Gestion de Fortune - mars 2014

Placements
Diversification
L’investissement
dans le cinéma
Comment conjuguer passion
et rendement ?
Devenir « acteur du film ». Voici la promesse faite aux investisseurs qui optent pour
le cinéma. Avec 200 films produits en France chaque année, pour un financement total de
près d’un milliard et demi d’euros, le cinéma français demeure une industrie vigoureuse.
Parmi les principaux acteurs du financement : les sociétés de production, les apports en
coproduction et les pré-achats des chaînes de télévision, mais aussi les distributeurs et les
éditeurs. Avec une souscription de 62 millions d’euros en 2012, l’épargnant particulier intervient, quant à lui, à hauteur de 4 %, dans le financement des films d’initiatives françaises via
les Sofica. Mais ces dernières ne sont plus aujourd’hui le seul moyen permettant aux particuliers de se placer sur le cinéma. De plus en plus d’offres alternatives fleurissent à l’instar
des investissements loi Tepa ou encore des fonds alternatifs.
F
aut-il y voir le signe
d’un actif tangible, hautement rentable ? Pas
forcément. L’engouement pour le cinéma s’explique
par une conjonction de différents
facteurs. Tout d’abord, l’appétence actuelle des investisseurs
pour l’économie réelle. « Avec la
crise financière, de nombreux investisseurs ont pris une douche
froide sur les marchés boursiers.
Depuis lors, on constate une vraie
demande pour les placements diversifiés et notamment les actifs
réels », analyse Philippe Vayssettes, président du directoire de la
banque privée Neuflize OBC, qui
a créé en 2013 un fonds d’investissement cinéma. Autre raison,
moins quantifiable : l’image glamour véhiculée par la production
cinématographique. « Nos clients
sont heureux d’avoir l’opportunité de participer au financement
de tel ou tel film à succès dont ils
suivent la réalisation et la sortie
avec attention », poursuit Philippe Vayssettes. A cela s’ajoutent
les belles perspectives de rendement d’un secteur qui a été globalement épargné par le marasme
économique mondial. A l’heure
où certaines activités peinent à
 82  repartir, les industries culturelles
et créatives affichent une vraie
stabilité. Dans son rapport sur
la compétitivité, la Commission
européenne a noté qu’entre 2008
et 2011, l’emploi dans les secteurs
de la culture et de la création en
Europe s’est révélé plus résistant
que dans l’ensemble de l’économie. Même constat du côté du cabinet de conseil Ernst and Young
qui, dans son premier Panorama
des industries culturelles et créatives publié en novembre 2013,
dresse l’état des lieux d’une filière
résiliente. Pour l’année 2011, les
industries culturelles et créatives
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fois dans l’année et, en dix ans, le
nombre d’entrées a enregistré une
progression de près de 20 %.
Autant de chiffres qui laissent
présager un joli retour sur investissement à quiconque voudrait
se placer sur cette filière. Un bémol cependant : « Cette croissance demeure fragile », analyse le
cabinet Ernst and Young et « est
fonction des succès d’affiche au
cours de l’année ». D’une production à l’autre, les disparités entre
les films sont grandes. Pour le
non-initié, le risque de perte peut
être colossal. Voilà pourquoi la
solution la plus plébiscitée par
les épargnants particuliers (car
la plus sécurisée) reste l’achat
de parts de Sofica (Sociétés de
Financement de l’Industrie Cinématographique et Audiovisuelle).
françaises ont généré un chiffre
d’affaires global de 74,6 milliards
d’euros. Pour le « cœur » de la filière, l’activité créée représente
61 milliards d’euros, soit davantage que l’industrie automobile à
60,4 milliards, précise l’étude.
Un secteur résilient, mais
qui connaît de grandes
disparités
A lui seul, le cinéma représente
près de 6 % de ce chiffre d’affaires avec 4,4 milliards d’euros de
richesses produites en 2011. En
nombre de films produits, le cinéma français est le troisième producteur au monde, derrière l’Inde
et les Etats-Unis, et le deuxième
exportateur mondial, juste derrière les Etats-Unis. En 2012, les
recettes du cinéma français à
l’étranger se sont établies à 870
millions d’euros. Et le marché local n’est pas en reste : en 2012 et
pour la quatrième année consécutive, la fréquentation des salles
de cinéma au sein de l’Hexagone
a dépassés les 200 millions d’entrées. 70 % des français affirment
être allés au cinéma au moins une
Les Sofica,
une exception française
Chaque année, le CNC (Centre
National du Cinéma et de l’image animée) établit une liste des
sociétés d’investissement destinées à la collecte de fonds privés
consacrés au financement de la
production cinématographique et
audiovisuelle. Créées à l’initiative des opérateurs du secteur
bancaire et financiers, les Sofica visent à financer les œuvres
plus confidentielles et à encourager la création française. Pour
l’année 2014, le CNC a autorisé
dix Sofica pour un montant total
d’investissement de 59 millions
d’euros. Par leur statut, ces sociétés se doivent d’investir 90 % de
leur collecte dans le secteur du
cinéma et de l’audiovisuel. Les
10 % restants pouvant être placés
en trésorerie. Autre impératif :
consacrer au moins 50 % de leurs
investissements à des supports
non adossés, c’est-à-dire pour lesquels aucun accord de rachat à
un prix fixé d’avance n’est conclu.
Il s’agit donc là de projets risqués,
sans garantie de rachat à venir.
 83  Pour l’épargnant particulier, l’intérêt de se placer sur les Sofica
réside avant tout sur l’avantage
fiscal qui permet de réaliser une
économie d’impôt à hauteur de
36 % du montant souscrit au capital, dans la limite d’un plafond
de 7 200 euros. Très souvent, le
rendement est médiocre voire
négatif. Les investisseurs récupèrent leur mise au bout de cinq
ans, lors de la liquidation de la
société, généralement entre 65 et
100 % du capital investi. Pour aller chercher un rendement un peu
plus offensif, tout en conservant
un avantage fiscal, il est possible
d’investir dans le cinéma via les
PME audiovisuelles.
La loi Tepa offre
défiscalisation et
possibilité de retour
sur investissement
La loi Tepa créée en 2007, permettant de bénéficier d’importants
avantages fiscaux, s’applique au
secteur audiovisuel. Concrètement, pour l’investisseur particulier, il s’agit de souscrire au capital d’une PME audiovisuelle avec
une durée de détention de ses
titres de cinq années a minima.
Avec un ticket d’entrée de 10 000
euros, l’investissement est éligible
à la déduction fiscale ISF et/ou à la
réduction de l’impôt sur le revenu,
comme le prévoit la loi Dutreil.
Certains conseils en ont fait leur 
Franck Ladrière
Axone Invest
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spécialité. C’est le cas d’Axone
Invest qui a conseillé en 2010 le
premier véhicule dédié à l’audiovisuel. Le principe : faire bénéficier d’un avantage fiscal, tout en
sélectionnant des productions ou
des porteurs de projets prometteurs afin d’obtenir un retour sur
investissement significatif.
« Contrairement aux Sofica, il
n’existe pas de contraintes d’investissements, ce qui nous permet d’être plus flexibles dans
l’analyse que nous faisons des
dossiers. En tant que coproducteurs, nos véhicules peuvent par
ailleurs appréhender le fonds de
soutien du CNC. Cela constitue
un couloir de recettes supplémentaires significatif pour la récupération des investissements et une
différence notable avec les Sofica », détaille Franck Ladrière,
PDG d’Axone Invest. La société
conseille deux catégories de véhicules : des sociétés qui coproduisent un ou plusieurs projets
préalablement identifié(s), ou des
entreprises dédiées à accompagner financièrement une société
de production, de distribution
ou de ventes internationales sur
un portefeuille de projets qu’elle
porte. Dans les deux cas, le véhicule se comporte comme un fonds
fermé, avec un montant de levée
annuel maximum de 2,5 millions
d’euros. Un objectif de gestion
est défini à six ans avec le partenaire producteur qui transmet
des hypothèses de recettes permettant aux investisseurs de disposer d’éléments prévisionnels
pour prendre leur décision d’investir, et en cas de succès à la société de leur servir un rendement
attractif. Pour autant, cet objectif
ne constitue pas une garantie
de rendement : « En cas de sousperformance du film ou du portefeuille de droits audiovisuels
financé, les investisseurs peuvent
décider de prolonger la durée de
vie du véhicule d’investissement
Anne Flamant
Neuflize OBC
Philppe Vayssettes
Neuflize OBC
afin de continuer à exploiter les
droits dont ils sont détenteurs et
qui constituent un actif réel qui
peut générer des recettes jusqu’à
trente ans », explique Franck Ladrière. Pour l’heure, les premières
sociétés conseillées par Axone
Invest n’ont pas encore débouclé
leurs positions, impossible donc
de donner une estimation du retour sur investissement avant
2016. Reste que certains contenus
ont déjà affiché de belles performances d’audiences, c’est le cas
notamment de la série Borgia, à
laquelle Axone Invest via la société BORGIA SAS a participé
financièrement. Au total, celle-ci
conseille et administre une dizaine de véhicules pour un total de
25 millions d’euros sous gestion.
Des solutions pour investir dans
 84  l’économie réelle qui semblent
séduire de plus en plus d’investisseurs : « Il existe un vrai processus d’identification aux sociétés audiovisuelles que nous
conseillons. Le cinéma est un
secteur que les investisseurs peuvent facilement s’approprier »,
souligne Franck Ladrière.
Les fonds réservés aux
clients patrimoniaux
fortunés
Cet engouement est tel que la
banque privée Neuflize OBC a
choisi de créer un fonds cinéma
à destination de sa clientèle patrimoniale fortunée. Lancé en février 2013, la Sicar Cinéma est un
fonds de droit luxembourgeois,
qui n’offre aucun avantage fiscal
et affiche un objectif de rende-
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Yann Charraire
Neuflize OBC
ment supérieur à 12 %. Le principe de fonctionnement : la Sicar
(Société d’Investissement en Capital à Risque) investit dans une
société de production nommée
Cinéfrance 1888 dirigée par une
équipe indépendante de la banque. « Notre stratégie est d’adapter le fonctionnement du private
equity au monde du cinéma », explique Yann Charraire, directeur
marketing, produits et solutions
chez Neuflize OBC.
Pour Anne Flamant, directrice du
département cinéma et audiovisuel chez Neuflize OBC, la légitimité de ce produit s’inscrit dans
l’ADN même de la banque privée :
« Ce fonds est né d’un constat :
alors que, depuis plus de trente
années, la banque Neuflize OBC
accompagne les projets de financement audiovisuels, nous avons
senti un réel besoin de réfléchir à
de nouvelles formes d’accompagnement. Alors que l’investissement des chaînes avait tendance
à diminuer, nos clients montraient
de plus en plus d’intérêt pour les
investissements alternatifs. Notre démarche a donc consisté à
aligner les intérêts de chacun ».
Résultat, en quelques mois, 25 millions d’euros ont été levés. Si ce
montant d’investissement constitue une part infime des activités
du groupe (à comparer aux 41
milliards d’actifs sous gestion
de Neuflize OBC), il n’en demeure pas moins un emblème de la
stratégie de diversification souhaitée par le groupe. Reste que
le ticket d’entrée est élevé, avec
un seuil à 150 000 €. Au total, un
peu moins d’une cinquantaine
d’investisseurs privés et institutionnels ont apporté la totalité
du nominal. Avec ce fonds de 25
millions d’euros, l’objectif est de
coproduire une vingtaine de films
en trois ans : « Une diversification
suffisamment importante pour diminuer les risques », assure Yann
Charraire. Lancé il y a un an, il
 85  faudra encore attendre deux années avant de pouvoir obtenir une
estimation du retour sur investissement. Pour l’heure, Neuflize
OBC Cinéma a déjà participé, via
Cinéfrance 1888, au financement
de deux films à succès : Neuf mois
ferme, d’Albert Dupontel et Yves
Saint Laurent, de Jalil Lespert.
Mais les entrées en salle ne sont
toutefois pas le seul critère de
rentabilité d’un film : « Lorsqu’un
film démarre bien en salle, c’est
un bon signal. Néanmoins le retour sur investissement se mesure
en intégrant également l’exploitation sur les autres supports, vidéo et télévision, mais aussi la seconde vie du film, c’est-à-dire ses
passages TV ultérieurs », précise
Anne Flamant.
Ainsi, pour les investisseurs, la
sortie du fonds peut être envisagée après une durée de vie de
sept à huit ans.
Chloé Consigny n
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