acteurs du changement N AGIR – INVENTER – VIVRE MIEUX édito ous sommes informés en temps réel de tous les problèmes mondiaux, et ce déferlement d’informations est souvent anxiogène. Pire encore, il anesthésie. Pourtant, loin du bruit et de la fureur du monde, de plus en plus d’hommes et de femmes d’entreprises, d’universités, d’organisations multiplient les initiatives, les projets, les inventions, dans le seul but d’améliorer la marche du monde. L’entrepreneuriat solidaire et, plus largement, l’innovation sociale ont le vent en poupe. Si les médias ont le devoir de nous alerter, « porter la plume dans la plaie » – selon l’expression du grand journaliste Albert Londres (1884-1932) – ne suffit plus. Les journalistes ont la volonté de relayer plus souvent les réponses apportées aux problèmes. Ainsi, ils médiatisent toutes ces initiatives, inspirent et génèrent plus d’« impact ». Aujourd’hui, pour la seconde édition de l’Impact Journalism Day, une quarantaine de journaux internationaux, dont Le Monde, ont répondu à cet appel et publient un supplément consacré aux initiatives concrètes et positives. Le site Sparknews, qui s’est donné pour mission de rassembler toute l’information disponible sur les innovations qui font avancer la planète, a mutualisé les articles en provenance de chaque média participant pour que tous puissent choisir parmi plus de cent histoires. Le 24 septembre, les rédacteurs en chef de ces journaux se réuniront à Paris pour réfléchir aux moyens d’aller encore plus loin ensemble. L’an dernier, lors du premier Impact Journalism Day, une lectrice a fait lire à son mari un article sur des lunettes ajustables, un produit à 4 dollars (3 euros) s’adaptant à toutes les vues grâce à un système de double verre. Or, son mari était l’un des responsables d’une entreprise mondiale de verres de lunettes. Il a rencontré les inventeurs, et ils ont commencé à tester un projet pilote en Inde qui pourrait concerner des dizaines de millions de personnes démunies. Aujourd’hui, vous êtes 100 millions de lecteurs à découvrir les histoires inspirantes de l’Impact Journalism Day. Imaginez si chacun de vous les partageait autour de lui ? Choisissez-en une et racontez-la à vos enfants, à vos collègues, à vos amis. Partagez-la sur les réseaux sociaux. Devenez, vous aussi, des passeurs d’espoir en inspirant les autres. p christian de boisredon (fondateur de sparknews) et vincent giret (« le monde ») Rejoignez-nous sur Sparknews.com Contribuez à la prochaine édition de l’Impact Journalism Day en nous suggérant des projets. [email protected] BORIS SEMENIAKO En partenariat avec Cahier du « Monde » No 21673 daté Mardi 23 septembre 2014 - Ne peut être vendu séparément 2 | acteurs du changement 0123 MARDI 23 SEPTEMBRE 2014 Agir L’océan, nettoyé à la volonté e n v i r o n n e m e n t | Depuis trois ans, Boyan Slat, 19 ans, mobilise des centaines d’experts autour d’une idée fixe : utiliser le courant naturel pour débarrasser les mers des déchets plastique E n 2011, à 16 ans, Boyan Slat, en vacances en Grèce avec sa famille, a découvert que des quantités alarmantes de plastique flottaient dans la mer Egée. Il a pensé – comme beaucoup d’autres – qu’il fallait agir. Sauf que lui a réellement cherché une solution. Dès son retour à Delft, tout près de La Haye, le jeune Néerlandais mène une expérience avec un camarade de lycée pour mesurer la pollution plastique de la mer du Nord. Les résultats ne sont pas concluants – leur outil de mesure est endommagé par les courants –, mais les deux étudiants sont mentionnés dans un quotidien local. C’est ainsi qu’un organisateur de conférences « TEDx » – un mouvement international axé sur l’échange de solutions innovantes – repère Boyan Slat et lui demande de présenter ses résultats. Le jeune homme en profite pour étoffer son idée : au lieu de s’employer à repêcher le plastique avec des filets, pourquoi ne pas imaginer un système de nettoyage passif qui utiliserait le mouvement naturel des courants et le vent pour piéger les déchets contre une barrière ? Son exposé et son jeune âge attirent l’attention des médias. Une centaine de spécialistes – des ingénieurs offshore, des experts du droit maritime, des écologistes, des biologistes des milieux marins – se rassemblent autour de lui, la plupart à titre bénévole, tandis qu’il crée The Ocean Cleanup, un organisme à but non lucratif qui emploie une dizaine de personnes à La plus grande plaque de déchets, dans le Pacifique, fait la taille du Texas plein temps pour coordonner le projet. Leur solution : une barrière flottante en forme de V qui descend à 3 mètres sous la surface de l’eau. Tout en épargnant la faune, elle piège le plastique qui y dérive et le conduit vers une plate-forme d’extraction qui fonctionne à l’énergie solaire. L’objectif est d’installer ce dispositif de 100 km de long entre la Californie et Hawaï, près de la « grande plaque de déchets du Pacifique », d’ici à 2020. Le budget nécessaire est estimé à 300 millions de dollars (soit 232 millions d’euros, un coût 33 fois inférieur à l’utilisation de navires équipés de filets, selon Boyan Slat). Si le buzz médiatique a joué un rôle dans l’aventure, Boyan Slat a fait montre d’une détermination hors du commun – en 2013, il a envoyé 13 000 courriels à des experts de tout poil. « Lorsqu’un jeune homme de 17 ans vous contacte pour vous décrire son projet, c’est plutôt déconcertant, car un grand nombre de personnes se sont déjà attaquées au problème. Mais il était réellement prêt à explorer de nouveaux domaines », commente Santiago Vue d’artiste du dispositif imaginé par Boyan Slat : une barrière en V de 100 km de long. ERWIN ZWART/THE OCEAN CLEANUP Garcia Espallargas, professeur à la faculté d’aérospatiale de l’université de Delft. Selon Greenpeace, 10 millions de tonnes de plastique, provenant à 80 % des terres, finissent chaque année dans les océans. Avec les courants, ces déchets se concentrent en de grandes plaques, très loin des littoraux. La plus importante, de la taille du Texas, se trouve dans le Pacifique. Le plastique représente d’abord une menace pour les animaux qui l’avalent ou se coincent dedans, puis, lorsqu’il se décompose en substances toxiques qui entrent dans la chaîne alimentaire. Le projet de Boyan Slat a engendré des réactions sceptiques. L’une des principa- Le don trouve son « business model » économie D | Redistribuer les invendus des entreprises profite à tous emander-donner-recevoirrendre, cette mécanique du don/contre-don a été révélée comme la clé de l’efficacité en entreprise par le sociologue français Norbert Alter. En lançant, il y a cinq ans, l’Agence du don en nature (ADN), Jacques-Etienne de T’Serclaes et Stéphanie Goujon ont élargi cette théorie au fonctionnement du marché en inventant un « business model » spécifique. Leur entreprise surfe depuis de succès en succès : les premières années, la valeur marchande des dons recueillis était de 1 à 3 millions d’euros par an. Elle est désormais de 18 millions d’euros par an ! Comment ça marche ? ADN collecte auprès des entreprises des produits invendus voués à la destruction pour toutes sortes de raisons : des fins de stocks, des emballages abîmés, etc. « Les fabricants et les commerçants détruisent chaque année 600 millions d’euros de produits neufs non alimentaires », indique l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie. Les entreprises donatrices ont d’abord été les structures d’envergure internationale, comme le géant améri- cain Procter & Gamble et L’Oréal, puis d’autres ont suivi : Seb, la marque d’électroménager, ou encore, parmi les derniers arrivés, Leroy Merlin et Celio, l’entreprise de prêt-à-porter masculin. ADN compte aujourd’hui une centaine d’entreprises partenaires. 600 000 bénéficiaires C’est une relation gagnant-gagnant : en donnant leurs produits, les entreprises reçoivent à leur tour. Elles bénéficient d’un crédit d’impôt. Elles optimisent doublement leurs pertes, puisqu’elles recyclent des produits voués à la destruction. Elles en contrôlent la destination et évitent, du même coup, que les invendus finissent sur des marchés parallèles. Enfin, ce « don » se retrouve à la fois dans leur bilan « responsabilité sociale et environnementale » et dans leur image auprès de l’opinion publique. Grâce à ces fournisseurs fidèles et de plus en plus nombreux, l’Agence du don en nature distribue chaque année des produits d’usage courant (produits d’entretien, d’hygiène, de bien-être, matériel scolaire, bricolage, vêtements, etc.) à 600 000 personnes. « 8,7 millions de Français vivent sous le seuil de pauvreté », souligne Stéphanie Goujon. Il va sans dire qu’ils n’ont pas seulement besoin de manger. La demande provient d’étudiants, de familles démunies, soit de tous les clients des épiceries sociales – Emmaüs, l’Armée du salut, le Secours populaire, etc. Ces associations achètent les produits 5 % du prix de vente moyen pratiqué dans la grande distribution, ce qui permet à ADN de financer 7 salariés dans ses bureaux situés dans le Loiret. Ils sont ensuite revendus aux particuliers à des prix bien inférieurs à ceux pratiqués dans le circuit classique. « En moyenne, dans les épiceries solidaires, les prix varient entre 10 % et 30 % du prix du marché, mais ADN suggère un prix de vente plafond de 20 % », explique la direction de l’Association nationale de développement des épiceries solidaires. L’Agence du don en nature regrette que les biens ne puissent pas être gratuits, mais de nombreuses entreprises sociales considèrent que le fait de payer un produit permet de marquer la différence entre la solidarité et l’assistance. « Question de dignité », affirment-ils. p anne rodier (« le monde ») les critiques est l’incapacité de la barrière à attraper les plus petits fragments. Jan de Sonneville, ingénieur de The Ocean Cleanup, rétorque que le système permet d’intercepter le plastique avant qu’il ne se décompose. Au printemps, The Ocean Cleanup a publié une étude de faisabilité de 530 pages, qui décrit de façon extrêmement détaillée les défis et les solutions du projet – des implications juridiques d’un système ancré dans le Pacifique aux méthodes de recyclage du plastique récupéré. Grâce aux campagnes de financement participatif, la fondation a collecté 2 millions de dollars. Cet argent, associé à des dons en nature, comme l’utilisation gratuite d’équipements techniques ou des heures de travail d’ingénieurs spécialisés, permettra de financer l’étude pilote. p christopher f. schuetze (sparknews) PDG en couches-culottes | Au Honduras, des écoliers sont à la tête de microentreprises éducation A Tegucigalpa, la capitale du Honduras, un groupe d’entreprises un peu particulier prospère. Aux manettes : les 900 élèves de l’école primaire Cerro Grande II. Ils exploitent et dirigent cinq microsociétés éducatives – agriculture, conserverie, menuiserie, décoration et boulangerie. « Avec ce projet, nous souhaitons que nos élèves aient des bases d’entrepreneuriat », explique Melvin Dominguez, directeur adjoint de l’école. Point de départ de cette « industrie scolaire », les potagers éducatifs que les enfants cultivent pour compléter les repas pris à l’école. Créer une petite conserverie pour transformer les cornichons ou produire des confitures avec les fruits en surplus est apparu comme une suite logique. Autre marché sur lequel les apprentis chefs d’entreprise se sont positionnés : la décoration. Les élèves découpent les tissus, cousent des rideaux, des couvertures ou des tabliers estampillés « enfants du Honduras ». Les plus âgés s’investissent dans Demaderas, la marque d’outils et de meubles réalisés dans les ateliers de menuiserie de l’école. Le dernier projet en date des jeunes écoliers est une boulangerie toute équipée, financée grâce à un concours organisé par l’association des entreprises de Tegucigalpa. Les élèves de Cerro Grande II ont réalisé eux-mêmes l’étude de marché et ont décroché la première place. Tout est organisé afin que les apprentissages classiques des élèves ne soient pas affectés, assure Silvia Zavala, enseignante coordinatrice des microentreprises. Dans chaque classe, 10 à 12 enfants sont répartis dans les cinq microentreprises, en fonction de leur âge et de leurs capacités, à raison de trois heures par semaine. Au cours de leur cursus, les élèves exploreront forcément les cinq branches d’activité. « J’ai appris à faire du pain et des gâteaux, explique Carlos Alberto Murga, 12 ans, vice-président de la boulangerie. Ce sont des produits que je pourrai fabriquer et vendre dans mon village, afin de générer des revenus. » Murga, élève de sixième année, est convaincu que, si le gouvernement du Honduras reproduisait ce modèle dans toutes les écoles, « cela aiderait à lutter contre la pauvreté ». p eduardo dominguez (« el heraldo ») acteurs du changement | 3 0123 MARDI 23 SEPTEMBRE 2014 Les ripoux pris dans la Toile société | Depuis 2010, le site Ipaidabribe.com recueille les témoignages des victimes de corruption, véritable fléau en Inde. Et fait reculer ces pratiques La 3D au service des enfants t e c h n o | La réalité virtuelle aide de jeunes handicapés à mieux se concentrer D Depuis 2010, 28 000 Indiens ayant dû verser un pot-de-vin ont raconté leur histoire sur le site. IPAIDABRIBE.COM «J’ ai dû payer 100 roupies à un policier qui contrôlait mon passeport », « J’ai donné un bakchich pour obtenir un certificat de décès. La corruption n’épargne personne, même pas les morts », « Je me suis fait harceler jusqu’à ce que je paie la somme qu’on me demandait ». Les histoires de victimes de la corruption emplissent des pages et des pages du site indien Ipaidabribe.com. Selon l’ONG Transparency International, 54 % des Indiens disent avoir versé des pots-devin en 2010, année où le site a été créé. Il est l’œuvre de Swati et Ramesh Ramanathan, un couple d’Indiens qui ont renoncé à leur carrière aux Etats-Unis pour créer l’organisation à but non lucratif Janaagraha. Installé à Bangalore, la « Silicon Valley indienne », dans le sud du pays, Ipaidabribe.com est avant tout un site de témoignages. Il diffuse aux médias et aux autorités des informations transmises par les citoyens dans le but de sensibiliser le public au problème et d’améliorer le système administratif. Les déclarations sont déposées anonymement, et les noms des personnes impliquées ne sont pas publiés pour éviter toute forme de diffamation. « A mes yeux, la corruption quotidienne gangrène le système de valeurs de la société entière, explique Swati Ramanathan. On peut aller manifester sur une maidan [place publique] contre la corruption du gouvernement d’un Etat et, en rentrant chez soi, ne pas ciller quand un policier ou un fonctionnaire demande un bakchich. » Selon ses administrateurs, le site totalise plus de 4,5 millions de pages vues depuis son apparition et rassemble les témoignages de plus de 28 000 Indiens qui ont dû cra- Grâce au site, les agences gouvernementales tapent parfois sur les doigts des fonctionnaires cupides cher au bassinet. Au total, les sommes qu’ils disent avoir payées représentent quelque 35 millions de dollars (27 millions d’euros). Ipaidabribe.com donne également des conseils sur les manières d’échapper aux pots-de-vin et comprend une section où l’on peut faire part de ses expériences positives. Il invite les internautes à signaler les fonctionnaires honnêtes, pour encourager ce type de comportement. Les abonnés d’Ipaidabribe.com comprennent notamment les agences gouvernementales qui suivent les cas et, parfois, tapent sur les doigts des fonctionnaires cupides. Manik Taneja, ingénieur à Bangalore, raconte l’histoire d’un douanier qui l’avait intimidé : en 2012, en voyage aux Etats-Unis, il avait acheté un kayak. Selon ses calculs, la taxe d’importation ne devait pas excéder 150 dollars (115 euros). Or, à l’aéroport, le fonctionnaire a exigé près de trois fois cette somme et l’a menacé de saisir l’objet s’il n’obtenait pas satisfaction. Epuisé par vingt heures de vol, Manik Taneja a payé ce qu’on exigeait de lui. Le lendemain, il a vérifié les textes de loi et constaté que son calcul était juste. Piqué au vif, il a fait part de sa colère sur Ipaidabribe.com. Peu de temps après, il a reçu un appel du service des douanes qui lui a demandé de déposer une plainte. Et le fonctionnaire s’est fait suspendre. Joylita Saldanha, qui travaille pour le site, raconte que le commissaire aux transports de l’Etat de Karnataka, où se trouve Bangalore, a été embarrassé d’apprendre que son service détenait le nombre record de pots-de-vin. Il a donc collaboré avec l’équipe d’Ipaidabribe.com pour combler les failles du système. Ils se sont aperçus, par exemple, que l’examen du permis de conduire était très problématique : en effet, déterminer si une personne est apte ou non à conduire est une décision subjective. Et les fonctionnaires demandent souvent de l’argent pour augmenter la note du candidat. Pour résoudre le problème, le service des véhicules motorisés a mis en place des tests de conduite sur ordinateur. L’impact d’Ipaidabribe attire l’attention internationale. De multiples pays et ONG ont contacté l’association Janaagraha et lui ont demandé le code source de son site. Le Pakistan, la Grèce, la Hongrie et le Kenya font partie de la dizaine de pays qui utilisent aujourd’hui un système similaire. « On dit que la pleine lumière est le meilleur désinfectant, dit Swati Ramanathan. Plus les citoyens font part de leurs expériences sur cette plate-forme publique, moins les fonctionnaires osent réclamer des bakchichs, car ils savent qu’ils ont davantage de risques de se faire prendre. Je pense que nous pouvons éradiquer cette petite corruption du quotidien d’ici vingt ans. Et nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour y parvenir. » p abhilash krishna et shradha lyer (sparknews) ans ce centre éducatif pour jeunes handicapés de Gliwice, dans le sud de la Pologne, chaque élève a une difficulté qui lui est propre. Marcin, par exemple, est incapable de tenir un morceau de craie dans sa main. Ses instituteurs étalent de la farine sur la table pour qu’il puisse écrire avec ses doigts. Tous ont besoin de matériel et de stimulations spécifiques. Mais ils ont quelque chose en commun : ils détestent faire des exercices. « Ces enfants sont rarement satisfaits d’avoir terminé une tâche. Lorsqu’ils manquent de motivation, ils refusent de travailler, et leur développement prend du retard », explique Matylda Niesobska, de l’association Lubie Cie (« Je t’aime beaucoup »), qui gère le centre. En 2013, l’Ecole polytechnique de Silésie a contacté l’association pour lui faire une proposition. A l’université de biomécatronique, ils disposaient d’une grotte en 3D, un cube de la taille d’une pièce sur les parois duquel des images sont projetées pour créer un monde virtuel. D’ordinaire, cet équipement est réservé aux élèves ingénieurs. Mais un des professeurs a pensé que l’installation pourrait être utile à la rééducation d’enfants souffrant de handicaps mentaux. Et c’est ainsi que les chercheurs ont passé une journée entière à jouer aux cubes avec les enfants, afin d’évaluer leurs capacités. Quelques semaines plus tard, ils sont revenus pour tester la première version de leur application. Au lieu de tracer des lignes sur du papier, il fallait amener une casserole virtuelle dans une cuisine, par exemple, ou encore exercer sa coordination en attrapant des pommes 3D, dans un monde chatoyant fait de fleurs, d’animaux, de La grotte en 3D, ou comment apprendre en s’amusant. LUBIĘ CIĘ petits détails et de curiosités. Cette première tentative a été désastreuse : les exercices étaient trop difficiles. Les centaines de détails colorés se sont révélés une distraction. Plusieurs niveaux de difficulté ont été créés, et le graphisme a été considérablement simplifié. Ces changements ont permis de nets progrès chez les enfants. Mais aussi chez les enseignants : « Garder son calme lorsqu’on travaille avec des enfants handicapés relève parfois du miracle, admet Malgorzata Kalarus-Sternal. L’ordinateur, lui, ne s’énerve jamais. » p katarzyna zachariasz (« gazeta wyborcza ») L’IMPACT JOurnALISM DAy (IJD) EST InITIé ET PILOTé PAr SPArknEwS. AuJOurD’huI 40 JOurnAuX LEADErS PubLIEnT un SuPPLéMEnT DéDIé AuX InnOvATIOnS SOCIALES ET AuX nOuvELLES POSITIvES. PArTAGEz une photo de vous avec votre journal sur les réseaux sociaux avec le #ImpactJournalism, @sparknews et les #@ lemondefr. Les meilleures photos seront récompensées. AIDEz les porteurs de projets présentés dans l’IJD à résoudre leurs idées sur sparknews.com/ijd/makesense DéPOSEz 2015 sur sparknews.com/ijd/submissions L’équipe SpArknewS remercie égALement PAR à l’avTeICIPEZ nture ! AXA, pArtenAire fondAteur de L’iJd En cohérence avec les initiatives de protection menées par le Groupe, AXA a choisi de s’associer à l’Impact Journalism Day 2014 qui valorise des solutions positives à travers le monde. Améliorer la protection, c’est d’abord mieux comprendre et prévenir les risques auxquels on est exposé. C’est pourquoi AXA soutient la recherche universitaire dans le monde, via le Fonds AXA pour la sa création en 2007, le Fonds AXA pour la recherche soutient plus de 400 équipes de chercheurs dans 30 pays, ce qui représente 200 millions d’euros pour l’étude des risques qui nous concernent tous. C’est aussi mieux connaitre les solutions existantes pour se protéger. La page AXA People Protectors rassemble 1,2 millions de fans dans 49 pays qui partagent des projets et des idées pour mieux protéger nos proches et notre environnement. Les articles de l’Impact Journalism Day seront mis en avant sur www.facebook.com/axapeopleprotectors. Les équipes des journaux partenaires pour leur engagement envers un journalisme d’impact ; TOTAL (partenaire de la thématique énergie) ; la Social Media Squad, MakeSense et Ashoka (qui a nommé le fondateur de Sparknews, fellow en 2014). nouS contActer : [email protected] 4 | acteurs du changement 0123 MARDI 23 SEPTEMBRE 2014 Inventer Un processeur au poêle | L’entreprise Qarnot Computing utilise la chaleur dégagée par les ordinateurs pour chauffer gratuitement des logements énergie A l’université Pierre-et-Marie-Curie, à Paris, Brice Hoffmann, se consacre à la recherche d’un traitement contre la mucoviscidose à l’aide de modélisations 3D et d’un logiciel d’amarrage moléculaire. Le processus exige une immense puissance de calcul, que l’université ne peut normalement pas s’offrir. Mais, grâce à une société française du nom de Qarnot Computing, le chercheur a accès à des capacités de traitement ultra-performantes et bon marché. Et, grâce à Brice Hoffmann et à d’autres personnes qui, comme lui, utilisent le système Qarnot, près de 100 habitants de logements sociaux au sud de la tour Eiffel chauffent gratuitement leur foyer. Le fondateur de Qarnot Computing, Paul Benoît, a imaginé le concept en 2003 alors qu’il travaillait comme développeur et calculateur de risques à la Société générale. Sur son temps libre, il bidouillait des ordinateurs. « J’en avais plusieurs dans ma chambre et ils faisaient beaucoup de bruit, raconte-t-il. C’était gênant, je devais les éteindre avant d’aller me coucher. Puis j’ai réalisé qu’en enlevant les ventilateurs il était possible de les rendre silencieux et d’avoir un très bon système de chauffage. » En 2010, il a fait de cette idée une société et a créé Qarnot Computing, en référence au physicien et ingénieur français Sadi Carnot (1796-1832). Les ordinateurs génèrent de la chaleur lorsque En supprimant les coûts de refroidissement, la société peut vendre des heures de calcul à un tarif imbattable l’électricité passe dans leurs circuits. Sur les plus petits processeurs, comme ceux des PC, un ventilateur interne refroidit les circuits imprimés. Mais les grosses sociétés du secteur numérique ou les labo- ratoires universitaires de recherche ont souvent recours au cloud computing : leurs besoins en calculs très performants sont délocalisés vers des data centers. La chaleur dégagée dans ces centres de traitement des données impose des mesures de refroidissement drastiques, qui, en France, représentent jusqu’à 80 % de leurs coûts de fonctionnement. Plutôt que de trouver un moyen de refroidir ces processeurs, Qarnot Computing les entrepose là où ils peuvent servir de radiateurs : dans des maisons et des bureaux. En 2013, Paul Benoît a commencé à installer des modèles baptisés « Q.Rad » dans des logements sociaux, fournissant ainsi un système de chauffage gratuit à des ménages à faibles revenus. Il y a aujourd’hui plus de 350 radiateurs de ce type dans des écoles, des habitations et des entreprises de la banlieue parisienne. Grâce à la suppression des coûts de refroidissement, la société affirme être en mesure de proposer des heures de calcul Jerry, l’ourson diabétique m é d e c i n e | Cette peluche interactive aide les enfants à mieux comprendre leur maladie C SPROUTEL omment faire comprendre à un enfant souffrant d’un diabète de type 1 – ou diabète insulinodépendant – qu’il ne pourra plus manger ce qu’il veut et qu’il subira plusieurs piqûres par jour tout au long de sa vie ? Le meilleur moyen pourrait bien s’appeler Jerry, une peluche souriante qui souffre de la même maladie. L’enfant peut le nourrir avec des disques représentant des aliments, vérifier sa glycémie en pinçant son doigt, et lui donner la bonne dose d’insuline. Sur sa poitrine, un écran interactif permet de voir comment il se sent, d’ajuster les doses et de prévoir ses en-cas et ses repas. Jerry est l’invention de deux entrepreneurs américains, Hannah Chung et Aaron Horowitz. « Sa raison d’être est d’aider les enfants à comprendre les actes médicaux qu’ils subissent », expliquent-ils. Après cinq ans et 29 versions, la peluche, qui coûte 299 dollars (230 euros), est maintenant entre les mains de 350 enfants. Ses inventeurs espèrent que tous les diabétiques de 3 à 7 ans diagnostiqués aux Etats-Unis pourront profiter de l’ourson d’ici à 2015 – ce qui représente 12 000 personnes et plus de 3 millions de dollars. Ils ont donc lancé une campagne de financement participatif. Les internautes peuvent faire don d’un ours, ou acheter 10 peluches pour soutenir une colonie de vacances pour enfants diabétiques. A terme, l’objectif est de venir en aide à tous les enfants malades dans le monde. Une idée ambitieuse, car la Fédération internationale du diabète estime que plus de 500 000 jeunes souffrent du diabète de type 1 et que la prévalence de cette maladie va augmenter de 3 % par an. p sarah baldwin-beneich (sparknews) Plus de 350 radiateurs Q.Rad équipent des écoles, des habitations et des entreprises de la banlieue parisienne. QARNOT COMPUTING pour un quart du tarif habituel en France. Un autre avantage mis en avant par Qarnot Computing est que ce procédé permet de réduire l’émission de gaz à effet de serre en éliminant la nécessité de ventiler les data centers et en remplaçant les radiateurs classiques. Les radiateurs contiennent des unités centrales reliées à Internet. Lorsque quelqu’un se connecte au réseau Qarnot pour utiliser de la puissance de calcul, cela génère de la chaleur. Théoriquement, une personne pourrait créer un film à Paris tout en chauffant simultanément le logement de quelqu’un d’autre à Lyon : la seule chose dont ces deux personnes ont besoin, c’est d’une connexion à Internet. Lorsqu’il n’y a pas assez de calculs en même temps, Qarnot peut céder gratuitement des cycles pour garantir le chauffage par les radiateurs. De la même manière, en été, les habitants des logements peuvent couper leurs Q.Rad, qui n’émettent alors pas plus de chaleur qu’un ordinateur portable classique. L’idée n’est pas complètement révolutionnaire : dès 2008, les processeurs d’IBM chauffaient une piscine suisse ; et en 2010, une serre parisienne maintenait sa température de la même façon. Mais les systèmes de chauffage Qarnot sont les plus radicaux dans leur approche, car ils divisent les processeurs et les répartissent. Pour le moment, ils sont limités à la région parisienne, mais le but de la société est de les distribuer dans le monde entier. Paul Benoît a constaté la très nette augmentation des besoins en puissance informatique, et il a le sentiment que les data centers ne sont pas des solutions à long terme. Il explique que la démocratisation des grandes performances de calcul profite aux plus petites entreprises, comme les sociétés de biotechnologie, qui ont besoin de beaucoup de puissance, sans pouvoir toujours se le permettre. Mais il doit encore convaincre les clients que son modèle est sûr et fiable. « C’est quelque chose de nouveau, analyse-t-il. Se lancer dans le cloud est déjà un défi pour les entreprises, et venir chez nous augmente encore ce challenge. » Certaines critiques portent sur la sécurité des données, qui pourrait être un point faible du système. Toutefois, un cryptage en empêche l’accès et elles sont morcelées sur plusieurs machines. Surtout, les Q.Rad ne sont pas des unités de stockage. Dans les bureaux de Qarnot, à Montrouge, au sud de Paris, les composants informatiques, les câbles et les rangées d’unités centrales remplissent bureaux et couloirs. Plusieurs stagiaires pianotent au milieu du méli-mélo d’équipements pendant que les écrans affichent l’état des processeurs installés dans toute la ville. Ces stagiaires sont aux premières loges pour savoir à quel point ces radiateurs inhabituels fonctionnent bien : le bureau entier n’est chauffé que par les Q.Rad. p bryan pirolli (sparknews) La pollution, c’est fantastique écologie A | Du plastique peut être produit à partir des gaz à effet de serre ppareils électroménagers, emballages alimentaires, tableaux de bord des voitures… le plastique est quasiment partout. Le problème est qu’il est le plus souvent fabriqué à partir de pétrole, une ressource épuisable ayant un impact très négatif sur l’environnement. Une entreprise californienne a mis au point une nouvelle technique de fabrication qui se passe complètement de pétrole. Ses principaux ingrédients sont précisément les gaz à effet de serre, qui sont captés pour être transformés en minuscules granules de plastique, auxquelles on peut donner presque n’importe quelle forme. En retenant les émissions qui partiraient sans cela dans l’atmosphère, le produit, baptisé AirCarbon, a même un impact carbone négatif. Ses deux inventeurs ont commencé à travailler sur cette idée en 2003, alors qu’ils étaient à l’université. Leur diplôme obtenu, ils ont pris des petits boulots pour pouvoir financer son développement industriel. Dix ans plus tard, ils ont enfin trouvé le moyen de fabriquer à un coût abordable du plastique à partir du carbone, et concurrencer ainsi les produits classiques issus du pétrole. Leur so- ciété, Newlight, a rassemblé près de 19 millions de dollars (14,5 millions d’euros) de capital. L’AirCarbon cible les gaz à effet de serre à base de méthane, qui piègent beaucoup plus de chaleur que le dioxyde de carbone. Newlight s’associe à des fermes laitières, à des sites de traitement des eaux usées et à des décharges pour capter leurs émissions, qui sont liquéfiées dans un réacteur breveté. Ensuite, un biocatalyseur isole le carbone et le transforme en polymères à chaîne longue, chimiquement semblables aux plastiques à base de pétrole. « L’avenir est là » « C’est un matériau tourné vers le marché. Il marche non pas parce qu’il est vert, mais parce qu’il affiche les mêmes performances que les autres plastiques et qu’il les surpasse considérablement en prix », assure Mark Herrema, cofondateur de Newlight. Il souhaite remplacer plus de la moitié du plastique mondial par de l’AirCarbon. Un objectif ambitieux, qu’il compte atteindre en s’associant à de grandes entreprises. Déjà, le groupe informatique Dell utilise l’AirCarbon pour les sacs destinés à emballer les ordinateurs portables de la série Latitude. L’opérateur de téléphonie mobile Sprint l’emploie pour les coques de ses téléphones portables et le fabricant de meubles KI l’a intégré dans deux de ses gammes de chaises. D’après Meg Sobkowicz-Kline, professeure en ingénierie des plastiques à l’université de Massachusetts Lowell, la fabrication de plastiques issus du carbone, comme AirCarbon, pourrait redéfinir le secteur : « Je pense vraiment que l’avenir est là, mais certaines étapes essentielles du processus chimique doivent être simplifiées et systématisées pour être meilleur marché. » Fort de son succès, Newlight va devoir fabriquer beaucoup plus de petits granules de plastique. Actuellement, son site de production n’est capable d’en fournir que quelques millions de kilos par an. Mark Herrema annonce un nouveau site dans les mois à venir, avec une capacité d’environ 20 millions de kilos annuels : « Les plastiques sont censés être les méchants de l’histoire, note-t-il. Mais s’ils étaient finalement l’outil que le monde attendait pour retenir le carbone rejeté dans l’air ? Et s’ils étaient la solution ? » p nate berg (sparknews) acteurs du changement | 5 0123 MARDI 23 SEPTEMBRE 2014 Boire un livre peut sauver la vie santé | A première vue, il s’agit d’un ouvrage pédagogique sur les risques liés à la consommation d’eau polluée. Chaque page est en réalité capable de rendre l’eau potable à peu de frais D ans le monde, 780 millions de personnes n’ont pas accès à de l’eau potable, et 3,4 millions en meurent chaque année, estime l’association caritative Water.org. Le manque d’informations des populations est une part importante du problème car, dans les pays en développement, bien des enfants et des adultes ignorent qu’en buvant de l’eau non filtrée ils risquent de contracter toutes sortes de pathologies, telles que le choléra, la dysenterie, l’hépatite A et la typhoïde. Iddrisu Abdul-Aziz Boare, directeur de l’association américaine Water is Life au Ghana, constate l’étendue de cette catastrophe humanitaire dans les districts de Tolon et de Kumbungu, dans la région nord du pays : « Dans pratiquement toutes les écoles de ces districts, huit enfants sur dix apportent de l’eau contaminée pour leur journée de classe. Cette consommation provoque des maladies et accroît l’absentéisme. » Jusqu’à présent, les techniques de filtration de l’eau étaient coûteuses et relativement compliquées à mettre en œuvre. Désormais, il y a le « livre buvable », fruit de la rencontre d’une chi- Ce filtre ne revient qu’à quelques centimes et reste efficace pendant trente jours miste et d’un graphiste. Tout a commencé en 2009, quand Theresa Dankovich, chercheuse à l’université McGill de Montréal, a créé un filtre à eau à partir d’un papier revêtu d’une couche de nanoparticules d’argent, oligoélément connu pour ses propriétés bactéricides, et a réussi à démontrer qu’il éliminait 99,9 % des microbes dans une « eau extrêmement polluée, comparable à des effluents domestiques ». Le liquide après traitement est aussi propre que celui du robinet des villes occidentales. Qui plus est, ce filtre ne revient qu’à quelques centimes et reste efficace pendant trente jours. Avec ses vingt-quatre pages, le livre permet ainsi de filtrer de l’eau pendant quatre ans. Après avoir amélioré le procédé en éliminant tous les composés chimiques toxiques, elle a présenté sa découverte dans une vidéo de quatre minutes qu’elle a publiée sur YouTube. Brian Gartside, graphiste-designer à l’agence de publicité new-yorkaise DDB, travaillait alors sur des campagnes conventionnelles pour Water is Life. Après avoir visionné la vidéo de la chercheuse, il lui a écrit pour lui proposer de collaborer à un projet qui n’avait rien de commun avec ce qu’il avait pu faire jusqu’à présent. Theresa Dankovich a aussitôt été séduite et l’idée d’un livre a surgi. Les deux inventeurs s’accordaient à penser que celui-ci devait comporter une composante pédagogique, par le biais de messages inscrits sur chaque page. « Nous savons que si l’eau que nous buvons n’est pas propre, nous tombons malades, ditelle. Mais pour ceux qui n’ont pas appris cette règle dans leur enfance, l’idée peut Le papier du « livre buvable » est revêtu de nanoparticules d’argent, oligoélément très bactéricide. WATER IS LIFE paraître saugrenue. Et s’ils n’en mesurent pas l’importance, ils ne feront rien pour assainir l’eau qu’ils consomment. » Le papier conçu par la chimiste est robuste et ressemble à du carton très fin. De couleur blanche à l’origine, il vire au jaune, puis à l’orange foncé sous l’effet des nanoparticules d’argent. Pour im- primer du texte sur les pages, il fallait encore trouver une encre adaptée. « La plupart des encres d’imprimerie commerciales contiennent des composés chimiques nocifs qu’il ne faut surtout pas absorber, explique Brian Gartside. Nous avons fini par trouver un fabricant disposé à créer un produit comestible. » Leur ouvrage débute par la mise en garde suivante : « L’eau de votre village peut provoquer des maladies mortelles. Mais chaque page de ce livre est un filtre à eau qui la rendra potable. » Chaque feuille est divisée en deux carrés à découper selon une ligne préperforée. Sur celui du haut, le texte est imprimé en anglais, et, sur celui du bas, dans la langue du pays de destination – le swahili pour le Kenya, par exemple. Theresa Dankovich a d’abord testé les filtres dans un ruisseau d’Afrique du Sud pollué par des matières fécales. L’expérience a démontré que le papier argenté était tout aussi efficace hors du laboratoire. Puis, cet été, avec des étudiants de l’université Carnegie- Mellon de Pittsburgh (Pennsylvanie), où elle poursuit ses travaux de recherche postdoctorale, elle a rejoint l’équipe de Water is Life au Ghana afin de mener de nouveaux essais sur le terrain. Il s’agissait de voir comment le livre serait accueilli par la population locale – et de savoir, notamment, s’il convenait d’intégrer davantage d’illustrations à l’intention des usagers illettrés. A partir de 2015, une fois que le financement et la production du livre seront assurés, Water is Life commencera à le distribuer dans des villages en Haïti, au Kenya, en Inde et au Ghana. L’association espère ainsi permettre à des dizaines de milliers d’individus d’accéder à l’eau potable. « Un livre est un objet précieux, qui soulève tout une palette d’émotions et de sentiments. Ce support constitue une interprétation brillante et novatrice d’un outil simple destiné à assurer un besoin élémentaire de la vie : de l’eau potable », commente Kristine Bender, la présidente de Water is Life. L’objectif à long terme est de créer un livre pour chacun des 33 pays où l’association est présente. Par la suite, l’invention pourrait également intéresser les consommateurs des pays développés qui souhaitent filtrer leur eau, comme les randonneurs. Pour pouvoir mener à bien ces ambitions, Theresa Dankovich cherche le moyen de produire le papier à plus grande échelle. Le procédé actuel, réalisé depuis quelque temps dans la cuisine d’une église de Pittsburgh, lui paraît en effet trop long et trop laborieux. Au Ghana, Iddrisu Abdul-Aziz Boare attend avec impatience de pouvoir présenter le livre buvable à ses concitoyens, dont la vie, affirme-t-il, « en sera radicalement transformée ». p melanie d. g. kaplan (sparknews) focus Habitat L’impression 3D prend une autre dimension Imaginez concevoir votre maison depuis votre ordinateur, puis l’« imprimer » en 3D, pour un prix avantageux et avec une empreinte écologique limitée. En Chine, où les coûts liés à la construction sont parmi les plus élevés du monde, la société Winsun, basée à Shanghaï, a mis au point un système 3D permettant d’imprimer des murs, un toit, et même du mobilier. Utilisant un polymère innovant de fibre de verre, du matériel de construction recyclé et une gigantesque imprimante (30 m de long, 6 m de haut, 10 m de large), Winsun est parvenu à construire dix petites maisons dans le quartier Qingpu en seulement vingt-quatre heures, pour moins de 6 000 dollars (4 600 euros) chacune. Avant cet exploit, une maison de cinq étages avait pu être construite à Amsterdam grâce à des briques imprimées avec du plastique recyclé. L’université de Californie du Sud, à Los Angeles, développe actuellement un processus similaire, nommé « Contour Crafting », tandis que des chercheurs à l’université de Loughborough, en Grande-Bretagne, travaillent à l’élaboration d’une impression 3D en béton. Ce procédé ouvre des perspectives considérables, notamment dans les pays en développement, où plus d’un milliard de personnes vivent dans des bidonvilles. Handicap Une tablette numérique en braille La start-up Blitab a mis au point une tablette qui permet à l’utilisateur de traduire et de rédiger des contenus numériques en braille. C’est une rencontre avec un étudiant aveugle de l’université de technologie de Sofia qui a amené Kristina Tsvetanova, 25 ans, à se lancer dans ce projet ambitieux. Aidée de deux amis, elle a conçu une nouvelle technologie d’écran : des petits cylindres semblables à des boutons en jaillissent pour traduire le contenu numérique en braille à l’aide d’un logiciel de conversion. La rédaction de contenus est, elle, rendue possible par un clavier Perkins, qui permet l’écriture en braille. Le premier prototype commercialisable pourrait être présenté à la fin de l’année. Son prix devrait avoisiner les 2 000 euros. Le potentiel d’un tel outil est énorme. D’après l’Organisation mondiale de la santé, il y avait 39,8 millions d’aveugles et 285,3 millions de malvoyants dans le monde en 2013. (PHOTO : BLITAB) acteurs du changement | 7 0123 MARDI 23 SEPTEMBRE 2014 L’homme qui protégeait les femmes s a n t é p u b l i q u e | Cet Indien a réussi une petite révolution : fabriquer des serviettes hygiéniques à bas prix. Un progrès pour des millions de femmes, dans un pays où elles ne sont que 12 % à pouvoir s’offrir celles des grandes marques S on épouse l’a soupçonné d’infidélité avec des étudiantes en médecine, sa mère s’est interrogé sur ses activités… Arunchalam Muruganantham, un habitant de Coimbatore, dans le sud-est de l’Inde, a dû affronter l’incompréhension de sa famille lorsqu’il s’est lancé dans la fabrication de serviettes périodiques. Bien qu’il se présente lui-même comme un homme peu instruit, il est devenu célèbre grâce à une machine novatrice qui permet de fabriquer des protections hygiéniques à moindre coût. En Inde et dans d’autres pays en développement, avoir ses règles peut avoir des effets handicapants, voire mortels. Les jeunes filles et les femmes qui n’ont pas de serviettes périodiques ont le choix entre rester à la maison ou se servir de vieux chiffons ou de feuilles d’arbre qui peuvent entraîner des maladies. Selon une étude, seules 12 % des Indiennes porteraient des serviettes hygiéniques. L’histoire débute en 1998, lorsque Arunchalam Muruganantham découvre que son épouse dissimule des chiffons souillés dont elle s’est servie pendant ses règles. Lorsqu’il lui demande pourquoi elle les a utilisés, elle lui répond : « Je sais qu’il existe des serviettes hygiéniques, mais si mes sœurs et moi commençons à en mettre, il faudra supprimer le budget lait mensuel de la famille ! » Après avoir abandonné ses études, Arunchalam Muruganantham entame une carrière de soudeur dans une petite usine qu’il rachète plus tard à son employeur. Dès lors, il se fixe pour mission de trouver une solution pour son épouse et les femmes en général. Il se rend dans une boutique pour acheter des dizaines de serviettes périodiques. « Je doute qu’un homme ait jamais touché à une protection hygiénique avant moi, parce que ce ne sont pas des affaires d’hommes. Moi, j’en ai fait mes affaires », déclare-t-il. Il en déchire une pour en analyser la composition. Puis il se met en quête d’une volontaire. Il songe bien sûr à son épouse, mais une femme ne suffit pas. « Il aurait fallu des dizaines d’années pour parvenir à la solution », justifie-t-il. Lorsqu’il demande un coup de main à ses sœurs, Arunchalam Muruganantham se fait envoyer sur les roses. Il s’arme alors de courage et va traîner devant la faculté de médecine voisine en se disant que les jeunes filles qui se préparent à devenir médecin seront sans doute plus réceptives à sa propo- La machine tient sur une table de salon et coûte moins de 1 500 euros. JAYAASHREE INDUSTRIES Tout bascule en 2006. L’Institut indien de technologie de Madras (Chennai) recommande sa machine à la Fondation nationale pour l’innovation, qui la fait concourir pour le prix Grassroots Innovation, qu’elle remporte. Du jour au lendemain, le monde se pique d’intérêt pour son produit, et les investisseurs frappent à sa porte. Sa machine se retrouve désormais dans toutes les zones rurales d’Inde, fabriquant des serviettes « Les protections hygiéniques ne sont pas des affaires d’hommes. Moi, j’en ai fait mes affaires » arunchalam muruganantham inventeur sition. Mais là aussi c’est un échec. Il se met alors à en porter lui-même en se demandant pourquoi le sang animal qu’il utilise coule partout et pourquoi la protection utilisée n’absorbe pas le liquide. Il se rend alors compte qu’il doit utiliser un type particulier de cellulose de pin. « Le bois ne coûte rien, mais le produit se vend cher », observe-t-il. L’écart de prix s’explique par le coût de la machine industrielle qui fabrique les serviettes de marque, près de 430 000 euros. Arunchalam Muruganantham s’attelle alors à la fabrication d’une machine de moindre taille et de moindre coût capable de malaxer, défibrer, comprimer et stériliser les serviettes de cellulose avant de les emballer pour la vente. Sa machine miniature coûte moins de 1 500 euros, ce qui lui permet de vendre les serviettes hygiéniques pour un dixième du prix de leurs équivalents de marque. Sans compter que sa machine, qui tient sur une table du salon, permet de se passer d’usine. Arunchalam Muruganantham baptise sa société Jayaashree Industries en hommage à sa sœur qui lui jetait en catimini des colis de nourriture depuis sa fenêtre lorsqu’il était mis au ban de son quartier. A peu près à la même époque, elle avait donné naissance à une fille prénommée Jayashree, qui veut dire « Victoire ». Mais, malgré le succès du procédé, l’Etat indien refuse de soutenir la fabrication et la commercialisation de son invention. Et Arunchalam Muruganantham ne peut pas rivaliser avec les budgets publicitaires des grandes marques. hygiéniques sous des marques régionales comme Relax ou Be Cool. Non seulement elles aident des millions de femmes à vivre leurs règles dans de meilleures conditions d’hygiène, mais elles créent également des emplois et génèrent des revenus pour les habitantes des zones rurales qui les font fonctionner. Fort de ce succès professionnel, Arunchalam Muruganantham a retrouvé les siens. Son épouse, qui s’était détachée de lui, l’a rappelé après avoir compris qu’il ne tournait pas autour des étudiantes en médecine. Sa mère a réemménagé chez lui. Et il est venu à bout d’un préjugé très ancré dans les campagnes indiennes : l’idée que les femmes qui mettent des serviettes périodiques ont vendu leur âme au diable. p sujata anandan (sparknews) Un fil à la page solidarité | Le livre suspendu, qui consiste à acheter un ouvrage pour un anonyme, cartonne en Italie «Q uand un Napolitain est heureux, au lieu de payer un seul café, celui qu’il devrait boire, il en paie deux, un pour lui et un autre pour le prochain client. C’est comme offrir un café au reste du monde. » C’est ainsi que l’écrivain napolitain Luciano De Crescenzo décrivait le fait de laisser un café « en attente » ou « en suspens » dans son livre Il caffè sospeso (« Le café en suspens », non traduit en français). Née pendant la seconde guerre mondiale, cette habitude est un mélange ancestral d’hospitalité méridionale et d’arte di arrangiarsi, ou art de se débrouiller, qui marque la vie quotidienne de la troisième plus grande ville d’Italie. Au printemps, lorsque quelques libraires de la région ont expérimenté l’idée sur des livres – avec un « libro sospeso » –, elle s’est répandue sur les réseaux sociaux avant de devenir un phénomène national. Les clients des librairies qui parsèment la péninsule italienne peuvent ainsi acheter un livre pour eux-mêmes, et en acheter un autre pour la prochaine per- L’idée a été reprise par la plus grande chaîne de librairies d’Italie. En quinze jours, 1 440 livres ont été mis en attente. DR « Nous avons commencé en mars, raconte Fabrizia Gioiosa, de la Libreria Kiria de Potenza. Quelques jours après la publication de l’article sur la librairie de Polla, l’un de nos habitués est venu nous dire qu’il voulait le faire. Le livre en question, c’était Freedom, de Jonathan Franzen. Il a été pris, et tout a commencé comme ça. » sonne qui entrera, en laissant une dédicace sur un Post-it. « J’étais très content de recevoir le livre, parce que ça montre que quelqu’un se soucie de moi », raconte Antonio Langone, un adolescent de 14 ans de la ville de Polla. Les parents d’Antonio Langone sont des habitués de l’Ex Libris Cafè, la librairie de Polla d’où la tendance semble être partie. C’est le 20 mars que son fondateur, Michele Gentile, a décidé de créer un libro sospeso alors que la société d’études marketing Nielsen venait de publier les derniers chiffres sur le niveau de lecture en Italie. Le nombre d’adultes déclarant avoir acheté un livre était tombé à 43 % en 2013, contre 49 % en 2011. « Je ne pouvais pas laisser passer ça, explique-t-il. Les gens considèrent le libro sospeso comme un geste de générosité, et c’est le cas. Mais mon objectif est d’attirer l’attention sur un vrai problème. » Son idée a été reprise par les médias locaux et diffusée dans les autres librairies du Sud. « Je veux parler de ça aux gens » A des centaines de kilomètres de là, la même chose s’est produite à Milan, dans la petite librairie de Cristina di Canio baptisée Il Mio Libro. Un client a acheté un exemplaire de David Golder, d’Irène Némirovsky, en disant qu’il l’avait vraiment aimé et qu’il voulait le laisser au prochain qui entrerait dans la boutique. La personne suivante a été si touchée qu’elle a demandé si elle pouvait faire la même chose à son tour. « C’est là que j’ai su qu’il se passait quelque chose, se rappelle Christina di Canio. Et je me suis dit : “Je veux vraiment parler de ça aux gens”. » Elle a cherché un hashtag sur Twitter sans succès. Puis elle a tapé #librosospeso. L’idée s’est répandue comme une traînée de poudre sur les réseaux sociaux, avec plus de trois millions d’occurrences sur Twitter. Il Mio Libro a depuis reçu 300 libri sospesi. L’idée a été reprise par la plus grande chaîne de librairies d’Italie, La Feltrinelli, qui a lancé un projet libro sospeso du 23 avril au 5 mai, débouchant sur 1 440 livres en attente. Silvia Romeo a laissé un livre en attente dans la boutique de Christina di Canio, La vita davanti a sé (La Vie devant soi), de Romain Gary, le décrivant comme « un de ces livres qui façonnent votre expérience ». Elle a également reçu un ouvrage d’un donateur inconnu, écrit par une journaliste italienne du nom de Daria Bignardi. C’est un livre qu’elle a beaucoup aimé mais qu’elle n’aurait, ditelle, jamais choisi d’elle-même. p cynthia heckman (sparknews)
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