Placements Diversification L’investissement dans le cinéma Comment conjuguer passion et rendement ? Devenir « acteur du film ». Voici la promesse faite aux investisseurs qui optent pour le cinéma. Avec 200 films produits en France chaque année, pour un financement total de près d’un milliard et demi d’euros, le cinéma français demeure une industrie vigoureuse. Parmi les principaux acteurs du financement : les sociétés de production, les apports en coproduction et les pré-achats des chaînes de télévision, mais aussi les distributeurs et les éditeurs. Avec une souscription de 62 millions d’euros en 2012, l’épargnant particulier intervient, quant à lui, à hauteur de 4 %, dans le financement des films d’initiatives françaises via les Sofica. Mais ces dernières ne sont plus aujourd’hui le seul moyen permettant aux particuliers de se placer sur le cinéma. De plus en plus d’offres alternatives fleurissent à l’instar des investissements loi Tepa ou encore des fonds alternatifs. F aut-il y voir le signe d’un actif tangible, hautement rentable ? Pas forcément. L’engouement pour le cinéma s’explique par une conjonction de différents facteurs. Tout d’abord, l’appétence actuelle des investisseurs pour l’économie réelle. « Avec la crise financière, de nombreux investisseurs ont pris une douche froide sur les marchés boursiers. Depuis lors, on constate une vraie demande pour les placements diversifiés et notamment les actifs réels », analyse Philippe Vayssettes, président du directoire de la banque privée Neuflize OBC, qui a créé en 2013 un fonds d’investissement cinéma. Autre raison, moins quantifiable : l’image glamour véhiculée par la production cinématographique. « Nos clients sont heureux d’avoir l’opportunité de participer au financement de tel ou tel film à succès dont ils suivent la réalisation et la sortie avec attention », poursuit Philippe Vayssettes. A cela s’ajoutent les belles perspectives de rendement d’un secteur qui a été globalement épargné par le marasme économique mondial. A l’heure où certaines activités peinent à 82 repartir, les industries culturelles et créatives affichent une vraie stabilité. Dans son rapport sur la compétitivité, la Commission européenne a noté qu’entre 2008 et 2011, l’emploi dans les secteurs de la culture et de la création en Europe s’est révélé plus résistant que dans l’ensemble de l’économie. Même constat du côté du cabinet de conseil Ernst and Young qui, dans son premier Panorama des industries culturelles et créatives publié en novembre 2013, dresse l’état des lieux d’une filière résiliente. Pour l’année 2011, les industries culturelles et créatives Gestion de Fortune n° 246 - Mars 2014 Placements Diversification fois dans l’année et, en dix ans, le nombre d’entrées a enregistré une progression de près de 20 %. Autant de chiffres qui laissent présager un joli retour sur investissement à quiconque voudrait se placer sur cette filière. Un bémol cependant : « Cette croissance demeure fragile », analyse le cabinet Ernst and Young et « est fonction des succès d’affiche au cours de l’année ». D’une production à l’autre, les disparités entre les films sont grandes. Pour le non-initié, le risque de perte peut être colossal. Voilà pourquoi la solution la plus plébiscitée par les épargnants particuliers (car la plus sécurisée) reste l’achat de parts de Sofica (Sociétés de Financement de l’Industrie Cinématographique et Audiovisuelle). françaises ont généré un chiffre d’affaires global de 74,6 milliards d’euros. Pour le « cœur » de la filière, l’activité créée représente 61 milliards d’euros, soit davantage que l’industrie automobile à 60,4 milliards, précise l’étude. Un secteur résilient, mais qui connaît de grandes disparités A lui seul, le cinéma représente près de 6 % de ce chiffre d’affaires avec 4,4 milliards d’euros de richesses produites en 2011. En nombre de films produits, le cinéma français est le troisième producteur au monde, derrière l’Inde et les Etats-Unis, et le deuxième exportateur mondial, juste derrière les Etats-Unis. En 2012, les recettes du cinéma français à l’étranger se sont établies à 870 millions d’euros. Et le marché local n’est pas en reste : en 2012 et pour la quatrième année consécutive, la fréquentation des salles de cinéma au sein de l’Hexagone a dépassés les 200 millions d’entrées. 70 % des français affirment être allés au cinéma au moins une Les Sofica, une exception française Chaque année, le CNC (Centre National du Cinéma et de l’image animée) établit une liste des sociétés d’investissement destinées à la collecte de fonds privés consacrés au financement de la production cinématographique et audiovisuelle. Créées à l’initiative des opérateurs du secteur bancaire et financiers, les Sofica visent à financer les œuvres plus confidentielles et à encourager la création française. Pour l’année 2014, le CNC a autorisé dix Sofica pour un montant total d’investissement de 59 millions d’euros. Par leur statut, ces sociétés se doivent d’investir 90 % de leur collecte dans le secteur du cinéma et de l’audiovisuel. Les 10 % restants pouvant être placés en trésorerie. Autre impératif : consacrer au moins 50 % de leurs investissements à des supports non adossés, c’est-à-dire pour lesquels aucun accord de rachat à un prix fixé d’avance n’est conclu. Il s’agit donc là de projets risqués, sans garantie de rachat à venir. 83 Pour l’épargnant particulier, l’intérêt de se placer sur les Sofica réside avant tout sur l’avantage fiscal qui permet de réaliser une économie d’impôt à hauteur de 36 % du montant souscrit au capital, dans la limite d’un plafond de 7 200 euros. Très souvent, le rendement est médiocre voire négatif. Les investisseurs récupèrent leur mise au bout de cinq ans, lors de la liquidation de la société, généralement entre 65 et 100 % du capital investi. Pour aller chercher un rendement un peu plus offensif, tout en conservant un avantage fiscal, il est possible d’investir dans le cinéma via les PME audiovisuelles. La loi Tepa offre défiscalisation et possibilité de retour sur investissement La loi Tepa créée en 2007, permettant de bénéficier d’importants avantages fiscaux, s’applique au secteur audiovisuel. Concrètement, pour l’investisseur particulier, il s’agit de souscrire au capital d’une PME audiovisuelle avec une durée de détention de ses titres de cinq années a minima. Avec un ticket d’entrée de 10 000 euros, l’investissement est éligible à la déduction fiscale ISF et/ou à la réduction de l’impôt sur le revenu, comme le prévoit la loi Dutreil. Certains conseils en ont fait leur Franck Ladrière Axone Invest Gestion de Fortune n° 246 - Mars 2014 Placements spécialité. C’est le cas d’Axone Invest qui a conseillé en 2010 le premier véhicule dédié à l’audiovisuel. Le principe : faire bénéficier d’un avantage fiscal, tout en sélectionnant des productions ou des porteurs de projets prometteurs afin d’obtenir un retour sur investissement significatif. « Contrairement aux Sofica, il n’existe pas de contraintes d’investissements, ce qui nous permet d’être plus flexibles dans l’analyse que nous faisons des dossiers. En tant que coproducteurs, nos véhicules peuvent par ailleurs appréhender le fonds de soutien du CNC. Cela constitue un couloir de recettes supplémentaires significatif pour la récupération des investissements et une différence notable avec les Sofica », détaille Franck Ladrière, PDG d’Axone Invest. La société conseille deux catégories de véhicules : des sociétés qui coproduisent un ou plusieurs projets préalablement identifié(s), ou des entreprises dédiées à accompagner financièrement une société de production, de distribution ou de ventes internationales sur un portefeuille de projets qu’elle porte. Dans les deux cas, le véhicule se comporte comme un fonds fermé, avec un montant de levée annuel maximum de 2,5 millions d’euros. Un objectif de gestion est défini à six ans avec le partenaire producteur qui transmet des hypothèses de recettes permettant aux investisseurs de disposer d’éléments prévisionnels pour prendre leur décision d’investir, et en cas de succès à la société de leur servir un rendement attractif. Pour autant, cet objectif ne constitue pas une garantie de rendement : « En cas de sousperformance du film ou du portefeuille de droits audiovisuels financé, les investisseurs peuvent décider de prolonger la durée de vie du véhicule d’investissement Anne Flamant Neuflize OBC Philppe Vayssettes Neuflize OBC afin de continuer à exploiter les droits dont ils sont détenteurs et qui constituent un actif réel qui peut générer des recettes jusqu’à trente ans », explique Franck Ladrière. Pour l’heure, les premières sociétés conseillées par Axone Invest n’ont pas encore débouclé leurs positions, impossible donc de donner une estimation du retour sur investissement avant 2016. Reste que certains contenus ont déjà affiché de belles performances d’audiences, c’est le cas notamment de la série Borgia, à laquelle Axone Invest via la société BORGIA SAS a participé financièrement. Au total, celle-ci conseille et administre une dizaine de véhicules pour un total de 25 millions d’euros sous gestion. Des solutions pour investir dans 84 l’économie réelle qui semblent séduire de plus en plus d’investisseurs : « Il existe un vrai processus d’identification aux sociétés audiovisuelles que nous conseillons. Le cinéma est un secteur que les investisseurs peuvent facilement s’approprier », souligne Franck Ladrière. Les fonds réservés aux clients patrimoniaux fortunés Cet engouement est tel que la banque privée Neuflize OBC a choisi de créer un fonds cinéma à destination de sa clientèle patrimoniale fortunée. Lancé en février 2013, la Sicar Cinéma est un fonds de droit luxembourgeois, qui n’offre aucun avantage fiscal et affiche un objectif de rende- Gestion de Fortune n° 246 - Mars 2014 Placements Diversification Yann Charraire Neuflize OBC ment supérieur à 12 %. Le principe de fonctionnement : la Sicar (Société d’Investissement en Capital à Risque) investit dans une société de production nommée Cinéfrance 1888 dirigée par une équipe indépendante de la banque. « Notre stratégie est d’adapter le fonctionnement du private equity au monde du cinéma », explique Yann Charraire, directeur marketing, produits et solutions chez Neuflize OBC. Pour Anne Flamant, directrice du département cinéma et audiovisuel chez Neuflize OBC, la légitimité de ce produit s’inscrit dans l’ADN même de la banque privée : « Ce fonds est né d’un constat : alors que, depuis plus de trente années, la banque Neuflize OBC accompagne les projets de financement audiovisuels, nous avons senti un réel besoin de réfléchir à de nouvelles formes d’accompagnement. Alors que l’investissement des chaînes avait tendance à diminuer, nos clients montraient de plus en plus d’intérêt pour les investissements alternatifs. Notre démarche a donc consisté à aligner les intérêts de chacun ». Résultat, en quelques mois, 25 millions d’euros ont été levés. Si ce montant d’investissement constitue une part infime des activités du groupe (à comparer aux 41 milliards d’actifs sous gestion de Neuflize OBC), il n’en demeure pas moins un emblème de la stratégie de diversification souhaitée par le groupe. Reste que le ticket d’entrée est élevé, avec un seuil à 150 000 €. Au total, un peu moins d’une cinquantaine d’investisseurs privés et institutionnels ont apporté la totalité du nominal. Avec ce fonds de 25 millions d’euros, l’objectif est de coproduire une vingtaine de films en trois ans : « Une diversification suffisamment importante pour diminuer les risques », assure Yann Charraire. Lancé il y a un an, il 85 faudra encore attendre deux années avant de pouvoir obtenir une estimation du retour sur investissement. Pour l’heure, Neuflize OBC Cinéma a déjà participé, via Cinéfrance 1888, au financement de deux films à succès : Neuf mois ferme, d’Albert Dupontel et Yves Saint Laurent, de Jalil Lespert. Mais les entrées en salle ne sont toutefois pas le seul critère de rentabilité d’un film : « Lorsqu’un film démarre bien en salle, c’est un bon signal. Néanmoins le retour sur investissement se mesure en intégrant également l’exploitation sur les autres supports, vidéo et télévision, mais aussi la seconde vie du film, c’est-à-dire ses passages TV ultérieurs », précise Anne Flamant. Ainsi, pour les investisseurs, la sortie du fonds peut être envisagée après une durée de vie de sept à huit ans. Chloé Consigny n Gestion de Fortune n° 246 - Mars 2014
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