et la préservation de la qualité de vie. Le CDT « Campus Sciences et Santé » ? Vallée Scientifique de la Bièvre La Vallée scientifique de la Bièvre s’est positionnée, ces dernières années, comme un territoire pilote sur les réflexions territoriales de santé. Premier CDT validé par les instances du Grand Paris, il aborde aussi bien le développement économique, autour de l’avènement d’un biocluster et d’un pôle de recherche et d’innovation d’envergure internationale, qu’une meilleure approche de la performance de l’offre de soins. Le contrat préconise la création d’un « Conseil territorial et citoyen de santé » afin d’impliquer les usagers dans la réflexion sur l’offre de santé, l’accès aux soins et évaluer, de façon cohérente, les besoins effectifs de la population. Cette prise en compte des questions de santé reflète la volonté de les inscrire comme pierre angulaire du développement territorial. 118 Construire des territoires en santé Des réponses institutionnelles Quelle adéquation des territoires et des périmètres d’intervention ? Tant pour des questions de coût que de qualité des prises en charge, le système de santé (et notamment le service territorial de santé prévu par la loi à venir) a vocation à se structurer dans une logique de parcours cohérents et accessibles à chacun. Ces parcours fondent, progressivement, la définition des territoires de santé, d’une proximité plus ou moins grande. Cette définition doit tenir compte des logiques fonctionnelles, et des besoins des patients. La construction des territoires administratifs de la métropole doit-elle, ou non, interroger la stratégie de territorialisation en santé ? En quoi les deux logiques peuvent-elles s’éclairer ? Comment la lisibilité publique des périmètres retenus de part et d’autre contribuera, à la fois, à la démocratie sanitaire et à la qualité des prises en charge ? Le débat reste ouvert. Il sera aussi impacté par les choix liés au devenir des départements, gestionnaires de la Protection maternelle et infantile (PMI), dont on connaît le rôle décisif en Île-de-France, et du médico-social. favorable » ? De même, est-il possible que le vaste débat public qui s’engage autour de la construction du Grand Paris permette l’appropriation par les différentes catégories sociales – au-delà des seuls représentants d’usagers – de ce que l’aménagement urbain peut apporter à la santé publique ? Ces questions imposent à l’Agence un effort majeur de pédagogie et d’élargissement de ses partenariats. Quel rôle pour la recherche et la production de connaissances ? Les points précédents renvoient enfin à la nécessité d’une intégration dans les politiques publiques des avancées de la connaissance. En santé publique, et notamment en santé urbaine, la recherche a connu des résultats importants. S’appuyer sur ces avancées, dont une bonne part a été produite en Île-de-France, pour construire un Grand Paris qui réponde aux enjeux cités, est à la fois une exigence éthique pour les professionnels de Santé publique, et la condition d’une crédibilité opérationnelle dans le processus. Le Grand Paris peut-il être l’objet d’un travail d’alliances et d’empowerment dans le champ de la santé ? En d’autres termes, comment faire pour que les acteurs non institutionnels du Grand Paris pèsent pour que la métropolisation soit « santé Cartographie de l’offre de soins, quartiers de gare
© Copyright 2025 ExpyDoc