Exposé de Roger DEDAME sur l’l’Histoire du Syndicat général du Livre Livre lors de la soirée de présentation de ses archives, jeudi 16 janvier 2014. L¹histoire du Syndicat général du Livre et de la Communication écrite (SGLCE) est compliquée. Celles et ceux qui veulent la connaitre pourront désormais consulter les comptes rendus de réunions des différentes instances ou sections syndicales et les bulletins périodiques du syndicat qui sont maintenant regroupés ici. Ces documents, dont certains sont antérieurs à la création du syndicat, constituent un fonds d’une grande richesse. Dans le but de recouper certaines informations, voire d’en combler les lacunes, il peut s’avérer nécessaire de le compléter avec les archives très complètes de la Fédération française des Travailleurs du Livre et de la Communication (la Filpac-CGT) ainsi que dans celles d’Info’com, nouvelle appellation de l’ancienne et historique Chambre syndicale typographique parisienne (CSTP). Enfin, pour obtenir des détails, comme par exemple sur l’histoire récente du SGLCE, l’accès à certains dossiers peut être demandé aux principaux responsables des organisations qui les conservent encore au 94 boulevard Auguste Blanqui. Toutes ces traces du passé permettent de relater, le plus objectivement possible, la réalité telle qu’elle fut vécue par ceux qui les ont écrites. Mais derrière les mots, il y a tout le reste, et notamment la vie et ses non-dits. Cela est bien connu des chercheurs et se vérifie ici, comme ailleurs dans l’examen des textes du SGLCE. Concrètement, un compte rendu de réunion est rédigé par un secrétaire de séance qui exerce lui-même des responsabilités syndicales. À l’exception d’une courte période faste où le syndicat s’adjugeait les services d’une sténotypiste, les diverses interventions sont donc, à la base, transcrites d’une façon quelque peu personnelle et non exempte, dans la forme, d’atténuation ou, au contraire, d’approbation. Ce texte sera ensuite relu, corrigé et entériné. C’est, par conséquent un résumé quasi officiel qui sera lu après sa publication dans le bulletin du syndicat. Quant aux articles qui paraissent dans celui-ci, s’ils sont rédigés sans contrainte par leurs auteurs, ils n’en sont pas moins soumis à un certain imprimatur. On ne publie pas n’importe quoi au Syndicat du Livre de Paris ! Ces réserves sur les limites des comptes rendus de réunions et des articles parus dans les bulletins d’information me semblent devoir induire, chez ceux qui les consultent, une certaine interprétation. Et c’est là que commence la confusion entre l’objectivité et la neutralité. Peut-on prétendre être objectif, sans pour autant être neutre dans le commentaire ? N’étant pas historien, je réponds à mon aise par l’affirmative et je ne me suis pas privé de cette liberté dans mes bouquins de dilettante. Peut-on apprécier le bien-fondé d’une décision prise à une certaine époque, dans un contexte historique donné, sans la confronter à ce qu’elle a engendré dans son application ? Un certain anachronisme me paraît difficile à éviter qui laisse une place à des jugements personnels. 1 Pour conclure cette décidément trop longue introduction, je me résume : l’objectivité c’est l’honnêteté avec laquelle on tente de rapporter les faits conformément à leurs traces transmises par les archives. Quant à la neutralité, je crois pour ma part, et peut-être à tort, qu’elle n’existe pas. Le SGLCE-CGT d’aujourd’hui a été créé le 1er janvier 1928 sous la dénomination de Syndicat général du Livre et du Papier. Sa maison est la CGTU où il nait et apprend à marcher. Le Syndicat général du Livre n’existe pas avant la scission syndicale de 1922. C’est le seul des syndicats du Livre à Paris dans cette situation, contrairement à la Chambre typo et au syndicat des correcteurs qui viennent du siècle précédent, et sans doute le seul de toute la fédération du Livre. Et, peut être comme un enfant de divorcés qui refuse cette situation dès sa prime jeunesse, il se fixera comme objectif de rassembler dans un syndicat commun tous les ouvriers des métiers du Livre parisien. Certains d’entre nous disent à ce propos que notre syndicat a dans ses gènes la culture du rassemblement. Les documents du fond permettent de remonter à la scission confédérale de 1922, qui fait suite à celle qui, à Tours, à la Noël 1920, avait divisé le Parti socialiste français et provoqué la naissance du Parti communiste français appelé plus couramment à l’époque « section française de l’Internationale communiste ». Bien que la CGT proclamât son indépendance à l’égard des partis, depuis sa charte d’Amiens adoptée en 1906, ces bouleversements au sein de la gauche de notre pays la percutait, d’autant plus qu’une Internationale syndicale rouge créée en 1921 invitait les organisations ouvrières à la rejoindre, en concurrence avec celle dite « d’Amsterdam » à laquelle adhérait la CGT. Dès 1920, la minorité rouge organisait des comités syndicalistes révolutionnaires multipliant les initiatives fractionnelles au sein de la CGT dont la direction, sous la responsabilité de Léon Jouhaux, prônait une orientation réformiste, majoritaire en dépit d’une tendance révolutionnaire qui ne cessait de progresser, au point que la direction confédérale entreprît de s’en séparer. Bien que se posant en victimes d’un liberticide délit d’opinion, les « rouges » se prêtaient quasi délibérément à cette exclusion, tout en clamant leur désir d’unité. Dans ce contexte, la rupture s’avérait inévitable. La Confédération générale du Travail unitaire (CGTU) se constitua lors d’un Congrès qui se tint du 25 juin au 1er juillet 1922. Elle entérinait d’ailleurs une situation de fait, puisque la Fédération unitaire du Livre (Ful) qui n’avait certainement pas été seule à préparer ainsi le terrain, s’était, quant à elle, créée les 24 et 25 juin de la même année. Celle-ci regroupait quelque 5 500 syndiqués, alors que la vieille fédération en conservait environ 17 000 parmi lesquels figuraient (à l’exception de 800 d’entre eux qui avaient rejoint la Ful) la grande majorité des adhérents à la CSTP et des sections de province. Durant les six premières années, l’histoire de la Ful se confondra avec celle de la demi-douzaine de syndicats de métiers parisiens auxquels s¹ajoutait la Fédération lithographique qui s’y étaient affiliée et constituaient son plus fort contingent d¹adhérents, partagés entre deux tendances principales : les militants influencés par le Parti communiste et les anarcho-syndicalistes traditionnellement bien implantés dans la Fédération du Livre. C’est d’ailleurs l’un d’entre eux, Vial-Collet, un clicheur, qui en devint le premier secrétaire général. Mais cette nomination unanime recelait une lutte de tendance qui ne fera que s¹aggraver. Les grands syndicats parisiens, notamment les imprimeurs et les lithographes plus sensibles au courant communiste en position de revendiquer le poste, avaient vraisemblablement accepté ce compromis dans le but de ne pas brusquer les choses. 2 En effet, il leur fallait tenir compte d’un grand nombre d¹adhérents transfuges peu enclins à renoncer, au nom du collectivisme, à leur statut quelque peu privilégié au sein de la classe ouvrière. Idéologiquement portée à s¹accommoder de ce corporatisme hérité de la vieille fédération, une direction anarchosyndicaliste s’avérait effectivement mieux à même d’assurer la transition. En 1925, après quelques tergiversations, la Fédération unitaire du Papier-Carton, elle-même fortement influencée par l’idéologie communiste, se joignait à la Ful qui prit le nom de Fédération unitaire du Livre et du Papier Carton (Fulp). Le rapport de forces des deux principales tendances bascula alors nettement en défaveur de l’anarchosyndicalisme et VialCollet dut céder sa place où il n’avait pourtant pas démérité. Il fut remplacé par Louis Schumacher, un imprimeur sympathisant communiste connu pour son charisme militant, assisté, au poste de secrétaire adjoint, de Gaston Tessier, un compositeur typographe membre de ce parti. Conformément à l¹orientation de la CGTU et à ses propres statuts, la Fulp enjoignit aux syndicats de métiers qui la constituaient, de se fondre en un seul syndicat d’industrie par région. Elle préconisait, pour préparer ces fusions, la création de comités intersyndicaux régionaux dont il était prévu qu’ils disparaissent lorsque les fusions en syndicats d’industrie seraient réalisées. Le 22 février 1926, dès la première réunion visant à adapter les statuts de la Fulp à cette nouvelle structure fédérale, le syndicat unitaire de la typographie qui regroupait les compositeurs typos, anarcho-syndicalistes dans leur majorité, s’opposa au projet sur une base corporatiste. Les lithographes, déjà eux-mêmes constitués en fédération, émirent également de sérieuses réserves. Les autres syndicats catégoriels (imprimeurs, papier-carton, clicheurs, photograveurs, fondeurs de caractères, services d’entretien et messageries) se déclaraient quant à eux en faveur d’un syndicat unique. Ces désaccords se prolongèrent jusqu’au 1er janvier 1928, date à laquelle il fallut se résoudre à créer un syndicat unitaire d’industrie, mais définitivement sans les typos, qui demeuraient néanmoins affiliés à la Fédération unitaire, et momentanément sans les lithographes qui le rejoindront à la fin de l’année. Un comité intersyndical subsistait pour coordonner les deux organisations unitaires du Livre de la région parisienne, mais il demeura peu actif. L¹existence de deux fédérations du Livre opposées fut évidemment néfaste à l’action revendicative dans les imprimeries. Le patronat ne reconnaissait que la FFTL dans les négociations paritaires nationales ou régionales. Les accords qui en résultaient étaient généralement considérés par les unitaires comme un témoignage de collaboration de classe. Dans leur ardeur révolutionnaire, ils préconisaient la lutte revendicative dans les entreprises, une lutte « classe contre classe ». Lorsque la FFTL soutenait des conflits à ce niveau, ils s’y ralliaient sans hésiter. En revanche, le secrétaire général de celle-ci, Claude Liochon, refusait le soutien à toute initiative de débrayage des unitaires. Par ailleurs, aux démarches de rapprochement émanant de la Fulp ― et elles furent nombreuses ― la direction de la FFTL répondait que si les unitaires voulaient l’unité, ils devaient réintégrer la vieille fédération en perdant leurs droits d’ancienneté syndicale et passer par le noviciat de cinq ans d’inéligibilité. Cela était inacceptable, et rendait tout rapprochement impossible. Jusqu’à l’époque de la création du SGLP, les effectifs de la Fulp avaient progressé (6 600 cartes placées en 1925, plus environ 1 500 avec l’arrivée du papier-carton, soit quelque 8 000 adhérents). Mais quand en 1929, la CGTU reconnut en congrès le rôle dirigeant du Parti communiste dans le mouvement ouvrier, déclaration d’allégeance reprise par la Fulp en assemblée générale, Schumacher, qui était à la fois secrétaire général de la Fulp et du SGLP, s’y était opposé et dut céder la place à une direction communiste bon teint : le compositeur typo Gaston Tessier devenait secrétaire général de la fédération unitaire et l’imprimeur rotativiste Albert Bourquart secrétaire du syndicat parisien. 3 Les conséquences de cet alignement furent catastrophiques. Les anarcho-syndicalistes quittèrent en masse l’organisation. Le SGLP chuta de 5 200 à 4 100 cotisants entre 1926 et 1933, puis à 3 700 en 1935 et la Fulp passa de quelque 8 000 à 5 300 syndiqués entre 1926 et 1933. Parmi ces dernières démissions fédérales se comptaient celles des compositeurs typos qui, souvenons-nous, faisaient un syndicat unitaire à part dans la région parisienne où ils réintégrèrent la CSTP. Son secrétaire général, Auguste Largentier, après avoir approuvé les sanctions préconisées par Liochon, accueillit les repentis à bras ouverts, préconisant cette fois, qu’ils soient réadmis avec leurs pleins droits et ancienneté et non comme des nouveaux venus. Cette perte de substance n’empêchait pas le SGLP d’être très actif dans les imprimeries et notamment dans celles de la presse parisienne où il était le mieux implanté. C’est ainsi que, devant la montée de l’agitation fasciste du début des années trente, il y avait animé la création, dès 1933, de comités antifascistes. Lors des événements du 6 février 1934, ceux-ci furent très engagés dans la lutte contre la tentative de coup de force de l’extrême droite et contribuèrent efficacement à placer les imprimeries de journaux sous la garde des travailleurs. La CGTU se rallia à la journée de grève et de manifestation fixée au 12 février, à l’appel de la CGT, après avoir participé à celle des communistes dès le 9 février. On connaît la suite : à Paris, les deux rassemblements séparés se rejoignirent sur le Cours de Vincennes, initiant ainsi la dynamique de la réunification syndicale. La préparation de cette journée avait donné lieu, pour la première fois depuis douze ans, à des contacts entre la CSTP et le SGLP dans le but de bloquer les journaux qui ne parurent pas ce jour-là. Soucieux de ne pas laisser les unitaires profiter seuls de cette action, Largentier décida de reconnaître les comités antifascistes d’imprimerie afin de mieux les contrôler syndicalement et accepta la création d’un comité intersyndical de coordination réunissant périodiquement le Syndicat général du Livre et du Papier unitaire et la Chambre syndicale typographique parisienne qu’il dirigeait. En dépit des réserves de Liochon pour la FFTL, les parisiens réalisèrent leur réunification intersyndicale un an avant la réintégration officielle de la CGTU dans la CGT, au mois de septembre 1935. Les deux fédérations du Livre décidèrent alors que les syndicats régionaux les plus faibles en effectifs se rallieraient aux plus forts en effectifs. En province, ce transfert s’opéra de la Ful vers la FFTL. À Paris, le poids du nombre était favorable au SGL, il n’y eut pas de changement ; la CSTP, qui avait déjà réintégré les compositeurs unitaires, et le syndicat des correcteurs poursuivirent leurs activité de syndicats de métiers. À la suite du courant d’adhésion syndicale qui suivit la réunification, les papetiers décidèrent de créer leur propre fédération. Gardant leur structure de syndicat d’industrie partiel puisque sans les typos, les 22 000 syndiqués de la presse et du Livre parisien prirent, quant à eux le nom de Syndicat général du Livre (SGL) et leur bulletin d’information devint le Livre parisien. Un comité intersyndical continua de coordonner l’action entre le SGL, la CSTP et le syndicat des correcteurs jusqu’à une période récente. S’il a semblé nécessaire de s’étendre sur les origines de cette singularité du SGL au sein de la Fédération du Livre avec laquelle il ne cessa d’entretenir des rapports chaotiques, pour cette raison, il devient non moins nécessaire que cet exposé se borne, dès à présent, à des raccourcis pour tenir dans les délais impartis aux interventions de cette assemblée. Chacun de ses participants a d’ailleurs une connaissance de ce qu’il advint entre 1936 et la déclaration de la deuxième guerre mondiale. 4 Au plan politique, c’est la constitution du Front populaire et de son lot de conquêtes sociales. Puis viennent les premiers nuages noirs de l’orage en formation : la guerre d’Espagne qui fit naitre un fort sentiment et des actions de solidarité avec les républicains espagnols, tant au sein de la CGT que de la Fédération du Livre ; les accords de Munich et les luttes de tendances entre leurs partisans y voyant un gage de paix et leurs opposants dénonçant un encouragement aux projets hégémoniques du nazisme et un premier pas vers la guerre ; l’éclatement du Front populaire à la suite de ces divergences ; enfin, la mise hors-la-loi du Parti communiste et, dans la CGT, l’exclusion des syndicats refusant de dénoncer le pacte germanosoviétique. Malgré leurs sympathies politiques favorables à cette décision, Liochon et la majorité de la direction de la FFTL ne répercutèrent pas l’exclusion dans la Fédération du Livre mais pas pour des raisons politiques, bien qu’ils fussent résolument anticommunistes. Ils redoutaient d’y perdre à nouveau le SGL, et, par conséquent, une importante part de cotisations déjà amputées par la mobilisation. Pendant l’Occupation, la FFTL choisit de continuer son activité dans la légalité et le SGL suivit cette orientation. Si les archives le concernant durant cette période sont quasi inexistantes, les nombreuses réunions de la CSTP se trouvent consultables dans un livre de comptes rendus ici en dépôt. Mais pour analyser comment les dirigeants se compromirent avec les autorités occupantes et leurs représentants collaborateurs français, il est absolument indispensable de consulter les archives, très complètes sur ce sujet, de la Fédération du Livre. Sous l’influence prédominante de Largentier pour les typos, de Basignan, imprimeur de presse, secrétaire général du SGL, et de Périgeat pour les correcteurs, les ouvriers des journaux de la capitale durent adhérer collectivement au Groupement corporatif de la presse quotidienne parisienne créé par Luchaire et l’occupant. Les mêmes entretenaient avec lui des « relations cordiales », dixit Basignan, notamment en participant à des banquets avec des officiers allemands (les photos existent). Basignan et Largentier furent condamnés à la Libération et exclus de toute responsabilité syndicale par la commission d’épuration de la Seine, ce qui fut confirmé en appel. Mais cette décision ne fut pas réellement respectée, notamment pour Largentier. Cette collaboration sur une base corporatiste des dirigeants parisiens les opposa à l’orientation fédérale qui était plus encline à adhérer à la Charte du travail pétainiste. C’est une question passionnante à étudier car le Livre avait beaucoup d’arguments et d’intérêts pour les collaborateurs et partisans de « l’État français », militants de l’extrême droite. Mais laissons cela aux futurs chercheurs. Après la Libération, ceux qui avaient participé à la Résistance prirent la tête du SGL et de la FFTL. Un communiste, résistant issu de l’imprimerie nationale, Armand Prud’homme, devint secrétaire général du SGL et un non-communiste, Edouard Ehni, résistant lyonnais, secrétaire général de la fédération. La CSTP, les rotativistes de presse parisiens et les correcteurs renouvelèrent leur confiance, par reconnaissance corporatiste, à Largentier et à Basignan. Cette situation induisit un climat de dissension entre la CSTP, le SGLP et les rotativistes de presse au sein de celui-ci. Ces querelles, où le corporatisme, les luttes de tendances et les règlements de comptes n’étaient pas étrangers, se manifestèrent notamment en 1947 lors d’une grève salariale qui se déclencha dans un climat de conflits sociaux au plan national et une période où la droite associée à la social-démocratie évinçait les ministres communistes du gouvernement. La non-parution de la presse quotidienne nationale favorisait le pouvoir politique qui s’employa à la faire se prolonger, notamment pour liquider la Messagerie de la presse qui avait remplacé Hachette dans son monopole de distribution de la presse. 5 Ces querelles de tendances prirent une envergure nationale quand le groupe Force ouvrière dirigé par Léon Jouhaux provoqua une nouvelle scission au sein de la CGT. Cette rupture aurait pu faire imploser la Fédération du Livre sans le rôle que prit son secrétaire général, Édouard Ehni qui, quoique réformiste lui-même et trésorier de la tendance Force ouvrière, défendit la fidélité à la CGT. Le soutien d’Armand Prudhomme, du SGL, et du courant syndical révolutionnaire parisien fut décisif dans le maintien de la FFTL dans la CGT. À partir des années soixante-dix, la FFTL et le SGL furent confrontés à une « restructuration de l’imprimerie lourde » sous la pression du pouvoir politique, décidé à abandonner la filière graphique sur le Marché européen, et du trust Hachette, avide à en récupérer les restes. Cette détermination conjointe aboutit à la fermeture de centaines d’imprimeries et à la disparition de 25 000 emplois dont plus de 15 000 dans la seule région parisienne. La tendance ne fit que s’aggraver depuis avec les possibilités techniques de l’informatisation. Dans la presse parisienne, une tentative de déstabilisation du même type, engagée par Émilien Amaury, patron ― entres autres nombreuses publications ― du Parisien libéré, aboutit à une grève des ouvriers des imprimeries de ce journal. Soutenue par l’union sans faille du SGL, de la CSTP et du Syndicat des correcteurs ainsi que par l’ensemble des ouvriers des imprimeries de presse et d’édition (dites de labeur), cette grève dura deux ans et demi avant d’être victorieuse et d’aboutir à un accord de modernisation des imprimeries de presse quotidienne parisienne sans drame social. Pour reprendre la formule de Henry Krasucki : « Moderniser, oui ! Mais pas comme des sauvages ». Mais ce brillant résultat avait sa zone d’ombre. La section du labeur au sein du SGL estimait ne pas recevoir de la presse le même soutien qu’elle avait consenti pour les ouvriers du Parisien libéré. Cette rancune s’envenima au point que le SGL fut contraint d’élire, en 1979, lors du départ de Roger Bureau, deux secrétaires généraux, un pour le secteur labeur, l’autre pour le secteur presse. Perdant ainsi sa fonction de syndicat unique, le SGL devint un lieu d’affrontement et de chacun pour soi. D’autant que la révolution numérique allait bientôt vider progressivement les ateliers de préparation (composition et photogravure) en transférant leur activité vers les centres éditoriaux pour ne conserver, à court terme, que celui de l’impression. Les compositeurs typos furent les premiers à s’orienter vers le transfert avec changement de statut dans les rédactions ; après avoir résisté un temps, les photograveurs durent les rejoindre ; les rotativistes, qui gardaient leurs machines, se replièrent sur un syndicalisme de métier. Les compositeurs typos transformèrent la CSTP en Info’com, les photograveurs du SGL et leur syndicat choisirent la double appartenance entre le SNJ-CGT, syndicat de leur nouveau statut, et le SGL, leur syndicat d’origine auquel ils voulaient rester fidèles. Celui-ci, refusant de disparaître dans des combinaisons de récupération, continua de fonctionner en syndicat d’industrie. Il élit en 1995 un secrétaire général unique, Daniel Légerot, et compléta sa dénomination pour devenir le Syndicat général du Livre et de la Communication écrite en 1998, un syndicat toujours plus unitaire. Les rotativistes préférèrent quant à eux, en 2006, avec le soutien de la fédération nationale, rompre leurs liens avec le SGLCE et créer leur propre Syndicat des Imprimeries parisiennes (Sip). 6 Pour compléter les fonds d’archives qui permettent de reconstituer cette histoire, nous ne saurions oublier l’ouvrage de référence en deux volumes de Paul Chauvet : Les ouvriers du Livre en France, des origines à la constitution de leur Fédération et Les Carnets de Joseph Mairet, dont l’original figure dans les archives de la FFTL. J’ai eu le plaisir de saisir ce texte calligraphié, de le mettre en page avec ses illustrations choisies par André Delord, mon grand ami récemment disparu, de le commenter et de le faire publier à l’occasion du Centenaire de la CGT. Il retrace l’origine des relations paritaires qui s’établirent dans le Livre au XIXe siècle et fournit de précieux renseignements sur la période qui précéda la création de la fédération ainsi que sur le microclimat des relations entre les ouvriers du Livre et leurs employeurs. Marc NORGUEZ évoque les deux ouvrages de Roger Dédame publiés par les Indes savantes, « Une Histoire des Syndicats du Livre… ou les avatars du corporatisme dans la CGT » en 2010 et « Le Syndicat du Livre–CGT et les travailleurs des imprimeries parisiennes » en 2012 et vous assure que, malgré ces études passionnantes, il y a encore beaucoup à dire sur le sujet. J’espère ne pas trop vous avoir ennuyé et vous souhaite une bonne soirée. 16/01/2014 7
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