© Laurent ARDHUIN pour l’UPMC B a n y u l s Le coffre-fort de Banyuls DOMINANT LA CÔTE ROCHEUSE DEPUIS PLUS DE 130 ANS, LE GRAND BÂTIMENT BLANC DE L’OBSERVATOIRE OCÉANOGRAPHIQUE A CHANGÉ LA DESTINÉE DE BANYULS. PETITE DU LABORATOIRE ARAGO. IMMERSION DANS L’HISTOIRE VALÉRIE FERRER PHOTOS REPRODUITES AVEC L’AIMABLE AUTORISATION La façade du laboratoire Arago, aujourd’hui renommé Observatoire Océanologique, et, en médaillon, le buste de son fondateur, Henri de Lacaze-Duthiers. ARAGO (UPMC/CNRS) © Christophe LEVILLAIN DU LABORATOIRE Terres Catalanes • 53 Le premier bâtiment du laboratoire, construit dans les années 1880. M. de Lacaze-Duthiers dessinant une branche de corail. De gauche à droite : Emile Racovitza, Louis Boutan et Georges Pruvot. Georges Pruvot et Emile Racovitza dirigèrent la station marine de 1900 à 1923. Louis Boutan réalisa la première photo sous-marine. Photos UPMC – Archives Photographiques du Laboratoire Arago Page de droite : bureaux, bibliothèque, bateau et, dès 1884, aquarium (en photo), le laboratoire Arago s’est toujours doté d’équipements de pointe. Les meilleurs chercheurs et les étudiants du monde entier s’y succèdent, comme ces étudiants en Master 2, en stage sous la direction de Julia Baudart. 54 • Terres Catalanes © UPMC – Archives Photographiques du Laboratoire Arago B a n y u l s erquen i no troben res » ... Le regard pétillant de malice devant ses photos en noir et blanc, Albert Sagols, 89 ans, se souvient. « Lorsque j’étais gamin, nous regardions le laboratoire Arago d’un drôle d’œil. Ils cherchent mais ils ne trouvent pas ! Cette phrase résonne encore à mes oreilles car le laboratoire restait pour nous une vraie énigme » raconte-t-il une pointe d’amusement dans la voix. Une énigme, comme un ovni tombé du ciel dont les secrets ne filtrent pas. Il faut dire que, campé de l’autre côté de la rivière, il a d’emblée été mis en marge d’un village concentré autour de sa place. « Les gens d’ici avaient du mal à traverser le pont. Quant aux chercheurs, ils restaient tournés vers ce labo où ils vivaient en famille. A Banyuls, le vin est la religion et le vin ne fait pas bon ménage avec l’eau. Surtout quand elle est salée ! Moi, j’avais la chance que mon grand-père soit le gardien des lieux et que mes parents tiennent le Grand Hôtel à deux pas du site. Du coup, j’ai pu traîner du côté de l’aquarium et approcher ces chercheurs » se souvient Albert. C © Laurent ARDHUIN pour l’UPMC « GRANDS NOMS, GRANDS DONATEURS Et quels chercheurs ! S’ils sont toujours restés discrets, les hommes et les femmes qui ont fait l’âme du laboratoire depuis sa fondation en 1881 ont posé les bases d’une aventure fabuleuse, internationalement reconnue... et écrit une belle page de l’histoire de Banyuls. Quel destin en effet aurait connu le village si Henri de Lacaze-Duthiers, zoologiste à la Sorbonne, n’avait eu le projet de venir étudier la côte méditerranéenne in situ ? Surtout lorsque l’on sait que c’est à Port-Vendres qu’il voulait s’installer au départ. Cette dernière ne lui offrant pas assez de subventions, il lui préféra sa voisine. La station marine vit alors le jour équipée de laboratoires, de bureaux, d’une bibliothèque, d’un bateau et, en 1884, d’un aquarium. Depuis sa création, étudiants et scientifiques du monde entier s’y sont succédé. Dès les années, 30, Lacaze-Duthiers, ami de Darwin, tisse des liens étroits avec l’Université de Barcelone mais aussi Toulouse, Montpellier, Grenoble... La côte rocheuse est un site idéal. En raison de son gradient d’altitude important et d’un canyon marin baptisé rech Lacaze-Duthiers, la biodiversité y est remarquable. Le laboratoire occupe alors une telle place dans le monde de la recherche qu’il attire l’attention du Prince Roland Bonaparte, botaniste, géographe et philanthrope. Lorsque ce dernier décide de financer plusieurs navires dédiés à l’étude de la mer, il fait construire le premier “Le Roland”, pour Banyuls. Un outil précieux qui, ajouté aux microscopes, scaphandres et autres matériels dont s’équipe petit à petit le laboratoire, permettent de mieux étudier faune et flore. D’autres noms sont restés gravés au fronton de l’histoire des lieux : LacazeDuthiers bien sûr, mais aussi Georges Pruvot, directeur de 1900 à 1923, et Emile Racovitza, son sous-directeur. Tous deux promurent la plongée en scaphandre et participèrent à la naissance de la biospéléologie. Louis Boutan, dans la même période, réalisa les premières photos sous-marines. Georges Petit se lança lui dans l’agrandissement des bâtiments. Pierre Drach, dans les années 70, organisa des expéditions en Antarctique. Même l’équipe Cousteau vint faire des plongées dans le rech. Sans parler du docteur Wintrebert qui, pendant la Première Guerre mondiale, s’occupa du laboratoire, devenu hôpital militaire, Terres Catalanes • 55 B a n y u l s deuxième employeur du village et qui assure depuis toujours sa notoriété partout dans le monde. « On parle de Banyuls et de son vin jusque dans la gazette locale de Lewes, petite station marine du Delaware, le plus ancien et le plus petit Etat des Etats-Unis. Des chercheurs de cette station marine sont en effet venus collaborer avec nous et ont remporté du vin. On en trouve d’ailleurs maintenant dans les magasins de la ville ! » se réjouit Philippe Lebaron. De quoi unir à jamais le monde du vin et celui de l’eau ! ❏ © UPMC – Archives Photographiques du Laboratoire Arago ☛ Merci au professeur Philippe Lebaron, directeur du Laboratoire Arago, et à Mme Sandrine Bodin, responsable de la Bibliothèque, pour leur précieuse collaboration. © Laurent ARDHUIN pour l’UPMC La recherche en scaphandre et la biospéléologie ont toujours été mises en avant par les scientifiques : à bord du Saint-Vincent en 1938, ou dans le local d’enseignement actuel où sont étudiés les animaux marins. BIENTÔT UN NOUVEL AQUARIUM avant de lui léguer ses biens - tout comme le fit également le docteur Dimitri Bogoraze, qui fit don de ses 13 ha de vignes en 1994. « ON PARLE DE BANYULS AUX ETATS-UNIS ! » Fort de toutes ces années passées à observer les espèces modèles (oursin, loup, pieuvre…), à étudier les écosystèmes marins et à travailler sur la qualité des eaux, le laboratoire a pris du galon, devenant un laboratoire du CNRS en 1967, une école interne de l’Université Pierre et Marie Curie en 1985, ce qui lui permit de devenir un Observatoire Océanologique de l’Institut National des Sciences de l’Univers. Il prend alors le nom d’Observatoire Océanologique. « L’une de ses missions, explique Philippe Lebaron, le directeur actuel, est le suivi de différents paramètres (salinité, fluorescence, turbidité…) permettant de suivre l’évolution à long terme du milieu marin dans un contexte 56 • Terres Catalanes de changement global lié au climat et à l’anthropisation. En parallèle, nous poursuivons nos recherches sur les processus cellulaires et moléculaires qui gouvernent la division cellulaire et étudions comment les organismes vivent et se reproduisent en milieux benthiques (roches et sédiments) et pélagiques (l’eau). La richesse de la côte catalane est un trésor pour nous. Qu’il s’agisse des sablières du Racou où se reproduisent les amphioxus, du canyon Lacaze-Duthiers situé à 15 km au large avec son corail blanc ou plus généralement de la grande diversité des habitats, spécificité de cette zone du Golfe du Lion ». Héritiers d’une longue tradition d’excellence, les chercheurs ont mis également en place un important partenariat avec le laboratoire Pierre Fabre. Le but ? Travailler sur les micro-organismes dont certains produisent des molécules qui ont des propriétés anti-cancéreuses, antibiotiques ou encore anti-oxydantes. Un challenge à la hauteur d’un laboratoire qui, avec 180 salariés, est le A près avoir construit un nouveau centre d’hébergement universitaire à l’architecture audacieuse, le laboratoire Arago se lance dans un autre chantier. D’ici deux ans, un nouvel aquarium de 1000 m2 prendra place là où hier trônait le Grand Hôtel. Plus moderne, équipé de bornes interactives, ce lieu sera doté de points d’information où seront expliquées les recherches qui se font au laboratoire, et où l’on montrera la biodiversité régionale. Le public pourra s’y balader et découvrir l’extraordinaire patrimoine naturel de la côte catalane. Le nouveau bâtiment sera également un espace d’incubation d’entreprises. « Notre souhait est de valoriser au mieux nos recherches et de nous ouvrir sur le monde socio-éconimique. Ce nouveau bâtiment sera en connexion avec l’auditorium actuel où des conférences grand public sont données un mercredi par mois par les scientifiques » explique le directeur du laboratoire, Philippe Lebaron.
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